Certaines personnes tombent au mauvais endroit au mauvais moment, d’autres provoquent leur destin. Titus Ozon est un savant mélange de ces deux situations. « Un footballeur génial, un véritable artiste du gazon, mais également un garçon extrêmement conflictuel » : les mots employés par son entraîneur d’alors résument le personnage. Ozon aurait pu connaître une grande carrière. Las, celle-ci coïncide avec l’arrivée du pouvoir soviétique en Roumanie. Une période parmi les plus dures que le pays ait connu. Une période où se montrer effronté peut coûter bien cher.

Un talent problématique

Titus Ozon naît en 1927 à Obor, quartier parmi les plus populaires de Bucarest, situé à l’est de la capitale. Orphelin à neuf ans après que son père ait été tué dans des conditions jamais résolues, il joue au ballon du matin au soir dans les terrains vagues de son quartier. Avec, déjà, un talent unique. Très rapidement, il est repéré dans la rue par Ștefan Cârjan, entraîneur de l’Unirea Tricolor, l’équipe du quartier d’Obor. Pris sous l’aile de Cârjan, qui deviendra pour lui un deuxième père, Ozon intègre le club à dix ans, tout en restant obligé par son entraîneur de poursuivre ses études. Le club est alors à son apogée, puisqu’il remporte en 1941 le dernier championnat disputé avant la coupure due à la Seconde Guerre mondiale.

« Il m’incommodait terriblement comme entraîneur. […] Je crois qu’à 20 ans, il savait tout du football. » Ștefan Cârjan, son premier entraîneur

Malgré le conflit et les difficultés engendrées dans la vie quotidienne, le jeune attaquant peut continuer à jouer grâce à son entraîneur Ștefan Cârjan, qui se démène pour que le club poursuive son existence. Un entraîneur qui ne tarit pas d’éloges sur son élément encore junior : « Il m’incommodait terriblement comme entraîneur. Il avait tellement de talent que tout ce que je lui donnais à apprendre, il l’intégrait immédiatement. Pour lui, il fallait que je vienne tous les jours avec un thème nouveau, un exercice inconnu. Je crois qu’à 20 ans, il savait tout du football. »

Les souvenirs de Cârjan, et une photo de Titus Ozon, capitaine de la Roumanie face au Maroc en 1962. © prosport.ro

Lorsque le championnat reprend, en 1946, la situation a changé. Après être entrée en guerre aux côtés de l’Allemagne sous l’impulsion du Maréchal Antonescu et de sa Garde de Fer, la Roumanie a changé de camp en déclarant la guerre à l’Axe en 1944. La Roumanie n’est cependant pas considérée comme pays vainqueur au terme du conflit. Et les Occidentaux ne font rien pour empêcher Staline de mettre la main sur le pays. Le 6 mars 1945, un coup d’Etat place à la tête du pouvoir des communistes locaux, dévoués serviteurs de Vychinski, le ministre soviétique des Affaires étrangères, qui dirige en sous-main la nouvelle destinée du pays.

Le football roumain, et notamment bucarestois, va s’en trouver bouleversé. Pendant que de nombreuses équipes historiques jugées bourgeoises sont dissoutes par le nouveau pouvoir en place, l’Unirea Tricolor passe sous la coupe du Ministère de l’Intérieur. À vingt ans, Titus Ozon a déjà décidé quelques semaines plus tôt de quitter la capitale pour rejoindre le Jiul Petroșani. Un départ que le Ministère de l’Intérieur, désireux de ne pas perdre un jeune talent auteur de 21 buts en 22 matchs cette saison, n’autorise pas. Par le biais d’une fusion avec le Ciocanul Bucarest (autrefois club de la minorité juive sous le nom de Maccabi Bucarest), l’Unirea Tricolor devient le Dinamo Bucarest. Une équipe au sein de laquelle Ozon est contraint de poursuivre sa carrière.

Que ce soit en équipe première, ou dans l’équipe satellite du Dinamo Brașov où il évolue une saison, Ozon éclabousse le championnat de sa classe ballon au pied. Meilleur buteur de Divizia A en 1952 (17 buts) et 1953 (12 buts), il honore à cette période ses premières sélections en équipe nationale, participant notamment aux Jeux Olympiques d’Helsinki. C’est néanmoins avec ces sélections que vont débuter les problèmes.

Cinquième en partant de la gauche, Titus Ozon en sélection nationale roumaine, bouquet à la main. © freejournalist.eu

En 1952, la sélection se rend en URSS pour un tournoi amical. Un rencontre politique censée nouer les liens nouveaux entre les deux pays désormais alliés, et démontrer la supériorité des Soviétiques sur leurs terres. Les Roumains disputent deux matchs au Stade Luzhniki de Moscou, contre le CSKA (perdu 1-3) puis contre le Dinamo Moscou (1-1). Ozon se fait remarquer en marquant les deux buts de son équipe. Mais surtout en jetant les montres Pobeda que les Soviétiques ont offert à chaque joueur de la délégation roumaine, parce qu’il les trouvait moches et de mauvaise qualité. Un geste qui fait des vagues, les Soviétiques n’appréciant guère, d’autant plus qu’il a lieu sur leur sol, avant même le retour en Roumanie. Ozon n’est cependant pas sanctionné et peut participer quelques semaines plus tard aux Jeux Olympiques d’Helsinki, où la Roumanie est éliminée dès le premier tour par la Hongrie des Puskas, Kocsis, Hidegkuti et autre Grosics, qui remporte la médaille d’or.

L’année suivante, Ozon se rappelle au bon souvenir des Soviétiques. Il joue en effet un match face au Dinamo Tbilissi, dans le cadre d’une tournée de l’équipe soviétique à Bucarest. Au-delà de la victoire 2 buts à 1, Titus Ozon se fait remarquer par son talent et sa désinvolture. Il passe ainsi le match à s’amuser à faire des petits ponts aux défenseurs géorgiens, et notamment à Gogoberidze, l’un des joueurs majeurs de cette formation, dont il est le capitaine. Si le public jubile devant les innombrables petites humiliations qu’Ozon fait subir à son adversaire par ses feintes et dribbles, la chose n’est pas du goût des dirigeants. Un véritable scandale s’ensuit. Le lendemain du match, Ozon est convoqué par les généraux de l’armée, qui lui signifient que son comportement est une insulte au peuple soviétique. Il est déclaré « ennemi du peuple » et son bannissement de la vie sportive est demandée. Une sanction finalement pas mise en action.

Ozon et Gogoberidze, les deux capitaines avant le coup d’envoi. © freejournalist.eu

Titus Ozon contre la Securitate

Titus Ozon, pas vraiment en odeur de sainteté auprès des plus hauts dirigeants du pays, va définitivement aggraver son cas l’année suivante. Depuis le début, Ozon ne supporte pas la rigueur demandée par sa situation. Promu Sergent-Major lors de son arrivée au Dinamo, il ne parvient pas à s’habituer à la rigueur militaire. Ce qui lui cause des désagréments à plusieurs reprises. Par exemple lorsqu’il croise un supérieur dans un hall. À la question « Qui es-tu ? » l’orgueilleux attaquant répond un « Et toi, t’es qui ? » à son interlocuteur, qui n’est autre que le Ministre de l’Intérieur. Un écart qui lui vaut quelques jours d’incarcération. Malgré ses belles performances sous le maillot du Dinamo, le joueur est constamment mis sous pression par le Ministère de l’Intérieur à cause de son comportement. Son coéquipier Angelo Niculescu, qui deviendra des années plus tard sélectionneur national, a raconté les souvenirs qu’il avait de cette époque.

« Lors d’une inspection menée au club, le Ministre de l’Intérieur Mureșan a trouvé Ozon en train de jouer au tennis de table. Malgré le fait que Titus ait expliqué au ministre que nous étions en temps libre, Mureșan est resté inflexible. En sanction, Ozon a été arrêté et retenu quelques jours dans une unité. Nos coéquipiers et moi-même y sommes allés lui rendre visite. » Angelo Niculescu

Incapable de s’adapter au système militaire, lassé de l’ambiance et de sa vie au Dinamo, Titus Ozon veut quitter le club et son grade pour une équipe « syndicaliste. » Le Progresul Bucarest lui fait une offre, qu’il accepte sans consulter les généraux du ministère. Sa vie bascule lorsqu’il les informe de ce choix. Les dirigeants du ministère prennent très mal la chose et ouvrent le « dossier » Ozon.

Malheureusement pour lui, ce dernier est né à Obor, un quartier très commerçant de Bucarest, où se trouve notamment le plus grand marché de la capitale. Un élément décisif qui se retourne contre lui. La Securitate, la police politique au service du Ministère de l’Intérieur, l’accuse d’affinités bourgeoises et réactionnaires. Et profite surtout du fait qu’il ait débuté sa carrière à l’Unirea Tricolor – club qualifié de « Légionnaire » par les autorités communistes, qui l’ont fait disparaître pour former le Dinamo – pour l’accuser de sympathies légionnaires dans sa jeunesse.

Des accusations suffisantes pour qu’Ozon soit déporté sans autre forme de procès. Il est envoyé en camp de travail forcé, sur le gigantesque chantier du canal reliant le Danube à la Mer Noire. Une immense prison à ciel ouvert où les opposants au régime communiste meurent à la tâche. À sa famille, on affirme qu’il est en « congé de repos. » Affecté à la coupe des roseaux, Ozon est logé à l’écart des autres prisonniers, dans une cabane où les agents de la Securitate le surveillent jour et nuit, jusque sous les douches. Atteint de dysenterie, on lui refuse de voir un médecin à l’extérieur du camp. L’épisode dure plusieurs semaines. Le but de la manœuvre est simple : empêcher le joueur de signer une nouvelle licence auprès de la fédération, et donc de quitter le Dinamo. Mais Ozon parvient une nuit à dribbler ses geôliers et à s’échapper par une fenêtre.

Revenu en catimini à Bucarest dans le coffre d’une voiture, Ozon tient parole et signe avec le Progresul Bucarest. La Securitate est à ses trousses et fouille sans relâche tous les endroits où elle pense pouvoir le trouver, retournant plusieurs maisons sens dessus-dessous. Peine perdue. Bien caché, Ozon se joue de la milice et parvient à faire irruption au siège de la Fédération Roumaine de Football ! Cette dernière entérine son contrat avec le Progresul. Le Dinamo et la milice ne peuvent plus rien contre lui. Son transfert est négocié jusque dans les bureaux des ministres de l’Intérieur, Drăghici, et des Finances, Petrescu. Les deux hommes trouvent un accord. Ozon rejoint le Progresul, mais reste engagé au Ministère de l’Intérieur.

Il faut dire que Titus Ozon dispose d’une arme imparable : son talent. Un talent qui lui assure la popularité auprès du peuple et la sympathie de plusieurs hauts dignitaires qui assurent sa sécurité, même si la Securitate le suit en permanence. Dans cette liberté toute relative, Ozon continue de briller sur les terrains. Avec lui à la pointe de son attaque, le jeune Progresul termine troisième du championnat en 1955-56 pour sa première saison en Divizia A, réussissant l’exploit de battre les grandes équipes que sont le Flacăra Ploiești (futur Petrolul), le CCA (futur Steaua) et le Dinamo Bucarest, sacré champion cette saison. Dépouillé d’une partie de son effectif suite à ces résultats inespérés, le Progresul se bat la saison suivante pour le maintien, qu’il obtient en grade partie grâce aux buts de son attaquant vedette. En 1957-58, le club se bat de nouveau pour le titre. Et jusqu’à la dernière journée ! Un ultime match qui se solde par une défaite 2-1 sur le terrain du Petrolul Ploiești et renvoie le Progresul à la quatrième place du classement, un seul petit point derrière le champion Petrolul, le CCA et la Știința Timișoara. En trois saisons passées à Cotroceni, Ozon marque pas moins de 44 buts en 66 matchs. Dans un club où il se sent enfin à l’aise, Titus Ozon connaît au Progresul les plus belles années de sa carrière, et le club l’une des meilleures pages de son histoire.

L’effectif du Progresul Bucarest, où Ozon est présenté en tant que « comptable » © progresuldincotroceni.blogspot.fr

Le calme ne dure cependant que trois ans, avant la tempête de 1958. L’équipe du Progresul fait cette année-là une tournée estivale en Albanie. Les joueurs y rencontrent un homme, importateur de marchandises venues de Grèce. Les temps sont durs dans la Roumanie de Gheorghiu-Dej. Fervent stalinien, le Secrétaire général du Parti Communiste Roumain accepte mal la déstalinisation lancée par Khrouchtchev et décide, pour se démarquer de l’URSS, de lancer une nouvelle politique économique visant à rendre la Roumanie indépendante de son alliée soviétique. Une politique qui prive les Roumains de presque tout.

Dans ces temps difficiles, les tournées à l’étranger sont une aubaine, une occasion rare de rapporter au pays différents objets afin de les revendre. La chose est connue et les douaniers ont l’habitude de fermer les yeux sur ces petits trafics. Pas cette fois. Lorsque l’équipe du Progresul atteint la frontière, les douaniers sont prêts à l’intercepter. Plus de 3 000 boutons d’ivoire sont pris dans ses bagages. L’occasion d’une bonne épuration : quatorze joueurs, des entraîneurs et des arbitres sont jugés coupables de contrebande et exclus de la vie sportive. Ozon passe en Cour Martiale, mais est libéré faute de preuves. Sa suspension à vie de toute activité liée au football est néanmoins confirmée.

« J’étais désespéré, je ne savais plus quoi faire… » Titus Ozon

Ozon passe une année sans jouer. Sans ressource, il travaille comme ouvrier non-qualifié dans une usine de cartons de Bucarest et survit avec sa famille grâce à la générosité de ses admirateurs. En mai 1959, la chance lui sourit enfin, comme il le raconte lui-même par la suite dans son autobiographie : « J’étais désespéré, je ne savais plus quoi faire. Puis j’ai eu de l’aide. Un de mes amis, bien placé au sein du gouvernement, m’a dit que seul Gheorghiu-Dej pouvait me sauver de la Securitate, et il m’a dit quoi faire. Dej se promenait chaque week-end, avec sa famille, sur Calea Victoriei, c’était son moyen de prendre contact avec la population. Il m’a dit d’être à une heure précise à un endroit précis, qu’il ferait en sorte que personne ne m’arrête. J’y suis allé les guetter, et quand Dej est passé, je me suis jeté à ses pieds et je lui ai imploré de me pardonner. » Surpris, Gheorghiu-Dej réfléchit avant de répondre de manière non moins surprenante qu’il était pardonné… à condition de venir jouer au Rapid, son club de cœur ! Bien que le club soit le rival, l’ennemi de ses premiers clubs, Ozon accepte sur-le-champ.

C’est ainsi que l’ancien du Dinamo, autrefois accusé d’affinités d’extrême-droite, termine sa carrière de joueur dans le club du chef de l’Etat, le premier du pays à avoir signé un pacte avec les autorités bolchéviques dans les années 40. À 32 ans, Titus Ozon gagne au Rapid une occasion inespérée de relancer sa carrière. Il retrouve même une place en sélection nationale en 1962, après sept années d’absence. Une équipe de Roumanie dont il est même nommé capitaine lors de son retour face au Maroc, pour une victoire 4-0. Près de cent matchs de championnat plus tard, c’est avec le maillot du Rapid sur les épaules qu’il tire sa révérence en 1964, à 37 ans, avec 270 matchs et 158 buts au compteur, soit une moyenne de 0,58 but par match sur l’ensemble de sa carrière. Suffisant pour devenir une légende dans l’histoire du Rapid Bucarest. S’il est adulé par des milliers de spectateurs dans les années 50 et 60, Ozon ne sera cependant jamais l’égal d’un Gheorghe Hagi ou d’un Nicolae Dobrin dans les souvenirs populaires.

Poursuivi par la malchance

Si Titus Ozon n’est pas resté à la place qu’il devrait occuper dans la mémoire collective, c’est en partie à cause de son palmarès. Ou plutôt de son manque de palmarès. Titré deux fois meilleur buteur de Divizia A, Ozon n’a remporté aucun titre collectif durant sa carrière, accumulant les places d’honneur. Trois fois deuxième du championnat, il compte surtout quatre finales de Coupe de Roumanie perdues ! Une déception immense au vu de l’importance que représente ce trophée dans les années 50 et 60 en Roumanie.

La première déception intervient en 1954, lors de la finale opposant le Dinamo Bucarest au Metalul Reșița. Elle est d’autant plus grande que l’adversaire évolue alors en Divizia B, la deuxième division. Face à de jeunes mécaniciens, serruriers, tourneurs-fraiseurs, fondeurs, ou électriciens, le Dinamo est battu 2-0 dans le Stadion Republicii de Bucarest. Presque à domicile, face à des joueurs amateurs, l’humiliation est totale pour le Dinamo, certainement coupable d’avoir sous-estimé son adversaire.

Quatre ans plus tard, en 1958, c’est avec le Progresul que Titus Ozon se hisse une nouvelle fois en finale. Au bout de sa première saison en Divizia A, le Progresul a le vent en poupe et croit en ses chances face au Știința Timișoara. D’autant plus que ces deux équipes se sont rencontrées en championnat quelques jours avant la finale. Le Progresul s’était alors imposé 7-0 ! La finale ne se passe néanmoins pas de la même manière. À la 37e minute, Cadariu ouvre le score en faveur du club de Timișoara. Le Progresul domine le match, mais ne parvient pas à égaliser. A la dernière minute du match, c’est la barre transversale qui empêche Titus Ozon d’égaliser ! C’est au final une nouvelle défaite pour Ozon.

Ozon, à gauche avec le maillot blanc du Progresul lors de cette finale perdue © Druckeria

Passé avec le Rapid Bucarest suite à l’affaire des boutons d’ivoire en 1958, Titus Ozon est au comble de la malchance, voyant le Dinamo s’imposer en 1959 puis le Progresul en 1960 ! En 1961, c’est enfin son tour. Avec lui, le Rapid atteint la finale, jouée face à l’Arieșul Turda. Face à cette équipe de Divizia B, le Rapid est grand favori. Ce sont même les Bucarestois qui ouvrent le score en première mi-temps. Mais au retour des vestiaires, tout s’effondre en deux petites minutes. Un penalty à la 50e puis un second but à la 51e minute permettent au club de Turda de remporter l’unique trophée de son histoire.

L’année suivante, le Rapid est de nouveau en finale. Mais cette fois, il est loin d’être favori face au grand CCA. Titus Ozon marque à la 15e minute de jeu, mais l’équipe menée par l’entraîneur-joueur Emerich Ienei est trop forte et s’impose 5-1 au final. Pour la quatrième et dernière fois, Titus Ozon passe à côté du trophée.

Ozon a vécu une vie digne d’une production hollywoodienne. Avant de se lancer dans une carrière d’entraîneur, il joue d’ailleurs la comédie. Dans un film (Şi Ilie face sport), dès 1955, puis au théâtre, dans la pièce Bujor al 12-lea, aux côtés de grands acteurs comiques de l’époque. Un satyre humoristique au succès tel qu’il réfléchit un temps à changer de métier alors qu’il évolue encore au Dinamo. Devenu entraîneur, Titus Ozon ne connaît pas la même réussite que lorsqu’il était joueur. Les résultats sont mitigés dans les différents clubs qu’il prend en main. Ce qui ne l’empêche pas de retrouver son ancien coéquipier Angelo Niculescu, en devenant son adjoint à la tête de la sélection nationale roumaine. Avant d’obtenir notamment un avantageux contrat de deux ans avec la sélection libyenne, à la faveur des liens entre Ceauşescu et Kadhafi, dans les années 70.

Le FC Brăila, club de Divizia B, et son entraîneur Titus Ozon, à droite, en 1975 © brailasuntemnoi.wordpress.com

À la fin de cette même décennie, Titus Ozon part à la retraite, et tombe doucement mais sûrement dans un oubli que ne méritait pas le joueur de génie qu’il était. C’est par un coup du sort qu’il revient dans la lumière en 1994. La malchance, une nouvelle fois. Dans son récapitulatif de l’année, le journal Evenimentul Zilei annonce son décès parmi ceux des grandes vedettes du sport. Son nom apparaît en gras en titre aux côtés de celui d’Ayrton Senna. À cette époque, Evenimentul Zilei est l’un des plus gros tirages de la presse roumaine, avec un million de lecteurs quotidiens. C’est son épouse, furieuse, qui téléphone au journal au petit matin. Ozon et elle ont été réveillés toute la nuit par des personnes présentant leurs condoléances. Mais Titus Ozon est bien vivant. Un journaliste s’est trompé en mettant son nom en titre, alors qu’il parle en dessous du décès de la légende Ștefan Dobay.

L’article d’Evenimentul Zilei incriminé © adevarul.ro

Ce même journaliste s’expliquera par la suite : « Le texte parlait de Ștefan Dobay, mais j’ai mis Ozon en titre dans la précipitation. Personne n’a vu l’erreur, même en relecture, et ça a été publié le lendemain. Son épouse a appelé le journal, énervée, en disant qu’elle s’était sentie mal en le lisant. C’est là que je me suis rendu compte de mon erreur. » Une erreur corrigée dans l’édition suivante du journal qui, pour se faire pardonner, envoie un de ses éléments, Matei Udrea, à la rencontre de l’ancienne gloire. « Titus Ozon était un homme remarquable, raconte ce dernier. Il m’a raconté en détails le football des années 50. Sa femme voulait attaquer le journal en justice pour avoir de l’argent. Il l’a calmée puis lui a demandé de quitter la pièce pour que nous puissions discuter calmement. » Une discussion qui s’avère bénéfique. Atteint depuis peu de la maladie d’Alzheimer, Titus Ozon réussit, avec l’aide du journaliste, à rassembler ses souvenirs, dont découle l’année suivante son autobiographie.

Si l’épisode fait un peu parler de lui, Titus Ozon retombe rapidement dans l’anonymat. Et c’est dans le dénuement le plus total qu’il décède, des suites de sa maladie, à l’âge de 69 ans le 23 novembre 1996. Il faut attendre l’année 2002 pour que les autorités lui rendent enfin hommage, en donnant son nom à un parc d’Obor, son quartier natal, où trône son buste. Pour ne plus oublier son génial talent.

© Thomas Ghislain / Footballski

Pierre-Julien Pera


Image à la Une : © freejournalist.eu

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