Au beau milieu des vacances sur la côte dalmate, je tiens entre mes mains le billet pour une soirée réussie: un ticket pour assister à un match de l’Hajduk Split. Troisième lors de la saison précédente, Hajduk doit disputer cet été les barrages de l’Europa League. Après avoir successivement éliminé le Kalev Sillamae et le FC Koper, les Croates reçoivent donc les Norvégiens du Strømsgodset au Poljud. Immersion dans l’antre de la Torcida Split.
Le soleil brûle encore Split quand nous prenons la direction du quartier du Poljud. Nous ne sommes visiblement pas les seuls, toute la ville est prête pour ce rendez-vous européen. Sur la route, on mesure encore un peu plus la ferveur pour le club local et les voitures des supporters affichent toutes les couleurs de l’Hajduk. L’odeur de cevapi mêlée à celle de la Karlovačko se dégage des rues environnant le stade. Pour être honnête, je suis surpris par la ferveur autour d’un simple match de barrage d’Europa League. Comme le souligne mon accompagnateur local, cela fait longtemps que le principal club de Split se contente de la rivalité avec le Dinamo Zagreb pour l’obtention du championnat croate. L’Europe n’est plus qu’une lointaine histoire racontée par les plus anciens qui se remémorent le quart de finale de Ligue des Champions perdue contre l’Ajax en 1995, vainqueur cette année-là.
Néanmoins, il s’agit d’un match de Coupe d’Europe – la plus belle vitrine pour la Torcida ; le principal groupe de supporters du club. Ne nous voilons pas la face, même si l’Hajduk a quelques jeunes talents prometteurs, le spectacle se passe maintenant dans les tribunes et c’est au douzième homme qu’on le doit (aucun joueur de l’Hajduk n’est autorisé à porter le numéro douze). Ou quand un groupe de supporters (le plus ancien groupe d’Ultras en Europe) est plus grand que son club. Fondé en 1950 par des étudiants croates, le nom fait directement référence aux premiers groupes d’ultras existants déjà au Brésil et révélés au monde entier lors de la Coupe du Monde 1950.
Mais la Torcida Split, c’est surtout un symbole de résistance et d’indépendance en Croatie. Dès sa création en 1950, elle s’opposa au Parti Communiste Yougoslave dirigé par Tito. Cette année-là, l’Hajduk Split remporta le championnat de Yougoslavie, invaincu devant le tout-puissant, Étoile Rouge de Belgrade au terme d’une victoire 2-1 arrachée à la 84eme. La répression frappa le groupe qui dût se développer dans l’ombre pendant la période glorieuse du club dans les années soixante-dix (quatre championnats de Yougoslavie et cinq Coupes d’affilée de 1972 à 1977).
Le groupe, épicentre du mouvement ultra en Europe du Sud, ressortit de l’ombre dans les années 80. Plus tard il fut aussi le symbole de l’indépendance de la Croatie et la Dalmatie pendant la guerre d’indépendance. 27 de ses membres furent tués par les forces centrales serbes. Des morts dont on retrouve les noms inscrits sur la tribune Nord du Poljud.
Et maintenant ? La Torcida Split est le symbole en Croatie de la résistance face au foot-business et la corruption, en d’autres termes face à la mainmise des frères Mamic sur le football croate (sur lesquels on a écrit notamment cet article mais aussi d’autres). Un exemple récent ? Le douzième homme étant suspendu de déplacement à Zagreb pour le Derby éternel lors de la saison précédente, les joueurs d’Hajduk ont tout simplement refusé de se rendre dans la capitale croate afin d’y disputer la rencontre. Ils furent accueillis en héros sur la Riva. Plus récemment, quid de la Swastika inscrites sur le terrain pendant le match Croatie-Italie et qui valut un point de retrait et une suspension de stade pour deux matchs à la Fédération croate ? D’après certains membres que j’ai pu rencontrer, l’objectif était d’attirer l’attention des médias internationaux sur la situation du football croate, la mauvaise gestion de la Fédération de Football Croate dirigé par Davor Suker et l’emprise des Mamic. Je vous laisse libre de votre jugement.
Retour à notre barrage d’Europa League. Suite à cette affaire de la Swastika et des récentes suspensions du stade Poljud, les forces de sécurité ne laissent rien passer. L’accès à notre tribune relève rapidement de la gageure. Arrivés avec 25 minutes d’avance, nous ne rentrerons dans l’enceinte qu’après dix minutes de temps de jeu…et encore la sécurité a accéléré les entrées au moment du coup d’envoi, les insultes de « cigani » (gitans) n’y ayant rien changé auparavant.
Enfin entrés dans notre tribune, on se rue sur nos sièges… quels sièges ? Tout le monde est debout, tout le monde chante, tout le monde reprend les actions de la tribune Nord. L’atmosphère est incroyable. Les ultras jouent les chefs d’orchestres, le Poljud ses musiciens. C’est bien simple, j’ai passé les dix premières minutes à regarder dans leur direction. Les drapeaux, les fumigènes, les chants, les sauts. Le spectacle vient définitivement des tribunes.
Passés les premiers frissons, j’arrive enfin à poser mes yeux sur le terrain même si mes oreilles restent branchées sur fréquence tribune Nord. Pour ce match aller, Damir Buric aligne un 4-2-3-1 avec la pépite Andrija Balic en soutien de l’attaquant camerounais Franck Ohandza. Mais c’est le milieu brésilien défensif Jefferson qui se met le plus en avant au cours de cette première mi-temps. En sentinelle devant la défense, il récupère les peu nombreux ballons ressortis par Strømsgodset et relance toujours proprement sur les côtés, même si ses passes trop latérales ne transportent pas les foules. Hajduk se positionne rapidement dans la moitié de terrain norvégienne, dont le seul objectif ce soir semble être de bien défendre et de contrer grâce à son attaquant Lehne Olsen.
Le Poljud pousse ses joueurs, qui n’arrivent malheureusement pas à se lâcher. Le ballon passe de gauche à droite mais les transitions sont trop lentes pour déstabiliser le milieu norvégien mené par le travailleur Mohamed Abu et le très juste Iver Fossum. Balic est le seul à chercher l’inspiration. Ses décrochages et ouvertures pour Ohandza font naître des espoirs dans les travées, trop rapidement douchés par la bonne lecture de la défense norvégienne. Le jeu sur le côté ? Il est trop brouillon. Galvanisés par un Poljud s’enflammant sur chacune de leurs tentatives de dribbles, Vlasic et Caktas tentent beaucoup trop d’un contre un, et les combinaisons avec Fran Tudor (aucun lien avec Igor) et Marko Pejic sont limitées. Mi-temps 0-0. On se dit que l’on va encore passer la plus grande moitié de la deuxième mi-temps à regarder le spectacle offert par la tribune Nord.
Le retour des joueurs est accompagné par les tribunes qui reprennent toutes en cœur le traditionnel « Dalmacijo ». Frissons. L’arbitre attend religieusement la fin de la chanson pour permettre au jeu de redémarrer. Comme suggéré par mon voisin depuis le début du match, Jefferson se décide enfin à dézoner. Il combine avec Tudor sur le côté droit. Son centre est mal repoussé par la défense centrale norvégienne…le ballon revient dans l’axe sur Balic aux 25 mètres. Le stade prit alors une grande inspiration et les chants s’arrêtèrent le temps d’un contrôle de la poitrine suivi d’une reprise de volée. Lucarne…Sublime. Comme attendu, la lumière est venue de ce jeune homme de 17 ans aux pommettes encore roses. Le numéro 99 se rue vers notre tribune…Son but a permis au volcan Poljud d’exploser. Les premiers fumigènes sont allumés dans la tribune Nord et lancées sur la piste d’athlétisme qui entoure le terrain.
La partie reprend dans une atmosphère incroyable. Écharpes déployées par tout un stade, le Poljud célèbre son Hajduk. Les remplacements successifs des deux côtés ne peuvent interrompre la ferveur des tribunes. Le feu était près à s’allumer, le but de Balic en a été l’étincelle…et quelle étincelle ! Il sortira sous une pluie d’ovation à la 74éme quand Buric se décida de solidifier son milieu. 78e, sortie d’un volontaire Ohandza pour Tomislav Kis, un des chouchous des tribunes. Son chant « Kis, Kis, Kis » est repris pendant cinq minutes après son entrée. 85e, Strømsgodset décide de sortir un peu, l’Hajduk se prépare pour contrer. 90e, le ballon arrive à Vlasic sur son côté droit, ce dernier retente le duel face à son défenseur et le remporte enfin. Centre parfait pour Kis qui ajuste le gardien Pettersen, explosion! Nouvelles salves de « Kis, Kis, Kis », de fumigènes et première bombe agricole lancée à partir des tribunes. Le Poljud est littéralement en feu.
Deux minutes de temps additionnel, l’arbitre ne se fait pas attendre pour signaler la fin du match. A la fin du match, la Torcida Split et les joueurs s’échangent des applaudissements et des chants à la gloire de l’Hajduk pendant dix bonnes minutes. Mieux qu’ailleurs en Europe, on connait l’importance de ce douzième homme. « Hajduk živi vječno », l’Hajduk vivra toujours et son sang sera Torcida pour toujours.
Les notes de Footballski :
Standing du stade (5/5):
Un stade de 35000 personnes inauguré en 1979 par Tito. Sa forme de coquillage permet d’apprécier le coucher du soleil sur la côte dalmatienne. Il permet aussi au vent de venir rafraichir les travées.
Disponibilité des billets (4/5) :
Malgré la haute saison, nous avons eu accès á quatre billets. Pour être honnête, mon accompagnateur a tout géré et je crois qu’il a quelques relations.
Tarifs (5/5) :
Un billet coute 100 Kunas soit 13Euros. Les bières et la Cevapi autour des cinq euros. Bref une soirée réussie pour 20 Euros.
Ambiance (10/5) :
La Torcida, c’est fou.
Risques (3/5) :
L’ambiance est bon enfant dans les tribunes. Pas mal d’enfants et de femmes dans les tribunes. Le seul problème demeure l’accès aux tribunes. Les portes d’entrée sont en nombre très limitées et il faut se battre pour y accéder.
Accessibilité et transports (4/5) :
De nombreux bus se rendent dans le quartier du Poljud. Il est aussi plutôt facile de se garer à proximité stade. Surtout si on connait un local.
Boissons (2/5) :
Boissons non tolérés á l’intérieur du stade à cause des restrictions de l’UEFA. Mais beaucoup de stands aux alentours du stade. La Karlovacko se boit bien très fraiche après une journée à la plage. Le shot de rajika passe plus difficilement.
Quartier/environnement (3/5) :
Le Poljud est un quartier populaire de Split. Le stade domine une petite colline surplombant la côte dalmatienne…Superbe vue.
Carlito
Très bon article !
Petite précision : on dit « côte dalmate » et pas « dalmatienne » 🙂
Contrairement à ce que vous affirmez, Fran Tudor est bien un cousin éloigné d’Igor Tudor. Ils sont tout les deux originaires de Milna, un très petit village situé à l’est de Hvar, où tout le monde porte le même patronyme.