Alina Steţenco a déjà une carrière bien remplie dans le monde du football féminin, en Moldavie, mais elle en a encore sous la semelle. Steţenco est récemment revenue dans son club de coeur, le FC Noroc Nimoreni, où elle a déjà gagné le championnat et la coupe à de multiples reprises, après plusieurs années en tant que sélectionneur. D’abord avec les U17 et les U19, avant de coacher l’équipe nationale senior depuis sa reformation en 2015, et ce jusqu’à l’année dernière, avec quelques beaux succès à la clé. Nous sommes revenus avec elle sur ces expériences et sur la situation actuelle du football féminin en Moldavie.
Avant toute chose, pourriez-vous vous présenter ? Que faites-vous aujourd’hui et quel est votre parcours dans le monde du football ?
Aujourd’hui je suis coordinatrice du football féminin, région Centre, au sein de la Fédération moldave de football. En outre, je suis aussi coach principale d’un club de football de première division, le FC Noroc Nimoreni.
Avez-vous également joué au football auparavant ?
Oui, j’ai joué dans une équipe de Telenești, qui s’appelait Moldova-Mandrești. Ensuite, au FC Noroc où en 2008, je jouais tout en étant l’entraîneur de l’équipe. Quand on a participé à la Ligue des Champions en 2010 avec le club j’occupais toujours ce poste. Il n’y avait pas de coach à proprement parler sur le banc, ce qui était surprenant pour les autres équipes.
Par la suite, en 2013, on m’a proposé d’être sélectionneur de l’équipe nationale U17, alors que j’étais jusque-là entraîneur-adjointe de cette catégorie. En 2014, j’ai pris en main les U19 et en 2015, je suis devenue sélectionneur de l’équipe nationale senior.
J’ai quitté mon poste d’entraîneur du FC Noroc lorsque j’ai pris les rênes des U19, en 2014, parce qu’il y avait un conflit d’intérêt. Pour entraîner l’équipe nationale, il faut se libérer de son club, pour que ça soit correct. Et jusqu’en 2018, j’étais à la fois à la tête de l’équipe nationale et de celle des U19.
Pouvez-vous nous raconter la campagne de qualifications pour la Coupe du Monde 2019 ?
Oui, c’était en Lituanie et c’était très intéressant (NDLR : lors du tour préliminaire, préalable à la phase de groupes). Nous étions dans un groupe avec Israël, la Lituanie et Andorre. Nous nous sommes qualifiées en tant que meilleur deuxième, sans avoir encaissé de buts, notre meilleur résultat. La victoire contre Andorre 4-0 était un très bon résultat, ensuite nous avons battu la Lituanie 2-0 dans les arrêts de jeu, et on a fait 0-0 contre Israël.
Ensuite, nous sommes tombés dans le groupe de la mort, avec la Belgique, le Portugal, l’Italie et la Roumanie. Quand on a vu le tirage au sort… Déjà lors des qualifications pour l’Euro 2017, notre groupe était pas mal, avec le Danemark, la Suède, la Pologne et la Slovaquie. Donc on s’est dit, après avoir rencontré la Suède et le Danemark : Allez, va pour ce groupe-là. Mais c’était un groupe très compliqué, parce que chaque équipe souhaitait nous passer dessus, elles se disaient : La Moldavie, c’est trois points. Pour nous, c’était très difficile d’affronter une équipe qui pensait déjà avoir les trois points.
Mais contre la Roumanie, on a fait 0-0, on a démontré que ce n’était pas si facile de jouer contre la Moldavie, que cela ne voulait pas dire automatiquement trois points pour l’adversaire.
Quelles sont les leçons que les joueuses, ainsi que vous-même, ont tiré de cette campagne qualificative pour la Coupe du Monde ?
Selon moi, il faudrait faire plus de stages ou plus de rassemblements. L’équipe nationale se doit d’avoir au moins une activité chaque mois. Se réunir deux ou trois fois par an, pour moi, c’est compliqué si on veut accrocher une qualification. Il faut des tournées, des matchs amicaux. Si tu joues contre la Belgique, il faut t’y préparer. Tu ne peux pas faire un amical contre les U19, ici en Moldavie, puis aller en Belgique pour perdre 12-0.
Par ailleurs nous avons besoin de plus de confiance. En Belgique, on s’est écroulé à l’heure de jeu. Je crois qu’ici, il n’y a pas seulement eu une fatigue physique, mais surtout mentale. A un moment, tu ne veux plus. A la mi-temps, on en avait déjà pris cinq. Même avec les changements c’était compliqué, parce que celles qui entraient étaient au bord du terrain pendant le match. Mais je crois que chaque entraîneur a, dans sa carrière, un match comme celui-ci où il peut se remémorer, les yeux fermés, chaque action de la première à la dernière minute.
Se réunir deux ou trois fois par an, pour moi, c’est compliqué si on veut accrocher une qualification. Il faut des tournées, des matchs amicaux. Si tu joues contre la Belgique, il faut t’y préparer. Tu ne peux pas faire un amical contre les U19, ici en Moldavie, puis aller en Belgique pour perdre 12-0.
Quelles sont vos attentes et celles de la Fédération, concernant les qualifications pour l’Euro ?
Ce n’est que mon avis, mais je pensais déjà à la qualification quand on devait affronter la Belgique. Après coup, je me dis que j’étais naïve. Là-bas tu dois d’abord penser à placer le bus devant le but. Contre la Belgique, on a essayé de faire des passes, d’avoir la possession. Je pense qu’elles nous ont attendues en nous laissant la balle pour prendre un but par derrière.
En tant que supportrice, je souhaite cette qualification, nous la méritons. Surtout, les joueuses le veulent, elles sont sincères. Je communique encore avec elles et j’essaie de leur dire, de manière informelle, que chaque minute jouée en équipe nationale est importante. Qu’importe le sélectionneur, aujourd’hui c’est M. Blănuţă, demain ça peut être Mourinho. Mais une fois que tu viens et que tu acceptes de jouer pour l’équipe nationale, tu dois assumer certaines responsabilités. Dès que tu reçois la convocation, soit tu te dis que tu mérites d’être là, soit que tu y vas parce que c’est l’équipe du pays. Je crois que celles qui y sont le méritent.
D’ailleurs, pouvez-vous nous expliquer pourquoi il y a eu une pause de dix ans sans équipe nationale féminine en Moldavie, et comment s’est déroulé la réactivation de celle-ci en 2014-2015 ?
Je ne sais pas quelle est la cause, peut-être le modèle de préparation des joueuses, ou plutôt le manque d’intérêt pour le football féminin. En 2014, nous sommes revenues de Suède, où on a joué le tour préliminaire de l’Euro U19 en ratant la qualification pour le Tour élite pour un seul but marqué, vous vous rendez compte ? (NDLR : l’Irlande et la Moldavie ont terminé deuxièmes avec le même nombre de points, le goal-average irlandais était meilleur avec -1, contre -2 pour la Moldavie)
En revenant à la maison, on a mené quelques discussions avec le responsable des sélections nationales, M. Testemiţanu, et celui du département technique, M. Scurtu, et ils m’ont demandé : « Alina, avec cette équipe-là, on pourrait créer une équipe nationale ?«
Parce qu’une fois fêtés leurs 19 ans, les joueuses ne faisaient plus rien. Beaucoup d’entre elles abandonnaient le football. Car tu n’avais plus d’équipe nationale, après 19 ans. Tu joues pour ton club, et c’est tout ? Elles n’avaient plus la même motivation qu’elles peuvent avoir maintenant. Puisque j’étais déjà entraîneure des U19, avec cette équipe à disposition et avec une expérience de trois ans en comptant mon passage chez les U17, on s’est dit qu’on allait essayer de faire une équipe nationale et on m’a proposé d’être à sa tête.
Le principal objectif était alors la formation de l’équipe, d’un collectif, on ne parlait pas de qualification. On est alors entré dans une spirale positive, et on a pris conscience de nos qualités, comme à Vilnius, où on voulait se qualifier pour la Coupe du Monde. En premier lieu, si tu passes le tour préliminaire, tu as des stages, des matchs, tu dois t’y préparer et tu as donc des rassemblements. Si on ne se qualifie pas, il n’y a rien. Et je dirais que cette crainte nous a poussées à avoir ces résultats positifs qui étaient, je crois, inattendus.
Une fois fêtés leurs 19 ans, les joueuses ne faisaient plus rien. Beaucoup d’entre elles abandonnaient le football. Car tu n’avais plus d’équipe nationale, après 19 ans. Tu joues pour ton club, et c’est tout ? Elles n’avaient plus la même motivation qu’elles peuvent avoir maintenant.
D’après votre expérience avec les U17, les U19 puis les seniors, comment qualifieriez-vous l’évolution des joueuses et de leur niveau de jeu ?
Je crois qu’il y a encore beaucoup de travail, tout d’abord au niveau de la planification. Il faut planifier, car tu ne peux pas gagner contre, disons, la Lettonie, puis perdre contre la même équipe un an plus tard. Je dirais qu’il faut travailler sur ce point-là, avec un objectif clair après huit ans. Par exemple atteindre une demi-finale, afin de pouvoir lutter et prendre des points contre la Roumanie, la Slovaquie, la Pologne, pourquoi pas l’Ukraine, la Hongrie, etc. Nous avons besoin d’une stratégie sur le long terme. En tant qu’entraîneur, tu ne peux pas te dire en 2020 que tu dois te qualifier en 2021.
A côté de ça, nous avons besoin d’un cadre plus professionnel. Tu peux jouer contre des joueuses pro seulement si tu es toi-même pro. Tu peux bien jouer contre elle seulement si tu te sens bien. Mais si tu restes à un niveau amateur tu y restes. Ici, il y a beaucoup de travail à faire.
A l’heure actuelle, une nouvelle stratégie est-elle en cours de développement ?
Tout à fait, c’est d’ailleurs la FIFA ou l’UEFA qui demande que chaque Fédération dispose d’une véritable stratégie de développement pour le football féminin, et non plus de quelques pages qui demeurent sur l’étagère et prennent la poussière. Une stratégie à laquelle tu peux te référer jour après jour et qui sera vraiment utilisée.
De manière plus générale, quelle est la situation actuelle pour le football féminin et quelle est son évolution ?
Je crois qu’en 2019, au niveau des juniors et des filles, nous sommes bien en place, on peut se comparer à ce qui se fait en Roumanie ou en Ukraine. Au niveau senior, nous avons un problème, qui apparaît selon moi dans les pays peu développés – du point de vue de l’Etat en lui-même. Problème financier, de niveau de vie, etc. Parce que nous avons une part très importante des joueuses qui émigrent à 18 ans. Elles quittent le pays, elles vont en Roumanie, à Chypre, en Ukraine, en Russie… des pays où en quelque sorte tu peux signer un contrat et jouer au niveau amateur ou semi-amateur.
Chez nous, c’est encore amateur. A 100%. Il y a peu de clubs en première division où les joueuses reçoivent une rémunération, il n’y a que des primes de match. Au FC Noroc nous n’avons pas de joueuses sous contrat. Du coup, les gens savent déjà que les jeunes joueuses qui se font remarquer avant 18 ans vont partir dès leur majorité entamée. Nous n’avons ici aucun levier pour les faire rester, et ni la FIFA ni l’UEFA ne pourraient s’y opposer.
Pour moi c’est un problème qui ne peut se résoudre qu’au niveau de l’Etat. Il faut améliorer les conditions de vie et il faut pouvoir leur offrir de meilleures opportunités ici pour éviter qu’elles partent. Si elles peuvent avoir la même chose ici qu’en Roumanie, je ne crois pas qu’elles quitteraient leur famille.
Lorsque nous aurons plus de terrains de football, plus de spécialistes, plus d’entraîneurs et peut-être des sponsors qui voudraient investir dans le sport et dans le football peut être que ça s’amélioreraient. Mais ici ça passe par une loi de sponsoring alors… Pour le moment, nous survivons. Nous survivons, parce que nous aimons le football et que même si on meurt de faim nous jouerons au football. On fait ce qu’on aime et quand tu fais ce que tu aimes, tu n’es pas intéressée par autre chose. Mais après 18 ans, quand tu te rends compte que tu deviens indépendante, que tes parents ne peuvent plus forcément payer tes études ou ton loyer, alors tu as besoin de ressources financières et tu ne t’en sors pas.
Chez nous, c’est encore amateur. A 100%. Il y a peu de clubs en première division où les joueuses reçoivent une rémunération, il n’y a que des primes de match. Au FC Noroc nous n’avons pas de joueuses sous contrat. Du coup, les gens savent déjà que les jeunes joueuses qui se font remarquer avant 18 ans vont partir dès leur majorité.
C’est pourquoi aujourd’hui, on connaît une forte émigration. Dans chaque club, les trois-quatre meilleures joueuses partent à l’étranger. Gratuitement.
Et ici, ce n’est pas la Fédération moldave de football qui doit y répondre. Quand on discutait avec d’autres entraîneures dans différents pays, elles me disaient : « Chez nous, nous avons des ONG, ou alors l’Etat s’implique directement dans le développement du football féminin« . Au Danemark, il existe une académie soutenue par l’Etat. Comme en Belgique, où j’ai visité leur académie lors d’un séminaire, et où j’ai vu combien les autorités aident les joueuses à se développer. Je ne peux pas en dire de même chez nous, sans pour autant jeter la pierre à personne. Je dis juste que nous ne pouvons pas aller loin en étant soutenues uniquement par la Fédération, parce qu’on est trop nombreuses, et la responsabilité en revient aux ministères compétents.
Comme on le voit en ville, il existe beaucoup de pharmacies, de restaurants, de stations-service, mais pas de terrains de football. Ce n’est pas correct, selon moi. Nous avons tellement d’équipes de football féminin – il en existe 39 dans tout le pays – mais nous ne disposons d’aucune académie. Personne ne se pose la question de savoir de quoi vivent ces personnes-là ?
Si quelqu’un veut bien nous entendre, ou si on nous ouvre un jour la porte, on pourra changer quelque chose.
Revenons quelque peu sur le championnat national. Quand on regarde les premières divisions masculine et féminine, on remarque que les clubs sont totalement différents…
En effet, aucun club de football masculin n’a d’équipe féminine. Je crois que ça serait un point stratégique à étudier.
Mais de nouveau, peux-tu donner quelque chose à quelqu’un sans qu’il le veuille ? D’une certaine manière ça doit peut-être venir de leur part. Dans notre pays, on n’a pas encore trouvé de gens qui ont le football féminin dans leur coeur. En fin de compte il faut toujours avoir un ami, qui a lui-même un ami dans tel club, pour arriver à enclencher quelques discussions et s’ouvrir à cette idée-là. D’habitude, c’est comme ça que ça fonctionne ici. Mais si tu ne connais personne et que tu veux commencer à en parler, je ne sais pas si tu seras écouté.
Personnellement, j’ai déjà essayé de parler avec la direction de l’Académie du Sheriff. Je me dis qu’ils ont des conditions tellement bonnes là-bas. Ils m’ont dit qu’ils y réfléchiraient.
J’ajouterais enfin qu’il y a un problème de mentalité, et dans l’attitude envers le genre. Je dirais qu’il persiste chez nous l’opinion que les femmes n’ont rien à faire dans le football.
Il faut toujours avoir un ami, qui a lui-même un ami dans tel club, pour arriver à enclencher quelques discussions et s’ouvrir à cette idée-là [de créer une section féminine]. D’habitude, c’est comme ça que ça fonctionne ici. Mais si tu ne connais personne et que tu veux commencer à en parler, je ne sais pas si tu seras écouté.
Quelles sont les barrières auxquelles doivent faire face les joueuses pour se développer ici en Moldavie et qui n’existent peut-être pas ailleurs ?
Les conditions. Et la confiance. Pour ouvrir un club de football masculin à Chisinau, cela se fait en deux temps trois mouvements. Pour ouvrir un club de football féminin… Il y a encore une barrière de mentalité qu’on n’a pas encore dépassée. Même si on essaie aujourd’hui avec différents projets de populariser le football féminin.
Aujourd’hui, il y a des joueuses qui gagnent le Ballon d’or, le même que celui de Messi ! Si on leur donne ça signifie qu’elles le méritent. Pourquoi pas chez nous ? Pour la première fois, cette année, au Gala du football moldave, les joueuses ont été récompensées pour chaque position sur le terrain. Pour moi, c’était vraiment bien.
Aujourd’hui, il y a des joueuses qui gagnent le Ballon d’or, le même que celui de Messi ! Si on leur donne ça signifie qu’elles le méritent. Pourquoi pas chez nous ?
Y a-t-il davantage de soutien et de médiatisation du football féminin ces dernières années ?
On essaie, en quelque sorte. Personne ne parle du championnat national, aucun journal même. Quand je jouais il y avait un journal où à la fin il y avait un petit encart sur le football féminin avec les résultats de la journée. Vous savez j’achetais ce journal la première à 7h du matin, à une époque où internet n’était pas encore partout et où on n’avait pas les smartphones. Mais aujourd’hui, même avec tout ça, seul le site de la Fédération moldave de football affiche les résultats, c’est tout.
Dans notre championnat, il y a des buts de « taille Ligue des Champions » qui sont marqués. S’ils étaient diffusés à la TV… Chez nous, seule la finale de la Coupe est diffusée en direct. Ainsi que les matchs de l’équipe nationale, qui sont diffusés sur le site de la Fédération. Quand on a joué contre la Roumanie, à domicile, le match a été diffusé sur ProTV.
Bon, j’ai plusieurs fois été invitée en tant que sélectionneur, notamment sur Moldova 1, surtout après la qualification. Mais voilà c’était seulement quand quelque chose d’historique se passait. Je pense que si on montrait au journal télévisé ne fût-ce qu’une séquence avec un but marqué dans le foot féminin… Peut-être qu’il y a encore en Moldavie des filles qui ne savent pas que le football féminin existe. Comme moi, quand j’étais petite dans le nord du pays je jouais au football dans la cour et je n’avais aucune idée qu’il existait des équipes de football féminin à Chisinau.
Même si nous vivons à l’époque d’internet et du digital, il y a encore des familles qui ne peuvent se permettre ce luxe d’avoir internet à la maison. Je crois que si on diffusait un peu de football féminin à la télévision, au JT, c’est quelque chose qui motiverait certaines filles à rejoindre ces équipes.
Comment êtes-vous arrivé dans le monde du football ? Aviez-vous une idole ?
Mon équipe préférée est le Real Madrid. Et Zinédine Zidane était le joueur à l’époque que j’aimais le plus. Même quand il est devenu entraîneur, je me suis dit : « Ce n’est pas par hasard que c’était mon idole ». Encore maintenant je suis sa carrière d’entraîneur. En plus quand il a quitté le Real moi aussi je devais partir. Il y a des similitudes (rires). Ce n’est pas que je m’associe à lui. Mais en le suivant je reçois l’énergie pour continuer et aller de l’avant.
A quel âge avez-vous commencé à jouer au football ?
Je jouais en permanence dans la cour, je ne me souviens pas de ne pas jouer au football. Même s’il n’y avait pas de ballon, il y avait d’autres objets pour le remplacer. Le football reste le football. Pour les buts, pareil, on n’avait pas besoin d’avoir les barres et la transversale, on improvisait avec deux sacs de l’école et voilà, on avait un but.
Même s’il n’y avait pas de ballon, il y avait d’autres objets pour le remplacer. Le football reste le football. Pour les buts, pareil, on n’avait pas besoin d’avoir les barres et la transversale, on improvisait avec deux sacs de l’école et voilà, on avait un but.
En 2004, je suis venue à Chisinau pour les études, où j’ai rencontré des filles qui jouaient déjà au football, à Telenești. On s’entraînait au collège, avec les garçons, et le dimanche on allait au match. Il y avait un transport organisé car il y a pratiquement 120 kilomètres jusqu’à Telenești. C’était quand même compliqué.
Grâce à des personnes au grand coeur, on a formé une équipe à Nimoreni, en 2008, puis plusieurs catégories d’âge. En 2013, c’était difficile parce que j’ai quitté l’équipe après avoir gagné le championnat et la coupe avec le Noroc. Car quand tu mets toute ton âme tu ne peux pas partir facilement. Mais j’ai accepté la proposition de la Fédération, parce que j’étais consciente que c’était une condition correcte. C’était une période très compliquée, et je suis partie uniquement parce qu’il s’agissait d’une condition imposée par le pays.
En 2018, quand mon contrat avec la Fédération s’est terminé, la première question était de savoir si je restais ici ou si je partais à l’étranger, parce que j’avais quelques offres. Ma décision a été de rester en Moldavie, dans la mesure où j’ai encore quelque chose à terminer. Je pense que c’est très facile d’accepter d’aller là où tout est prêt. Tu viens, tu t’entraînes, c’est tout. Mais j’ai quelque chose qui me retient ici.
Pour me former davantage j’ai besoin de temps, étant désormais entraîneur avec la Licence UEFA Pro. Je dois encore gagner un peu d’expérience et réfléchir à ce que je veux vraiment. Je ne dis pas que je déclinerai toujours les offres de l’étranger, mais pour le moment je veux rester ici, pour me développer tout en développant le football féminin.
Vous avez participé à la Ligue des Champions avec le Noroc, en Finlande, en 2012. Comment c’était ?
C’était une très belle expérience. Là-bas, on s’est rendu compte que nous sommes encore à la marge. Quand tu es ici, tout est coloré, tout est beau, tu es championne, tu es contente, etc. Je suis du genre à être capable de me réjouir une jour du succès et de passer ensuite un mois sans être satisfaite car nous n’avons pas gagné plus.
Quand nous sommes parties en Finlande, pour moi c’était une expérience superbe. J’étais joueuse, et j’essayais de coacher depuis le terrain. Mais on a eu aussi beaucoup d’échecs, on était dans un pays où le football était beaucoup plus développé par rapport à nous.
Il fallait passer par ce genre d’expériences pour comprendre que je devais rester. On a eu beaucoup de matchs où je pensais ne pas pouvoir faire face et devoir partir pour laisser la place à quelqu’un d’autre. En revenant de la Ligue des Champions je réfléchissais à faire autre chose à quitter le monde du football. Les filles m’ont motivée et au final je suis restée.
Au FC Noroc, nous mettons l’accent sur les jeunes joueuses parce que, comme je l’ai dit, les plus âgées partent. Aujourd’hui, nous avons 14 joueuses formées au Noroc qui sont parties à l’étranger. Je leur disais à chaque fois : « N’ai pas peur de partir, parce qu’ici tu ne peux pas te développer« . Il n’y a pas les conditions nécessaires pour ça.
En 2015, quand on a créé l’équipe nationale, il n’y avait que deux joueuses à l’étranger, et en 2018 elles étaient quinze. Elles jouent en Roumanie (Galati, Bistrita, Odorheiu), en Suède, à Chypre, en Russie, au Kazakhstan.
Si vous êtes d’accord, revenons sur le cas des matchs truqués, en 2013. Un journaliste et un entraîneur vous ont offert une grosse somme d’argent pour perdre contre la Lettonie, et vous avez refusé…
Bien sûr que j’ai refusé. Je ne me souviens plus trop, c’était peut-être 10.000 euros. Ce que j’ai fait, je peux le faire tous les jours. Ce prix reçu par Michel Platini, une sorte de diplôme, c’est un geste qui m’a touchée.
J’ai dit non pour toute la vie. Pour que tout le monde comprenne que tu ne peux pas truquer un match. Oui, c’est vrai, nous sommes pauvres, nous n’avons pas de conditions, nous n’avons pas d’argent, mais ça c’est à côté du football. Je suis fière du geste que j’ai fait. S’ils ont voulu s’enrichir sur le dos des filles, qui jouent au football et ne gagnent rien de ça… Il n’y a pas de place pour eux ici.
J’ai voulu repousser ce phénomène, qui est un cancer pour moi, il ne doit pas exister. Le football est un beau jeu, il ne doit pas être manipulé? C’est-à-dire que quand tu entres sur le terrain, les deux équipes veulent gagner et luttent pour ça. Je ne veux pas entendre de trucages, je n’accepte pas ce genre de choses.
J’ai dit non pour toute la vie (à une proposition de 10 000€ pour truquer un match. Pour que tout le monde comprenne que tu ne peux pas truquer un match. Oui, c’est vrai, nous sommes pauvres, nous n’avons pas de conditions, nous n’avons pas d’argent, mais ça c’est en dehors du football.
Vous avez pu échanger avec Michel Platini ?
J’ai reçu une invitation de la part de l’UEFA pour ce Congrès (NDLR : le 38e congrès ordinaire qui s’est déroulé à Astana en 2014, pour les 60 ans de l’UEFA), écrite en roumain. Je l’ai encore à la maison.
Il n’était pas prévu que je parle sur scène. Vous vous rendez compte, un congrès où tous les présidents de Fédérations sont présents, la crème du football européen, et moi je suis là, une entraîneur U17 qui a dit non aux matchs truqués. On m’a dit que je ne parlerai pas, parce que tout était planifié à la seconde, on me donnera un diplôme, on me présentera, et c’est tout.
J’étais assise au premier rang, où il y avait Nazarbayev. Vous vous imaginez ? (rires). L’atmosphère était si inhabituelle pour moi, ça ne faisait qu’un an que j’entraînais les U17, je pensais qu’on allait me caser dans un coin et que je sortirai juste le temps du diplôme. Ici, on m’a installée au premier rang, et je me demandais comment j’allais comprendre car tout était en anglais, et le traducteur avec lequel nous sommes venus est resté avec le président de la Fédération, au troisième rang. Il y avait heureusement une interprétation simultanée en russe.
Ensuite, j’ai vite compris que je devais monter sur scène. Et là il me demande de dire un mot et comment je me sens. Qu’est-ce que je peux bien raconter en face de cette audience ? J’ai juste dit que j’étais heureuse d’être présente, et que toute personne qui fait le même geste mérite d’être récompensée. Et que ce qu’il y a de plus important, c’est le football.
Après avoir pris le diplôme, j’ai repris ma place et je ne me souviens plus bien du reste. Je pense que ce geste de Michel Platini a eu plus d’impact positif sur le football féminin. Parce que par exemple, quand on est revenus des qualifications, personne ne nous a appelées pour nous féliciter. Vous vous rendez compte, pour la première fois on s’est qualifiées pour la phase éliminatoire, et personne, personne ne nous a contactées.
Je crois aussi que ça n’a pas été médiatisé parce que… Je ne pense pas que tout le monde ici ait fait ce geste, et qu’il y en a plus qui ont accepté ou qui ont refusé sans faire de vagues. A l’époque, je n’ai pas eu peur de dire haut et fort non. Je l’ai annoncé.
Merci beaucoup pour cet entretien. Souhaitez-vous ajouter un dernier mot pour conclure ?
Je dirais que le football est un sport qui nous éduque, de tous les points de vue. Et pour moi, ça n’a aucune importance que tu sois une femme ou un homme dans le football. En pratique, les femmes et les hommes jouent avec la même balle, sur le même terrain, avec le même nombre de joueurs. Il faut briser ces stéréotypes selon lesquels la femme n’est pas faite pour le football. On a des joueuses, des entraîneurs, des arbitres, des dirigeantes qui font partie de ce monde du football.
Mon objectif en fin de compte c’est aussi de créer les meilleures conditions pour ces joueuses, pour ces filles, afin qu’elles puissent avoir un endroit où jouer au football. Et en restant ici, j’espère produire un impact positif pour beaucoup de joueuses qui hésitent encore à faire du football.
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Merci beaucoup à Mme Alina Steţenco pour sa disponibilité et on lui souhaite plein succès avec le FC Noroc à l’avenir!
Thomas Ghislain
Tous propos recueillis par Thomas Ghislain pour Footballski.fr
Les photos de l’article et l’image de couverture sont issues de la collection personnelle de l’entraîneure.