Notre dispositif spécial Coupe du Monde se met en place et cette nouvelle série d’articles va vous accompagner de manière hebdomadaire jusqu’à l’ouverture de la compétition. Chaque semaine, nous faisons le lien entre un pays qualifié pour la compétition et le pays organisateur. Ce jeudi, nous évoquons le pays des Saouds, entre désert, or noir et joyau arabe. Si les deux plus grandes puissances pétrolières mondiales se sont affrontées sur les terrains géo-politiques ou dans les couloirs feutrés à la moquette rouge du siège de l’OPEP à Vienne, la Russie et l’Arabie Saoudite ne s’affronteront que pour la deuxième fois sur rectangle vert lors du match d’ouverture de la Coupe du Monde 2018, le 14 Juin prochain.


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Il est difficile de trouver des liens forts entre l’Arabie Saoudite et la Russie, deux pays qui n’ont pas eu dans leur histoire commune beaucoup de points d’accroche, et c’est peu dire. C’est pourtant l’URSS qui reconnait en premier le nouveau royaume, prémices de la réunification du Nedj et du Hejaz par Abdulaziz Al Saoud, le fondateur, dès 1926. Puis les tensions vont apparaître, et les routes diplomatiques des deux pays vont se séparer peu à peu jusqu’à la chute de l’URSS, et un réchauffement post-glasnost. Le pic de fraîcheur de ses relations est sans doute la Guerre d’Afghanistan. Les Saouds vont alors soutenir les Mujahedins afghans face aux Communistes. Pendant la guerre froide, l’Arabie Saoudite se tourne vers l’Amérique, l’Oncle Sam voyant chez les Saouds des alliés puissants face la Russie, qui se tourne elle vers un autre grand pays, une autre terre d’Islam, l’Iran. Jeux politiques à deux entrées voire plus. Les liens plus amicaux sont donc récents, fruit de l’engagement des deux pays pour l’or noir, le baril de Brent servant de langue commune. Vladimir Poutine va réchauffer petit à petit cette relation, non pas à la russe, à l’aide de thé et d’un samovar fumant mais grâce à une invitation au Kremlin de Salman bin Abdulaziz, en Octobre 2017. Une visite royale en Russie qui va être grandiose et qui va sceller une nouvelle ère dans les relations russo-saoudiennes. Une ère où armement, énergie et collaboration vont être les maître-mots.

Pétrole et influence comme dénominateurs communs

Bien sûr, la collaboration sur le pétrole est une clef de voûte de cette nouvelle bonne entente mais c’est encore une compétition que les deux pays se mènent, loin du foot et plus près des millions de barils par jour, la Russie gardant une courte tête d’avance sur l’Arabie Saoudite, dans ce domaine. Le Royaume à la tête de l’OPEP possède une puissance, une influence comparable dans le Moyen-Orient à celle de la Russie sur l’Europe de l’Est. Deux pays que beaucoup de choses opposent mais qui finalement se ressemblent et se rassemblent autour de la table, changeant les roubles en rials, et où la realpolitik devenu de moins en moins bi-polaire demande aux dirigeants de ce monde d’être souple et créatifs comme les dribbles du Diamant Arabe, comme les passements de jambes de Majed Abdullah face à Viktor Onopko.

Vous l’aurez compris, il est peu question de relations sportives et bien plus de business entre les deux pays. Le monde n’aura certainement pas les yeux de Chimène pour le match d’ouverture de la Coupe du Monde cet été. Il faut avouer qu’un Russie – Arabie Saoudite n’est pas un match qui fait saliver les foules attendant la compétition avec impatience. Mais, il y a plus important. Les loges toute neuves du Loujniki auront l’occasion de faire fleurir les affaires, l’or noir comme monnaie d’échange, le caviar et le champagne (sans alcool) en toile de fond, des poignées de mains fermes en signe de contrats signés. Des milliards d’armement, de logistique, d’affaires en tout genre, le tout face à une baie vitrée permettant d’admirer, peut-être, le somptueux but de Feodor Smolov juste avant la mi-temps.

Dammam, le 6 octobre 1993

Mais avant ce match du 14 juin 2018, un autre match – le seul – a eu lieu entre l’Arabie Saoudite et la Russie. Le 6 octobre 1993, quatre ans après la fin de la Guerre d’Afghanistan, les relations ne sont pas au beau fixe entre les deux super-puissances pétrolières, mais avant une série de quatre matchs décisifs pour la qualification à la Coupe du Monde 1994 face à la Corée du Sud, au Japon… et à l’ennemi iranien, l’Arabie Saoudite reçoit à domicile, à Dammam, dans son stade du Prince Mohammad bin Fahd, la Sbornaya.

Dans une chaleur encore un peu étouffante malgré la fin de l’été, Dammam se lasse alors en ce mois d’octobre de voir enfin les vents du Golfe Persique se lever pour faire arriver sur les terres un souffle frais et salvateur. Avec son agglomération de plus de deux millions d’habitants, ses longues plages bordées d’hôtels et de promenades, ses petits bateaux de pêcheurs traditionnels en coques goudronnées et toit de bâche, ses puits de pétrole maintenant taris ayant fait les premières fortunes des Saouds, la ville côtière faisant face à l’Iran se prépare doucement en ce 6 octobre pour ce match de gala un peu politique mais qui doit être la dernière étape avant de sérieuses échéances.

Si l’Iran fait face à Dammam de l’autre côté du Golfe, ce match face à la Russie doit préparer une série de matchs de qualifications ultra importantes durant laquelle le grand rival chiite sera l’adversaire le plus coriace. Le résultat de ce dernier match face à l’Iran devant designer le pays qualifié pour la Coupe du Monde aux Etats-Unis, huit mois plus tard. Ce nouvel ordre régional sur le foot en découlera après la victoire 4-3 des Saoudiens, mais revenons deux semaines en arrière. Devant vingt mille personnes, principalement vêtues de blanc en habits traditionnels, c’est un match au rythme sud-américain qui va commencer. L’Arabie Saoudite et la Russie s’affrontent pour la première fois sur un terrain de football entourée de publicités couleurs rouges et blanches, football Coca-Cola, sous les yeux du roi venu soutenir ses Faucons dans une loge aux murs tapissés de bois de merisier, confortablement assis dans un large fauteuil.

L’île de Marjan, aux abords de Dammam. | © مشاري محمد بن خنين – Meshari

Têtes connues et première confrontation

Cette équipe d’Arabie Saoudite possède en son sein des joueurs qui nous sont familiers. Il y a bien sûr l’un des meilleurs joueurs saoudiens de l’Histoire, si ce n’est le meilleur. Majed Ahmed Abdullah n’est plus ce Diamant Arabe qu’il fut, ou plutôt il est maintenant un joyau poli par le temps et les années. Légende vivante d’Al Nassr et de la sélection, il est élu trois années consécutives meilleur joueur asiatique, entre 1983 et 1986. C’est un joueur élancé, race, élégant, un attaquant aux vingt et un hat-tricks et aux cinquante distinctions personnelles ou collectives en vingt ans de carrière, il est à lui seul l’Arabie Saoudite du football pendant deux décennies. Derrière, au milieu de terrain, on retrouve un jeune joueur qui fera parler de lui lors des Coupes du Monde 1994 et 1998. Ce jeune joueur c’est Fuad Anwar Amin. Il restera a jamais comme le premier buteur saoudien en Coupe du Monde grâce à son but de la tête face aux Pays-Bas de Rijkaard, de Boer et Bergkamp. Et il sera quatre ans plus tard connu par les Français comme le joueur saoudien qui en phase de poule dans un match tendu face à la France se fera marcher dessus par Zinedine Zidane, provoquant l’expulsion du meneur de jeu des Bleus. Un dernier joueur ne vous est peut être pas inconnu, ce joueur est Sami Al-Jaber, l’attaquant prolifique d’Al-Hilal. En 1993, il n’est encore qu’au début de sa longue carrière, qui le verra même débarquer pour une poignée de matchs à Wolverhampton. Il est alors l’un des rares joueurs saoudiens à évoluer pour quelques matchs à l’étranger, ses performances non concluantes vont le faire revenir dans le Royaume par la suite. A la fin de sa riche carrière ponctuée par deux AFC Champions League, il se reconvertit comme beaucoup d’anciens joueurs dans le coaching et deviendra même pendant un an, en 2012, entraîneur des attaquants de l’AJ Auxerre.

Du côté russe, l’équipe est principalement composée de joueurs du Spartak Moscou qui domine alors de la tête et des épaules le championnat russe, une domination qui commence au début des années 90 et se finira au début des années 2000. Une décennie de règne du Spartak qui marque donc aussi la Sbornaya de son empreinte. On y retrouve à 23 ans seulement, Viktor Onopko, déjà capitaine et déjà indispensable. Il portera le brassard et sera leader de la défense russe pendant douze ans, au terme d’une carrière aux plus de 100 sélections (109). Onopko le grand, triple vainqueur du championnat russe, élu joueur russe de l’année en 1992 et 1993, leader de la sélection de l’aigle à deux têtes, lui « l’Ukrainien ». Mais c’est au milieu, qu’un joueur de 25 ans, cheveux longs et bruns au vent vous fera remémorer des souvenirs enfoui sous une petite pellicule de poussière, en dessous de votre walkman. Ce brun aux cheveux longs répond au doux nom d’Aleksandr Mostovoi. Il est encore au Benfica en 1993 avant de rejoindre en prêt Caen puis Strasbourg définitivement en 1994 où il explose au yeux de l’Europe avant de rejoindre l’Espagne. Mostovoi le turbulent, Mostovoi le Tsar de Balaidos, Mostovoi s’amuse et en impose déjà en ce soir du 6 octobre 1993 a Damman.

La Russie en 1993. | © lagaleriadelfutbol.blogspot

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Le chef d’oeuvre d’Al-Mehallel

Pour ce premier match entre ces deux nations, nous allons assister à un spectacle lent comme un ballet russe mais piquant comme les Bédouins aiment planter vers le ciel leurs épées lors de la danse du même nom. Il fait lourd, les courses sont lentes, les corps sur le terrain ne suffoquent pas mais ils souffrent. C’est une partie d’échecs sous le soleil. L’Arabie Saoudite se met en première en valeur avec un tir d’Al-Jaber bien arrêté par Ovchinnikov. Contre le cours du jeu, à la 23e minutes, sur un beau une-deux entre Beschastnykh et Mostovoi, ce dernier trompe le gardien saoudien d’une frappe à ras de terre imparable finissant dans le soupirail droit. Dix minutes plus tard, sur une action anodine, Saleh balance dans la surface un ballon pour Majed Adbullah dont le centre-tire trouve une main russe. L’arbitre désigne le point de penalty, c’est Kahlid Al-Muwallid qui se charge de le tirer et trompe avec sang froid à mi-hauteur Ovchinnikov pourtant parti du bon côté.

Les deux équipes se quittent à la mi-temps sur un score de parité, plutôt logique et tout va s’accélérer en deuxième mi-temps. Dès la reprise, les Saoudiens poussent fort, la défense ne cède pas mais elle a du mal à contenir les assauts tranchant des locaux. Finalement, à la 60e minute, Dmitri Galyamin n’a pas d’autre choix que de tacler le ballon dans son propre but sous la pression de deux attaquants adverses. Le match s’emballe, cinq minutes plus tard c’est Hamzah Idris qui, bien lancé dans la profondeur sur le côte droit, aggrave la marque à l’avantage des locaux d’une balle piquée intelligente passant au-dessus du gardien russe et finissant sa course dans le but vide. La Russie va alors réagir, Pyatniskiy est fauché à l’entrée de la surface de la réparation à la 72e minute. Mostovoi s’approche de la balle et d’une frappe enroulée directe et vicieuse, à ras de terre, réduit la marque et permet à la Sbornaya de revenir à un petit but. Puis c’est un chef d’oeuvre qui va venir clôturer le match. Il reste alors cinq minutes, Fahad Al-Mehallel récupère la balle dans les pieds de Tedeev. Le Faucon saoudien ouvre ses ailes, il dribble deux russes sur le côté gauche, rentre à l’angle de la surface, s’avance et décoche une frappe limpide du gauche des dix mètres finissant dans la lucarne gauche de Podshivalov.

L’Arabie Saoudite, s’impose dans la chaleur et la joie face à une Russie peu mobilisée et tenue à bout de bras par Mostovoi. Si ce match est historique, il y a deux raisons. La première est qu’il est le seul et le dernier en date entre les deux pays. La seconde est que c’est le dernier match amical avant une série de quatre matchs officiels pour l’Arabie Saoudite, un marathon qui les verra obtenir leur ticket pour la Coupe du Monde aux USA en 1994 avec brio. Une Coupe du Monde où les Faucons obtiendront leur meilleur résultat, un huitième de finale, grâce notamment à une victoire contre la Belgique (1-0) grâce à un numéro en solo mémorable d’Al-Jaber.

https://www.youtube.com/watch?v=vyC4uruitFk

Une revanche ? Non, une vitrine

Ce match d’ouverture du 14 juin sera lui aussi unique. S’il sera le deuxième entre les deux pays, ça sera le premier lors d’une compétition officielle. En 1993, la Russie avait plutôt bien réussi à l’Arabie Saoudite avant la Coupe du Monde aux USA, en sera-t-il de même cette année ? Seul l’avenir, les vizirs et les diseuses de bonne aventure le savent. Quoi qu’il en soit, il y a quelques similitudes entres ses deux équipes d’hier et d’aujourd’hui mais le contexte a changé tant d’un point de vue footballistique que politique. Majed Abdullah et son allure de Socrates tout de blanc et vert vêtu ne caresse plus les ballons, Mostovoi cheveux au vent et déclarations assassines ne foule plus les pelouses et ne tire plus les coup-francs de la Sbornaya mais soyez-en certains, le Loujniki brillera de milles feux. Les buts couleront peut-être à flot comme en ce 6 octobre 1993. En tout cas, une chose est sûr, les pétro-roubles ou pétro-rials, les poignées de mains, les canapés caviar et saumon, les propositions de collaborations entre les deux fédérations, les contrats industriels faramineux, eux, circuleront dans les loges comme la balle au milieu de terrain, comme autrefois au pied de Majed.

La Coupe du Monde n’est-elle pas une vitrine du foot business ? Du foot champagne ? Quoi de mieux alors comme vitrine contractuelle qu’un Russie – Arabie Saoudite pour la FIFA ? Les étoiles seront sur le terrains mais c’est à l’ombre des tribunes, loin des places à quelques centaines d’euros que la coupe du monde commencera vraiment, dans les coulisses de ce match d’ouverture.

Mathieu Pecquenard


Image à la une : © thenational.ae

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