Si Plovdiv a glané son titre de Capitale européenne de la Culture en cette année 2019, c’est bien parce qu’elle est l’un des berceaux de la civilisation sur le Vieux Continent. Elle a connu les Thraces, les Romains, la Royauté, l’Empire Ottoman, le Communisme, et a su garder, cacher et désormais faire reluire ce patrimoine multiséculaire aux yeux de tous. Arrosée par la Maritsa, Plovdiv est ainsi considérée comme la plus ancienne ville d’Europe à avoir été continuellement habitée.

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« Comme souvent dans les vieilles villes d’Europe, chaque époque de l’histoire a laissé des traces. Du haut de l’une des collines de la ville, le panorama offre au regard toute la richesse de cette histoire : vestiges d’autels et de fortifications thraces ; agora grecque ; théâtre romain ; rempart médiéval ; bains turcs ; clochers des églises orthodoxes, catholiques et protestantes ; minarets des deux mosquées musulmanes ; église arménienne apostolique, synagogue, villas de la Renaissance bulgare, maisons art nouveau. Ce paysage urbain laisse apparaître ce qui est l’une des singularités de la ville : le nombre et la variété des communautés ethniques et religieuses qui l’ont habitée et qui l’habitent encore » – Krassimira Krastanova et Michel Rautenberg, « Réinterprétation du passé et imaginaire urbain », 2004, revue Balkanologie, Vol. VIII, n° 2.

Partons à la découverte d’un faisceau d’héritages culturels qui peuvent donner le tournis, mais dont la richesse saute aux yeux. Entre ses sept collines, Plovdiv est multiple, Plovdiv est art, Plovdiv est Histoire et histoires. Plovdiv est belle.

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Arènes et sept collines

Avant de commencer notre promenade, prenons le temps de profiter confortablement de cette chaude matinée sur la place Stefan Stambolov, l’un des artisans de la restauration de l’État bulgare au XIXe siècle, qui voit quelques années plus tard la Bulgarie retrouver son indépendance après plus de cinq siècles d’occupation ottomane. Face à la municipalité de Plovdiv, nous profitons du clairon et de la fraîcheur diffusés par la fontaine trônant à nos pieds, agrémentés ci et là par les cris enjoués des bambins ou les bruissements des pigeons. Un moment idéal pour se relaxer et faire virevolter notre esprit entre le temps présent et la nuit des temps, cette époque-même où les ancêtres, peut-être, de cette tête blonde qui court autour du plan d’eau vaquaient, eux aussi, à leurs occupations quotidiennes.

Débutons notre visite sur cette langoureuse rue Prince Alexandre Ier, le secteur piétonnier de la nouvelle ville qui nous rappelle que Plovdiv est encore vivante au XXIe siècle. En effet, le long de ces jeunes immeubles à deux ou trois étages, comme dans toutes les villes européennes de moyenne ou grande importance, on y retrouve des fast-food et des magasins de vêtements, de chaussures, de lunettes, de parfum, de montres, etc. La balade reste agréable et débouche soudainement sur un trou, dont on imagine mal la signification au départ.

En réalité, nous voilà à l’extrémité du stade antique romain, ou stade de Philipopolis, dont nous pouvons observer la tribune nord. Quelques tours de méninge nous font rapidement comprendre que l’édifice devait être immense. On estime qu’il mesurait 240 mètres de long pour 50 mètres de large et la restauration a débuté dans les années 1970, après que les premiers fragments du stade ont été découverts en 1923. D’autre morceaux du stade sont d’ailleurs visibles… dans les sous-sols d’un magasin de vêtement suédois dont on taira le nom.

En relevant la tête, un autre édifice frappe par son ampleur, il s’agit de la Mosquée Dzhumaya, érigée sous l’empire ottoman au XVe siècle. Dotée de neuf coupoles et d’un minaret, il s’agit de l’une des plus grandes mosquées des Balkans. Se dressant ainsi deux niveaux au-dessus du stade antique de la ville, dans un pays à grande majorité orthodoxe, et au bout d’une rue piétonne bondée de restaurants et de commerces, nous voici entouré d’Histoire et témoin de la tolérance religieuse qui caractérise l’héritage historique bulgare. Un bon moment pour engloutir une salade Shopska et siroter un café (ou une Zagorka, selon l’humeur) au bord de la place, car la route est encore longue.

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Nous grimpons sur la plus haute des sept collines, Sahat Tepe (« la colline de l’horloge »), qui s’élève à 210 mètres. Au-delà de la tour de l’horloge et de la tour radio, la colline vaut le détour pour le panorama qu’elle offre sur la ville et ses horizons, et les coins de verdure encore intacts qui la parcourent joliment. La légende dit même qu’un temple dédié à Venus se trouvait au sommet de la colline à l’époque romaine. En contrebas, on peut également apercevoir le joli cinéma en plein air « Orpheus », bâti sur le modèle des théâtres romains de l’époque.

Nous nous dirigeons ensuite paisiblement vers une deuxième colline, Bunarzhik (« les libérateurs »). A son pied, un monument honorant le héros national Vasil Levski ainsi que le théâtre d’été en plein air aux couleurs vert, blanc et rouge nous rappellent que nous ne sommes pas en Italie mais bien en Bulgarie. L’amphithéâtre est un lieu prisé pour les concerts, et la colline pour les citadins en quête d’un endroit pour pique-niquer ou boire un godet avec le seul ciel pour confident. A son sommet, une autre époque s’ouvre à nous, avec cette imposante statue surnommée « Alyosha ». Construite dans les années 1950, elle représente un soldat soviétique et commémore ainsi les pertes de l’Armée rouge lors de la libération/occupation de la ville durant la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi Alyosha ? C’est le surnom d’Aleksey, le soldat soviétique qui a servi de modèle pour la statue.

Fonce, Alphonse !

En nous rendant vers les jardins du Tsar-Siméon, nous passons à côté du centre commercial « Markovo Tepe », du nom de la septième colline décimée au début du XXe siècle, mais dont l’histoire et les légendes qui l’entourent sont trop fastidieuses pour les conter ici. Si vous préférez l’eau à la terre, la mer à la montagne, une halte au bord des jardins est indispensable. Les fontaines chantantes nous enivrent par leur chorégraphie et, la nuit tombant, par leurs jeux de lumière impressionnants.

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La chaleur du soleil faisant son effet, nous décidons de nous rendre quelques minutes dans la bibliothèque publique voisine, du nom d’Ivan Vazov, illustre écrivain bulgare. Dans un bâtiment contemporain orné de fresques socialistes à l’extérieur autant qu’en ses murs, la bibliothèque nous rafraîchit quelque peu jusqu’à ce qu’un objet pourtant si commun en ces lieux attire notre attention et accélère notre rythme cardiaque.

Au détour du deuxième étage, posé sur une table vierge, comme s’il était abandonné intentionnellement, l’ouvrage d’Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, nous fait de l’œil. Surtout, un marque-page de couleur rose poudré semble nous pousser à l’action.

La curiosité ayant pris le dessus sur la stupeur, la page 230 s’exclame :

« Le soir, à trois lieues de Philippopoli, j’aperçois dans la plaine une nuée de cavaliers turcs, arméniens et grecs, qui accourent sur nous au galop. Un beau jeune homme, monté sur un cheval superbe, arrive le premier et touche mon habit du doigt ; il se range ensuite à côté de moi ; il parle italien, et m’explique qu’ayant été le premier qui m’ait touché, je dois accepter sa maison, quelles que soient les instances des autres cavaliers pour me conduire ailleurs. Le kiaïa du gouverneur de Philippopoli arrive ensuite, me complimente au nom de son maître, et me dit que le gouverneur m’a fait préparer une maison vaste et commode et un souper, et qu’il veut me retenir quelques jours dans la ville; mais je persiste à accepter la maison du jeune Grec, M. Mauridès. »
Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, 1835.

Nous écumons les pages suivantes avec un sentiment d’excitation mêlé à l’imagination des scènes de voyage savoureusement décrites par Lamartine, tout droit sorties du milieu du XIXe siècle, alors même que l’État bulgare végète encore dans un sommeil profond de plusieurs siècles. Trois jours durant, l’auteur français découvre la ville et ses environs. Dans son récit, il livre d’ailleurs son sentiment à sa sortie du territoire bulgare :

« Les Bulgares forment une population de plusieurs millions d’hommes, qui s’accroît sans cesse (…) Ils méprisent et haïssent les Turcs ; ils sont complètement mûrs pour l’indépendance, et formeront avec les Serviens, leurs voisins, la base des États futurs de la Turquie d’Europe. Le pays qu’ils habitent serait bientôt un jardin délicieux, si l’oppression aveugle et stupide, non pas du gouvernement, mais de l’administration turque, les laissait cultiver avec un peu plus de sécurité ; ils ont la passion de la terre. » – Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, 1835.

« Savez-vous qu’il y a une maison à son nom dans la vieille ville ? » nous chuchote un vieux bibliothécaire, dans un français approximatif, son sourire masquant mal le chapeau de paille qu’il porte sur la tête. Après quelques mots échangés avec le sage, nous avons compris notre mission. Il nous faut trouver la maison de Lamartine avant le coucher du soleil. « La voici », nous glisse-t-il en montrant ladite demeure sur son smartphone dernier cri.

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Ni une ni deux, nos baskets blanches vont encore morfler, on accourt vers la vieille ville mais nous voilà déjà retardé par un autre site archéologique – encore un ! – qui jouxte la bien nommée place centrale. Au bord du Boulevard Boris III, la vie antique refait surface, avec la découverte de vestiges du Forum romain, qui était doté d’un temple, d’une tribune, d’une bibliothèque et dont les dimensions seraient de 143 mètres de long sur 136 de large. Photos, imagination, visualisation, souvenir, humilité. Nous sommes le présent, nous avons devant nous et le passé, et l’avenir. Tout s’enchaîne, les fantômes apparaissent, les souvenirs de Pompéi aussi, les couches d’histoire se superposent, et l’on supplie les dieux de l’archéologie pour que la restauration de ces joyaux s’effectue le plus vite possible.

La vieille ville de Plovdiv. | © Footballski.fr

Nous traversons, remontons le boulevard, apercevons un étrange tunnel surmonté par des obélisques et décidons de le contourner par la gauche. L’ascension de la vieille ville commence. Les pavés s’accumulent, les bâtisses s’embellissent, la quiétude triomphe. Quel plaisir que de déambuler dans ces ruelles ! Des maisons-musées, des galeries, une église, des portiques, de toutes les couleurs, et nous voilà devant la Maison Balabanov, de couleur rouge grenadine, qui ressemble quelque peu à celle de Lamartine. Reconstruite à partir des années 1970, elle est typique des maisons symétriques construites à l’époque par la classe marchande supérieure, et accueille désormais un musée dédié à la vie quotidienne dans la ville au XIXe siècle.

Après quelques détours qui les valent, nous nous retrouvons face à la Maison de Lamartine, dont les façades de couleur rose poudré nous rappellent quelque chose. Dans ces lieux a donc été accueilli le poète français lors de son séjour à Philippopolis, auprès du généreux Grec Mauridès, en 1833 lors du retour de son aventure en Orient. Aujourd’hui, elle est un lieu pour l’Union des écrivains bulgares et une petite partie abrite une exposition consacrée à Alphonse de Lamartine.

La Maison où a logé Alphonse de Lamartine, à Plovdiv | © Brejnev / Wikipedia
La vieille ville | © Juan Antonio Segal
Vue sur Plovdiv depuis Nebet Tepe | © María Renée Batlle Castillo / Flickr

Foules sentimentales

Soulagés par cette mission accomplie, nous décidons de continuer à découvrir la vieille ville. Sur notre route, impossible de passer à côté du théâtre romain antique, datant du IIe siècle et qui accueille encore à ce jour des spectacles en tout genre. Sous le poids de l’histoire, des siècles après sa large démolition, ce théâtre a ressuscité dans les années 1970 suite à un glissement de terrain selon certains, ou grâce à un habitant qui creusait dans son jardin d’après d’autres, provoquant stupéfaction et fouilles archéologiques continues. La restauration est un chef d’œuvre du genre et le théâtre peut aujourd’hui contenir jusqu’à 3 500 spectateurs. On dit que son acoustique est inimitable.

Pour finir notre périple, nous arpentons une troisième colline. Du haut de Nebet Tepe, la majestuosité de Plovdiv s’offre à nous. On y découvre tout d’abord les plus anciennes traces (laissées par les Thraces et les Romains en majorité) archéologiques de la ville, datant du IVe millénaire avant notre ère. Avec une vue éclairée sur les alentours, sur les deux autres collines que nous avons foulées et sur l’ensemble de la ville, on se prend à respirer un bon coup et inhaler les odeurs de millénaires d’histoire qui s’échappent sous nos pieds, devant nos yeux et dans nos têtes.

En détournant quelque peu le regard, non pas vers la ville que nous connaissons désormais mais plutôt sur la périphérie du centre, et après les nombreux colisées que nous avons admirés, deux autres amphithéâtres, imposants et silencieux, se distinguent au sud-est. Des bâtisses solides, l’une couverte, l’autre en plein air, qui nous dit-on peuvent accueillir des milliers de spectateurs et provoquer des tremblements de terre sonores.

Ces arènes, ce sont le Stade Hristo Botev et le Stade Lokomotiv, distants de quelques centaines de mètres seulement. Tandis que le second est bien entendu le terrain de jeu du Lokomotiv Plovdiv, le premier, hôte du Botev Plovdiv, reste désespérément muet depuis quelques années, la faute à l’arrêt complet de la reconstruction de l’enceinte après la banqueroute du principal sponsor du club, forçant l’équipe à rameuter ses nombreux supporters vers sa base sportive de Komatevo, dans les faubourgs de la ville.

Plovdiv est art, et s’écrit Plovediv en anglais. Plovdiv est histoires, et le football en a des tas à raconter. Plovdiv est belle, et gravée dans nos mémoires. Qu’elle le soit dans les vôtres.

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© W*** / Flickr

N.B. :
– Profitez-en, un Métropolis d’Arte consacré à la ville et disponible jusqu’en juillet 2019 : https://www.arte.tv/fr/videos/065704-000-A/dossier-metropole-plovdiv/
– Le site officiel de #Plovdiv2019 avec l’agenda de tous les événements : https://plovdiv2019.eu/en

Par Radu Caragiale


Image à la une : albyantoniazzi / Flickr

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