Cet été, pendant une dizaine de jours, nous avons eu le plaisir de nous rendre en Géorgie afin d’y réaliser un nouveau FootballskiTrip. Nous vous proposons aujourd’hui un récit de notre brève rencontre de 10 jours avec la Géorgie, ses habitants, son football, ses paysages, sa culture. En espérant continuer à vous faire partager cette passion commune encore de longues années. Première épisode aujourd’hui avec le plus grand club du pays, le Dinamo Tbilissi, un club à la recherche de son âge d’or perdu.


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« La richesse des régions de Colchide, provenant des mines d’or, d’argent, de fer et de cuivre, évoque une motivation appropriée pour l’expédition de Jason. » Comme l’annonce le musée national de Géorgie, les anciennes légendes grecques évoquaient le royaume d’Aétès et de la magicienne Médée comme une terre incroyablement riche lorsque Jason et les Argonautes volèrent la Toison d’or. Colchide était décrite comme une région lointaine, atteignable seulement par la mer Noire et la rivière Phasis (actuellement Rioni dont l’embouchure est située à Poti). Le site de ce royaume légendaire n’a jamais été trouvé, mais les Grecs ont été grandement impressionnés par cette région, qui couvre une large part du littoral géorgien, de l’Abkhazie jusqu’à la ville de Poti. D’ailleurs le club de cette ville porte le nom de Kholkheti soit Colchide en géorgien. Une autre référence à cette riche histoire se trouve dans cette bière Argo, du nom du bateau qui conduisit Jason en Colchide, que nous éclusons avec nos premiers khatchapuris. Pour preuve, le Musée national géorgien recense de nombreuses pièces, colliers, bracelets et autres bijoux tous aussi splendides, datant du 8ème au 3ème siècle av. J.-C.. D’ailleurs, la richesse légendaire de Colchide ne se référait pas qu’à l’or. Des preuves archéologiques datant des premières importations grecques faisaient état de poterie peinte et d’amphore à la fin du septième siècle av. J.-C.. En échange, il est probable que les Grecs partaient à la conquête des nombreuses ressources naturelles de Colchide.

© Footballski
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Pourtant depuis notre arrivée en terre géorgienne, il nous est difficile d’imaginer que de riches royaumes aient pu prospérer sur ces terres. Cela est particulièrement visible à Tbilissi. Dans les rues, les commerces, les transports, la tristesse voire l’agressivité semble être de mise. Peu surprenant que le World Happiness Report évalue la petite nation du Caucase comme la plus pessimiste de l’ex-URSS. Entre les maisons pastel et les dômes de briques abritant des bains de soufre, les chauffeurs de taxi ignorent tout prix conventionnel, préférant se livrer à la roulette russe sur la route. Sur le marché aux puces non lointain, les vendeurs ambulants marchandent des médailles soviétiques et de vieux posters de propagandes de Staline et Lénine. Aujourd’hui, donc, l’âge d’or géorgien est bien finie. Pourtant, parmi les républiques caucasiennes, la Géorgie a longtemps été considérée comme un modèle de démocratie. Mais la confrontation avec la Russie, les tensions ethniques en Abkhazie, en Ossétie du Sud, les velléités autonomistes en Adjarie, la corruption généralisée puis le saut à corps perdu du président Saakachvili vers l’Occident ont laissé le pays et ses institutions en crise.

Notre arrivée au stade Boris-Paichadze (Lire aussi : Boris Paichadze, le gentil gagne toujours à la fin de l’histoire) du Dinamo Tbilissi nous interloque autant que nos premiers pas dans la ville. La beauté et le charme côtoient le sale et l’obsolète, avec une touche de modernisme, cette fois plus rationnelle que dans la ville, victime des vues progressistes du président pro-occidental du pays, Mikheil Saakashvili (2008-2013). Le trajet en taxi bricolé du Lokomotiv Stadium à celui du Dinamo nous laisse le temps d’admirer d’interminables barres soviétiques délabrées, un faux IKEA au rez-de-chaussée d’une de ces barres et beaucoup de bâtiments incomplets, comme partout en ville. Après ce décor post soviétique, on reconnaît assez vite l’enceinte grandiose du Dinamo. La sortie du taxi nous pousse à slalomer entre quelques vendeurs ambulants et quelques autres représentants de l’esprit de débrouille qui sévit partout dans la ville. Ce premier obstacle passé, nous aurons la surprise de ne pas en avoir un deuxième. En effet, pas besoin de slalomer à travers la foule pour entrer dans le stade ou pour trouver notre tribune. Nous nous sentons étrangement seuls, libres de coller nos stickers Footballski un peu partout.

© Footballski
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Le Parc des Princes du Caucase s’ouvre à nous, magnifique de modernisme et d’ancienneté à la fois. On avale les dalles en béton polies par le temps et la coursive intérieure majestueuse avec ces arches dignes d’une cathédrale en pensant à l’histoire de ce lieu, à la fièvre de la Coupe d’Europe et des rencontres surchauffées contre les équipes russes, symboles de l’oppression contre la fierté géorgienne. Malheureusement, nous n’aurons certainement pas l’occasion de revivre cela contre le Guria Lanchkhuti. Cela fait bien longtemps que les habitants de Tbilissi et ses environs ne se déplacent plus pour voir le géant du pays jouer. Les anciens, garants d’un véritable esprit Dinamo, ne sont pas plus présents que les jeunes qui préfèrent se mêler à la masse informe et infâme des pro-Barça ou pro-Real. Même les nombreux jeunes du centre de formation, qui ont pourtant des places gratuites, se font aux abonnés absents. Au final, nous voyons plus de policiers que de spectateurs. Nous n’osons même pas imaginer combien d’entre eux ont payé leur place, tant ils semblent être des membres du club ou des proches des joueurs.

C’est comme si la Toison d’or avait vraiment existé. Tel Jason dont l’oncle Pélias pensait se débarrasser et s’emparer du trône d’Iolcos, l’avait envoyé récupérer la Toison d’or, les Géorgiens ont réussi, petit peuple de 4 millions d’habitants, à ravir à l’Europe une Coupe des Vainqueurs de Coupe en 1982. On peut poursuivre l’analogie en disant que Jason et Médée vécurent après cette aventure 15 ans de bonheur communs (les 15 titres de champions de Géorgie ?) avant que Jason ne délaisse sa magicienne de femme (le peuple géorgien ?) qui se suicidera après avoir donné la mort à ses enfants (les Ananidze, Okriashvili et autres Kankava partis explorés le vaste monde, mais bien souvent revenus la queue entre les jambes de leurs périples européens ?). Dans certaines versions du mythe Jason finit également par se suicider, en tout cas revient à une vie beaucoup plus humble. Ainsi va la vie pour le Dinamo qui semble baisser de niveau et d’ambition d’année en année malgré les investissements souvent à perte de Roman Pipia.

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© Footballski

Pour commencer, le businessman a financé un centre d’entraînement ultra moderne. Il a continué avec la modernisation du stade qui est une grande réussite. On sent que tout a été soigné pour rendre au mieux que ce soit au niveau des sièges, de la couleur, la pelouse, les lumières, les hymnes ou même la musique, plus recherchée qu’une de ces horreurs commerciales modernes. Même les joueurs sont d’un niveau largement acceptable entre les jeunes talentueux du centre et certains plus anciens, qui rappellent, s’il en est besoin, que leurs aînés étaient surnommés les « soviets brésiliens ». Quant au shop du club, il est magnifique bien que vide. Mais la ferveur n’y est plus et la rénovation du stade n’a pas ramené les foules. Les deux minuscules kops (« Boulogne contre Boulogne » comme nous disait Anthony Scribe) ne chantent même pas ensemble, ce qui produit un bruit étrange, presque inaudible. Qui plus est, des chants qu’ils ont importés d’Occident ou de Russie avant de les traduire. Aucune surprise, dans un pays où l’on peut trouver un sac Vuitton dans un magasin Nike, des modèles Adidas datés de 15 ans présentés en vitrine comme des nouveautés, des voitures avec six pots d’échappements ou une Mercedes se transformant en une vieille Lada une fois les portes ouvertes. En Géorgie, où la débrouille est la norme pour tout le monde, c’est le club qui a tout pour réussir, le plus propre, qui subit le plus la désaffection.

Le Dinamo est pourtant un monument qui ne peut pas être enterré en aussi peu de temps. Ce club est porteur d’une forte identité, notamment lors de l’époque soviétique. Lorsque les révoltes géorgiennes étaient férocement réprimées par Staline (pourtant lui-même Géorgien) et ses successeurs, l’intelligentsia géorgienne décapitée et son identité bafouée pour laisser place au conformisme soviétique, le petit peuple géorgien a toujours résisté et a réussi à conserver sa culture. Toujours tournée vers l’Ouest, la Russie a longtemps imposé l’Est à ce petit pays. Le Dinamo Tbilissi était ce symbole de résistance. Les 70 000 personnes se massant au stade ne venaient pas pour un simple match de football, mais pour montrer sa fierté d’être Géorgien, sa fierté d’avoir toujours su conserver son identité. Et les résultats du Dinamo contre les fines fleurs de Moscou étaient le symbole de la résistance contre l’envahisseur, comme une revanche qui n’a jamais pu être prise. Dans ce cas, David ne peut rien faire contre Goliath. En 1990, en quittant la ligue soviet et en lançant l’Umaglesi Liga, les demandes pour les places étaient incroyablement élevées. Le premier match à domicile de la ligue contre Poti aurait même rassemblé 100 000 personnes. La liberté, l’indépendance, cela faisait tellement longtemps que la Géorgie l’attendait. Et quoi de mieux que de le fêter au stade avec sa fierté nationale, le Dinamo? Ces moments d’ivresse pour le peuple géorgien n’auront que peu duré. La fête peut durer toute la nuit, mais ne la rallongera jamais. Et après, bien souvent, arrive la gueule de bois.

La situation économique du pays ne s’est pas améliorée d’un coup de baguette magique et la nouvelle ligue géorgienne manquait clairement de compétitivité. Les autres clubs n’avançaient pas faute de stabilité financière alors le Dinamo gagne toujours. 15 titres sur 19. Et cette fois, contrairement à 1964 et 1978, ce n’est plus un exploit. Les gens se lassent et s’occupent à tenter de survivre dans une nouvelle société sans pitié. Il faut ramener de l’argent à tout prix et les meilleurs joueurs de ces années là vécurent leurs meilleures années hors des leurs frontière natales (Giorgi Kinkladze à Manchester City, Shota Arveladze à l’Ajax puis aux Rangers). De toute façon, cela fait bien longtemps que le Dinamo n’est plus une source de fierté nationale dans un pays qui se cherche. L’attirance vers l’Occident n’a pas engendré que des ovnis architecturaux en verre et en acier. Les actifs partent vers un nouvel idéal en rentrant pour les vacances dans leur pays d’origine, parfois à contrecœur quad ils n’ont plus la patience de le voir se développer. Les jeunes rêvent de partir à Barcelone, Madrid ou Londres et deviennent supporters des équipes de football de ces villes, au détriment du Dinamo qui n’est plus qu’un nom. Ce pays, qui s’est toujours battu pour son indépendance, a conservé sa culture, ses traditions, sa religion et sa langue, résistant à toutes les invasions et tous les envahisseurs. Pourtant le visiteur se demandera s’il y a bien des raisons d’espérer quand la façade est si maussade. Des pensées loin de celles de ce bébé proche de nous, habillé avec un tee-shirt du Dinamo, qui pleure bruyamment dans les bras de son père au milieu d’un silence oppressant.

Le Dinamo a gagné 3-0, mais tout le monde s’en fiche. L’équipe a fourni une bonne prestation, à l’image de Papunashvili et Tchanturishvili, mais tout le monde s’en fiche. Dans la seule tribune ouverte, personne n’a célébré les buts. Le speaker a eu beau se démener pour faire scander le nom du buteur aux 200 spectateurs, pas une personne n’a répondu. Le match se termine. Même le jovial Mathias Coureur sort du terrain tête basse, la mine renfrognée. Nous cherchons des bières pour nous consoler. Pas de chance, toutes les buvettes sont fermées. Elles aussi.

Pourtant la légende de la Toison d’or est partiellement vraie. Aux premiers siècles de notre ère, dans les villages isolés des montagnes de Svanétie (une partie de l’ex Colchide) les villageois utilisaient des peaux de mouton pour attraper de fines particules d’or dans les rivières qui coulaient des montagnes du Caucase. Aujourd’hui encore il y a surement beaucoup d’or à découvrir dans la terre de Géorgie, mais qui pour retrouver la Toison ?

Damien F


Image à la une : © Footballski

3 Comments

  1. Robert 13 septembre 2016 at 17 h 23 min

    « Dans les rues, les commerces, les transports, la tristesse voire l’agressivité semble être de mise ». Sérieusement? On a pas visité le même pays? C’est le pays le plus hospitalié sue j’ai jamais visité… C’est un pays fantastique tu fais l’effort de communiquer avec les géorgiens…. « Dans les rues, les commerces, les transports, la tristesse voire l’agressivité semble être de mise » WTF?

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    1. Antoine Gautier 15 septembre 2016 at 19 h 06 min

      Salut Robert,

      Il n’est absolument pas question de remettre en cause l’hospitalité et l’accueil des géorgiens, on en a nous même bien profité. Au contraire ce qu’on veut dire c’est que ce pays regorge de richesse et en particulier les gens, mais que pour cela il faut d’abord dépasser une façade qui peut paraître maussade au premier abord, je dis bien au premier abord seulement.

      Ces articles sont organisés comme un carnet de voyage donc il faut aussi remettre cet article dans son contexte : nos premiers contacts avec le pays. J’espère qu’on te démontrera le contraire dans la suite des articles.

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  2. Pingback: On a vécu Dinamo Tbilisi vs. Saburtalo en match de barrages - Footballski - Le football de l'est

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