Né à Marseille dans une famille grecque, Anthony Ricca (ou Αντώνης Ρίκκα, en version hellénique) a fait ses armes dans sa ville de toujours, Marseille, en allant jusqu’à l’équipe réserve de l’OM. Mais son destin footballistique, lui, s’est écrit en Grèce, sur la terre de ses ancêtres. Dans la première partie de cet entretien, il évoque sa formation, la sélection grecque et le grand saut à Xanthi, en D1.
Tu es né à Marseille, dans une famille d’origine grecque. Quelle est ton histoire familiale ?
Ma mère est née en Grèce. Concernant mon père, sa mère est grecque, elle est issue de l’immigration consécutive à la Seconde Guerre mondiale. Son père, lui, est Italien, et c’est de là que vient le nom Ricca. Ils étaient sur Marseille depuis longtemps. Ma famille, c’est la Méditerranée ! D’ailleurs, à Marseille, il y a pas mal d’anciens Grecs, avec une vraie communauté.
Quel était ton rapport avec le football grec en grandissant ? Avais-tu un club favori, ou alors c’était encore lointain pour toi ?
C’était très loin ! Moi, il n’y avait que l’OM dans ma tête. Mais j’allais en Grèce tous les étés pour voir ma famille, et il y avait toujours quelqu’un pour me parler de l’AEK, de l’Olympiakos, du Panathinaïkos. Donc j’ai toujours eu plusieurs influences, et je n’ai jamais été fan d’une équipe en particulier quand j’étais plus jeune. Moi, j’étais Marseillais ! Je venais l’été, je jouais avec mes potes, et je rentrais à Marseille. Pour aller plus loin, je te dirais que je sous-estimais le football grec. Comme c’est un peu le cas maintenant en France.
Comment as-tu débarqué à l’OM ?
Je suis quelqu’un qui insiste beaucoup. C’est ma qualité première : je ne lâche pas l’affaire. De cinq à dix ans, j’étais au SMUC, un club de Marseille. Et arrivé à dix ans, je me souviens avoir lu, dans La Provence, qu’il y avait des annonces disant que l’OM organisait des essais au stade Huveaune. Mes parents travaillaient, et j’habitais dans les quartiers Nord de Marseille, avec tous les immigrés. Je vivais aux Carmes, en face du Panier, de la Joliette. Je suis allé faire ces tests à l’OM, parce que quand on jouait contre eux, avec le SMUC, on perdait 10-0, et moi, je pleurais après les matchs. Ça me rendait fou, je pétais un câble. J’étais libéro et capitaine. Il y avait une bonne organisation au SMUC, et les parents étaient plutôt de la classe moyenne, voire aisée. Donc quand on allait jouer dans les quartiers Nord, certains ne venaient pas, par peur.
Ma grand-mère, qui est décédée depuis, m’amenait tous les mercredis pour que je puisse participer à ces essais. Il y avait un stabilisé un peu usé, et c’est là où s’entraînaient les jeunes de l’OM. Tout le monde voulait jouer en jeunes à l’OM ! Le premier jour des essais, je me demandais comment ils allaient pouvoir me voir, parce qu’il y avait trop de monde. Mais au fond de toi, il y a un rêve de gosse. Un truc qui me poussait. Je débarque là-bas en étant libéro au SMUC, où je ne fais que dégager la balle. Chaque mercredi, ils ne gardaient que la moitié des joueurs.
Finalement, tu arrives jusqu’au centre de formation de l’OM…
Pendant deux mois, tous les mercredis, on était sélectionnés, pour qu’il ne reste plus qu’une équipe de onze au final. Et après, on a fait un match face à l’équipe de notre âge à l’OM. Si je ne dis pas de bêtise, je fais ce match et on me dit que je suis gardé. J’étais content, mais je ne réalisais pas trop, car j’étais jeune. Je me suis pris au jeu, en me disant que je n’étais pas si mauvais que ça. Et la saison commence en benjamins, en Pré-Excellence. Après l’été, je suis redescendu en Honneur. Mon père m’a demandé si je voulais retourner au SMUC, mais je suis resté à l’OM, en Honneur, car je savais que c’était mon opportunité. Mon caractère, c’est ça : on me dit non, mais j’insiste. Je suis resté dans ce qui était l’équipe 3 à l’époque. Ça s’est bien passé, et l’année d’après, je suis pris avec l’équipe Excellence. L’entraîneur, c’était José Anigo.
Il y avait quels joueurs avec toi à cette époque ?
Je me rappelle très bien qu’il y avait Julien Mendy, un jeune qui est décédé des suites d’une bagarre à Marseille. Il y avait également Thomas Deruda, qui est un de mes amis et qui a joué en pro ensuite. Mais il y a aussi plein de joueurs ne sont pas allés loin. En benjamins, c’était tôt encore, c’est plutôt en U13 que ça a commencé. Il y avait aussi Amine Dennoun, qui était très talentueux à l’époque. On a gagné le championnat, ce qui arrivait souvent à l’OM. Le recruteur, c’était Freddy Assolen, et il prenait les meilleurs dans la région. On avait de belles équipes !
Ton parcours t’a mené jusqu’à la réserve, en CFA…
J’ai fait toute ma formation à l’OM. Les années passaient, et vu que je bossais beaucoup, je me retrouvais parmi les meilleurs de l’équipe. Ou plutôt, parmi les plus constants. Je n’étais pas Samir Nasri, mais je faisais mes matchs, en étant sérieux, avec une bonne technique. Je suis arrivé jusqu’en réserve.
Là, en réserve, tu étais avec de bons joueurs, non ?
Avant ça, j’ai croisé Raïs M’Bolhi, qui était gardien. J’ai joué avec Mathieu Flamini quand j’étais surclassé. On parle d’eux parce qu’ils ont fait une carrière, mais d’autres étaient très forts. Un mec comme Rémi Ribault par exemple. Lui, il a été pro à l’OM avant d’aller en Belgique et d’avoir des problèmes de dos. C’était vraiment le meilleur au centre de formation, et il était capitaine de sa génération. Samir Nasri était là, bien sûr, et aussi Mehdi Benatia qui est arrivé en U17. Terry Racon a aussi évolué en Ligue 2 et en Championship. Christophe Copel a aussi joué en pro en Belgique, et c’est mon associé maintenant.
Tu étais aussi avec Léo Matos, le latéral droit du PAOK ?
J’ai joué en réserve avec lui, oui. Il avait signé pro, et il venait jouer avec nous. Je me rappelle bien de lui, c’était un bon mec, et il avait du talent. Tout est une question d’adoption. Après Marseille, il est rentré au Brésil.
Concernant la Grèce, tu es appelé en sélection U19 à ce moment-là, à peu près. Comment cela s’est-il concrétisé ?
En U13, il y a eu la Predator Cup, et j’avais été sélectionné parmi les 64 meilleurs jeunes en France. J’étais avec William Francone, qui était avec moi à Marseille. J’avais fait aussi des apparitions avec l’équipe de la Ligue de Méditerranée, avec quelques clients : Hugo Lloris, ou encore Rok Elsner (frère de Luka, l’entraîneur d’Amiens, NDLR), qui a joué en Slovénie ensuite. J’avais aussi rencontré Younes Kaboul, un bon gars ! Et j’en oublie… Jusqu’à 17 ans, j’étais dans le cursus normal de l’équipe de France, sans jamais y aller. Comme un bon jeune d’un centre de formation. Mais ces équipes de jeunes ne veulent pas toujours dire grand-chose. Flamini n’y est jamais allé, pourtant il a fini en A et dans des grands clubs.
J’avais la double nationalité et, à 17 ans, j’ai vu qu’il y avait l’équipe de France de ma génération qui jouait contre la Grèce. La France, à ce moment, ne m’appelait pas. Chaque week-end, on jouait contre les gars qui étaient dans cette sélection, et je pensais que j’avais le niveau. Donc je me suis dit que j’allais essayer d’aller en Grèce. À l’époque, quand tu étais jeune, que tu étais sélectionné pour un championnat d’Europe, par exemple, ça t’aidait à passer professionnel. Mon oncle était à Athènes, et il n’y avait encore pas trop d’agents. Il est allé parler à la fédération, pour dire que son neveu était à Marseille. Pour la Grèce, l’OM est un club important. Aujourd’hui, la fédération travaille mieux. Ils connaissent presque tous les bi-nationaux, que ce soit en Allemagne ou ailleurs, car il y en a de plus en plus. Ils suivent les joueurs. Mais à l’époque, ils ne savaient pas que j’existais. Et c’est comme ça qu’ils m’ont appelé !
Le 27 mai 2005, ça te rappelle quelque chose ?
Ma première sélection officielle, non ? Mais la vraie première était en avril 2004, face aux Pays-Bas, en Grèce. Ils m’ont appelé pour me voir, surtout. L’entraîneur, c’était Georgios Kostikos, un ancien du PAOK. Ça s’est très bien passé, il y avait de l’enthousiasme, j’étais content d’être appelé, content d’être à Athènes. En parallèle, à l’OM, je commençais à jouer latéral, et en Grèce, ils m’ont mis central ou latéral aux entraînements, et ça se passait très bien, donc ils se sont dit que je pouvais jouer au milieu. J’adorais ce poste, mais je n’y jouais pas à Marseille. Dans ce match, je suis rentré latéral, avant de basculer au milieu, et ça s’est bien passé. Après, ils m’ont rappelé, et j’ai fait toutes les sélections jusqu’en Espoirs, sans en louper une seule.
Le fait d’être en sélection t’a permis, ensuite, de quitter la réserve de l’OM pour Xanthi...
C’est ça ! Au fur et à mesure des sélections, je me suis dit que j’avais une opportunité de devenir professionnel en Grèce. Avec le recul, je me dis que c’était plutôt dans ma tête, parce qu’à Marseille, ce n’était pas impossible non plus. Dans mon esprit, c’était : autant aller en Grèce et jouer tout de suite en D1, pour essayer de commencer ma carrière. J’avais conscience que je n’étais pas forcément un joueur qui était prêt et qui allait rentrer direct au Vélodrome, il faut être conscient de ce qu’on est. En Grèce, avec un championnat intermédiaire, je pouvais commencer mon parcours et avoir un suivi avec l’équipe nationale qui, si tu fais bien les choses, peut te mener très haut. Mon plan, c’était ça. À un moment, à Marseille, j’ai eu des opportunités, car il y avait des relations avec Charleroi ou Créteil, avec pas mal de prêts de joueurs. Fabien Camus l’avait fait, par exemple. Moi, ça ne m’intéressait pas. Je voulais aller en Grèce, car je m’étais fait mes potes, et je voyais que certains évoluaient déjà en D1 en Grèce, alors que j’étais en réserve.
Pourquoi ce choix de Xanthi ?
Le PAOK, par l’intermédiaire du coach Kostikos, était intéressé. Et j’étais proche de rejoindre l’OFI Crète, parce que l’entraîneur d’après, Nikos Noplias, avec qui ça se passait bien, leur avait parlé de moi. À l’arrivée, je me suis retrouvé à Xanthi, grâce à Noplias, toujours. L’entraîneur cherchait des jeunes talentueux, et l’adjoint, à l’époque, était Marinos Ouzounidis. Je crois que c’était lui qui m’avait appelé, car il parlait français vu qu’il avait joué au Havre. On était à la fin du mois de janvier 2006, j’allais avoir 20 ans et j’étais en réserve. À 17 ans, je m’entraînais avec les pros, mais ensuite, plus du tout. Je me disais qu’il fallait saisir ma chance, vu qu’il ne me restait que six mois de contrat. On ne montrait pas grand-chose, donc je suis parti !
Xanthi, à cette époque, était sponsorisé par Skoda. Comment c’était lorsque tu es arrivé ?
L’actionnaire majoritaire, M. Panopoulos, avait la concession Skoda en Grèce. D’où le nom Skoda Xanthi. On avait des voitures de la marque. Xanthi, c’est une petite ville au Nord de la Grèce, et je n’y étais jamais trop allé. En revanche, ils avaient des installations exceptionnelles, avec plein de terrains et des hôtels. Le stade est construit à côté, ça donne un lieu de vie où il y a tout. C’est impressionnant. Au moment où j’y jouais, ils ont aussi construit un autre centre d’entraînement à côté du stade, avec deux terrains, des vestiaires, des bureaux, un sauna, pour que les équipes professionnelles soient en dehors des sept terrains où il y avait l’académie. Pour un tel club, c’est-à-dire le milieu de tableau en Grèce, c’est exceptionnel. Il y avait vraiment tout ce qu’il fallait pour qu’un jeune avec la tête sur les épaules réussisse à se développer. Il me restait six mois de contrat à l’OM. Le président était Pape Diouf, avec José Anigo et Julien Fournier autour. Ils m’ont laissé libre, avec un pourcentage à la revente pour récupérer quelque chose si jamais je faisais un truc. À Xanthi, j’ai signé cinq ans.
Tu débarques et joues presque de suite, en débutant face à Levadiakos en février…
À l’époque, il me fallait un agent, car je ne pouvais pas y aller seul à 19 ans comme ça. C’est Pavlos Topidis qui m’a aidé, et il a fait, ensuite, pas mal de transferts de Français en Grèce. Il était venu me voir à Marseille, après m’avoir vu en sélection, et le courant était passé. Concernant mes débuts, tu as oublié un match encore plus important : un quart de finale de Coupe face à l’Olympiakos. Je jouais latéral droit en CFA2, et ça se passait bien. Dix jours après, j’étais en quart de coupe, et j’ai joué contre Rivaldo, Babangida, Nikopolidis, Djordjevic, Yaya Touré sur le banc. J’avais fait un bon match, en plus. J’ai eu le bon instinct.
Avec toi, à Xanthi, il y avait un certain Vasilis Torosidis, qui était alors tout jeune…
Il était déjà titulaire, parce qu’il avait un an de plus que moi. Il faisait toujours ses matchs, et déjà dans les joueurs importants de l’équipe, vu qu’il était mature. Un vrai bon mec. Après, il a fait la carrière qu’il a faite, et déjà à l’époque, il faisait bien ce qu’il fallait, sans être toujours exceptionnel. Très constant dans ses performances.
Comment s’est passée la demi-saison suivant ton arrivée ?
J’ai dû faire quatre matchs, et un autre en Coupe. Le truc, c’est que je n’étais pas assez constant. Je pense que j’étais prêt à faire quelques matchs et aider l’équipe, mais en fait, dans ma tête, c’était différent. Je n’ai pas réussi à être régulier. Et c’est pour ça que je n’ai pas été titulaire sur ces six mois. Mais pour des débuts, c’était bien.
À l’été 2006, tu es prêté à Niki Volos (D2). Tu étais en quête de temps de jeu ?
J’ai fait toute la préparation, et ça se voyait que je n’étais pas dans les titulaires. La prépa était assez dure, et à la fin du mois d’août, on m’a dit d’aller en prêt. Quand tu viens de la France, tu te demandes un peu comment ça va être en deuxième division grecque. C’est vrai que c’était compliqué, mais ce fut une de mes meilleures expériences. C’est un club historique, avec des supporters et dans une ville magnifique, et j’y ai rencontré de super personnes. Mais niveau organisation et paiement, c’était compliqué.
Collectivement, vous finissez dernier, mais tu prends part à quasiment toutes les rencontres…
C’est ça : on est relégués, et je fais tous les matchs. Vu que j’étais numéro 6, que l’on gagne ou que l’on perde, j’étais plutôt régulier. Et je continuais à être en équipe nationale.
Lors de ton retour à Xanthi, l’entraîneur belge Emilio Ferrera t’a redonné ta chance ?
Quand je reviens, je ne sais pas trop ce qu’ils veulent faire de moi. Il me restait quatre ans de contrat, et je reviens d’une saison en D2, donc je devais faire mes preuves lors de la préparation. C’est bien, parce que ça te permet d’être exigeant avec toi-même, parce que tu sais que tu es en préparation, et qu’à tout moment, on peut te demander de repartir. Beaucoup de joueurs ont vécu ça, y compris de très bons joueurs. Donc j’ai tout donné pendant cette période.
Ça a plutôt payé, parce que tu réalises une saison quasiment pleine, avec notamment deux victoires face au PAOK…
Emilio Ferrera, c’était vraiment un bon entraîneur, et j’ai bien aimé sa manière de faire. En plus, il parlait français. Je me souviens d’une réunion où il m’avait demandé quels étaient mes objectifs. J’avais répondu, avec le plus d’humilité possible, que c’était de gagner ma place. Il m’avait dit que j’étais en bonne voie, et je ne m’attendais pas à être titulaire de suite en début de saison. Il faut tomber sur des entraîneurs qui n’ont pas peur. Maintenant que je suis de l’autre côté, je me rends compte que les entraîneurs voient des jeunes talentueux, mais ils ne les mettent pas titulaires. Ils optent pour le joueur expérimenté. Ils se dédouanent un peu. Ferrera, lui, laissait des expérimentés sur le banc. Après, bien sûr, je faisais le taff’. En attaque, on avait Tomasz Radzinski, qui était passé par Anderlecht et Everton. Il a claqué 14 buts, donc ça aide, et on faisait le travail derrière. Même si je pense que j’aurais pu faire mieux, car on peut toujours mieux faire, pour ma première saison pleine en D1, c’était plutôt bien.
En sachant en plus que vous terminez la saison par cinq défaites, alors que vous étiez plutôt bien classés. Comment tu l’expliques ?
C’est en raison de nos objectifs. Le club n’avait pas spécialement l’idée d’être à fond sur l’Europe. Le but, à l’époque, c’était d’avoir une bonne équipe et de vendre. Ils prenaient beaucoup de joueurs libres, ils formaient, et ils venaient de vendre Torosidis l’année d’avant. C’était la politique du club, et on était déjà en avance sur nos objectifs au mois de mars. Donc sur les cinq derniers matchs, ils ont fait jouer beaucoup de jeunes, y compris certains de la réserve. Moi, je continuais à jouer parce qu’ils voulaient me transférer.
Vous découvrirez la suite de cet entretien fleuve samedi prochain !
Propos recueillis par Martial Debeaux.
Image à la Une : © Intime