Temps de lecture 8 minutesKrzysztof Piatek, des contreforts gris de Niemcza au soleil éclatant di Genova

Il est certainement le joueur dont parle le plus l’Europe du football depuis le début de saison. Et il y a de quoi. Quasiment inconnu pour la plupart des suiveurs du football européen, notre Homme jouait il y a encore peu en Pologne, du côté du Cracovia, et explose désormais en Italie, et plus précisément à Gênes, en Serie A, devenant ainsi l’attraction première des douces rives méditerranéennes. Lui, c’est Krzysztof Piątek. Lui, c’est celui qui a décidé de démarrer son aventure italienne sous les meilleurs auspices. Lui, c’est cet attaquant que l’on compare à tout va à d’illustres prédécesseurs, de Shevchenko à Milito en passant par Ronaldo ou Ibrahimović, et bien évidemment Lewandowski, nationalité oblige.

À Niemcza, Ronaldo Luís Nazário de Lima comme protecteur

Niemcza est un petit bourg de Basse-Silésie où règnent calme et tranquillité. Au pied des Góry Sowie, une chaîne de montagnes dans les Sudètes centrales, la vie s’écoule doucement au rythme des flots de la Ślęza. Un quotidien troublé par intermittence par les quelques cars de touristes s’en allant admirer les paysages montagnards ou par les badauds, investissant le centre-ville et son Rynek, pour finir de flâner entre les fortifications du XVe et XVIe siècle de la petite ville endormie. C’est dans ce paysage de carte postale, un peu staromodny, que Krzysztof Piątek passe son enfance. Niemcza n’offre que très peu à faire et les jeunes passent leur temps sur les bancs des quelques parcs en bas de leurs petits blocs, à attendre la fin du jour comme une délivrance et à zoner sans but ni futur. Un refrain fréquent dans cette Pologne rurale.

« À Niemcza, il est difficile de trouver un travail. Les gens font passer le temps comme ils le peuvent. Beaucoup de mes camarades d’école se sont perdus dans les substances illicites ou dans l’alcool. Quand je retourne chez moi voir mes parents, je ne suis plus surpris de voir ce qu’ils sont devenus », explique Krzysztof Piątek.

Ces parents, justement, ne sont pas de ceux qui laissent leur progéniture se morfondre dans ce rien qui fait le quotidien de beaucoup. Et c’est par son père que Krzysztof découvre le football. Un père lui-même ancien joueur de niveau régional voyant en son fils, dès le très jeune, des qualités sportives au-dessus de la norme. Un père rêvant également de stades pleins acclamant ce fils dont le dépassement de soi devient une marque de fabrique. Un père qui, de retour de Norvège, où il travaillait jusque-là, décide d’inscrire sa jeune progéniture au centre de formation du Lechia Dzierżoniów. Un club qui se situe à une quinzaine de kilomètres de la maison familiale et est réputé dans toute la région pour attirer les meilleurs jeunes, leur offrir du temps de jeu en équipe première, un entraînement de qualité et un encadrement quasi professionnel. Le Lechia est une pépinière familiale, un cocon qui voit le jeune Piątek s’épanouir et forger son caractère.

Krzysztof Piatek, premier rang, en bas à droite | © Lechia Dzierzoniow

Dans ce quotidien morne, le football devient alors une porte de sortie, un échappatoire sur lequel se repose ce néo-leader de vestiaires à la mentalité de fer. Pourtant les journées, elles, sont bien chargées : levé dès six heures du matin, le garçon avale sur le pouce son petit-déjeuner après son heure de natation quotidienne, prend sur le chemin un sandwich préparé par sa mère, avant que son paternel l’emmène, en voiture, à Dzierżoniów pour débuter une matinée de cours puis les traditionnels entraînements postprandiales. Le soir, rebelote : trajet, souper, repos. Un train-train footballistique placardé jusque dans sa chambre de pré-adolescent au papier peint uni recouvert de deux posters : Ronaldo d’un côté, Zidane de l’autre.

Un départ, une talonnade et Lubin

Très vite, pour le bien de son fils, pour sa maturité et son indépendance, le père de famille décide de ne plus se rendre à Dzierżoniów : Krzysztof doit désormais prendre le vieux bus de la PKS qui met une heure à rejoindre la ville voisine. Un changement que Piątek accepte bon gré mal gré.

Au Lechia Dzierżoniów, les scouts de tous les grands clubs polonais viennent chaque week-end observer les jeunes de l’académie. En cette année 2013, le club de ville de 35 000 âmes possède une génération talentueuse composée notamment de notre Pistolero et de son ami Jarosław Jach. Les rumeurs sur le talent précoce de ces deux-là font rapidement le tour de la Basse-Silésie et Piątek ne joue qu’une petite poignée de matchs (sans marquer) avec l’équipe première avant d’être repéré par le Zagłębie Lubin. Et plus précisément par Jacek Kubasiewicz, entraîneur des gardiens du club de Lubin et fier habitant de Dzierżoniów. Un homme qui possède une certitude : ce jeune attaquant de 17 ans et son compagnon défenseur âgé alors de 18 ans sont les futurs grands du football polonais. Deux joueurs que le Zagłębie Lubin décide de prendre à l’essai.

« Dès les premières minutes de son essai, nous savions qu’il [Piątek] allait rester ici. Son instinct de buteur, sa capacité à pouvoir marquer du gauche et du droit … Tout cela nous a sauté aux yeux », se souvient Jacek Kubasiewicz.

Arrivé au Zagłębie pour une dizaine de milliers d’euros et un gros pourcentage à la revente négocié par le Lechia, la première saison de l’attaquant est faite d’adaptation à la vie de la « grande ville » et à un environnement plus concurrentiel et moins familial. Pour garder ses repères, il emménage avec Jarosław Jach dans un appartement non loin du centre-ville. S’ils restent sérieux, les deux amis passent du bon temps en collocation : quelques sorties, quelques bières et un rituel post-entraînement fait de parties sur Counter Striker.

Quand il ne le passe pas à désamorcer des bombes virtuelles, la majorité du temps de Piątek  est consacré au football avec, comme premier tournant de vie, en 2014, à 19 ans, une première entrée en jeu. Lancé par Piotr Stokowiec, homme aux costumes à carreaux et pochettes orange, Harry Poter du football polonais et fin technicien, Piątek inscrit son premier but sous les couleurs des Miedziowi :  descendu en deuxième division, le Zagłębie affronte le Chobry Głogów à domicile ce 12 septembre 2014. Six minutes après son entrée, d’une magnifique talonnade acrobatique sur un corner venant de la gauche, il délivre le public de Lubin et s’en va fêter son premier but professionnel avec la foule.

Artisan de la remontée du club en Ekstraklasa, le bonhomme  comptabilise six buts et trois passes décisives lors des onze derniers matchs de la saison joués. Un attaquant qui fait mouche et qui, surtout, impressionne par sa maturité précoce. D’autant que celui-ci fait la rencontre de sa compagne actuelle, Paulina Procyk, alors étudiante en droit et de quatre ans son aînée. À l’image d’une Anna Lewandowska, Paulina prend le jeune homme sous son aile, l’aide à passer son permis, suit de près sa nutrition et l’aide plus générale à s’émanciper. Un soutien de poids pour ce jeune adolescent talentueux.

« Elle m’a fait découvrir un autre monde, un monde d’adultes. J’ai changé et, grâce à elle, j’ai grandi en tant qu’Homme », se souvient Krzysztof Piątek.

Rupture footballistique et nouvel amour

La suite , elle, est différente. S’il passe une saison de plus du côté du Lubin, en Eksraklasa, sa vision du football et ne coïncide guère avec celle de Stokowiec. Très actif sur et en dehors des terrains, Piątek s’impose un rythme de travail intensif fait de séances d’entraînement supplémentaires et d’ateliers musculations. Sur les terrains, le jeune attaquant est le stéréotype du buteur né : gueulard, pestant et s’agitant quand le ballon ne vient pas à lui, gratifiant ses coéquipiers de gestes d’humeurs intempestifs.  Leader né, vivant que pour le but, Piątek veut jouer le plus haut possible, veut sentir la pression des défenseurs dans la surface de réparation ; ne demande qu’à fusiller le premier gardien adverse venu. Et s’il n’est pas content de ses performances, alors l’entraînement du lendemain sera encore plus dur. Encore plus long. Un forçat qui épuise peu à peu son entraîneur, Stokowiec.

Néo-international espoir polonais – mais néanmoins dans l’ombre de Mariusz Stępiński -, Piątek ne tarde pas à attirer les courtisans. Parmi eux, Jacek Zieliński, alors entraîneur du Cracovia. Les arguments font mouche : l’attaquant rejoint la Petite Pologne avec le rôle de leader sur le front de l’attaque.

« Les défenseurs n’aiment pas ce genre d’attaquant. Agressif, constamment dans leurs pieds et ne leur offrant aucun répit », explique Jacek Zieliński. 

Du côté de Cracovie, Krzysztof Piątek s’intègre parfaitement dans son nouveau club et se relève rapidement aux suiveurs de l’Ekstraklasa. Très peu de temps après son arrivée, ses caractéristiques et son caractère font de lui un nouveau Lewandowski en puissance. Et s’il sourit quand on évoque ce nom, Piątek ne cache jamais son admiration pour son aînée, avant d’ajouter les noms de Ronaldo – hommage à son premier flocage – et Suarez – dont il dévorera l’autobiographique quelques mois plus tard. Tant d’attaquants qui, outre leurs qualités techniques, aiment se mettre minable à chaque disputé.

Le jardinier Probierz et son éclosion cracovienne

Dès sa première saison au club, le garçon dépasse pour la première fois de sa carrière la barre symbolique des dix buts. Zieliński lui fait confiance et Piątek le lui rend bien.

Pièce maîtresse d’un système tourné vers l’offensif, Piątek montre ses qualités, n’hésitant pas à décrocher ci-et-là pour toucher le cuir, s’incrustant entre les lignes adverses puis se muant en renard des surfaces toujours prêt à mettre le pied ou la tête au bon moment, au bon endroit. Ici, à Cracovie, le jeune attaquant vedette étoffe sa palette tactique et technique, mais reste par moment un enfant dissipé, déversant son énergie à tort et à travers sur le terrain.

Un point sur lequel Jacek Zieliński puis Michał Probierz – nouveau coach du Cracovia durant la saison 2017/18 – le font travailler. Si ce dernier laisse volontiers du temps à ces jeunes pousses pour éclore, il n’en demeure pas moins un entraîneur à poigne dont la patience se consume match après match.

« Je critique rament un joueur en public, mais je n’ai pas le choix aujourd’hui, car il semble que les discussions que nous avons eues ne portent pas leurs fruits. J’ai rappelé plusieurs fois à Krzysiek que son comportement sur le terrain n’était pas approprié surtout pour un capitaine. Il doit changer, sinon il ne pourra atteindre le niveau supérieur », ajoutait Michał Probierz.

Réceptif aux critiques de celui qui a remis Kamil Grosicki sur le droit chemin (lire aussi : Kamil Grosicki, le rescapé), Krzysztof s’apaise peu à peu et son efficacité s’en ressent. Malgré une saison en dent-de-scie loin des objectifs fixés, le néo-capitaine tire la couverture à son avantage et tient à lui seul le club de l’ancienne capitale polonaise. Quand il ne marque pas, Piątek est à la construction des buts, prend ses responsabilités sur le terrain, arrange les troupes et s’en va tirer les penaltys obtenus par les siens. Celui que ses coéquipiers surnomment « Lewy » a définitivement passé le cap.

L’Italie à ses pieds

21 buts marqués, 4 passes décisives distillées et 7 cartons jaunes. Un condensé chiffré symbolisant à la perfection les qualités et défauts du Silésien. De quoi également intéresser les grands championnats, d’abord l’Angleterre, mais surtout l’Italie, terre fertile pour l’éclosion des jeunes talents polonais, grâce aux connexions de ses représentants – dont l’agence possède également Linetty et Bereszyński, jouant tous deux à la Sampdoria de Gênes. Gênes, ville d’accueil de Piątek qui, lui, se dirige finalement vers l’autre acteur du mythique Derby della Lanterna : le Genoa. Un transfert de quatre millions d’euros qui pose quelques questions en Pologne.

Car si tout le monde s’accorde à donner du crédit au jeune Piątek, des doutes autour du jeune homme persistent : son caractère, bien qu’apaisé, peut se réveiller à tout moment s’il n’est pas canalisé. De même, bien que précoce, le néo-génois ne possède à son actif qu’une saison à plus de 15 buts. Léger, sur le papier, pour venir faire la loi en Serie A.

Mais Krzysztof Piątek est de la moelle des fonceurs-bosseurs. De ceux qui ne restent pas à là à se contempler des heures durant dans le premier miroir venu. De ceux préférant cravacher sur les terrains d’entraînement, à l’ombre des caméras, afin d’être fin prêt le jour venu.

La suite vous la connaissez tous : arrivé sur la pointe des pieds, voilà que le bonhomme met rapidement l’Italie et l’Europe au parfum ; une présaison stratosphérique et un début de saison mésosphérique finissent de convaincre les plus dubitatifs. Les records tombent, la machine médiatique s’emballe.

En deux mois, tout le gratin du football européen semble aujourd’hui à ses pieds, de Milan à Munich, de Liverpool à Madrid. Dans toutes les langues, dans tous les journaux, le Polonais devient « le nouveau Lewandowski » et l’attaquant européen le plus bancable du moment.

Quelle sera la prochaine étape ? Arsenal ou le Paris-Saint-Germain, ses deux clubs de coeur ? Le gamin de Niemcza a le temps pour y songer. Avant tout cela, nul doute que le garçon préfère penser à ses futurs séances d’entraînement,  à ses longues journées de trime, à ses filets qui tremblent et qui continueront de trembler. Dans les pas de Milito et consorts, Piątek veut désormais graver son nom comme César passant le Rubicon. Alea jacta est.

Mathieu Pecquenard / Tous propos recueillis par les journaux polonais Weszlo, Onet et Przeglad Sportowy ; traduction du polonais au français par M.P. pour Footballski.fr

 

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