Plzeň. La dernière fois que l’on s’est vue, tu étais belle, calme, posée. Tes habitants étaient heureux, heureux de voir ton club, le Viktoria Plzeň, au sommet du championnat tchèque. Heureux de voir un groupe, uni, derrière un entraîneur charismatique, intelligent, qui correspondait si bien à ton image. Pavel Vrba et ses hommes nous ont fait vibrer. J’étais là, un jour de septembre, et tu m’offrais tes joueurs en face à face, l’un après l’autre, dans une séance dédicace improvisée. Si les succès sont toujours là, dans ton ADN, ce groupe et ces joueurs, eux, se sont pour la plupart envolés vers d’autres cieux. Certains à la retraite, d’autres tournés vers d’autres horizons, tandis que d’autres encore, tragiquement, ne sont plus de ce monde. Car je sais, Plzeň, que derrière tes succès, tu essayes de cacher tes plaies. Des plaies qui ne cessent de s’ouvrir à chaque nouveau drame rythmant ta triste destinée.

Plzeň, la belle

Contrairement à Prague, se balader dans les rues de Plzeň est un exercice simple, loin des excès de la capitale. Si les touristes sont bien présents dans les rues de la ville, la dimension humaine et l’hospitalité tchèque font de Plzeň un endroit plein de charme, cultivant les plaisirs charnels, culinaires, et zythologues. Se balader dans Plzeň revient à s’offrir une courte, mais intense, balade dans l’histoire de la bière et de la Pils. Une balade qui, bien souvent, se termine en mettant son organisme à rude épreuve. Si la Pilsner Urquell est bien évidemment une institution, la ville regorge néanmoins d’autres petites brasseries, comme celle de l’hôtel Purkmistr, dans cette rue Selská náves perdue et excentrée du centre-ville historique.

© Pierre Vuillemot / Footballski ; à Plzeň

Se balader dans Plzeň, c’est aussi faire la rencontre d’une ville passionnée de sports, et vivant pour ses clubs locaux et notamment le Viktoria Plzeň, phare et carte visite de cette ville. Un club qui, au fil des années, sous la houlette de Pavel Vrba puis de ses successeurs, vivra de nombreux moments d’émotions, de gloire, de succès. Loin des transferts mirobolants des clubs pragois, le Viktoria Plzeň s’est avant tout appuyé sur la construction d’un groupe solide, d’une petite famille, prête à aller à la guerre. Une famille mixant à la fois ces vieux briscards, guerriers dans l’âme, protégeant les jeunes pousses. De Limberský à Čišovský, de Kolář à Rajtoral, de Horváth à Petržela, de Pilař à Kozáčik, ce club s’est construit au fil des saisons grâce à ce groupe fidèle, vivant à travers ce nouvel ADN plein de panache, de beau jeu, de solidité et d’une force mentale hors du commun.

Quand l’un tombait, on savait qu’une main lui serait toujours tendue pour se relever, toujours plus fort. Une histoire qui s’est vue au fil des matchs, des rencontres âpres face au Sparta Praha qui en feront un nouveau classique du championnat tchèque, ou encore lors d’affiches européennes aux scénarios fous. Mais derrière cette joie de vivre et ces succès, Plzeň et son club de football ont aussi dû faire face à des moments tragiques marquant à jamais l’histoire et la vie d’un club.

Un jour sans lendemain

D’année en année, Plzeň se meurt. Loin de la gloire apparente, le Viktoria Plzeň et ses joueurs n’ont jamais vécu une plénitude heureuse. Le premier acte de cette tragédie tchèque intervient au début de l’année 2012. Jeune joueur brésilien de 25 ans, Paulo Rodrigues da Silva connait bien la République tchèque pour y jouer depuis 2007 avec un transfert à Třinec, puis quelques mois plus tard, au Viktoria Plzeň.

À vrai dire, Paulo Rodrigues n’a jamais vraiment eu l’occasion d’écrire son nom dans l’histoire du football tchèque. Malgré ses qualités techniques, son adaptation à Plzeň fut difficile mais ses bonnes prestations avec Třinec, en seconde division, laissaient penser que le jeune brésilien en avait sous le pied et qu’un temps d’adaptation ne serait pas de trop pour exploiter pleinement ses qualités sur un terrain de football.

Envoyé en prêt du côté de Příbram, Paulo Rodrigues ne réussira jamais vraiment à s’imposer comme l’un des hommes forts de ce championnat et de son club. En dépit d’une saison pleine, le destin ne lui laissa malheureusement jamais le temps de devenir le joueur qu’il aurait pu être.

À l’image du gardien tchèque Zdeněk Jánoš, décédé en 1999 d’un accident de voiture alors qu’il n’était à Příbram que depuis deux mois, Paulo Rodrigues trouva la mort au volant de sa Škoda Superb après un dérapage sur un sol mouillé l’envoyant percuter un arbre de plein fouet. « Nous sommes tous touchés. C’est une grande tristesse. Partir si jeune, j’en suis désolé » réagissait naturellement Petr Větrovský, le tout aussi jeune directeur en chef du club de Příbram, lors de l’annonce du décès. Une première perte sur la longue liste des destinées tragiques touchant le Viktoria Plzeň.

© DENÍK/Václav Vacek

Le second acte intervient quelques années plus tard. Daniel Kolář, homme fort du Viktoria Plzeň durant de nombreuses années a lui aussi dû faire face à la mort. Non pas la sienne, mais celle de sa femme, Tereza. Une perte qui affecta tout un club.

Comme nous l’écrivions déjà dans le portrait réalisé sur le joueur (Lire aussi : République Tchèque Euro 2016 : Daniel Kolár, un Euro pour le deuil), « Pilier de la vie de l’international tchèque, elle sera aussi là pour l’accompagner dans ses aventures à Uherské Hradiště, Blšany puis plus tard à Plzeň. Derrière ce couple, se cachait pourtant une bataille de tous les instants. Alors que la carrière de Daniel flambe, la vie de Tereza, elle, flanche. Atteinte d’un cancer, elle sera foudroyée quelques mois après le diagnostic, à seulement trente ans.

Digne, le joueur ne laissait jamais rien paraître sur les terrains de football jusqu’au décès de sa tendre et chère, si ce n’est des célébrations discrètes en signe de « T » ou de cœur. Fidèle de tous les instants, le joueur refuse toutes les propositions venant de l’étranger afin de rester chez lui, dans son pays, près de sa femme. Jusqu’à la fin.

Dans un dernier message public adressé à sa défunte, le joueur ne cachait pas sa tristesse naturelle et son admiration devant le courage dont elle avait fait preuve. « Elle était la femme la plus forte et la plus admirable que j’ai eu la chance de rencontrer et passer la plus belle partie de ma vie à ses côtés jusqu’à aujourd’hui… Notre relation est toujours remplie d’un amour sincère […] Avec admiration, j’étais là quand elle a combattu l’une des expériences les plus difficiles de la vie que peu d’entre nous ne peuvent imaginer. […] Jamais ces quelques mots ne peuvent exprimer ce que je ressens Tero !!! Je suis très heureux et reconnaissant de chaque moment avec toi et tu seras toujours avec moi !! Je vous souhaite de rencontrer au moins une fois dans votre vie un tel amour, car il en vaut vraiment la peine. » »

© Ladislav Němec, MAFRA

Troisième acte. Marián Čišovský. Figure marquante du Viktoria Plzeň et du football slovaque, la vie de Marián Čišovský a basculé du jour au lendemain. Alors qu’il est encore considéré comme l’un des meilleurs défenseurs du championnat tchèque, sa carrière prend fin prématurément après une visite médicale et la détection de la maladie de Charcot. Maladie neurologique progressive impossible à stopper pour le moment, cette dernière ne laisse malheureusement que très peu d’espoirs pour le futur. Comme vous pouvez le lire dans notre portrait réalisé sur le joueur (Lire aussi : Euro 2016 : Marián Čišovský et la Slovaquie contre la maladie), « Bien que l’évolution soit variable selon les patients, l’issue, elle, est toujours fatale avec une atteinte respiratoire et cardiaque. La personne atteinte souffre de contractions musculaires ou de faiblesse dans les membres, bras ou jambes. Certaines rencontrent des problèmes d’élocution, et même de comportement avec des passages éclair entre rires et larmes. Les premiers symptômes, et qui régressent très vite, sont la contraction musculaire, avec de grosses crampes, l’atrophie musculaire, et finalement la paralysie. Comme le cœur est un muscle, vous comprenez toute la gravité de la maladie. Autant dire que le football passe au second plan. »

Tout en ajoutant : « En juin 2015, pour un match d’adieu au stade Luzansky de Brno et devant plus de 35 000 supporters, Čišovský fut invité à assister à l’événement et fut applaudi par la totalité des spectateurs. Pour redonner encore un peu de force à un homme qui apportait tant sur les terrains. Mais le plus bel hommage viendra lors de la célébration du titre de champion 2014-15 du Viktoria Plzeň. « Un grand nombre de mes joueurs ont admis qu’ils veulent conquérir le titre pour Čišovský qui est gravement malade », déclarait Miroslav Koubek, alors entraîneur du club de Plzeň. Un titre qui reviendra bien dans la main du club avec l’une dès plus belles célébrations de l’histoire du football. Fatigué, les muscles fondus, obligés d’avoir l’aide de son ami Horváth et de Koubek pour arriver jusqu’à l’estrade, ce titre 2014-15 restera à jamais comme le plus émouvant de l’histoire du club, du football tchèque, voire du football mondial. Un titre qui restera à jamais celui de Čišo. »

« J’ai attendu 32 ans pour ce titre, mais je le redonnerais immédiatement s’il était possible de redonner la santé à Marian » , racontait l’entraîneur tchèque.

Les quatrième et cinquième actes sont les plus frais et les plus similaires. František RajtoralDavid Bystroň. Deux anciens joueurs du Baník Ostrava et du Viktoria Plzeň. Deux anciens cadres. Deux hommes qui ont décidé de mettre fin à leurs jours à quelques semaines d’intervalle. Le premier nommé est une véritable légende du club de Plzeň. Champion, pilier de vestiaire, international tchèque, František Rajtoral était et reste un monument. Un monument qui a décidé de mettre fin à ses jours à 31 ans seulement.

František Rajtoral, Marián Čišovský et David Bystroň sur une même image. Vestige d’un passé. | © sport.cz

Transféré en 2016 de son club de coeur pour la Turquie et Gaziantepspor, c’est ici qu’avec son grand ami Daniel Kolář, ils devaient reformer une paire gagnante et retrouver le goût du challenge et de la vie. Car si le joueur en est arrivé là, ce n’était pas qu’un simple coup de tête. Et c’est peut-être là finalement le plus grave.

Avant de passer à l’acte, le joueur n’avait jamais réellement caché sa situation et le mal qui l’habitait : la dépression. En témoigne son passage loupé en Allemagne du fait de cette maladie qui ne cessait de le poursuivre.  Comme l’explique le docteur Vincent Gouttebarge, pour Sofoot, « un footballeur sur trois souffre de troubles liés à l’angoisse et à la dépression. 10% des décès chez les joueurs en cours de carrière ou fraîchement retraités sont des suicides. »

L’image que reflétait Rajtoral ne semblait qu’être façade. Un camouflage d’un mal-être profond l’ayant entraîné dans l’addiction, les jeux d’argent et les dettes qui vont avec. Une situation l’empêchant de voir toute l’importance qu’il avait pour les habitants et supporters de Plzeň. Profondément touchée, la ville n’a pas mis longtemps à rendre un dernier hommage à sa légende à travers foule de mémoriaux, de banderoles disséminées un peu partout dans les rues et enfin d’une bâche déployée par les ultras du club. Une situation à laquelle ces supporters doivent une nouvelle fois faire face.

Le cinquième acte est encore plus récent. Vendredi dernier (19 mai 2017), très tard dans la soirée, la triste nouvelle tombe : le corps de David Bystroň a été retrouvé dans sa cave, pendu, avec à ses côtés deux lettres d’adieux. Un nouveau coup de massue s’abat sur toute une ville et tout un club.

David Bystroň avait tout pour réussir. Défenseur central aux capacités physiques impressionnantes, il était l’un des piliers du Viktoria Plzeň durant trois années. Difficile à bouger, toujours dur sur l’homme, il était ce guerrier dont tout club peut rêver. 

Alors que Plzeň s’envole en Europe et enflamme ses supporters dans des matchs de Ligue des Champions historiques, David Bystroň, lui, va commettre l’erreur de sa carrière. Contrôlé positif à la méthamphétamine après un match européen face au BATE Borisov en novembre 2011, le joueur se voit priver de football pendant deux années par l’UEFA. Une interdiction aux conséquences désastreuses pour le Bizon.

Parti en Suisse pour rejouer tant bien que mal et tenter de se reconstruire, David Bystroň cumulera finalement les dettes plutôt que les trophées. Ruiné, divorcé et en dépression profonde, lui qui semblait si intouchable sur un terrain a décidé d’en finir avec cette vie.

Loin des images et clichés que l’on peut trop souvent apposer à la vie de footballeur, ces deux suicides montrent l’envers du décor pour de nombreux joueurs de football. Entre dépression, souffrance, isolement et problème d’argent, au point de ne plus pouvoir payer de petites sommes (téléphone, eau, gaz, assurance sociale, etc.) comme ce fut le cas pour David Bystroň. Ce dernier devait ainsi aux créanciers pas moins de 3 573 833,78 Kč , soit environ 134 943 €, en 2015. Bien que l’ancien joueur de Plzeň tenta de sortir de ce gouffre à travers la vente de sa maison ou encore de sa voiture, Bystroň n’arrivera finalement jamais à se défaire de tous ces problèmes et de cette situation financière. Une situation qui finira par le tuer.

Pierre Vuillemot


Image à la une : © fcviktoria.cz

1 Comment

  1. Thibaud qui aime bien le foot de l Est 25 mai 2017 at 12 h 45 min

    Super article plein d’émotion, même si on préférait ne pas en lire de tels.
    Le discours de Kolar m’a presque fait pleurer.

    Reply

Leave A Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.