Cet été, dans un anonymat presque relatif en dehors des frontières grecques, l’AE Larissa est remonté en Superleague après avoir décroché le titre à l’échelon inférieur. Jusque-là, rien de bien folichon. Mais si l’ancien club de Daniel Cousin et Laurent Robert mérite qu’on s’attarde dessus, c’est qu’il présente une caractéristique toute particulière : il est le seul club qui ne soit pas à Athènes ou Thessalonique à avoir remporté le titre suprême. Un véritable exploit, sachant que seulement six équipes ont inscrit leur nom au palmarès du championnat. Mais un exploit qui, aussi, commence à remonter. Récit.

Vous avez sans doute, un jour, entendu parler du football grec. En général, pour des questions extrasportives, en rapport avec la corruption, les débordements en tribunes, les ultras ou les salaires impayés. Parfois, les équipes grecques font parler d’elles pour leurs performances, à l’image du Panathinaïkos en finale de la Ligue des Champions 1971, ou, plus récemment, l’Aris qui va gagner sur la pelouse de l’Atletico ou l’Olympiakos qui en fait de même à l’Emirates Stadium. AEK, Panathinaïkos, Olympiakos, Aris, PAOK : les cinq clubs les plus connus du pays, répartis dans les deux plus grandes villes de Grèce, Athènes et Thessalonique. Cinq clubs qui raflent tout, aussi, et qui ne laissent que des miettes au reste, notamment au niveau du palmarès.

Les 80’s, époque dorée

Mais, une petite équipe résiste encore et toujours à l’envahisseur, pour reprendre une expression célèbre. Elle prend sa source en plein coeur de la Grèce, dans une région que les fans de mythologie connaîtront : la Thessalie, royaume des Centaures et des Lapithes. Cette équipe, c’est l’AE Larissa FC, plus communément appelé AEL dans le jargon footballistique. Fondé en 1964, le club prend ses quartiers dans le stade Alcazar, situé dans le parc éponyme, et adopte les couleurs cramoisi et blanc sur son emblème, fait d’un cheval en train de se cabrer. Voilà pour le décor. Sur le terrain, en revanche, l’AEL mettra un peu de temps pour gagner son ticket pour l’élite. Il faudra attendre, pour être précis, le mois de juin 1973 (9 ans plus tard), et une victoire contre Kallithea pour voir Larissa décrocher son précieux sésame pour la Superleague.

Après quelques années de tâtonnements, entre descente et promotion instantanée, Larissa parvient à se stabiliser dans l’élite, notamment sur le plan financier, point qui constitue un élément fondamental dans l’histoire d’un grand nombre de clubs grecs. La stabilité, aussi, expliquera ce qui restera dans l’histoire de ce club : cette fameuse décennie des années 80, que l’on pourrait qualifier d’époque dorée. L’AEL décide de miser sur une recette assez simple, mais finalement peu répandue en Grèce : les jeunes talents locaux, à l’image de Giannis Valaoras, qui compte 102 buts en 346 apparitions avec l’AEL. Et les résultats commencent à pointer le bout de leur nez. Finaliste de la Coupe en 1982 (perdue face au Pana), vice champion l’année suivante, La Reine de Thessalie s’inscrit petit à petit dans le paysage footballistique du pays.

© aelfc.gr
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Sous la houlette de Jacek Gmoch, ancien défenseur du Legia Varsovie et de la sélection polonaise, le club frôle donc le titre lors de la saison 1982-1983 de la feu Alpha Ethniki, échouant à cinq points de l’Olympiakos. On se dit alors que ce petit club modeste ne sera pas capable de se stabiliser durablement à ce niveau-là, sans forcément disposer de moyens incroyables. Et pourtant … Après une autre finale de Coupe perdue (1983-1984), suivie d’une campagne européenne plutôt satisfaisante (élimination en huitièmes de finale contre le Dinamo Moscou), l’AEL parvient à inscrire son nom au palmarès de la compétition, en laminant le PAOK, pourtant champion en titre, 4-1. Le trophée soulevé par Takis Parafestas, le capitaine, sera célébré le lendemain dans la ville, avec la liesse et la démesure que l’on peut imaginer en Grèce.

1988, année bénie

L’AE Larissa est clairement en train de vivre ses années les plus fastes. Le jeu pratiqué est unanimement salué par tous, y compris à l’échelle de l’Europe. Mais, pourtant, il manque toujours un petit quelque chose pour véritablement marquer l’histoire du football grec. Beaucoup de clubs ont connu des époques dorées, faites de finales ou de joueurs qui se révèlent. L’AEL, lui, fera quelque chose qui restera, probablement pendant encore quelques années, inédit : décrocher le titre de Superleague.

Le club se voit retirer 4 points, ce qui, naturellement, ne plaît pas aux supporters, qui s’estiment injustement lésés. Après plusieurs jours de barricades dans la ville, ce qui coupera d’ailleurs le pays en deux, l’État intervient pour remettre un peu d’ordre.

Les conditions n’étaient pourtant pas idylliques à l’aube de la saison 1987-1988. Des contrats ne sont pas renouvelés. Georgios Plitsis, le gardien, signe à l’Olympiakos. Les fans s’inquiètent, commencent à douter. Sera-t-il possible d’aller encore plus haut ? Jacek Gmoch, après des passages au Pana et à l’AEK, est revenu sur le banc l’année précédente. « On partait de zéro, expliquait-il d’ailleurs sur le site de l’UEFA en décembre dernier. Nous avions apporté neuf nouveaux joueurs, et les résultats ont suivi. C’était une équipe très bien organisée, et le fait de remporter le championnat n’était pas un hasard. » Question organisation, le technicien polonais peut compter sur un effectif qui, encore une fois, détonne par son taux de joueurs grecs : seuls deux étrangers, le Bulgare Georgi Tsingof, et le Zaïrois Mulaba Kaniemba, composent le groupe de l’AEL.

« Le but de Mitsibonas a changé la carte du football dans le pays. »

Tsingof fera d’ailleurs parler de lui, mais pas pour son rendement sportif : à la suite d’une rencontre face au Pana, il est contrôlé positif à la codéine, substance pas forcément connue pour améliorer les performances, mais soit. Le club se voit retirer 4 points, ce qui, naturellement, ne plaît pas aux supporters, qui s’estiment injustement lésés. Après plusieurs jours de barricades dans la ville, ce qui coupera d’ailleurs le pays en deux, l’État intervient pour remettre un peu d’ordre. Après une modification du règlement, qui stipule désormais que l’équipe n’est plus responsable en cas de contrôle positif d’un de ses joueurs, l’AEL récupère ses points.

© aelfc.gr
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Le jour historique arrivera, lui, un peu plus tard. Le 1er mai 1988, exactement. Une date restée gravée à jamais dans l’histoire de la Superleague, et de tous les supporters et habitants de Larissa. Ce jour-là, donc, l’AEL reçoit l’Iraklis, lors de l’avant-dernière journée. Une victoire, et le titre est en poche. Symboliquement, c’est un homme de la région qui viendra placer le club dans l’histoire : Georgios Mitsibonas, natif du village de Tsaritsani, et tragiquement décédé d’un accident de voiture en 1997, à seulement 35 ans. À la 87′ minute du match, il claque un somptueux ciseau qui embrase le stade Alcazar. Incroyable, mais vrai : l’AE Larissa, ce petit club parti de rien, vient de décrocher le titre. « Le but de Mitsibonas a changé la carte du football dans le pays, dira l’AEL en 2008, lors des 20 ans du sacre. Ce fut la récompense d’un grand effort, sur la base des principes de l’harmonie, la coopération, la solidarité, la planification, le travail acharné et la camaraderie. »

Après les sommets, la chute

Le schéma est tellement répétitif qu’on se demanderait s’il n’est pas obligatoire dans le football grec. L’Aris, l’AEK : tous ces mastodontes ont connu une longue et sinueuse descente vers les bas-fonds après avoir tutoyé les sommets. L’AEL n’y échappera pas. Comme si, finalement, le fait d’être allé aussi haut était tellement inespéré que ça ne pouvait plus se reproduire. La première étape du déclin arrive en mai 1996, quand le club est relégué en D2, après 18 ans dans l’élite. Dur à encaisser, mais pas tellement surprenant compte tenu de la dynamique affichée sur les saisons précédentes. L’échéance avait pu être retardée, mais pas éternellement.

Le second coup dur, et cette fois presque fatal, arrive en 2001, avec une relégation sportive en troisième division. Pour ne rien arranger, le club croule sous les dettes, et voit se rapprocher (très) dangereusement le risque d’une dissolution et d’un départ à zéro dans le monde amateur. L’AEL connaît alors ses heures les plus compliquées. Pas d’organisation, pas d’argent. Loin de l’époque faste des années 1980. À titre d’exemple, la présaison se fait dans le parc Alcazar et ses tables de pique-nique, loin, bien loin des standards professionnels. Lors du premier match de championnat, à l’extérieur, l’arbitre assistant est touché par un jet de projectile lancé depuis le parcage de l’AEL, qui écopera de trois points de pénalité. L’effectif, très faible, passera tout près de descendre en D4. Au milieu de la saison, le club finira par être racheté par Nikos Sotiroulis, un homme d’affaires du coin, aidé par quelques autres personnes. Renommée AEL 1964 FC, l’équipe retrouvera petit à petit une certaine stabilité, et donc un certain niveau de performance.

Troisième titre et relégation

De retour en 2004 en Superleague après avoir purgé une peine de 9 ans, l’AEL se structure petit à petit, et commence à retrouver une place acceptable, confortablement installée dans le top 8 du championnat. Le champion d’Europe Nikos Dabizas, arrivé en 2005, témoigne de cette volonté des dirigeants de retrouver un niveau de performance qui colle un peu plus au prestige du club. L’ancien club du Portugais Luis Boa Morte retrouvera même, brièvement, la scène européenne, le temps d’un tour de Coupe Intertoto perdu face aux Turcs de Kayserispor.

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Mais là vraie performance arrive le 5 mai 2007, au moment où la France élit Nicolas Sarkozy. Coachée par Giorgios Donis (père d’Anastasios Donis, actuellement à l’OGC Nice), et opposée au Pana du tout jeune Ninis, l’AEL de Christian Bassila (titulaire) s’impose 2-1, grâce à un but du Gabonais Henry Antchouet. 22 ans après, Larissa ajoute un troisième titre à son palmarès. La Reine est de retour, et participe à la coupe UEFA l’année d’après. Après avoir sorti Blackburn en tour préliminaire, le club hérite d’une poule composée de Nuremberg, du Zenit (futur vainqueur), de l’AZ Alkmaar et d’Everton. L’apprentissage sera dur (0 point), mais l’équipe ne sera pas ridicule.

Pourtant, lors de la saison 2010-2011, le club termine 14e, malgré la présence de Daniel Cousin ou Fabrice Pancrate dans l’effectif. Malgré le scandale de corruption qui éclate à l’été 2011, et le déménagement dans le nouveau stade flambant neuf (l’AEL FC Arena), le club arrive donc en Football League. Avant de finir en D3 l’année d’après, bénéficiant de cette mesure qui permet aux clubs endettés de repartir amateurs, sans dette. Un éternel recommencement.

2016, le grand retour

Il en faut plus pour tuer l’AE Larissa. Débarqué en juillet 2015, Alexis Kougias, nouveau président, initie la remontée du club dans l’élite, qui arrive finalement l’an dernier au terme d’une saison maîtrisée de bout en bout, et ponctuée du titre. Voilà donc ce club historique revenu à un niveau qui lui correspond un peu plus. Niveau recrutement, la prime est donnée à l’expérience, composante presque indispensable pour survivre dans ce championnat si particulier et hétérogène.

https://www.youtube.com/watch?v=Io6lUiDR1Rw

Dans sa belle enceinte, largement au-dessus de la moyenne dans un pays où les stades sont souvent en désuétude, l’AEL arrive à un point important de son histoire. Ses installations devraient lui permettre de se structurer, et d’afficher un niveau de recettes non négligeable dans un pays frappé par la crise. Le premier pas essentiel vers le retour à la performance sportive. Cette année, l’objectif d’Angelos Anastasiadis, le coach, sera d’assurer le maintien. Et puis de monter, petit à petit, le niveau d’exigence. L’exemple de l’AEK, revenu de l’enfer vers les sommets en très peu de temps, est porteur d’espoir. Après tout, l’époque dorée de l’AEL a pris du temps à se lancer. Mais, 28 ans après, elle demeure encore dans toutes les mémoires.

Martial Debeaux

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