Cet été, pendant une dizaine de jours, nous avons eu le plaisir de nous rendre en Géorgie afin d’y réaliser un nouveau FootballskiTrip. Nous vous proposons aujourd’hui un récit de notre brève rencontre de 10 jours avec la Géorgie, ses habitants, son football, ses paysages, sa culture. En espérant continuer à vous faire partager cette passion commune encore de longues années. Second épisode avec un match entre le Lokomotiv Tbilissi et le Torpedo Kutaisi.


Lire : #1 FootballskiTrip Géorgie: Le Dinamo Tbilissi, à la recherche de son age d’or perdu


Des consulats, des collines, un lac, une grande route, des universités et le siège de la fédération nationale. C’est au milieu de cet environnement que se trouve le stade Mikheil Meskhi, anciennement nommé « Stade du Lokomotiv ». Construit en 1952 à proximité du parc Vake, lui-même érigé six années auparavant sur un ancien terrain vague, il était constitué de 26 000 places. Agrandi en 1960, il a été complètement détruit en 1999 pour laisser la place à la construction d’un nouveau complexe sportif. Le chantier a pris fin en 2001 avec pour résultat un superbe stade de 27 000 places. En 2005, il prit le nom de Mikheil Meskhi, un des meilleurs joueurs géorgiens qui a fini sa carrière au Lokomotiv en 1970, où il fut bien placé pour assister à l’éclosion de David Kipiani. C’est dans cette arène que le club espère trouver son nouveau « Garrincha géorgien » (surnom de Meskhi).

© Footballski
© Footballski

S’il ne le trouve pas, le Lokomotiv pourra au moins dire qu’il a tout fait pour le trouver. Depuis l’arrivée de Giorgi Kipiani (fils de David) en 2013, tout a changé ou presque. Le président cherchait un homme fort pour mener un projet à long terme pour la formation des jeunes. Ce fut Kipiani qui trouva le projet emballant. La modernisation du vieux club cheminot était en marche, avec un plan pour construire le club et le faire entrer dans le gratin géorgien. Alors qu’avant, le club formateur envoyait ses meilleurs éléments à l’étranger très tôt, Kipiani est déterminé à les garder, comme il nous l’a confié lorsque nous l’avons rencontré : « Depuis que je travaille ici, mon but est de garder ces joueurs jusqu’à ce que nous atteignons la phase de groupe de coupe d’Europe. Je veux jouer avec eux en Champions League et en Europa League. Après, nous pourrons penser à les vendre à d’autres clubs. » Au-delà de la progression du club, Kipiani pense à la progression du football géorgien : « C’est difficile pour des gamins de 17, 18 ans, qui n’ont pas de réelles références en Géorgie en tant que professionnel, de partir à l’étranger et de s’intégrer. C’est pourquoi je veux les garder jusqu’à 21, 22 ans. Pour les rendre célèbres, meilleurs afin qu’ils puissent accéder au niveau supérieur avec les clés en main. »

Pour que Giorgi Kipiani arrive à ses fins, le Lokomotiv a lancé officiellement son projet d’envergure il y a un an, comme académie professionnelle avec son propre programme d’entraînement : « Nous voulons former les joueurs étape par étape. Nous avons des catégories de jeunes allant des U16 aux U19. Pour les faire progresser, nous avons mis à leur disposition des coachs compétents travaillant avec une méthodologie spécifique. C’est pour cette raison que nous pensons que la plateforme que nous venons de créer sera efficace à long terme. La plupart du temps, en Géorgie, les coachs travaillent avec leurs propres méthodes. Ce qui n’est pas mauvais en soi, mais si nous voulons une académie forte, nous devons construire et implanter la même vision de jeu dans chaque catégorie d’âge. » Un manuel de méthodologie et de philosophie de jeu propre au Loko a même été rédigé, preuve du travail de fond réalisé par l’équipe avant de se lancer tête baissée. Les erreurs sont scrutées, analysées et notées afin de mettre en place une méthodologie encore meilleure pour le futur. « J’espère que dans sept à huit ans, j’aurai un business plan avec cette méthode. Ainsi, en 2023, nous aurons nos propres joueurs de l’académie qui joueront en Champions’ League. »

Pour ce projet, Kipiani peut compter sur le soutien financier de Silk Road Group, une compagnie nationale de transport privatisée (logique pour l’ancien club des chemins de fer), présente sur le logo du club et dont le siège se trouve juste en face du Mikheil Meskhi. Comme bien souvent dans ces anciennes républiques soviétiques la libéralisation brutale et à marche forcée des marchés a permis le développement de sociétés privées abreuvées de capitaux d’origine plus ou moins douteuses, dont Silk Road. Bénéficiant d’un coup de pouce fiscal du dirigeant ultralibéral Saakachvili en 2004 elle est aujourd’hui diversifiée dans les télécommunications, l’immobilier, la finance et les médias et est aujourd’hui présente dans tout le Caucase mais aussi en Asie Centrale.

Dans un pays comme la Géorgie, rares sont les initiatives porteuses sur un long terme. Et le football local risque de ne pas en voir fleurir énormément. Il convient d’accorder une place grandissante dans le football local à ce Lokomotiv, peu habitué au succès ou à la gloire depuis sa création en 1936. Ses deux années dans l’élite soviétique s’effectuèrent tout de même assez rapidement, en 1938 et en 1940. Cette dernière année sonna le glas des cheminots, qui laissèrent filer le Dinamo vers la gloire. En effet, ils furent exclus du championnat pour “performance technique trop faible”. Les raclées que prenaient le club tous les week-ends faussaient le championnat, selon les administrateurs du football soviétique de l’époque. On retrouva le Lokomotiv après l’indépendance, qu’il passa majoritairement en première division, accrochant quelques coupes (2000, 2002, 2005) et une deuxième place en championnat (2002). Avant l’actuelle phase de transition et une place au bord de la relégation lors de la dernière saison.

© Footballski
© Footballski

Notre arrivée aux guichets du stade nous donne le ton à venir : il n’y aura pas de spectacle dans les jolies tribunes colorées du stade Meskhi. Pour ceux qui avaient des doutes, les rubiks cubes vendus à la sauvette aux côtés des graines sont là pour le rappeler. Notre choix se porte plutôt sur les graines, vendues dans des problèmes de maths de niveau sixième. Probablement une autre manière de s’occuper, pense-t-on, une fois fini de mâchouiller du tournesol. Même les policiers semblent s’ennuyer. Sinon, on ne comprend pas vraiment leur intérêt à s’époumoner sur des spectateurs montant sur un muret pour prendre des photos. Un ennui que ne connaissent pas les stadiers chargés de la sécurité à l’entrée du stade : il n’y en a pas. Nous entrons donc librement dans l’arène en espérant se désaltérer à une buvette. Pas de chance, la tireuse à bière ne fonctionne pas. C’est donc un soda d’une multinationale qui nous servira à faire passer les graines.

Le placement libre dans les tribunes nous laisse l’occasion de tenter une approche avec deux Allemands probablement venus faire du groundhopping. Devant leur réceptivité, nous admirons les collines environnantes, aguichantes sous ce soleil caucasien. Les joueurs arrivent sur le terrain, sous le chant… des cigales qui réussissent à être plus bruyants que les spectateurs. Malgré des conditions réunies pour ne pas trop se donner, les joueurs des deux camps nous livrent une belle opposition. Les déviations en une touche de balle, extérieurs du pied ou ailes de pigeon nous rappellent que les joueurs géorgiens ont une belle technique, loin des clichés que pourraient laisser penser le physique de golgoth du géorgien lambda. La pelouse, probablement de meilleure qualité que la moitié de celles de Ligue 1, favorise le jeu à terre et technique déployé par les acteurs.

Un bruit lointain nous sort quelque peu de la torpeur qui s’installe. Des ultras du Torpedo Kutaisi, de leur parcage, se réveillent en commençant à chanter. La dizaine d’hommes, torse nu, arrive à ne pas chanter ensemble et produit un son parfaitement bordélique. Revenant au match, nous nous prenons d’affection pour cette jeune équipe du Lokomotiv qui domine et taquine joliment le ballon. Malheureusement, ils se montrent peu incisifs dans les trente derniers mètres et ne parviendront qu’une seule fois à se procurer une occasion. A l’inverse, les contres du Torpedo sont redoutables et inquiètent grandement les rouges. Mais pas un public à qui cela ne fait ni chaud ni froid. Hormis un homme avec le maillot de Kutaisi qui gesticule dans tous les sens et vit véritablement le match. C’est bien le seul.

© Footballski
© Footballski

La mi-temps arrive. L’avantage est que l’on n’a pas besoin d’attendre à la buvette. Nous dissertons toujours lorsque les 22 acteurs reviennent sur la pelouse. Kutaisi est plus incisif et plus cohérent collectivement. On n’ira pas jusqu’à dire qu’on se régale mais le spectacle proposé est plutôt agréable. Quelques joueurs se démarquent comme le milieu du Loko Klimiashvili, dont la ressemblance avec Jaroslav Plasil est troublante de loin, ou son homologue du Torpedo Palavandishvili. Le match devient aussi plus engagé avec une série de trois cartons en deux minutes, suivi d’un rouge pour un joueur du Torpedo. Ce qui rend leur supporter fou de rage (on dit bien leur seul et unique), s’égosillant à n’en plus finir. Au moins, nous sommes contents de voir quelqu’un vibrer, debout, criant sur chaque action. On se raccroche à ce que l’on peut.

Finalement, le match se termine sans but. Les trois laris du ticket valaient quand même le coup. Lorsque la coupe d’Europe arrivera au Mikheil Meskhi, on se souviendra de notre escapade. Le projet tient la route mais le plus dur sera de convaincre des gens de se rendre au stade. Ce qui est plutôt triste pour un club historique en phase de modernisation qui mérite bien mieux.

Les notes Footballski :

loko-tbilissi

Standing du Stade (4/5): Stade national pour le rugby et les matchs des équipes nationales de jeune le Mikheil Meskhi possède une vraie identité. Arène circulaire aux tribunes proches du terrain le dégradé de couleur des siège rend également plutôt bien et l’on aimerait le voir rempli pousser derrière son équipe.

Disponibilité des billets (5/5): Deux guichets d’ouverts pour un match avec 200 spectateurs où l’on voit que certaines personnes rentrent même sans billets, pas besoin de stresser sur le niveau de billets qu’il restera, même contre le Dinamo.

Tarif (5/5): Trois laris la place (1,2€), soit moins que la course de taxi réglementaire à Tbilissi. Encore une fois la désaffection du public ne s’explique pas par le tarif.

Ambiance (1/5): On va pas se mentir, c’est pas folichon. Le combo un seul spectateur motivé/visiteurs désorganisés/cigales ça a un charme un peu désuet mais c’est pas le coup de frisson.

Risques (5/5): Pas de risque de se retrouver dans une baston vue l’ambiance. Le stade est également situé en plein quartier des ambassades donc plutôt tranquille de ce côté-là.

Accessibilité & transports (4/5): Le stade n’est pas très loin du centre-ville d’où l’on accède en taxi pour 5 laris (2€) ou en bus. Le quartier de Vake, assez chic à côté, rend l’endroit assez facile d’accès.

Boissons (2/5): Tireuses à bière en panne mais on avait quand même un stand de hot dog. Les graines de tournesol, cacahuètes et graines de lin dans les problèmes de maths valent quand même bien le coup.

Quartier environnant (4/5): L’atout de ce stade serait son quartier environnant et pas uniquement à cause de ses ambassades, même si rien ne vous empêche d’aller faire coucou aux Vénézuéliens ou Iraniens qui ont vue sur le stade. Non, un vrai beau parc s’étendant autour d’un grand lac (le lac de la tortue) se trouve à proximité. Un chemin de terre venant du parc vous amène même à découvrir le stade depuis les hauteurs. Car il est également situé au pied et entouré des petites montagnes environnantes, si vous vous sentez d’humeur randonneuse. En redescendant passez donc par le parc Vake où vous pouvez vous prélassez comme un bon tiflissien autour du lac de la tortue ou bien au bord de la fontaine monumentale. Des courts de tennis et des machines de sport en libre-service égayent encore davantage l’endroit qui est franchement très agréable.

Damien F / Tous propos recueillis par DF pour Footballski


Image à la une : © Footballski