De notre envoyé spécial à Stepanakert (Artsakh)

La sensation du Championnat d’Europe 2019 de la CONIFA – réunissant des États et des entités territoriales non reconnus – est l’équipe d’Ossétie du Sud. Une équipe en laquelle personne ne croyait et qui a fini par remporter le trophée après une fin de match épique. On vous raconte leur parcours, en plus d’une interview de leur coach et de leur meilleur joueur pour en découvrir plus sur le football sud-ossète.

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Une finale historique

Après une dernière place de groupe à l’Euro 2017 en Chypre du Nord, l’Ossétie du Sud arrivait en position d’outsider, au mieux, en Artsakh. Surtout dans un groupe composé des presque locaux Arménie de l’Ouest et de l’ogre de la Padanie. La première surprise intervient rapidement avec une victoire 2-1 d’entrée contre les Arméniens.

Contre les favoris de la Padanie, au deuxième match, les Ossètes nous bluffent. Leur pressing, leur bloc bien en place et leur agressivité dans le bon sens du terme neutralisent parfaitement des Nord-Italiens qui n’ont presque pas d’occasion du match. En deuxième mi-temps, un contre superbement exécuté et une frappe enroulée magistrale terminent de rendre fou des adversaires d’une nervosité assez incroyable, à l’image de leur coach qui ressemble à s’y méprendre à Gérard Depardieu. A la surprise générale, l’Ossétie est premier du groupe après deux matchs. Le dernier match contre la plus faible équipe du tournoi, le Pays Sicule, n’est qu’anecdotique, si ce n’est pour souligner les troisième et quatrième réalisations (alors qu’il sortait du banc) de la star Batraz Gurtziev, 20 ans.

Finalement, l’affiche des demi-finales oppose deux surprises puisque les Ossètes affrontent Chameria. Si ce nom ne vous dit rien, il s’agit d’une population albanaise de la région de l’Epire (Grèce). Leur culture, à influence albanaise (surtout) et grecque, comporte aussi des spécificités locales. Leur langue est un dérivé de l’albanais.

Côté terrain, Chameria est une équipe technique et plaisante, qui dispute son premier tournoi CONIFA. Ce n’est pourtant pas ce que l’on pourrait penser au premier abord en voyant leur pivot de 1,98m, prénommé Marco Van Basten (« Mon père était un fan du Milan. J’ai aussi un cousin qui se nomme Frank Rijkaard Cema »). Mais là encore, l’Ossétie étouffe totalement la créativité de Chameria avec un jeu dur et un bloc très compact. Ce sont d’ailleurs les Ossètes qui se procurent les meilleures occasions, notamment avec un bel enroulé de Gurtziev bien arrêté. Malgré une domination totale à la fin, il faut en passer par les tirs au but. Après quatorze tentatives (dont 1 panenka de Van Basten), Chameria finit par craquer. L’Ossétie du Sud disputera sa première finale !

« Personne ne croyait en nous – tout le monde pensait que l’on venait juste histoire de dire que l’on y était. »

Marat Khoziev, coach de l’Ossétie du Sud

Après le match, et après avoir assisté aux célébrations ossètes dans le vestiaire du petit stade d’Askeran, l’entraîneur principal de l’équipe, Marat Khoziev, est sorti trempé pour répondre à quelques interviews. Une sorte de conférence de presse improvisée et en plein air, en quelque sorte.

L’Ossétie du Sud a fini dernier de son groupe lors du dernier Euro. Comment expliquez-vous ce changement de résultats en deux ans ?

Nous avions très mal joué. Et à cause de notre coefficient très bas, nous n’avons pas pu nous rendre au dernier championnat du monde à Londres ! Cette année, j’ai été nommé entraîneur en chef de l’équipe nationale. Il n’y a pas si longtemps, j’étais moi-même joueur. J’ai participé au Championnat d’Europe à Chypre-Nord. Partant de ce résultat et de ce que j’y ai vu et appris, j’ai commencé à monter un jeu d’équipe. Et bien que nous ayons eu très peu de temps, littéralement deux à trois semaines, nous avons rassemblé nos joueurs, les avons préparés, organisés en conséquence et, comme vous le voyez, cela a donné ce résultat.

Comment est organisé le football en Ossétie du Sud?

Ah… nous avons beaucoup de problèmes. Les instances ne sont malheureusement pas particulièrement concernées. Nous sommes une république séparée et il est impossible pour nous d’obtenir des aides, notamment financières. Je pense que nous avons toujours eu des joueurs très talentueux, mais pour aller quelque part à l’étranger, dans une académie de football, en Russie, par exemple, il faut de l’argent et tout le monde n’en a pas. Le manque de sources de financement est notre principal problème.

De qui se compose votre équipe ?

J’ai pris des joueurs du championnat d’Ossétie du Sud et des ressortissants de notre république qui jouent en deuxième division russe. De plus, deux de nos joueurs sont en première division russe ! Tous viennent d’Ossétie du Sud, tous sont des sudistes !

L’Ossétie du Sud a-t-elle des contacts sportifs avec le Nord?

Bien sûr, nous ne sommes pas séparés ! Il se trouve qu’il existe une frontière entre nous, mais nous sommes un seul et même peuple. Deux joueurs de l’équipe d’Ossétie du Sud jouent d’ailleurs au sein du club Spartak-Vladikavkaz, au Nord.

L’Azerbaïdjan a tenté d’empêcher la tenue de cette compétition et certaines équipes se sont retirées en raison de pressions azéries. Votre équipe a-t-elle rencontré des obstacles pour participer à ce tournoi ?

Nous avons été invités à participer et nous sommes tranquillement venus. Malheureusement, notre participation est vue négativement par l’Azerbaïdjan ou la Géorgie, qui n’oublieront pas cela pendant des années. On y a pensé mais la politique est la politique et le sport est le sport. Nous ne sommes pas venus ici pour nous battre – nous sommes venus jouer au football, avoir de nouvelles émotions, découvrir un nouveau pays, de nouvelles villes, de nouvelles personnes. C’est formidable de faire de nouvelles connaissances et d’établir des liens. CONIFA et le sport en général unissent les gens.

Votre style de jeu est dur, et la Padanie s’est notamment plaint à la suite du match. Vous en pensez quoi ?

J’ai dis aux gars : ne laissez pas les autres équipes utiliser leurs avantages individuels, montez immédiatement sur vos adversaires, imposez-leur un combat de tous les instants. Pensez que les joueurs de l’équipe nationale de Padanie sont plus rapides que les nôtres, et nous ne devions pas leur donner l’occasion de réfléchir sur le terrain. Et le fait que quelqu’un se plaigne n’est pas surprenant, ça sera toujours le cas. Si une équipe a des joueurs en plastique, ce n’est pas notre problème. Mes gars ont un état d’esprit de guerriers. Cependant, je dirais que nous gagnons non seulement avec l’esprit, mais aussi avec le football. Vous l’avez vu par vous-même.

Pensez-vous que cette finale va attirer des investissements, que le football sud-ossète va s’améliorer prochainement ?

J’espère que notre jeu ici stimulera des changements positifs dans le football en Ossétie du Sud. C’est extraordinaire d’aller en finale ! Après tout, personne ne croyait en nous – tout le monde pensait que l’on venait juste histoire de dire que l’on y était. Maintenant, peut-être que la Fédération de football de l’Ossétie du Sud et les gens qui sont au-dessus vont enfin constater que nous avons des joueurs talentueux, que nous désirons atteindre les sommets. Nous avons aussi des jeunes footballeurs qui ont besoin de s’entraîner à un niveau supérieur à celui du championnat d’Ossétie du Sud. J’espère que leur destin changera également.

Pour finir, avez-vous aimé l’Artsakh et avez-vous l’intention d’y revenir ?

Pour être honnête, je ne veux même pas partir d’ici. J’aime tout ici. C’est aussi parce que nous, Ossètes, avons une nature similaire avec le peuple de l’Artsakh, une mentalité similaire et nous avons ici le sentiment que nous sommes chez nous. Nous n’avons pas profité au maximum des curiosités de la région, car, d’une part, il faisait chaud et, d’autre part, nous devons nous préparer pour nos matchs. Mais je reviendrai avec plaisir pour prendre du repos dans ce superbe endroit !

« Le coach du club où j’évolue, Chaika Peschanokopskoe, a refusé que je vienne jouer ce tournoi. »

Batraz Gurtziev, joueur de l’Ossétie du Sud

En plus de cet entraîneur charismatique, un joueur a marqué les esprits. Il s’agit de Batraz Gurtziev, 20 ans, ailier de profession, qui a marqué cinq buts dans la compétition. Excellent du pied droit, il est polyvalent puisqu’il a aussi marqué deux buts de la tête. On est allé le trouver à son hôtel après la demi-finale. Alors que son coach était dans le hall en train de vider une canette de bière, Batraz était dans sa chambre, en train de s’amuser avec ses coéquipiers. Gêné d’être mis en valeur et visiblement peu coutumier des interviews, il a passé vingt minutes avec nous avant de rejoindre ses coéquipiers, rigolant de son nouveau statut.

initiaty photo agency/Gevorg Ghazaryan

Félicitations pour la qualification en finale. Comment te sens-tu et que penses-tu du match d’aujourd’hui ?

Merci ! Je suis content d’être venu, j’aime les gens d’Artsakh, il y a une superbe ambiance et je me sens bien. Je suis bien tombé, mes coéquipiers disent que c’est la meilleure équipe qu’ils aient eue jusqu’ici ! Pour répondre à ta deuxième question, aujourd’hui, on a joué dans un stade très petit, on ne pouvait pas développer notre jeu. On n’est pas arrivé à nous adapter à la taille de ce terrain et poser assez de problèmes à notre adversaire.

Tu as hésité avant de venir en Artsakh ?

S’ils ont organisé le tournoi ici, c’est qu’il n’y a pas de problème, ils ne risqueraient pas à le faire s’il y avait du danger. Je viens d’Ossétie du Sud donc je comprends la situation de la région ici. Je sais que ce n’est pas dangereux, je ne me suis pas inquiété une seule seconde. Il n’y a pas de guerre ici, c’est une superbe région, le climat est super, les gens sont cools et c’est très propre.

Peux-tu te présenter et nous dire comment as-tu débuté le football ?

Je suis né en Ossétie du Nord, au même endroit où Alan Dzagoev est né mais mes parents sont d’Ossétie du Sud. A cinq ans, ma mère m’a emmené à l’école de football, j’ai beaucoup aimé et je n’ai jamais arrêté jusqu’à aujourd’hui, ce qui m’a mené à l’académie de football de Krasnodar et à être international sud-ossète.

Justement, comment es-tu devenu international ?

Le coach m’a contacté récemment, j’étais fier. Mais le coach du club où j’évolue, Chaika Peschanokopskoe, a refusé que je vienne jouer ce tournoi. Je n’ai pas vraiment aimé la réaction du club, le président n’était pas d’accord non plus. Finalement, ils ont réfléchi pendant deux jours et ils m’ont dit que je pouvais y aller. Après, le coach de la sélection m’a appelé, il a dit que le problème avait été réglé par quelqu’un.

Qui était-ce ? Un politicien ?

Je n’en ai aucune idée. Je sais juste qu’ils ont contacté le directeur sportif. On a conclu un deal : si je me blesse pendant le tournoi, c’est moi qui vais devoir payer. Mais je ne suis pas inquiet, car même si je suis blessé c’est la République qui payera.

Que penses-tu du niveau du football en Ossétie du Sud ?

En fait… Seule l’Ossétie du Nord a des équipes qui ont les ambitions et les moyens pour la première division russe. De toute façon, nous, au Sud, on a notre propre championnat et nous ne jouons pas en Russie. Pour progresser, il faudrait que nous puissions inscrire des équipes dans les divisions inférieures russes. Personne ne connaît notre région, mais elle existe. Ce tournoi est bonne opportunité de dire au monde entier que nous sommes sur la carte du monde. Murat Gassiev, boxeur qui a participé aux championnats du monde, a déjà aidé à notre renommée, maintenant à nous, les footballeurs, de gagner pour que plus de monde nous connaissent à l’étranger !

Les gens au pays vous suivent ? Comment est l’engouement ?

Tout l’Ossétie nous suit, que ce soit au Nord ou au Sud ! Je sais qu’au Nord, les gens regardent nos matchs au restaurant, nous suivent et après la demi-finale, j’ai reçu plein d’appels : tout le monde est très fier et heureux que nous nous soyons qualifiés pour la finale !

Tu n’étais pas dans l’équipe il y a deux ans mais comment expliques-tu la progression de la sélection ?

Personne ne croyait en nous au départ, et on a montré qu’on avait le niveau. On pouvait le faire et on l’a montré ! Je dirais que notre succès cette année est principalement lié à nos qualités physiques et à notre état d’esprit.

Comment va se passer la prochaine saison pour toi ?

Je ne connais pas mon futur. Nous montons en FNL (2e échelon) donc le club va avoir pas mal de boulot. Nous avons tous des contrats différents, il y a des prêts, des contrats d’un an… La moitié de l’équipe va probablement changer. Peut-être que le coach aussi. Ça, ce n’est pas pour me déplaire… (sourire)

Une finale au scénario improbable

Dimanche, 18h. Le stade national de l’Artsakh, à Stepanakert, est archi-plein pour voir cette affiche Arménie de l’Ouest – Ossétie du Sud. Peu engagente au début, avec un manque de rythme et d’occasion, la rencontre prend un virage décisif en deuxième mi-temps. Sur un coup-franc anodin et assez lointain, Bazaev troue littérairement les filets arméniens : le ballon est passé à travers et les Arméniens sont persuadés qu’il n’y a pas but. Le match est arrêté cinq bonnes minutes dans la confusion la plus totale : les uns essayant de convaincre l’arbitre que les filets n’ont pas tremblé et qu’il n’y a donc pas but, les autres qu’il y avait un trou dans le filet. L’arbitre valide finalement le but.

Les arrêts de jeu sont étouffants. L’Arménie fait le siège de la surface ossète, et son gardien joue partout sur le terrain… sauf dans sa cage. Tantôt récupérateur, tantôt attaquant, tantôt ailier, il est partout ! Et à la 98e minute, sur un énième long ballon hasardeux, deux joueurs ossètes se télescopent, laissant le ballon partir dans la surface. Alors qu’un défenseur pense tranquillement récupérer le ballon pour le dégager, un attaquant fonce comme un TGV et s’écroule. Pénalty !

Davoyan a la chance d’égaliser. Le public est totalement en fusion. Il s’élance, mais le gardien Burayev part du bon côté et stoppe le pénalty. Tout le banc accourt sur le terrain, c’est fini, l’Ossétie est championne d’Europe !

Gurtziev, l’un des rares joueurs au niveau dans cette finale, omniprésent sur le flanc droit ossète et dangereux, reçoit la distinction honorifique de meilleur joueur de la compétition. Deux ans après un échec, l’Ossétie est devenue fière de ses joueurs. Ils le méritent grandement.

Damien F.

Image à la Une : © Damien F.

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