À moins d’un an de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) Républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Nous attaquons la dernière ligne droite avec les pays d’Asie Centrale et l’Ouzbékistan, retour aujourd’hui sur les mille merveilles de Samarkand. Et de son club de football qui n’en est pas une. De merveille.


Lire aussi : Le football dans les RSS : #52 l’Ouzbékistan – Le FC Pakhtakor Tashkent, un symbole national marqué par la tragédie


Samarkand, entre légendes et splendeurs

« La Steppe de la Faim se trouve au sud-est de la Mer d’Aral, sur la rive gauche du Syr-Daria, entre les villes de Tachkent et de Samarkand. Dans un passé récent, nous dit la revue Priroda, cette région n’était qu’une immense et morne surface couverte d’herbe roussie par le soleil et portant de nombreuses traces d’incendie, la température y atteignant parfois jusqu’à 70°C. Mais son aspect change rapidement depuis quelques années. Sur les 800 000 ha qui peuvent être irrigués, plus de 200 000 ha l’étaient déjà en 1957-1958. Cette partie de la steppe de la Faim fournit, à l’heure actuelle, de 240 000 à 250 000 t de coton brut par an. » tel était le début d’un court article d’une provenance inconnue posée en guise de marque-page d’un vieux livre des années 50, acheté une journée d’été, intitulé « L’Ouzbékistan : République soviétique » signé de la main du Général Tubert. S’il n’existe que peu d’ouvrages sur l’Histoire de ce pays – en dehors des récits de voyageurs -, celui-ci a au moins le mérite de rendre compte d’un récit de voyage dans la totalité de l’Ouzbékistan. Un voyage venant rappeler certains faits historiques, mais surtout nous plongeant dans ce qu’était cette République soviétique dans ce milieu de siècle dernier.

Ainsi, explorer Samarkand (dans son écriture ouzbek) permet un voyage dans le temps et l’Histoire se contemplant à chaque encablure de rue, à chaque pierre de maison et à chaque pas dans les différents quartiers de cette « grant cité de Samartan », selon Marco Polo. Fondée en 700 avant Jésus Christ sur cette terre ouzbèke, Samarkand est l’une des plus anciennes villes du monde. Une ville dont l’Histoire ne cesse de se mêler à celle de la Route de la Soie. Une ville qui fournit à Amine Maalouf le décor pour Samarcande. Un de ses romans onirico-historiques  nous contant la vie d’Omar Khayyam, homme de lettre, poète, astronome et mathématicien du 12ème siècle qui voit dans la ville de Samarkand la capitale de l’Asie Centrale, le joyau du monde Arabe, le refuge de sa poésie libre et vagabonde.

Pourtant, aujourd’hui, cette histoire ouzbèke semble peu à peu se perdre dans les mémoires du monde. À l’image finalement de la destinée de cette cité légendaire qui dû subir grandeur et décadence, voguant entre les multiples invasions, la perte de son statut de capitale de la République socialiste soviétique d’Ouzbékistan, mais aussi entre richesses culturelles, religieuses et scientifiques, faisant de cette ville la plus belle vitrine de tout un pays.

« Le peu que nous savions de l’Ouzbékistan était entaché de mensonges : les rares nouvelles qui nous parvenaient de ce pays étaient souvent dénaturées par un dénigrement systématique. Et pourtant, il se passe là-bas de grandes choses dont la connaissance serait fructueuse en enseignements pour les peuples qui étouffent encore sous un joug analogue à celui que le colonialisme tsariste imposait naguère à l’Ouzbékistan. Plus particulièrement les peuples de culture islamique sont intéressés à connaitre les transformations surprenantes qui s’opèrent dans les républiques musulmanes soviétiques hier encore accablées par le servage, la misère et l’ignorance. Une expérience sans précédent se développe dans ces pays dont l’Ouzbékistan est un exemple type, malheureusement nous en ignorons à peu près tout. » confiait Abderrahmane Bouchama, membre du Conseil Mondial de la Paix, dans ce même livre. Pour cause, située dans le nord-est de l’Ouzbékistan, Samarkand peut, de par ses changements, être vue comme le reflet de toute l’Histoire du pays. Pour comprendre cela, un voyage dans le temps est nécessaire. Un voyage nous emmenant tout droit au début du XIIIe siècle où les invasions mongoles font rage.

Tandis que les armées de Temoudjin, plus connu sous le nom de Gengis Khan, s’emparent de la ville de Samarkand en 1220, de futures luttes intestines entre tribus rivales permettent un temps plus tard à Timour Leng, ou Timour le boiteux en français dans le texte, d’organiser autour de lui une rébellion dans ce qui devient son Royaume : la Transoxiane, dont la capitale n’est autre que Samarkand. « Nous pouvons voir la puissance de mon empire grâce à ce que j’ai construit »disait ainsi ce Roi dont le Royaume n’a cessé de s’étendre au fil des conquêtes, passant de la Turquie à l’Inde, de l’Irak à l’Iran, y laissant des monuments majestueux en guise de postérité. Des bâtiments et constructions reconnaissables dès le premier coup d’œil grâce aux spécificités d’un art timouride marqué par le travail de la mosaïque de céramique, faisant encore la fierté de toute une ville et de tout un peuple, tant la beauté des lieux est sans commune mesure. Avec, en premier lieu, le mausolée de Timour lui-même.

« Nous sommes devant le mausolée connu sous le nom de Gour Emir, qui était la sépulture familiale des Timourides. Ce bâtiment a été construit à la fin du XIVe siècle et a subi de fortes influences de l’architecture iranienne. C’est la sépulture familiale de Timour lui-même, où ont été enterrés ses deux fils et deux petits-fils. Au niveau de l’architecture, c’est assez particulier, deux bâtiments faisant partie de l’ensemble ne se sont pas conservés, c’était une medersa et un khanaqah, mais le mausolée lui-même avec les sépultures de Timour et des Timourides s’est parfaitement conservé jusqu’à nos jours. C’était un homme qui avait également formulé des conseils très précieux concernant la gestion de l’État et les principes du gouvernement, cet héritage n’est pas oublié encore aujourd’hui. » explique ainsi, dans un reportage pour TV5 Monde, Dimitry Kiselyov, guide touristique de cette ville.

Dans ce bijou de mosaïques et de faïences, l’Histoire de cette ville est également connue pour sa richesse scientifique et mathématique. En témoigne encore aujourd’hui l’héritage culturel laissé par Ulugh Beg, petit-fils de Timur, dont le grand objectif de sa vie fut « d’instruire l’esprit des musulmans et musulmanes. » Parmi cette postérité intellectuelle, c’est une nouvelle fois les rues de Samarkand qui nous emmènent, ici, sur une colline située à l’extérieur de la ville, en haut des marches conduisant à l’incroyable observatoire astronomique d’Ulugh Beg. Un appétit pour les sciences que l’on retrouve également en période soviétique, en atteste le Général Tubert qui, durant son voyage, fit remarquer que « l’institution la plus hautement qualifiée de la recherche scientifique est sans conteste l’Académie des Sciences d’Ouzbékistan qui, d’abord filiale de sa grande aînée de Moscou, est, depuis 1943, complètement autonome. » Des qualités oubliées, à l’image de cette ville passée dans l’ombre de Tashkent, et ce à tous les niveaux, historiques ou footballistiques.

Le Dinamo Samarkand, l’autre oublié

Dans le football ouzbek, il y a le Pakhtakor Tashkent. Il y a également Bunyodkor, autre club basé à Tashkent. Dans ce football national, il y a également le Lokomotiv. De Tashkent. Il y a également eu l’ODO Tashkent. Sans oublier le Mashstroi Tashkent. Ou encore le Sokov Tashkent. Dans cette histoire footballistique locale, il ne faut pas oublier le Zvezda Tashkent, et encore moins le Spartak Tashkent. N’oublions pas également le Dinamo Tashkent, le MHSK Tashkent ou encore le FC Dustlik, club situé à quelques kilomètres de … Tashkent. Face à cette énumération rébarbative, un constat est assez simple : le football ouzbek a, dans la totalité de son histoire, été marqué par une influence massive de la capitale du pays. Une capitale qui n’a pourtant été proclamée qu’en 1930, la République socialiste soviétique d’Ouzbékistan étant gouvernée de 1924 à 1930 depuis…Samarkand.

Tachkent qui a vu défilé au fil des années nombre de clubs et nombre de champions. Une capitale qui a fait de son Pakhtakor le plus grand club d’un pays. Une capitale qui tente encore de rayonner grâce à ses autres clubs, encore vivants, venant concurrencer les premières places de la première division nationale d’année en année. Heureusement, pour donner un nouveau souffle à tout ce beau monde, un seul prétendant véritable a su sortir du lot : le Neftchi. De Fergana. Loin de Samarkand. Car si cette dernière est une ville majestueuse grâce à sa beauté visuelle et historique, grâce à ses contes et légendes, grâce à ses Hommes forts et ses inventions, la ville de Samarkand n’a pour seule destinée que l’ombre. L’ombre comme seul cadeau offert par cette capitale, cette grande capitale répondant au nom de Tashkent.

« C’est quoi encore ce club à la con » fut d’ailleurs entendu à plusieurs reprises dans les couloirs de la rédaction. Preuve, s’il en fallait encore une, du statut de loser ultime de ce Dinamo. De cette image d’oubliée de la grande histoire du football soviétique qui semble coller définitivement à la peau d’un club qui ne demandait qu’à rayonner à l’image de sa ville.

Pourtant, tout n’avait pas si mal débuté avec une date de fondation en 1960. Soit seulement quelques petites années après le Pakhtakor. Un écart pas si grand sur le papier qui ne va cesser de s’agrandir avec le club de la capitale. Pendant que, dans ces années 60, les clubs participants au championnat d’URSS de football ont le plaisir de goûter aux compétitions européennes pour la première fois de  leur histoire, le Dinamo Samarkand est déjà fidèle à sa future réputation d’âme morte dans la lignée de Nicolas Gogol, celle d’un club mort-né se faisant passer tant bien que mal comme vivant dans les archives officielles du football soviétique.

Soyons francs vous et moi, ce Dinamo-là n’a pas suivi la trace de ses grands frères de Kiev, Moscou ou encore Tbilissi. Celui de Samarkand n’a pas connu de grandes heures de gloire dans sa période soviétique ni dans sa période indépendante. Son seul plaisir aura été quelques parcours fulgurants en Coupe d’URSS et des batailles acharnées en Class B, soit la Division 2 soviétique, voire même la Class C (Division 3), à partir de 1976. Entre temps, le club jouera dans … le championnat local ouzbek, pendant 4 ans, en ayant changé de nom, passant de Dinamo à « Строитель » (Stroitel) soit « Constructeur », en français dans le texte. Un changement de nom qui porte d’ailleurs chance au club des néo-constructeurs avec un trophée républicain remporté en 1973 ! Le charme soviétique, diront certains.

Mais si Samarkand vit dans l’ombre de la capitale, la ville et son club ont en commun leur amour pour l’altérité, celle qui grâce aux rencontres et aux voyages permet à un club d’ajouter quelques lignes ; quelques lignes à mettre en avant dans son histoire. De là, en traînant sur les archives du football ouzbek traitant du club, quelques lignes vous sauteront aux yeux, comme ce match face au club de l’Armée de Mongolie, en 1968, ou encore ce premier match international, en 1966, contre « un club français. » Le nom ? Aucune idée. Rien n’est indiqué. Même dans les informations données par le club. De même que cette année 1978 où le club sera invité en Hongrie par la Fédération hongroise de Football, ou encore de ce voyage au Vietnam, en 1980, afin d’y jouer des matchs amicaux. Avant de retrouver les douleurs soviétiques, les désillusions, les matchs pour une montée hypothétique dans de meilleures divisions.

Au stade du Dinamo Samarkand ces dernières années (kun.uz)

Le comble de la tragédie interviendra des années plus tard, dans un épisode bien plus douloureux. Nous sommes alors en 1999, bien des années ont passé, l’Ouzbékistan n’est plus une République soviétique et possède alors son propre championnat dans lequel le Neftchi Farg’ona, le Pakhtakor Tashkent, Do’stlik et Navbahor Namangan se disputent les premières places. Alors que le Dinamo n’a que très rarement vibré depuis l’indépendance, dans la bonne lignée de son histoire soviétique, le club connait une saison remarquée avec une cinquième place finale acquise essentiellement grâce à son entraîneur du moment : Mahmud Rahimov. Un nom rappelant, peut-être, quelques souvenirs aux amateurs de football asiatique.

Lui, l’ancien élève de l’Institut d’État à l’éducation physique de Tashkent. Lui, qui viendra ici, à Samarkand, entraîner ce club. Loin de la ville de son enfance, de cette capitale aux mille clubs et mille trophées. Lui, qui fera du Dinamo une équipe agréable à voir et emmènera ce club, cette ville, à une cinquième place synonyme de victoire et de visibilité. Lui, également, qui répondra favorablement aux avances de la Fédération de Football d’Ouzbékistan afin de prendre en charge l’Équipe nationale. Une équipe qu’il qualifiera quelques mois plus tard en Coupe d’Asie des nations après une ultime victoire, le 26 novembre 1999, face aux Émirats arabes unis, faisant de lui le meilleur entraîneur de l’Asian Football Confederation cette année-là. Compétition que Mahmud Rahimov ne verra finalement jamais. La faute à un accident de voiture prenant place, ici, dans cette citée historique, tombée dans l’ombre d’une capitale bien trop imposante. Une citée bénie par ses habitants et ses Hommes du passé. Une citée bénie pour ses contes et légendes, marqués par les récits de voyage, de Marco Polo au Général Tubert, du Général Tubert au bien nommé Dinamo. Une citée aux mille légendes répondant au nom de Samarkand.

Pierre Vuillemot

1 Comment

  1. Pingback: Football, URSS et Ouzbékistan : la demi-gloire du Dinamo Samarcande (3/5) – Novastan français

Leave A Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.