On a discuté avec Branko Ivankovic, entraineur du Persepolis Téhéran

Branko Ivanković est l’entraîneur croate du Persepolis Téhéran. Alors, quand l’occasion de le rencontrer s’est présentée, nous l’avons saisie. Nous avons ainsi passé deux heures en compagnie de cet entraîneur qui n’a connu qu’un seul club en tant que joueur et s’est fait un nom tant dans les Balkans que dans le Golfe, en passant par la Chine : rencontre avec ce grand voyageur qui file tout droit avec son club du Persepolis Téhéran vers le titre dans le championnat iranien…

Bonjour Branko, ma première question est à propos de votre carrière de joueur…

J’ai commencé ma carrière de joueur dans une petite ville Varaždin. J’ai joué dans la ligue yougoslave pendant 13 saisons. J’ai commencé quand j’avais 17 ans et j’ai arrêté vers 30 ans pour en devenir le coach.

Vous êtes resté uniquement dans un seul club, c’est très rare de nos jours. Comment expliquez-vous le fait que vous êtes restés toute votre carrière dans le même club sans changer ? Avez-vous refusé des offres de clubs pour faire toute votre carrière dans un seul et même club ?

A cette époque, quand j’étais jeune et que je jouais au football, en ex-Yougoslavie, les joueurs ne pouvaient pas quitter le pays jusqu’à leurs 28 ans. Pas avant. De nombreux joueurs ont signé 2/3 contrats avec le même club. J’ai reçu des offres pour changer mais je préférais aller à l’université. Alors que je jouais au football, j’étudiais à la Faculté de Kinésithérapie et j’étudiais également pour devenir entraîneur. A cette époque il n’y avait pas la licence européenne, chaque pays avait ses propres examens. C’était le plus haut niveau d’éducation. J’ai eu l’opportunité de m’améliorer et de voir comment cela se passait en équipe nationale.

Là, on en arrive à l’équipe nationale et à la Coupe du monde 1998. Les Balkans sont encore en crise, il y a la guerre et la Croatie est indépendante depuis quelques années à peine. La Croatie a fait quelque chose d’incroyable si on considère que quelques années auparavant, il n’y avait rien.

Thuram ne marque jamais à l’entrainement et contre nous il marque deux fois. Pour revenir sur cette histoire, je suis d’abord devenu l’assistant du sélectionneur national. Une partie de notre pays a connu la guerre, et était encore en guerre quand je suis devenu assistant. A cette époque, en 1993, je crois, la FIFA et l’ UEFA nous a autorisé à rejoindre la famille du football. Et nous avons commencé en 1994. Notre premier match était contre l’Espagne à Valence et on les a battu 2-0. C’était la première fois que nous nous rencontrions à l’aéroport. Monsieur Blažević et moi-même avons commencé à créer une équipe pour l’Euro 96 et nous nous sommes qualifiés pour la première fois pour une telle compétition en 1996. On a battu les Italiens à Palerme, par exemple, et nous étions en haut du classement. On savait qu’on avait un excellent potentiel avec des joueurs champions U20 comme Prosinečki, Šuker, Bokšić, Stimać, Bilić,ils jouaient dans de grands clubs, Milan, Juventus, Real, Marseille. On avait beaucoup de bons joueurs qui jouaient en dehors de la Croatie. On avait une bonne histoire, de nombreux joueurs ont été champions du monde au Chili. Prosinecki était le meilleur du championnat. Et bien sur, nous savions que nous avions un bon potentiel. Lors de cette compétition, nous avons battu le Danemark, juste en quarts de finale on perd 2-1.


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Est-ce que Blažević est un mentor pour vous ?

Il est plus âgé que moi, il est célèbre, il a travaillé à Nantes. Quand il est devenu entraîneur de Zagreb et de la sélection nationale, il m’a appelé pour l’assister alors que j’étais à Varteks. Nos philosophies sont similaires. Nous nous sommes trouvés rapidement. Nous sommes restés sept ans à la tête de la sélection croate et quand il a eu la possibilité de venir en Iran, il m’a invité à le rejoindre pour découvrir quelque chose de nouveau. J’ai accepté car je n’avais jamais eu l’occasion de découvrir autre chose que la Croatie. Je suis ensuite resté trois ans. Ce n’est pas exactement un mentor car nous travaillons ensemble, en même temps, mais c’est très intéressant de travailler avec quelqu’un d’autre, voir sa mentalité, sa façon de travailler. On peut apprendre. C’était une grande expérience pour moi, il a beaucoup d’expérience dans le vie et le football. Il a beaucoup voyagé. C’est quelque chose qu’on ne peut pas apprendre dans un livre. C’était un grand plus pour moi.

Vous avez mentionné le Dinamo Zagreb, vous êtes resté deux saisons puis vous y êtes revenu, que s’est-il passé ?

On a gagné le titre et étions sur une série de 28 victoires consécutives. On a failli atteindre le record du Benfica de 29 victoires mais on a perdu dans ma ville, contre mon club. On a perdu 2-3. On a battu l’Ajax de Stam et obtenu de bons résultats sur la scène internationale. Lors de la seconde saison, j’ai eu une altercation avec le directeur du Dinamo Zagreb, Mamić, et j’ai quitté l’équipe. En pleine saison hivernale, on jouait au futsal, on a perdu un match contre Hajduk et là il est entré dans les vestiaires et a engueulé les joueurs alors que j’étais pas là, puisque j’étais occupé avec la presse. J’ai entendu après ce qu’il a dit et le lendemain matin j’ai posé ma démission. L’équipe a bien sûr gagné la ligue mais six mois plus tard, Mamić m’a rappelé. A mon retour, il y a eu un différend entre Mamić et moi à propos d’un joueur que je voulais mettre sur le banc, car il était pas assez bon. Il m’a dit : « On veut le vendre alors il doit jouer« .

Mamić a fait beaucoup de choses pour le Dinamo Zagreb. Il nous a mis dans d’excellentes conditions pour l’entrainement. Si j’avais besoin de chasubles ou de matériel, on l’avait. Je ne peux pas me plaindre de lui pour ça. Il avait une vision pour le club qui peut être différente de celle du coach. On a vendu Modrić 20 millions à Tottenham, Mandzukic 9 millions, Corluka 15 millions à City, Eduardo 15 millions à Arsenal. Il a vendu beaucoup de joueurs pour beaucoup d’argent ! C’est la principale rentrée d’argent ! Les droits TV sont faibles. Ici, en Iran, le marché national c’est 80 millions, pareil en Allemagne, il peut donc y avoir du marketing, mais en Croatie, il n’y a que 4 millions d’habitants et ces joueurs jouent dans de grands clubs à l’étranger.

Vous êtes ensuite parti en Chine avant la hype actuelle. C’était comment à l’époque ?

J’ai été champion l’année où je suis arrivé. 13 points d’avance sur le second. A cette époque, ils ont commencé leur ligue professionnelle en achetant des joueurs étrangers. A cette époque, le basket-ball était le sport le plus populaire à cause de Yao Ming. Aujourd’hui certains sponsors veulent montrer au président qu’ils veulent investir dans le football. Ils veulent mettre le football dans les écoles, c’est une excellente idée. Aujourd’hui, ils manquent de clubs. Ils n’ont que 50 clubs professionnels. J’étais dans la région de Shandong, il y 80 voire 90 Millions d’habitants et il y avait seulement 3 clubs en première division et 1 ou 2 en seconde division. Ils n’avaient pas de système pyramidal, ils n’ont pas assez de clubs. Shandong avait la meilleure académie pour le ping-pong et le football mais ce n’est pas assez. Aujourd’hui, il se passe quelque chose mais ils n’ont pas encore la tradition. En Croatie, on débute dans la rue. On passe son temps dans la rue et on joue avec ses amis, on apprend comme ça. Ça forme les meilleurs joueurs. Aujourd’hui, ça devient de plus en plus compliqué. On trouve de moins en moins de créateurs, numéros 10. On a des joueurs industriels. Il n’y a plus de Zidane, créateurs comme lui.

Très peu de joueurs iraniens sont allés en Europe. Quand vous étiez en Chine, est-ce que vous avez essayé d’emmener des talents croates ?

J’ai essayé mais c’est pas facile. A l’époque, la Chine ne payait pas autant qu’aujourd’hui. Ici, ils veulent payer 100 ou 200.000 dollars un joueur, bien sûr c’est une belle somme mais pour les bons joueurs ils ne viennent pas pour cet argent. Les bons joueurs, ils vont en Chine ou aux Emirats à 30 ans.

Les premiers joueurs ont quitté l’Iran pour aller en Allemagne: Ali Daei, Mahdavikia, Azizi, Bagheri, etc. Ils ont rejoint la Bundesliga car ils ont eu une chance de gagner de l’argent. Il n’y avait pas d’argent ici et beaucoup en Europe. Aujourd’hui, il y a pas tant d’argent en Europe, oui certains clubs peuvent très bien payer leurs joueurs mais c’est une minorité, par exemple quelqu’un qui gagne 400/500.000 euros net par an en France, c’est un bon joueur. Certains clubs payent beaucoup mais peu le peuvent. En Italie : Juventus, Napoli, Milan, Inter, Roma ils peuvent payer, le reste a du mal à s’aligner.

Maintenant, il y a la règle des trois joueurs hors-EU qui limite le nombre d’étrangers et si ils achètent des joueurs, ils veulent le payer pas cher pour le revendre cher. Ici, en Iran, un bon joueur peut gagner 400.000 dollars alors c’est pas forcément intéressant pour lui de partir. En Allemagne, un joueur qui gagne un million brut c’est 500.000 euros par an. Pas très intéressant. Certains clubs appartiennent à l’Etat (aux provinces principalement) et quelques clubs sont privés, mais il y en a peu. Tout le monde cherche des sponsors, tout le monde cherche une solution pour avoir plus d’argent, ce n’est pas facile. Le prix du pétrole a chuté dernièrement, c’est un peu la crise ici.

Que pouvez-vous nous dire à propos de Sardar Azmoun (que nous présenté au travers de l’oeil du recruteur) ?

Je l’ai observé en tant que sélectionneur national et il est maintenant à Rostov en Russie. C’est un joueur avec un grand potentiel. Il peut être au niveau d’Ali Daei. Il doit travailler mais il peut y arriver. C’est un joueur qui peut avoir une très belle carrière.

Branko Ivankovic
Lacoste-Footballski : combinaison gagnante pour Branko Ivanovic

En Iran, il y a plusieurs coachs étrangers : Carlos Queiroz, Bart Caubergh (interviewé sur footballski, ndlr), etc. Pourquoi cette tendance ?

Les Iraniens sont très polis, ils aiment les étrangers et respectent ceux qui peuvent aider leur pays. Je n’ai jamais eu de problème ici. En France, vous aviez combien de coachs étrangers jusqu’à Emery ou Jardim ? Pareil en Italie ou Allemagne, c’est pas facile pour les entraîneurs étrangers. Il y a toujours des frictions entre les entraîneurs locaux et étrangers. Mais être étranger c’est aussi ne pas être lié à un clan ou être là à cause de nos connexions et un parachutage. Alors ici ça peut être plus facile mais il faut aussi de bons résultats.

Comment comparez-vous la ferveur et le derby ici et en Croatie ?

Beaucoup de gens en Europe pensent qu’ici la ligue est faible et sauvage. On est loin du compte. La ligue est sérieuse et il y a beaucoup de bons joueurs. Un joueur espagnol était en stage aujourd’hui mais il n’a pas le niveau. Ceux qui pensent que ça va être facile pour eux ici se trompent. Le niveau ici est meilleur qu’en Croatie par exemple. Le derby est impressionnant, c’est du niveau de Barcelone vs Real. C’est une chose d’aimer son club, c’est une autre chose de dédier sa vie au club, penser à son club au petit-déjeuner, au déjeuner et le soir. C’est comme ça qu’ils sont ici. Ici, c’est plus important de gagner le derby que de devenir champion. L’atmosphère est similaire, la grande différence c’est qu’il n’y a pas de violence ici. Les gens sont respectueux. Avant, vous ne pouviez pas aller à Zagreb avec une voiture de Split, ici il n’y a pas de problème. Les gens viennent une nuit avant le match de tout l’Iran et il n’y a aucun problème. C’est plus poli ici.

La FIFA vient de changer les règles pour la Coupe du monde 2026, qu’en pensez-vous ?

La majorité des clubs et coachs ne sont pas contents. Les clubs payent les joueurs. Si vous payez un joueur d’un million, vous voulez l’utiliser pour votre club ! Mon avis personnel est qu’il y a trop d’équipes. L’optimum est à 32 équipes. Ce n’est pas possible aujourd’hui de se retrouver avec la Malaisie ou la Thaïlande à la Coupe du monde. Ça prend du temps d’être au niveau ! Quand il y a trop d’équipes, il y a aussi moins d’intérêt. On veut voir des stars, ce sont elles qui créent la compétition. Quand il y a trop de joueurs qu’on ne connaît pas, ça attire moins. Saint-Marin, ça intéresse qui dans le grand public de voir Saint-Marin ? Tout est du business aujourd’hui, ils ont déjà beaucoup de matchs dans la saison, mais là on leur en rajoute encore plus. Ça rajoute des risque de blessures.

Lazar van Parijs / Tous propos recueillis par L.v.P pour Footballski


Image à la une : © BEHROUZ MEHRI / AFP

Vous pouvez retrouver Branko Ivanković sur sa page Facebook.

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