La confusion entre Ultras et Hooligans est monnaie courante dans beaucoup de cercles médiatiques et énerve souvent les puristes, voir même les acteurs concernés. Il existe pourtant certains coins d’Europe de l’Est où les deux mouvements se marient parfaitement pour nous offrir un spectacle parfois génial parfois désolant. Entre violence, racisme, histoire et passion sur fond de nationalisme, Footballski vous emmène au cœur du mouvement ultra à Kiev. Quatrième et dernière partie.

Après la bataille, l’union sacrée

Les tentatives de manipulation et de division du peuple ukrainien par le président russe et ses suiveurs vont déclencher une nouvelle vague de solidarité dans le mouvement ultra ukrainien. Il y a toute juste un an, les supporters ont conclu et signé un pacte de solidarité et de non-agression qui met fin jusqu’à nouvel ordre aux rivalités sportives, historiques et politiques qui divisaient jadis les groupes ultras du pays. Un pacte qui sera ratifié par les ultras des 15 équipes de première division ainsi que 23 autres dans les divisions inférieures. Voici les grandes lignes du pacte encore en vigueur :

Plus de bagarres dans les villes.
Plus de vols de bannières, drapeaux, écharpes et autres matériels.
Plus de messages et de chants injurieux envers un autre club ukrainien.
Interdiction de brûler des écharpes d’une autre équipe.
Interdiction de recouvrir un graffiti d’un autre club.
Contrôler les faits et gestes des supporters dit « lambdas ».

Un pacte écrit et approuvé pour rappeler à tout le monde que chaque supporter est avant tout un citoyen d’une Ukraine unie.

Le mois de mars 2014 devait marquer le grand retour du championnat de football, malheureusement les événements et la situation politique instable ont conduit les instances à reprogrammer à l’époque la rencontre face au Shakhtar Donetsk. En signe d’unité, les ultras du Shakhtar feront quand même le déplacement à Kiev pour jouer une rencontre amicale face aux ultras du Dynamo au Stade Olympique. Dans une ambiance festive, les deux équipes termineront la rencontre sur le score de un partout. Un événement inédit qui sera ensuite repris par les ultras du Dnipro, du Metalist, de Lviv et d’Odessa. Des rivaux historiques qui vont se rencontrer pour une bonne cause, l’unité du pays.

dynamo-shaktar_9
Match amical entre ultras
"Ensemble, on peut tout faire !"
Ultras Dnipro : « Ensemble, on peut tout faire ! »

 

Le dernier match de la saison 2013-2014 nous offrira une image encore impossible il y a seulement quelques mois, des ultras venus de tout le pays se rejoindront sur un des ponts de la capitale pour un spectacle pyrotechnique en faveur de l’unité du pays. Seront présents les ultras du Dynamo, de Poltava, de Chernigov, de Lugansk, du Karpaty Lviv, du Metalist Kharkiv, de Nafkom, de l’Obolon Kiev, du défunt CSKA Kiev, du Chernomorets Odessa, de Dnipropetrovsk et du Tavria Simferopol. Attention les yeux…

Pont

ywB5raI6fWw

Le bataillon AZOV

Des suites de la révolution ukrainienne et du changement de président, a découlé une série d’événements en Crimée et dans l’Est du pays. L’annexion illégale de la péninsule par la Fédération de Russie s’en est suivie par l’insurrection des pro-russes dans la partie russophone du pays, à l’Est. Des combattants lourdement armés ont pris de force les bâtiments administratifs de certaines villes (Donetsk, Lugansk, Slaviansk etc), avant d’en proclamer l’indépendance. Une situation explosive qui va contraindre le gouvernement de Kiev à déclencher une vaste opération anti-terroriste dans l’est du pays. Parmi les militaires ukrainiens présents dans la région, se trouve un détachement spécial, le bataillon Azov. Cette unité est composée d’environ 800 civils volontaires et placés sous le commandement du ministère de l’intérieur. Ce bataillon, branche armée de l’extrême droite ukrainienne, continue encore aujourd’hui d’essuyer les accusations de néo-nazisme. Il est bon de rappeler que cette organisation est financée par l’homme d’affaire ukraino-israélien Igor Kolomoïsky, personnage important du monde juif-ukrainien et président du club de  Dnipropetrovsk.

C’est début juin qu’une quarantaine d’ultras du Dynamo Kiev vont rejoindre le bataillon et partir dans l’est défendre le pays. Les membres de cette unité vont se distinguer à plusieurs reprises lors de l’opération anti-terroriste, tout d’abord par la capture de Igor Kakidzianov, ministre autoproclamé de la pseudo République Populaire de Donetsk. En s’emparant par la suite de la résidence secondaire de Ianoukovytch à Ourzouf, puis en capturant le maire autoproclamé de Mariupol, Aleksandr Fomenko.

A ce jour, plusieurs membres du bataillon AZOV ont perdu la vie dans les combats, dont Orest Kvach, 23 ans et membre des ultras Dynamo.

Poutine, tête de b***

Demandez à un supporter ukrainien sa chanson préférée ? On vous répondra à coup sûr « Poutine Huïlo ». Comprenez en français « Poutine tête de b*** ». Un morceau simple à chanter, même si vous ne parlez pas un mot d’ukrainien, ni de russe. Un chant inventé il y a longtemps par les ultras du Metalist Kharkiv avec le nom de Surkis à la place de Poutine. Il s’agissait d’insulter Grigoriy Surkis, le frère du président du Dynamo, actuel vice-président de l’UEFA, à l’époque président de la Ligue de Football Ukrainienne (FFU). Pourtant proches du voisin russe et alliés fidèles des hooligans du Spartak Moscou, ce sont bien les ultras du Metalist qui vont renommer ce chant en l’honneur du président de la Russie.

Petit aperçu au Stade Olympique de Kiev :

Un chant qui va dépasser les frontières de l’Ukraine et se propager aux ex-républiques soviétiques, notamment la Biélorussie et la Géorgie. Le match des éliminatoires de l’Euro 2016 disputé à Borisov en 2014 avait accouché d’un nombre conséquent d’arrestations en marge de la rencontre, en cause les chants et messages anti-Poutine repris en cœur par les supporters biélos et ukrainiens.

Guerre et paix

La guerre dissimulée, qui se déroule actuellement dans les régions de l’Est, préoccupe les ultras au plus haut point. Tout d’abord parce qu’ils ont participé à la révolution de Maïdan, en première ligne pour une grande partie d’entre eux. Ensuite parce que le football offre une formidable plateforme de revendications, et ce n’est pas la Police qui va enlever les drapeaux et autres banderoles de soutien à l’Armée.

La Supercoupe d’Ukraine en début de saison sera l’occasion de faire passer un message de paix à travers tout le pays et de tordre le coup aux clichés de violence et de haine qui animent les grands méchants hooligans d’Europe de l’Est. Supporters du Dynamo, du Shakhtar, du Metalist et de Lviv marcheront côte à côte pour se rendre au stade avant le match.

« Que la paix règne sur le ciel étoilé de notre Donbass »

 

btk-ndbcuaabter
« L’idée de la liberté plus forte que les armes nucléaires »

 

Les bataillons de volontaires et plus généralement l’Armée ukrainienne sont devenus les symboles de la résistance à l’envahisseur russe. Les ultras du pays entier et surtout du Dynamo ne manquent pas d’afficher leur soutien aux combattants et à ce qu’ils appellent la « Junte de Kiev ».

n7YSY0QUAbU
« La Junte de Kiev »

 

zurjFfl6iEc

Le drapeau de la Marine Nationale Ukrainienne au moment de l’annexion de la Crimée

 

Nombreux sont les supporters ukrainiens qui ont tout laissé dans la capitale pour s’engager dans les bataillons de volontaires présents dans l’Est du pays. Même sur le front, ils ne manquent pas de rappeler leur appartenance footballistique.

im578x383-Динамо

Dnipro, Karpaty, les amis les amours

Comme évoqué dans les précédentes parties, le régime soviétique n’avait d’yeux que pour les puissants clubs de Moscou, il en était de même pour les supporters moscovites qui aimaient entretenir ces rivalités avec les clubs non russes. Les ukrainiens vont contre-attaquer en formant l’alliance historique avec Dnipropetrovsk et le Karpaty Lviv. Une alliance encore bien présente aujourd’hui et communément appelée « La Triade ». En réalité ce triangle des ultras compte un quatrième club, le Zalgiris Vilnius.

Une fois l’URSS démantelée, les occasions de se réunir se sont considérablement réduites pour les supporters lituaniens qui ont rejoint leur championnat national et n’apparaissent que trop rarement dans des compétitions européennes.

Clin d’œil au Zalgiris Vilnius dans les tribunes de Kiev

 

Cette quatrième partie marque la fin de la série des Ultras Dynamo, un voyage au cœur d’un mouvement qui dépasse de loin le simple fait de se rendre au stade pour chanter, mais traite plutôt d’un mode de vie. De la haine des forces de l’ordre aux banderoles de soutien à l’Armée, des fights organisées aux marches communes d’avant match, de la répression gouvernementale à la révolution populaire, le mouvement ultra de la capitale a mué durant toutes ces années, au gré des événements politiques et sportifs qui ont marqué l’Ukraine. Ultras Dynamo Kiev, l’histoire continue…

Rémy Garrel

Retrouvez ici les précédentes parties du dossier :

Ultras Dynamo Kiev – Partie 1

Ultras Dynamo Kiev – Partie 2

Ultras Dynamo Kiev – Partie 3

3 Comments

  1. Pingback: Ultras Dynamo Kiev, un mode de vie - Partie III - Footballski

  2. Pingback: On a discuté avec Olga Ruzhelnyk, doctorante et spécialiste des mouvements ultras en Ukraine - Partie 1 - Footballski - Le football de l'est

  3. Pingback: On a discuté avec Olga Ruzhelnyk, doctorante et spécialiste des mouvements ultras en Ukraine - Partie 2 - Footballski - Le football de l'est

Leave A Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.