Temps de lecture 7 minutesLe football dans les RSS: #54 l’Ouzbékistan – Berador Abduraïmov, un lutteur sur le rectangle vert

À moins d’un an de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) Républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Nous attaquons la dernière ligne droite avec les pays d’Asie Centrale et l’Ouzbékistan, retour aujourd’hui sur Berador Abduraïmov, attaquant légendaire dans son pays et ancien champion de lutte libre.


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L’Ouzbékistan a eu aussi son lot de stars passés hors des tops clubs de la Ligue majeure soviétique. Parmi eux se trouve l’un des meilleurs exemples possibles, en la personne de Berador Abduraïmov. Un joueur, buteur, prolifique devant les buts, appartenant au prestigieux et sélect Club Fedotov, en l’honneur des meilleurs attaquants de cette période footballistique en temps soviétique. Un homme qui aurait pu, surtout, connaître une toute autre direction dans le monde du football. Figure passée, présente et future de ce football ouzbek à travers son histoire particulière avec le Pakhtakor Tashkent, la sélection nationale ouzbèke et ses enfants, porteurs du lourd poids de la succession, nous vous emmenons aujourd’hui découvrir l’Homme qu’est Berador Abduraïmov

17 avril 1966, la capitale de la République socialiste soviétique d’Ouzbékistan est sous le choc ! Tashkent vient d’être frappée le jour précédent par un tremblement de terre d’une magnitude de 5.1 sur l’échelle de Richter entraînant une destruction massive de la ville. Les maisons traditionnelles en briques, les mosquées, datant pour certaines de 600 ans, n’ont pas tenu face à 12 secondes d’enfer. 12 secondes venant anéantir des dizaines, centaines et milliers d’années d’Histoire. 12 secondes de secousses venant changer la vie quotidienne de la capitale ouzbèke. Au regard des dégâts matériels, cette tragédie ne fait que « peu » de victimes humaines – bien que l’estimation donnée par les autorités soit très large, allant de quinze à 200 victimes estimées -, mais prive tout de même 300 000 personnes d’un toit et d’un logis. Dans cette ville de ruines, un certain Azamat Abduraïmov voit le jour. Dont le père n’est autre que Berador ; Berador Abduraïmov, attaquant du Pakhtakor Tashkent. Berador Abduraïmov, soit l’un des footballeurs ouzbeks les plus marquants de tout ce siècle. Un Homme qui, malgré les succès, les records effacés et la reconnaissance dans tout le continent asiatique, n’a jamais su faire entendre son nom en dehors de ses frontières. Et encore moins en Europe.

Lutte ou football

C’est dans ville, cette capitale de Tashkent, que nait lui aussi Berador, quelques années avant son fils – notez la logique implacable -, le 14 mai 1943. Contrairement à cette journée d’avril 1966, la République socialiste d’Ouzbékistan, elle, ne connaît étrangement, pour cette période, aucune destruction ni retentissements de la guerre faisant rage à quelques milliers de kilomètres de là. Pour cause, à cette époque, cette région devient une zone de repli pour les usines des industries lourdes de l’Ouest de l’URSS et accueille de nombreuses familles soviétiques évacuées des zones de combat. Dans ce climat paisible, si l’on peut dire, le jeune Berador se passionne dès sa plus tendre enfance pour le sport, sans pour autant se tourner avec acharnement et priorité vers la pratique du sport roi qu’est le football. Sport roi qui ne l’est finalement pas, ou en tout cas pas ici. Car, comme pour la plupart des jeunes soviétiques, à cette époque, le panel de possibilités est large et les jeunes gens, dont Berador, pratiquent divers sports, dont le football, certes, mais aussi la boxe et la lutte libre. « Mon père était un cuisinier de métier, spécialisé dans la cuisine nationale ouzbek. J’ai passé la majeure partie de ma vie comme un nomade ; racontait ainsi Abduraïmov, tout en prenant le soin de rappeler ses liens avec le sport. Mais dès ma plus tendre enfance, j’ai été voué à me diriger vers le sport. Le stade « Spartak » de Tashkent se trouvait tout près de ma maison dans la vieille ville, et là j’y ai passé mes jeunes années. »

Le football, Abduraïmov le pratique au centre de formation, installé à Tashkent, parallèlement à la création du club Pakhtakor, en 1956. Mais, comme souvent dans cette région connue pour ses combats, la lutte et la boxe semblent lui apporter plus de plaisir. « Dans la section boxe, je connaissais tout le monde depuis tout jeune, je me sentais ainsi plus à l’aise », continue l’intéressé, n’omettant pas de rappeler que cela lui réussit plutôt bien, puisque l’intéressé devient rapidement champion d’Ouzbékistan de lutte libre (48kg). Malgré tout, le football est là, et ses entraîneurs de l’époque n’entendent pas laisser filer ce jeune prometteur, ces derniers décidant de l’attirer vers cette carrière footballistique par l’appât financier, allant de la bourse aux rémunérations. « J’ai alors senti une responsabilité envers les adultes, expliquait-il. Je n’avais donc plus le temps pour autre chose que le football. »

1968, année phare

A 16 ans, tout s’accélère pour Berador Abduraïmov suite à son intégration, en 1959, à la sélection des jeunes ouzbeks. Puis avec le Pakhtakor Tashkent, l’année suivante, avec qui il va jouer en Ligue majeure soviétique. Pour cause, l’entraîneur du Pakhtakor de l’époque, Aleksandr Keller, remarque très vite cet attaquant de seize ans, rapide, doté d’une technique balle au pied intéressante et disposant d’une puissante frappe du pied gauche, faisant souvent mouche. Le joueur est donc placé sur le côté droit de l’attaque pour lui permettre d’utiliser au maximum sa vitesse et de venir dans l’axe pour utiliser son puissant pied gauche. Intégrant l’équipe première, Abduraïmov n’a que dix-sept ans lorsqu’il marque son premier but pour le Pakhtakor. Un record que l’Ouzbek partage avec un certain Eduard Streltsov, au Torpedo Moscou. De quoi placer le bonhomme.

Commence alors une fantastique carrière au Pakhtakor où il a le plaisir de côtoyer des joueurs comme le gardien Yuri Pshenichnikov ou l’attaquant Gennadi Krasnitsky, deux hommes qui ont marqué le football soviétique des années 60 à leur poste respectif. Abduraïmov passe quinze années dans la capitale ouzbèke avec un total de 358 matchs et 105 buts entre le championnat et les coupes. En 1968, alors qu’il plafonne à huit à dix buts par saison, il explose son compteur en marquant 22 buts en 35 matchs de championnat soviétique (25 buts au total avec la Coupe d’URSS). Il finit la saison meilleur buteur du championnat à égalité avec Gueorgui Gavasheli du Dinamo Tbilissi. Un pic de forme à mettre en parallèle avec l’absence pour diverses raisons de Gennadi Krasnitsky au cours de la saison, replaçant ainsi Abduraïmov en pointe. Aurait-il été un serial buteur s’il n’avait pas été posté en pointe ? Chacun peut imaginer ce qu’il veut…

Si le Pakhtakor finit cette année 1968 à une moribonde 17e place en championnat, l’équipe réalise néanmoins un superbe parcours en Coupe d’URSS, atteignant la finale face au Torpedo Moscou. Un but de Savchenko met toutefois fin aux espoirs ouzbeks d’accrocher un titre majeur. Malgré tout, ce parcours permet de mettre la lumière sur Abduraïmov qui se trouve alors sur les tablettes de Gavryl Kachaline, sélectionneur soviétique de l’époque, avec qui le courant n’est finalement jamais passé malgré une belle prestation pour son premier, et unique, match avec la sélection soviétique. Un match comptant pour le tournoi de préparation en Amérique du Sud, pour la Coupe du Monde 1969, face au club chilien de Colo-Colo, conclu par un triplé de l’Ouzbek permettant une victoire cinq buts à quatre. Étrangement, Kachaline ne le sélectionnera pas pour la Coupe du Monde 1970, au Mexique.

A vrai dire, une explication plausible serait la personnalité même d’Abduraïmov. Lui, cet homme de la ville, de cette ville, dont la vie tourne autour de Tashkent et de son club légendaire. En témoignent ses deux tentatives à « l’étranger », en dehors de sa ville et de son club. Le premier de ces transferts se fait lors de la saison 1964 avec une tentative du côté du Moscou et de son grand Spartak. S’il réalise la préparation d’avant-saison avec les rouge et blanc, le garçon connait une blessure au genou le tenant éloigné des terrains durant un long moment. Une longue attente qui le fait finalement retourner chez lui, à Tashkent, en refusant par la même occasion un appartement à Moscou, décision surprenante même pour la légende Nikolaï Petrovich Starostin. La seconde fois se passe également à Moscou, cette fois durant la saison 1969-70 qu’il passe au CSKA Moscou. « Le CSKA disposait de ressources administratives importantes, intégrant de nombreux joueurs des clubs forts du pays dans le cadre du service militaire. En outre, j’étais bien plus visible pour les entraîneurs de la sélection nationale qu’à Tashkent. » expliquait-il. Cette expérience se révèle bien plus concluante avec un total de 45 matchs disputés et dix buts marqués. Une aventure de courte durée néanmoins puisque le joueur décide finalement de revenir, une nouvelle fois, chez lui et dans son club de cœur. Un club avec lequel il remporte le titre de Pervaya Liga (deuxième division) et permet ainsi, grâce à ses 34 réalisations, de faire revenir le Pakhtakor dans l’élite du football soviétique.

Le 18 aout 1973, Berador Abduraïmov signe son centième but, entrant ainsi dans le cercle fermé du club Fedotov regroupant les joueurs ayant marqué cent buts ou plus dans leur carrière. Avec Gennadi Krasnitsky, Andrei Yakubik, Berador Abduraïmov représente fièrement le Pakhtakor Tashkent dans ce club sélect où l’on retrouve la crème des attaquants soviétiques tels qu’Oleg Blokhine, Nikita Simonyan ou encore Eduard Streltsov.

L’Ouzbékistan au top !

Aburaïmov, trud.ru

En 1976, Abduraïmov met un terme à sa carrière de joueur à l’âge de 32 ans, effectuant une ultime saison au club ouzbek Meliorator Yangiyer. Berador Abduraïmov se lance directement dans une carrière d’entraîneur et, contrairement à son parcours de joueur plutôt fidèle à un unique club, connait de nombreux clubs à travers l’Ouzbékistan (Dinamo Samarkand, Spartak Andizhan, Navbakhora Namangan, CSKA Tashkent …).

La gloire d’Abduraïmov comme entraîneur, il faut la chercher avec la sélection ouzbèke. L’Ouzbékistan, pays indépendant depuis août 1991, se dote d’une sélection nationale qui, dès 1992, fait appel à Berador Abduraïmov et Rustam Akramov afin de former un duo de sélectionneurs. Son premier objectif est la préparation pour les Jeux Asiatiques de 1994 organisés à Hiroshima au Japon. Une première pour l’Ouzbékistan qui se présente sans réels espoirs face à aux favoris que sont le Japon, entraîné par Paulo Roberto Falcão, le Koweït de Valery Lobanovsky et la Corée du Sud d’Anatoly Byshovets. Mais Abduraïmov et les siens arrivent à créer l’exploit de se hisser en finale en sortant facilement d’un groupe composé de l’Arabie saoudite, de la Malaisie, de Hong Kong et de la Thaïlande, puis en éliminant le Turkménistan en quarts (3-0) et la Corée du Sud en demi-finale (1-0). C’est d’ailleurs son fils, Azamat Abduraïmov, qui marque le but de la qualification face aux Sud-Coréens. Les Ouzbeks terminent le travail en remportant la finale 4-2 contre les Chinois, premier et unique titre de l’Ouzbékistan au niveau mondial.

Reconnu dans son pays et par l’ensemble des spécialistes du football soviétique, Berador Abduraïmov laisse ainsi une trace dans l’histoire footballistique ouzbek qui continue de perdurer avec ses enfants. Quatre de ces derniers, sur six garçons, sont en effet devenus, eux-aussi, des footballeurs importants dans l’Histoire du football ouzbek. Un football sur lequel la dynastie Abduraïmov a su déposer sa marque et son talent. A commencer par le père de cette joyeuse bande.

Vincent Tanguy

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