Chez Footballski, le football est avant tout un prétexte pour écrire. Un prétexte pour écrire sur l’histoire ou la société tout en parlant du football. Nous avons eu l’occasion de rencontrer et discuter avec Simon Kuper, écrivain partageant cette même philosophie. Simon Kuper est éditorialiste au Financial Times et a écrit, entre autres, Soccernomics et Football Against the Enemy. Il prépare actuellement une nouvelle version de Soccernomics pour la Coupe du Monde 2018.

En 1994, Simon Kuper, vous publiez Football Against the Enemy. Pourquoi ce titre ?

Je ne pense pas que ce soit un bon titre ! Mais l’idée était de dire qu’en football, on se retrouve avec deux tribus, deux clans qui se font face. A l’époque c’était bien plus vrai que maintenant. Lorsque le PSG joue contre le Barça, on ne le constate pas. Mais Pays-Bas – Allemagne, France – Allemagne, Pologne – URSS. Chaque équipe représente sa tribu et, en face, c’est l’ennemi.

Pourquoi n’est-ce plus d’actualité ?

Dans le football actuel, il y a beaucoup moins de rivalités, beaucoup moins de haine en tout cas. PSG – OM, il y a une rivalité ressentie par les supporters, mais pas par les joueurs. Mais je constate que même entre les supporters, cette tension n’est plus aussi importante qu’avant. Quand l’on regarde l’Allemagne contre la France, par exemple : les joueurs se connaissent, sont amis. Griezmann a plus en commun avec Mezut Özil qu’avec un Français moyen. Ils mènent la même vie, ne sont pas rivaux. Les supporters non plus, car en Europe nous avons perdu ces querelles nationalistes, qui étaient pourtant très fortes à l’époque de Platini, quand la France a perdu à Séville. Peut-être, cependant, que ça subsiste encore un petit peu à l’Est…

Simon Kuper avec son livre sur l’Ajax, en tchèque, devant sa bibliothèque.

Avec le match Serbie – Albanie de 2014, on repart de plus belle dans cette haine de l’autre…

Oui, on peut dire que l’ex-Yougoslavie est un cas à part. Pour nous, à l’Ouest, la guerre a eu lieu il y a 70 ans, notre génération ne l’a pas connue. Là-bas, elle est encore trop récente. Je tiens à remarquer que pour les joueurs, c’est un peu différent. Après ce fameux match, Lorik Cana et Branislav Ivanovic ont été convoqués. Aucun des deux n’a exprimé d’opinions nationalistes, ils sont complètement « internationalisés ». Ils ont vécu toute leur carrière avec d’autres joueurs étrangers. Forcément, ils deviennent cosmopolites. Les footballeurs sont un exemple extraordinaire d’élite cosmopolite dont parlent Marine Le Pen et Donald Trump.

Le football russe a importé, à coups de millions, un certain nombre de talents afin de développer une forme de cosmopolitisme dans ses clubs, mais il n’y a pas vraiment eu de résultat concret ou probant. Comment l’expliquer ?

La Russie n’a jamais été un grand pays de football. L’Ukraine le fut mais, dans l’Histoire, on ne peut pas trouver de génération russe à proprement parler « formidable ». L’échec russe à l’Euro peut se comprendre par une sorte de cercle vicieux : les meilleurs joueurs nationaux restent au pays, car ils y sont très bien payés, il y a peu de talents russes donc le niveau de la ligue est médiocre, ce qui n’incite pas les bons joueurs étrangers à venir, et les joueurs locaux ne progressent pas. Le fait que le système russe soit quasiment fermé ne les aide évidemment pas. La formation n’est pas bonne et, malgré l’importation d’entraîneurs néerlandais, ça ne marche pas. Selon moi, la Chine, c’est la Russie 2.0.

Comment la Chine pourrait éviter de tomber dans les mêmes travers ?

Je pense qu’il ne faut pas importer des joueurs, mais plutôt en exporter. Si les Chinois veulent devenir un bon pays de football, alors ils ont intérêt à envoyer leurs jeunes dans des championnats comme la ligue belge, la ligue néerlandaise. Ils s’amélioreront.

Les Russes qui quittent le pays ont souvent bien du mal à s’imposer à l’étranger (Semak, Cheryshev…). Pourquoi ?

C’est peut-être une question physique. En étant mal formé au pays, on a du mal à s’adapter à une nouvelle culture. Le niveau physique était très très bon sous Hiddink, mais la machine russe s’est grippée ensuite. Et puis, comme ils sont très bien payés chez eux, les Russes partent trop tard à l’étranger, vers 25 ans, tandis que les Sud-Américains arrivent bien plus tôt. Je pense que c’est difficile de beaucoup progresser ensuite.

Vous parliez tout à l’heure de l’Ukraine. Le Dynamo Kiev a dominé pendant très longtemps le championnat local, pourquoi selon vous ?

Le championnat est dominé par les oligarques, et le Dynamo n’a pas fait exception. De même, le Shakhtar occupe le devant de la scène depuis cinq ans maintenant, grâce à Rinat Akhmetov. Les recettes billetterie sont ridicules, il n’y a pas vraiment de sponsoring, des droits TV assez faibles. Par conséquent, la manne d’argent est apportée par les oligarques.

La mafia a-t-elle joué un rôle également ?

Quand j’y étais, quelques petites mafias essayaient de se former, avec de petits moyens. Les matières premières n’avaient pas encore été privatisées. C’était plutôt des mafias italiennes des années 1950, des petites bandes de mecs avec leur pistolet. Cette ère est maintenant révolue, des gens comme Akhmetov possèdent énormément de ressources. C’est un autre niveau de corruption.

A l’Est, nous voyons un certain nombre de projets de clubs sortis de nulle part et qui arrivent très rapidement sur le devant de la scène, comme le Ludogorets ou le RB Leipzig. Au départ, ce sont des clubs de D3 ou D4 sans grande histoire, modelés par leur propriétaire. Pourquoi est-ce uniquement dans nos pays que l’on voit émerger de tels projets ?

Justement parce que le financement du football est presque uniquement effectué par des oligarques. Si tu es riche et que tu achètes un club là-bas, tu peux gagner le championnat assez vite, tandis qu’en Angleterre c’est beaucoup plus compliqué. Si tu achètes Leyton Orient (D4) et multiplies les dépenses à coups de centaines de millions de livres. A la fin, tu parviens à concurrencer les grosses écuries, qui gagnent leur vie par d’autres moyens. Il y a des géants « organiques », avec des grands revenus. En Ukraine ou en Roumanie, ça n’existe pas.

Quel modèle économique viable peut-on imaginer à l’Est ? On remarque que les tribunes sont souvent très peu garnies…

Tout dépend du pays. En ex-Yougoslavie, c’est assez compliqué, parce qu’il y a à la fois des oligarques et des mafias. Les gens aiment le foot, ils aimeraient aller au stade le dimanche, mais trop peu y vont car c’est vraiment dangereux. Il faudrait que la justice et la police s’impliquent davantage pour changer les choses, alors les stades seraient remplis. Je vois des possibilités pour la Pologne, car l’économie est assez grande, fonctionne bien actuellement, moins de mafia que dans d’autres pays. Les Polonais, comme les Tchèques d’ailleurs, peuvent clairement s’inspirer de ce qui se fait en Allemagne ou aux Pays-Bas, en Belgique… des stades sûrs, agréables. Pas besoin d’un très haut niveau de football pour attirer du monde ! La viabilité passe donc par le fait de rendre les stades agréables, tout simplement. Les sponsors arriveront forcément ensuite. Aux Pays-Bas, les stades sont pleins de personnes qui regardent un football très mauvais, et en Pologne les stades sont encore trop vides malgré des rénovations récentes.

Comment la Croatie, qui est un petit pays de seulement quatre millions d’habitants, parvient-elle toujours à boxer dans la catégorie supérieure ?

C’était le pays de l’Est le plus ouvert à l’Ouest. Des Yougoslaves, comme Susic, ont appris le meilleur foot du monde et l’ont transmis, contrairement aux Russes qui sont restés fermés sur eux-mêmes. La Tchécoslovaquie a également su tirer son épingle du jeu. Avant le communisme, ces États étaient très connectés au reste de l’Europe, ce qui est très important. Si tu restes à l’écart, tu as un désavantage. C’est toute la différence entre la Bulgarie et la Croatie, pays de taille similaire.

Pourquoi le hooliganisme est-il toujours si prégnant en Europe de l’Est ?

Je dirais que c’est une question de virilité, additionnée à du nationalisme. C’est une manière de montrer sa masculinité au stade sans trop courir de danger, avec le sentiment de mener une guerre même si c’est bien moins dangereux en réalité ! Quelques psychopathes violents traînent parmi eux, ils n’ont pas vraiment peur d’être attaqués. Malgré tout, la majorité de ces hooligans font surtout cela pour l’apparence, pour l’image qu’ils peuvent ainsi véhiculer. En Angleterre comme en France, le hooliganisme a été mis sous le boisseau, car le système juridique est efficace. Ce n’est apparemment pas le cas là-bas.

Même si le mur de Berlin est tombé, retrouve-t-on une différence dans le football entre Berlin Est et Ouest aujourd’hui ?

L’Union a toujours cette tradition de classe ouvrière à l’Est et il n’y a pas vraiment de gens à l’Ouest qui s’intéressent à l’Union. L’Union est vraiment un club régional alors que le Hertha est le club du grand Berlin même avant le mur. Mais Berlin n’a jamais vraiment été une ville de foot. Il n’y a pas de grande tradition là-bas. Quand le mur est tombé, on s’est aperçu qu’il y avait des joueurs mieux formés à l’Est, car ils étaient mieux entraînés techniquement, ils pouvaient utiliser les deux pieds – ce qui n’existait pas à l’Ouest – et ils ont une fédération très forte, comme en France. La fédération a imposé un système de jeu dans chaque club. Il y a un système centralisé avec des entraînements centralisés et ça n’existe que dans quelques pays : France, Pays-Bas et donc on peut ne peut plus distinguer un joueur de l’Est et de l’Ouest aujourd’hui. Mais au niveau économique cette différence existe toujours. D’ailleurs, j’ai lu dans « Die Zeit », un journal allemand, « les supporters de Dortmund ont attaqué des supporters de Leipzig en disant vous cassez notre foot » et Die Zeit dit c’est différent. L’Est a besoin de symboles de fierté et RB Leipzig est devenu un symbole de fierté notamment en Saxe, un pays très pauvre où il y Pegida. C’est important pour les gens de l’Est d’avoir un club qui peut gagner. On ne peut pas dire que Leipzig a cassé quelque chose, mais ajoute quelque chose. C’est intéressant qu’on puisse faire ce projet à l’Est. Les clubs de l’Est étaient cassés, Dynamo Dresden, Lokomotiv Leipzig, Hansa Rostock. Il y avait un espace vide où l’on pouvait construire quelque chose de nouveau. Ça n’existe pas à l’Ouest.

Le Kazakhstan est passé récemment de l’Asie à l’UEFA, quels enseignements en tirer ?

Tu ne peux pas devenir grand si tu joues contre des équipes asiatiques, le niveau est trop bas. L’Europe est la meilleure compétition du monde, toute la qualité du foot moderne a été construite en Europe de l’Ouest. On voit un grand écart entre les pays d’Europe de l’Est et de l’Ouest sauf peut-être la Croatie qui est entre les deux. C’est un pays de l’Est avec beaucoup de porosité. On voit aussi que les meilleures équipes africaines comme l’Algérie il y a 2 ans, le Sénégal il y a 15 ans sont formées par des clubs français. La formation ici est meilleure qu’en Afrique.

Concernant la Coupe du Monde en Russie, on va atteindre des records d’investissement. Dans Soccernomics, vous dites que c’est bon pour le moral de la population, on est dans « un pays dans une guerre qui ne dit pas son nom avec l’Ukraine » n’est-ce pas le meilleur moment pour eux pour accueillir un événement sportif de cette ampleur ?

Il y a aussi ce conflit avec l’Ouest qui ne dit pas son nom et l’Ouest va venir en Russie alors quelle hospitalité ? Est-ce qu’ils vont espionner l’équipe allemande ? Est-ce qu’ils vont publier des vidéos de l’équipe allemande sous la douche comme ils ont fait avec des journalistes à Sotchi ? Ça peut être une guerre froide. L’équipe est faible et ce serait déjà bien si elle arrive en huitième de finale. Alors pour le moral de la population, ça ne va pas aider. Quelle humiliation de perdre contre l’Allemagne ou la Belgique. Ce n’est aussi pas un pays de foot comme le Brésil. Les Brésiliens étaient emportés par le tournoi pendant 2/3 semaines. En Russie, les stades ne sont pas pleins, je pense que ça va être quelque chose de politique internationale. Tout le monde va suivre, tout le monde va y aller et ça va être l’occasion pour Poutine de dire « c’est ça que je pense de l’Ouest ».

On a vu un changement en Russie entre 2012/2014 et cet été entre la crise économique se mêlant à la mauvaise image de hooligans russes à Marseille, et on a vu moins d’investissements dans le football. On a vu des étrangers quitter la Russie deux ans avant le Mondial alors qu’on aurait pu s’imaginer les voir rester et profiter de l’élan. N’est-ce pas deux ans qui vont être longs pour le football russe ?

Les oligarques vont payer de beaux stades. Au Brésil, on a de très beaux stades avec une ligue qui reste terrible. La Coupe du Monde c’est vraiment un mois. On peut avoir un après comme en Allemagne où on a dix « nouveaux » stades pleins depuis 10 ans. Mais ça ne va pas être comme ça en Russie où ce sera comme en Afrique du Sud ou au Brésil où on a de très beaux stades dans lesquels il ne se passe rien, sans dynamique au niveau de la ligue ou au niveau des supporters.

Il y a une certaine dichotomie du football d’Europe de l’ Est où l’on trouve un club qui domine outrageusement, qui joue régulièrement la C1, et un autre club qui lui termine souvent deuxième et joue la C3 comment peut-on le théoriser, l’expliquer ?

Si on est le Shakhtar et qu’on peut dire aux joueurs brésiliens « tous les ans on joue la Ligue des Champions« , le Brésilien veut signer. Si on dit « on n’est jamais en Ligue des Champions mais tu vas jouer en ligue ukrainienne« , un grand joueur ne va pas y aller alors on crée un monopole des grands joueurs qui veulent aller dans ce pays-là. L’autre élément est l’oligarque. Si tu as l’oligarque le plus puissant ou le plus généreux, tu vas finir numéro un. Dans beaucoup de ces pays, il n’y a pas beaucoup d’oligarques qui aiment le foot. Même en Ukraine, qui est un grand pays avec une dizaine d’oligarques, Akhmetov était numéro un. Si un oligarque termine numéro 2, il peut dépenser beaucoup beaucoup moins, il n’est plus en concurrence avec le Shakhtar, mais avec de plus petites équipes ukrainiennes et si on est basé dans, disons, la deuxième ville du pays, on est toujours le grand seigneur de la ville. On gagne la majorité des matchs, ça suffit.

Raphael Brosse, Lazar van Parijs / Tous propos recueillis par R.B et L.v.P pour Footballski


Image à la une : © sportsspeakers.nl

3 Comments

  1. Czerny 7 mars 2017 at 18 h 52 min

    Des banalités du début à la fin ….Quel intérêt ?

    Reply
  2. Anonyme 14 mars 2017 at 14 h 42 min

    Nul…
    Ce petit monsieur sans envergure qui se croit donneur de leçon du haut de son statut d’éditorialiste au FT (ce qui veut déjà tout dire…) est tout simplement aussi nul que tous ces occidentaux qui se croient au-dessus du reste du monde et qui leur expliquent tranquillement que le seul modèle à suivre est le leur…
    Eh bien, justement, parlons-en du modèle de développement de l’Europe occidentale basée sur une prédation toujours plus importante et une exclusion de plus en plus inévitable.

    Et pour en revenir au foot (qui n’est finalement qu’une vitrine du modèle économique et sociétale d’un peuple), j’aimerais vous expliquer quelques faits que vous ne pouvez sûrement pas appréhender tout ne haut de votre tour d’ivoire, cher petit Monsieur Kuper…
    Non, le football des pays de l’est n’est ni moribond ni en manque de structures d’orgnisation. Il est même, plutôt, en plein développement et en pleine ascension sportive.
    Le vrai problème est que les prédateurs occidentaux ne veulent lui laisser aucune miette dans le gâteau juteux et lucratif du foot-business qu’ils ont crée. Le football à l’occidental est le reflet ultime de la financiarisation apatride du capitalisme débridé et sans âme dans sa forme la plus abjecte. Il n’y a qu’à voir toutes ces coquilles vides et insipides que sont devenus les « grands » clubs d’Europe de l’ouest, ceux qui, justement, se construisent à coups de millions injectés sans cesse dans des équipes aussi factices et creuses que les décors d’un parc d’attraction et qui, pour continuer dans cette métaphore totalement appropriée, ne servent qu’à vendre du rêve à une troupe de badauds dont le quotidien banalisé et insipide ne peut trouver comme seule issue illusoire que ce conte de fée coûteux et sans avenir (car oui, à un moment donné, il faudra bien en payer l’addition…).

    Oui mais voilà, même en s’y efforçant du mieux possible, les clubs venus de l’est et leur modèle financier plus en phase avec la réalité (avec une sobriété et une stabilité qui supplantent l’illusion et la poudre aux yeux), grappillent toujours plus de terrain, obligeant les nantis du football européen à réorganiser sans cesse la disposition des principales compétitions pour qu’elles restent à leur avantage. Et la toute dernière modification de l’organisation de la Ligue des Champions (j’ai hésité à y mettre des majuscules) n’est que le reflet de cette tournure détestable, celle qui consiste à favoriser le plus possible les « idoles » des gens sans envergure qui se contentent allègrement de ce rêve qui les bercent en donnant du sens à leurs imaginaires dénaturés.
    Et tant pis, finalement, si cela se fait au détriment du développement footballistique des autres, non seulement les clubs de l’est, mais aussi – et oui – tous les grands perdants des pays d’Europe occidentale, tous ces clubs lésés par l’octroi d’une manne financière toujours plus inégalement distribuée, ainsi que tous ces championnats historiquement porteurs mais devenus, par la force des choses, des championnats de seconde zone (l’Ecosse, la Grèce, la Belgique, bientôt le Portugal et… les Pays-Bas).
    Et oui, mon cher petit Monsieur Kuper, quand on y pense, la pauvre Eredivise d’aujourd’hui, bien incapable de hisser un seul de ses clubs dans un des derniers tours d’une coupe d’Europe, doit bien regretter le temps où l’Ajax, le PSV ou Feyenoord pouvait logiquement briguer une des 11 victoires en coupe continentale que le palmarès de ce championnat compte.
    J’imagine combien cela doit être frustrant d’être supporter de l’Ajax et de réaliser que son club, avec toute son histoire, sa culture et son passé glorieux, ait dû accepter, au travers de toutes ces manigances successives (cooptées et encouragées par l’UEFA), de céder totalement sa place aux Manchester City, Chelsea, Monaco, ou, cerise sur le gâteau, à un PSG sorti de nulle part dans l’histoire du football avec ses millions offerts gracieusement par le Prince du Qatar…
    Mais non, continuez pauvre Monsieur Kuper, continuez à croire que le football c’est ça, et que tout le monde devrait s’en réjouir et suivre ce modèle, continuez et bientôt votre propre pays ne sera plus qu’un pâle souvenir oublié de l’histoire du football, à l’instar de tant d’autres, la Hongrie, la Yougoslavie, la Belgique, la Suède, la Tchécoslovaquie ou la Pologne. Continuez, puisque c’est le prix à payer pour que le championnat anglais continue à faire tourner l’argent de la finance et des multinationales, que celui de l’Italie continue à blanchir l’argent d’origine douteuse ou que les pauvres espagnols, étranglés par la crise économique importés dans leurs pays, continuent de croire qu’ils possèdent les meilleurs clubs du monde…

    Quant aux championnats d’Europe de l’est, dont vous semblez n’avoir qu’une image partiale et méprisantes, je tiens à rétablir certaines vérités que vous ne pouvez, très certainement, pas percevoir.
    Le championnat phare de tous ces pays est sans conteste celui de Russie qui, s’il ne devait pas sans cesse faire face à cette adversité malsaine et incessante, aurait, sans aucune doute, la capacité sportive pour se hisser parmi les trois ou quatre meilleurs championnats d’Europe. D’ailleurs, les équipes nationales de jeunes, qui briguent régulièrement des trophées internationaux, sont la meilleure preuve que le niveau sportif du football du pays en fait, incontestablement, un des grands pays de football du continent. Et puis, pour votre gouverne, sachez que, lorsque les joueurs ne s’expatrient pas, cela indique que le championnat domestique est de qualité, plutôt que l’inverse. L’idéal d’un joueur doué est bien de faire évoluer sa carrière au sein d’équipes capables de lui proposer des compétitions à la hauteur de son niveau, et non de maximiser son salaire (exceptions faites de quelques-uns de nos plus piètres représentants tricolores). Voyez-y, donc, là un gage de stabilité sportive avant tout…
    D’ailleurs, à ce titre, l’exemple du championnat ukrainien est édifiant. Avant l’explosion du pays suite au coup d’état du Maïdan, la Visha Liga était en progression constante, avec 4 clubs phares capables de défier bon nombres d’écuries européennes (Dinamo, Shakhtior, et oui ça s’écrit ainsi, Shakhtar Donetsk n’existera de toute manière jamais, Metalist et Dnepr) et attirait vers elle de plus en plus de joueurs de qualité qui bonifiaient naturellement le niveau des joueurs locaux. Conséquence, aucun d’eux n’avait besoin de s’exiler pour briller, puisque le niveau de jeu proposé leur suffisait à s’épanouir.
    Aujourd’hui, quelques années après le début du désastre, le niveau du championnat d’Ukraine n’est plus que l’ombre de celui du championnat prometteur et destiné à s’installer parmi les cinq ou six meilleures ligues d’Europe, et les pauvres joueurs nationaux n’ont d’autre choix, lorsqu’ils ne peuvent s’insérer dans les effectifs déjà bien remplis des deux derniers bastions que sont Dinamo et Shakhtior, que de tenter l’aventure ailleurs, avec toutes les difficultés que cela comporte.
    Si j’osais, je dirais même, avec une pointe d’ironie et de provocation (car je reconnais que j’extrapole un peu pour le coup) que le championnat d’Ukraine est en voie de « néerlandisation »…

    Bref. Pour ce qui est de tous les autres championnats, le niveau est, d’une manière générale, en constante augmentation, en témoigne les parcours européens de plus en plus remarqués de certains clubs kazakhes, azéris, polonais, bulgares, biélorusses ou tchèques, entre autres, corrélée à la progression continue de l’indice UEFA des pays associés.
    Il faut dire que, « l’oligarchie » footballistique européenne (pour reprendre un mot que vous aimez employer), dominée par le club fermé des détenteurs des clubs « parc d’attraction » n’en à que faire de savoir que ces championnats-là, à travers le courage et l’abnégation de leurs autorités (et bien sûr, l’argent investi, mais n’est-ce pas partout pareil ?) puissent prendre les places de ceux de Suède, de Norvège, de Suisse, d’Autriche ou du Danemark, par exemple. En revanche, évidemment, les premières places doivent restées chasse gardée de cette même oligarchie, et ce, par tous les moyens.
    Sinon, comment pourraient-ils encore vendre leurs vedettes à leur public, qu’il soit situé chez eux ou même en Europe de l’est ?

    A ce propos, vous avez là une première explication au manque relatif d’investissement en infrastructures que vous semblez déplorer. Comment voulez-vous donc investir pour attirer un public à qui on fait tout pour qu’il se passionne davantage pour un Real Madrid – Barcelone plutôt que pour un match disputé par le club de sa propre ville ?
    Cette constatation s’applique, d’ailleurs, à tous les autres endroits (pas seulement l’Europe de l’est) d’une Europe élargie et soumise au même joug uniformisé et, une fois encore, coopté et encouragé par l’autorité de l’UEFA.
    Par ailleurs, et à titre d’exemple, dans la plupart des pays d’Europe de l’est (et du nord aussi accessoirement), le football se joue en été et les calendriers sont élaborés à cet effet. Evidemment, l’UEFA, dans sa grande mansuétude envers les pays de l’ouest et, surtout, envers les clubs « parc d’attraction » qui y évoluent, s’est efforcé de construire un échéancier inverse, favorisant donc, d’autant plus, le développement du suivi de ces mêmes clubs.

    Vous l’aurez compris, cher Monsieur Kuper, tous vos arguments sont bidons et ne font qu’apporter des explications fallacieuses à un problème bien plus vaste et bien plus essentiel, celui de la hiérarchisation de plus en plus drastique et de plus en plus totalitaire du football sous une forme pyramidale destinée à ne favoriser qu’un petit ensemble de clubs permettant à ceux qui en profitent de s’enrichir.
    L’ascension, de plus en plus encadrée et entravée, du football des pays de l’est représente donc, à la fois, un danger latent pour cette organisation, danger qu’ils vont tenter de juguler de manière de plus en plus coercitive, mais aussi un formidable espoir pour l’immense majorité des « perdants » de cette même tournure des choses, c’est-à-dire non seulement le football de ces pays-là, mais également le football joué et développé par tous les anonymes de tous les autres pays…

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