Formé à l’OM, Anthony Ricca (Αντώνης Ρίκκα, en version hellénique) a débuté sa carrière professionnelle en Grèce, d’abord avec la sélection U19 puis avec Xanthi. Dans la deuxième partie de ce long entretien, il évoque son arrivée à l’AEK, sa grave blessure, et le déclin financier d’un des géants du football grec.

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Après ta belle saison à Xanthi, tu signes dans le prestigieux club de l’AEK à l’été 2008. Comment ce transfert s’est-il concrétisé ?

À cette période, en Grèce, quand tu étais jeune, que tu étais en équipe nationale et que tu faisais une bonne saison, tous les gros clubs pouvaient t’acheter, vu qu’il n’y avait pas encore la crise. Tous ceux de notre génération qui n’étaient pas dans un gros club en Espoirs ont été revendus au Panathinaïkos, à l’Olympiakos ou à l’AEK. Me concernant, l’Olympiakos était proche à un moment, et il y a eu des rumeurs avec le Panathinaïkos. Mais bon, tu es jeune et tu ne sais pas tout ce qui se passe. Je sais quand même que l’AEK est le premier club qui a fait l’offre, qui a négocié, et qui m’a acheté, tout simplement ! Mon agent m’a appelé un jour pour me dire qu’on devait aller à Athènes le lendemain, et que le président allait m’appeler. Le président m’a en effet appelé, et il m’a dit que j’allais à Athènes (rires). Bien sûr que tu veux y aller, tu ne peux pas dire non.

Pour revenir à la sélection, vous manquez de peu la qualification pour les barrages de l’Euro U21 avec un match perdu face à la Croatie (4-3) alors que vous meniez 3-2.

On avait l’Italie et la Croatie dans le groupe, en sachant qu’on était allé à l’Euro avec les U19, où la France avait gagné avec Kaboul, Cabaye, Gourcuff, Lloris ou encore Abdoun, qui a joué à l’Olympiakos. On avait joué l’Allemagne de Boateng et de Neuer. En Espoirs, la plupart des joueurs avec qui j’étais ont fait une carrière : Maniatis, Sokratis, Makos, Petropoulos et Mitroglou en attaque, Lazaros, Aravidis, Tzavellas, Marinos… Bien ou moins bien, équipe nationale ou pas, tout le monde a fait son chemin. Et j’en oublie certainement.

Antonis Petropoulos était d’ailleurs le titulaire devant, alors que Mitroglou était sur le banc. Comment ça se fait ?

En fait, Petropoulos avait deux ans de plus, et c’est lui qui jouait. Kostas, lui, il était jeune et venait d’arriver à l’Olympiakos. Il était très talentueux, et il était différent des autres. Comme Samir Nasri à Marseille. Tu les voyais, et tu sentais qu’ils avaient un truc en plus, que ce soit au niveau technique ou du talent. Lazaros, lui, avait beaucoup de cran. Je me rappelle que contre la Croatie, il jouait juste devant moi, et il a tiré du milieu de terrain. Il a failli marquer, son tir a fini sur la barre. Moi, j’étais le mec qui organisait le jeu, je fermais bien les espaces en n°6. C’est un peu le résumé de ma carrière : devant la défense, bon techniquement, et je courais pas mal pour ensuite organiser le jeu avec des changements d’aile ou des passes en profondeur. J’étais une sorte de 10 devant la défense avec les Espoirs. Et ça me plaisait !

Tu étais franco-grec, et Kostas Mitroglou, lui, avait grandi en Allemagne. Comment ça se passait avec les Grecs « du pays » ?

Franchement, c’était une famille. J’étais trop content quand j’allais en sélection. Là, je t’en parle et j’ai des frissons. Quand j’y allais, j’étais heureux 24h/24h. On était tous heureux, et les locaux nous ont fait comprendre qu’on était comme eux. Il n’y avait pas de souci avec ça. Ils étaient même plus chaleureux pour nous aider, parce qu’avec Kostas, on ne parlait pas bien le grec. On rigolait par rapport à notre manière de le parler. Et pendant l’hymne, c’était rigolo, parce que les autres ne chantaient pas pour nous laisser faire, et ils se moquaient (rires).

Concernant l’AEK, tu démarres fort dès ton arrivée, avec deux matchs européens face à l’Omonia, puis quelques autres en championnat face au PAOK ou au Panathinaïkos, avant de te blesser gravement…

L’été arrive, et ça se passe très bien. J’étais arrivé au niveau qu’il fallait pour être dans un grand club, et la préparation s’est très bien passée. Le coach, c’était Giorgios Donis. C’est un mec qui voulait jouer au foot. Et les joueurs autour… Il y avait Rivaldo, Basinas au milieu, Përparim Hetemaj qui a joué en Série A après, bref tu étais servi ! En attaque, il y avait Nacho Scocco : tu lui donnais la balle, tu fermais les yeux, et peut-être qu’il y avait but derrière. Sans oublier Manduca, ou Ismaël Blanco qui est ensuite devenu mon ami. Que des bons mecs, et des joueurs super forts.

Je fais donc le match contre le Pana, contre le PAOK, avant d’être sur le banc quelques matchs. Dans les clubs comme ça, quand tu fais un mauvais match, tu ne rejoues pas avant deux ou trois rencontres, parce qu’il y a des mecs derrière qui tournent. Je rejoue contre l’Asteras Tripoli début novembre, et j’étais rentré avec Rafik (Djebbour) à la mi-temps. Là, c’est le tournant de mon début de carrière, on va dire. Il n’y a pas de bon moment pour se blesser, mais là, ça ne l’était vraiment pas… Je me fais les croisés, mais ce que j’ai fait, c’est que j’ai continué à jouer pendant vingt minutes avec le genou en vrac. J’ai empiré la blessure, avec le cartilage, le ménisque. Après une simple blessure des croisés, à l’époque, tu mettais quatre à six mois pour bien revenir, mais moi, j’ai mis beaucoup plus de temps parce que j’avais des problèmes en plus.

Remarqué à Xanthi, Anthony Ricca a ensuite rejoint le prestigieux club de l’AEK © Intime

Tu n’as pas rejoué de la saison ?

Je n’ai pas rejoué pendant plus de huit mois. Je suis revenu une première fois au bout de six mois, après la première opération, mais ça me gênait encore, et le genou gonflait. Donc je me suis fait opérer à nouveau. J’avais signé cinq ans à l’AEK, et potentiellement, tu peux aller très haut. Mais je me rends compte qu’on n’a pas trop voulu me dire les choses. On me dit que ça allait être compliqué de retrouver mon niveau, et c’est vrai que durant la rééducation, le genou était gonflé. C’était dur. Mais ce sont les meilleures leçons de vie que j’ai eues. Je n’ai pas lâché, comme souvent. Et heureusement que j’ai signé cinq ans, parce que sinon, je n’aurais pas eu le temps de refaire une ou deux saisons à l’AEK. Je reviens sur la prépa de l’année d’après, mais je ne suis pas bien. Je ne suis pas prêt, en fait.

Sur la saison d’après (2009-2010), on ne trouve aucune trace de match officiel te concernant, seulement quelques matchs de préparation pendant l’été…

J’ai fait quelques matchs de préparation, oui, où on avait notamment affronté Majorque. Mais bon, l’été, tout le monde joue. Sauf qu’après, j’ai fait toute la saison en réserve. Là où j’aurais pu faire les choses différemment, c’est que l’année d’après, je pars en prêt, alors que j’aurais pu l’être dès janvier, pour aller jouer en D1 ou en D2. Mais au fond de moi, je pensais qu’on allait me redonner ma chance avec l’AEK. Sauf que je n’ai pas joué une minute. C’était bizarre : je ne savais pas où était mon niveau. En réserve, ça se passait bien, mais ça reste de la réserve. En Grèce, ce n’est pas comme le CFA, il n’y a que des jeunes. J’avais changé un peu mon style en raison de mon genou, et j’étais beaucoup plus sur la technique.

Le positif, c’est que je rejouais, parce qu’à des moments, on m’a presque dit de faire autre chose. Mon but, quand j’ai signé à l’AEK, était de faire une grande carrière. Après ma blessure, tu ne peux pas dire la même chose. Mon objectif, c’était plutôt de rejouer à un bon niveau, et redevenir un joueur de D1. La difficulté était la même, c’était même presque plus dur. Quand tu te lèves le matin et que le genou n’a pas envie, ce n’est pas facile… Tu ne penses plus trop au foot, mais à ta santé, car c’est ce qui te permet de jouer. Sur certains entraînements, je souffrais, mais j’étais là parce qu’il fallait y être.

Cette saison-là, à l’AEK, des petits jeunes pointaient leur nez, comme Manolas ou Tachtsidis, à peine majeurs à l’époque.

Kostas et Tachtsidis étaient avec moi en réserve au début de la saison, avant de jouer, petit à petit, avec l’équipe première. Moi, ce qui m’est resté, c’était que j’étais dans mon truc. Mon genou, ma santé, revenir au niveau. Après, ce sont des choses qui restent inoubliables que d’être dans les vestiaires avec ces mecs. Il y avait des joueurs comme Pliatsikas, avec qui je suis toujours en contact. D’un côté, tu es frustré, mais de l’autre, tu fais ton travail, tu n’as pas le choix.

Quand tu as la possibilité de partir à Volos en prêt à l’été 2010, cela t’a fait du bien de pouvoir changer d’air ?

À l’AEK, je savais que si le coach restait, il fallait que j’aille en prêt. Ça m’a fait du bien, parce que j’ai rejoué en D1. Je me disais qu’il y avait du travail à faire, mais que je pouvais revenir. Ce sont des années compliquées dans ma carrière. J’avais un bon physique avant ma blessure, et ça m’aidait beaucoup dans les matchs. J’avais du coffre, comme on dit en France. Et après la blessure, il fallait trouver la solution. Il faut dire la vérité : je n’étais plus le même joueur. Donc au niveau du mental et de l’ego, ce n’est pas simple à gérer. Tu te rends compte que parfois, tu es en galère ! Je me disais que c’était injuste, mais il ne faut pas penser ça, parce que dans la vie, tout peut arriver.

« Les supporters m’ont toujours montré de l’affection, car ils ont vu que je me donnais à fond. Ils me disaient de m’accrocher, et qu’ils étaient reconnaissants, même si je n’avais fait que cinq matchs à l’AEK »

Je suis allé à Volos, où j’ai fait quelques matchs titulaires, avant de moins jouer avant la trêve. Sur certains matchs, ça se passait bien, et sur d’autres, moins. J’attendais mieux de moi. Et avant Noël, le président Beos est intervenu : lui, quand il sentait qu’il fallait faire du changement, il changeait. Il a dit à mon agent que je devais partir, car j’avais un bon salaire, mais je ne faisais plus partie des titulaires. Le mec pense business : j’étais prêté, donc je n’allais pas rapporter d’argent. Je n’étais pas un investissement pour lui. Donc il a fallu résilier, et trouver un club. Pavlos, mon agent, m’a informé que l’AEK ne voulait pas que je rentre. Et il m’a trouvé Kerkyra, toujours en D1. Une bonne expérience, là-aussi, avec de bons mecs. Mais Stoltidis (NDLR : un ancien de l’Olympiakos) et Grammozis, qui a joué en Bundesliga, étaient là au milieu. Donc je n’ai pas joué parce que le directeur sportif a pris Grammozis juste après moi, et il était bien meilleur que moi à l’époque. Moi, je me cherchais encore. J’ai dû faire deux matchs, mais je me suis entraîné à fond, et j’ai laissé passer le truc. À un moment, on m’a donné ma chance car j’avais fait une très grosse semaine à l’entraînement, mais on perd 4-0 sur ce match.

À 22 ans, tu prends part à la Ligue Europa et tu joues avec Rivaldo, puis dans la même saison, tu te pètes les croisés et tu ne rejoues plus. L’année d’après, tu es en réserve, et celle d’encore après, tu vas dans des clubs de D1 de milieu de tableau, mais tu n’arrives pas à t’imposer. Il me restait deux ans de contrat à l’AEK, et là, tu te dis : OK, il y a la blessure, mais il y aussi quelque chose que je ne fais pas bien. La blessure, ce n’est pas une excuse. Il faut que je m’accroche, tout simplement ! J’avais 24-25 ans, et ma carrière était au point mort, même si j’avais la chance d’être encore sous contrat.

Lors de son passage à l’AEK, Anthony Ricca est passé par à peu près tous les états © Intime

L’AEK, de son côté, voulait casser ton contrat…

Il y avait un salaire conséquent, et je n’étais plus le joueur qu’ils avaient acheté. Maintenant que je suis dans le management, je comprends ça mille fois. Mais moi, je me disais que j’avais 25 ans, et que ma seule carte, c’était ces deux ans de contrat. Au bout de trois ans, dont un en prêt, tu t’imprègnes un peu de l’ambiance d’un grand club, avec les supporters. Et les supporters m’ont toujours montré de l’affection, car ils ont vu que je me donnais à fond. Ils me disaient de m’accrocher, et qu’ils étaient reconnaissants, même si je n’avais fait que cinq matchs à l’AEK.

J’avais envie de revenir dans ma carrière, mais j’avais aussi envie de rejouer avec l’AEK. J’y avais goûté, avec un derby face au Panathinaïkos dans un stade olympique plein… Tu as envie de vivre ça chaque week-end. Ils ne veulent plus de moi, soit. Mais il y a un contrat ! Donc si je me mets au niveau, peut-être qu’à un moment, ils me diront de prendre un maillot et de jouer. J’étais seul contre tous. À l’AEK, ils pouvaient t’envoyer en prêt n’importe où. Mon agent venait me dire qu’il avait plein de clubs, mais moi, je lui disais que je voulais rester. Il pensait que je n’allais pas jouer, moi je lui disais que si. À la fin, ça les a énervés.

Manolo Jimenez, l’entraîneur à cette période, ne comptait pas sur toi ?

Je m’étais entraîné en fin de saison avec lui. Mais c’était normal qu’il ne compte pas sur moi : je sortais d’une saison en réserve, et de 11 matchs en D1 l’année d’après, sans être transcendant. Pas au niveau d’un club comme l’AEK. Mais au fond de moi, je sais que j’ai les qualités pour y jouer. Je n’ai pas oublié mon football en trois ans non plus. Ce qu’il s’est passé, c’est qu’à l’été 2010, ils me donnent un papier au club me disant que je pouvais faire ce que je voulais. En gros, je devais faire des essais pour trouver un club. J’ai cherché : rien ! Un truc de malade. J’étais seul à Athènes, je m’entraînais seul. Et au bout d’un moment, tu pètes un câble. J’ai décidé d’aller sur mon île, à Symi, pour me ressourcer et oublier tout ça. C’est un tournant dans ma vie.

Sur cette île, tout le monde se connaît. Ils me demandaient ce que je faisais là, et pourquoi je n’étais pas en préparation comme tous les étés. J’allais pêcher avec mon oncle, et l’après-midi, je m’entraînais. J’ai bien profité de cette période. Et c’est là où j’ai rencontré la femme de ma vie. On se connaissait depuis qu’on était jeunes, mais on s’est revus, et on s’est mis ensemble. Maintenant, on a deux enfants, et on est mariés. Donc ça a été un mal pour un bien.

Comment as-tu regagné ta place à l’AEK ?

J’ai eu un seul essai, avec le club chypriote de l’Apollon Limassol en Bulgarie. Leur entraîneur, c’était Didier Ollé-Nicole. Ils me mettent dans une chambre d’hôtel avec un autre joueur grec, en me disant qu’ils allaient me prévenir si je m’entraînais ou non. Et le lendemain, ils me disent que non, car l’un des actionnaires est proche de l’AEK et il n’allait pas me prendre. Donc j’y suis allé, j’ai dormi, et je suis reparti. Je suis rentré à Athènes, et on me mettait une pression pour partir en prêt. Mais je ne voulais pas, tout en sachant que si je ne jouais pas cette saison, ce n’était même pas un prêt en D1 que j’allais avoir l’année suivante, mais en D2, et encore… Ils m’ont envoyé en réserve jusqu’en octobre.

Et un soir, le coach Jimenez s’en va. Je ne sais même pas s’il savait que j’étais en réserve, c’était plutôt un choix de la direction. Puis l’intendant du club m’appelle, pour me dire que le lendemain, il fallait que je sois à l’entraînement, parce que le nouvel entraîneur, Kostenoglou, me connaissait de Xanthi. Et il a demandé à tous les joueurs sous contrat pro d’être à l’entraînement. Moi, j’étais bien physiquement, et je me suis remis dans le truc naturellement. J’avais faim, et certains joueurs me disaient que j’allais jouer. Ce qui est arrivé : j’ai fait mes premiers bancs, et trois ans après, presque jour pour jour, je refais le même match que celui où je me suis blessé gravement, face à l’Asteras Tripolis, en entrant à la pause.

À force de travail et de patience, Ricca a fini par porter le brassard à l’AEK © Intime

Au niveau du club, tu sentais que ça devenait de plus en plus compliqué financièrement ? Beaucoup de joueurs étaient partis à l’été, même si Gudjonhsen était là…

Gudjonhsen, il est venu et s’est blessé au tibia contre l’Olympiakos, je crois, donc il n’a joué que quelques matchs. Ça commençait à être dur, car il y avait des retards de salaire. Mais moi, j’étais sur autre chose, je n’y faisais pas attention. Dieu merci, avec le contrat que j’avais signé à l’AEK, ça allait financièrement, donc j’étais plus obnubilé par le fait de rejouer à plus haut niveau.

C’est plutôt sur la saison d’après, en 2012-2013, que ça a commencé à basculer…

Là, c’était la fin (rires). On commence la saison en étant interdit de participer aux compétitions européennes, mais aussi interdit de recrutement. Donc on avait plein de jeunes, tout en ayant fini deuxièmes lors des play-offs l’année précédente. Moi, j’avais bouclé l’exercice précédent en ayant fait 13 matchs, alors que j’étais sur mon île l’été d’avant. C’est un petit miracle.

Tu as porté le brassard cette saison-là. Un moment fort, j’imagine, après tout ce que tu as vécu…

C’est ça. Les choses ont fait que j’étais dans les plus anciens avec la situation économique du club. Mais bien sûr, c’était un honneur. Je n’ai jamais été un gueulard, mais quelqu’un de sérieux, sur qui on peut compter. J’ai rempli mon rôle, et c’était l’année la plus compliquée pour être capitaine de l’AEK ! C’est l’une des expériences les plus compliquées de ma vie, mais aussi l’une des plus bénéfiques. Dans un club aussi important, qui va tout droit vers la faillite et la descente, tu avais des réunions toute la journée en tant que capitaine, puis après, il y avait l’entraînement.

Arrive alors ce match contre Panthrakikos. Quels souvenirs gardes-tu de cette rencontre qui a changé beaucoup de choses ?

(Il réfléchit). Pour placer le contexte, il faut savoir que si on gagne ce match, on est sauvés. On joue contre Panthrakikos à domicile, dans un stade olympique plein. C’est une grosse ambiance, et on se dit que ce match-là, on ne peut pas le louper, car Panthrakikos ne jouait plus rien. Ce qui est dommage, c’est qu’une partie des fans est rentrée sur la pelouse. Après, je ne pense pas que le club, financièrement, se serait sauvé, même si on avait obtenu notre maintien sur le terrain. Il y avait beaucoup de dettes. Mais c’est dommage d’en être arrivé là. C’est une expérience difficile, car on a dû courir dans les vestiaires pour éviter que les supporters, qui nous coursaient, nous frappent. En plus, ma femme était dans les tribunes, enceinte de notre premier enfant. Et, malheureusement, c’est le seul match de toute ma carrière professionnelle que mon père est venu voir.

Le CSC de Mavros Bougaidis en fin de match qui provoque l’invasion de la pelouse.

Comment as-tu réagi quand tu as vu les premiers supporters entrer sur la pelouse ?

C’est l’instinct de survie. Maintenant, avec des ex-coéquipiers, on en rigole. Sur le terrain, je n’étais pas quelqu’un de très rapide, mais là, je n’ai jamais couru aussi vite (rires). Il y avait Roger Guerreiro avec moi au milieu, et on s’entendait bien. On était dans les plus lents, mais techniquement et dans la tête, on était les plus rapides.

Parmi les jeunes, dans votre équipe, il y avait Taxiarchis Fountas, qui n’était même pas majeur. C’était un phénomène à cette époque ?

Fountas, c’est un mec avec qui je me suis bien entendu, et il vivait même chez moi à un moment, parce que je l’avais un peu pris sous mon aile. Je n’aime pas ce truc qu’on fait parfois en France, par exemple avec la génération 87, en parlant de prodige, de phénomène. C’est le pire truc que tu peux faire sur un jeune, et c’est leur mettre trop de pression sur les épaules. C’était un très bon jeune, et il était prêt pour jouer en D1. Mais il y avait des aspects qui permettaient de voir qu’il était jeune, encore. Pour moi, les phénomènes de l’AEK, ce sont des mecs comme Scocco, Blanco, qui claquaient 25 buts par an. Ces deux-là ont marqué l’histoire du club.

Il y a eu un autre moment marquant cette saison-là : ce match contre Veria, où Giorgios Katidis marque avant de faire sa célébration avec un salut nazi. Comment as-tu vécu ce moment bizarre ?

Au début, on n’a pas compris. En fait, nous les joueurs, nous ne l’avons pas vu. On est allé célébrer avec lui, et à la fin du match, les supporters sont rentrés dans le vestiaire. Ils commençaient à être chauds, et nous, on ne comprenait pas. Petit à petit, on a compris. Mais Katidis, on le protégeait, parce que les supporters voulaient l’attraper. Il a fait le signe nazi, et l’AEK, c’est un club créé par des immigrés grecs partis de la Turquie et de Constantinople. Donc faire ce signe, c’est hard. En 2013, on ne peut pas cautionner ça, et encore plus à l’AEK.

À l’issue de cette célébration, Giorgios Katidis sera suspendu à vie de la sélection grecque.

Le joueur a dit qu’il s’agissait d’un geste dont il ne connaissait pas la signification. Plausible selon toi ?

Honnêtement, on n’a jamais eu la réponse. C’était un très bon mec, mais à cette époque, en Grèce, le parti Aube Dorée était en train de monter à cause de la crise. Beaucoup de vidéos circulaient, avec des trucs motivants, inspirants. Katidis a quitté l’école très jeune, et il était très intelligent, mais pas du tout cultivé. Je pense vraiment qu’il n’a pas saisi la portée de ses actes. Et il le disait : il avait vu une vidéo de ce parti où des mecs se levaient pour faire ce geste. Il pensait que la tribune allait kiffer. Comme quoi, dans la vie, il faut être cultivé. Ça peut aider ! Le mec ne savait pas ce qu’était le nazisme.

Vous découvrirez la suite et fin de cet entretien fleuve samedi prochain !

Propos recueillis par Martial Debeaux.

Image à la Une : © Intime

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