Kamil Grosicki, le rescapé

Ses récentes prestations lui ont permis de prolonger son contrat jusqu’en 2020. A deux mois de l’Euro 2016, Kamil Grosicki marche sur l’eau et espère offrir à Rennes son rêve européen. Portrait d’un repris de justesse.

KAMIL, LE POLONAIS CHEZ LES BRÉSILIENS

La carrière de Kamil Grosicki commence à Szczecin, sa ville natale. C’est ici, près de la frontière allemande, que le jeune ailier prend ses marques dans le football professionnel. Grosicki intègre le groupe pro du Pogoń Szczecin à 18 ans et devient rapidement titulaire au sein de la formation des Portowcy. Il faut dire qu’à l’époque, le Pogoń est tout sauf une équipe structurée. Le club est aux mains d’Antoni Ptak, homme d’affaires atypique qui vit une passion pour le football brésilien.

« Depuis des années, je suis amoureux du football brésilien. Depuis longtemps, j’ai amené des joueurs de leur pays d’origine à des clubs que je dirigeais. J’ai même créé un centre de formation pour les Brésiliens dans la ville de Piotrków Trybunalski. C’était la première fois qu’il y avait un groupe d’étrangers comme ça.  » Déclarait Ptak au magazine Tylko Piłka

Sous sa présidence, le club devient rapidement la risée de la Pologne. Ptak s’entête à bâtir une équipe composée majoritairement de joueurs sud-américains, mais les résultats ne suivent pas. A l’issue de la saison 2006/2007, le Pogoń Szczecin possède alors deux nationalités dans son effectif, à savoir une armada de 17 Brésiliens et seulement 10 Polonais, dont trois gardiens.

Avec un tel effectif, le club ne tient pas, est relégué en deuxième division et met définitivement fin aux fantasmes d’Antoni Ptak. Lors de cette même saison 2006/2007, Kamil Grosicki est un des rares Polonais au sein de son équipe de cœur. Malgré son jeune âge, ses bonnes prestations lui permettent de rejoindre le Legia Varsovie – club fortement apprécié des supporters de Szczecin.

DES TERRAINS AUX EXCÈS

Tout semble alors sourire au jeune joueur, mais son intégration dans la capitale polonaise ne se déroule pas comme prévu. Très jeune, Grosicki est vite pris dans une spirale destructrice. Entouré de joueurs plus âgés que lui, il tombe rapidement dans l’excès. Soirées, alcool, casinos – les sorties nocturnes deviennent une habitude hautement addictive. A peine commencée, sa carrière est déjà au bord du gouffre.

« J’allais souvent au casino, pratiquement tous les jours. Je pouvais y aller à minuit et partir le lendemain à midi. Comme j’avais perdu tout mon argent, je restais assis et regardais les autres jouer » déclarait le joueur en 2007 à Legia.net

Le joueur du Legia perd rapidement pied et il se voit obligé d’emprunter de l’argent pour rembourser ses dettes cumulées aux casinos. En quelques mois celles-ci atteignent près de 300 000 złotys, une somme colossale pour un jeune joueur polonais. Grosicki avait ses habitudes à l’hôtel Polonia, où il était capable de perdre l’équivalent de trois mois de son salaire de l’époque. Pour échapper à la surveillance du staff, il lui arrivait aussi de filer à l’aéroport directement après la fin de son entrainement. Deux heures plus tard, le voilà à Szczecin où il ne doit plus se soucier des regards furtifs. Grosicki joue gros, mais cela ne semble pas l’affecter…

« J’ai commencé à jouer à l’âge de 17 ans. Rapidement, j’ai gagné le premier lot et le jeu m’a dévoré. Le casino est un lieu comme les autres, à condition d’y aller de temps en temps et pour le plaisir. Tout le monde aime les moments de risque, de tension, mais j’ai perdu le contrôle. J’ai perdu tout l’argent que j’avais, jusqu’au dernier sou, maintenant je n’ai plus rien. Je ne veux même plus marcher dans les rues où il y a des casinos … » – Legia.net

Le Legia finit par intervenir et par prêter le joueur au FC Sion. La Suisse doit endurcir le garçon et servir de nouveau départ. Néanmoins, l’aventure tourne rapidement au calvaire. Bien qu’il soit logé non loin du stade, Grosicki arrive souvent en retard à ses entraînements et renonce aux cours de français organisés par le club. Au volant de sa voiture et sans permis de conduire, il est même impliqué dans deux accidents sur les routes du canton de Valais. En quelques mois, le milieu polonais ne dispute que huit matches de championnat avec le FC Sion et quitte la Suisse sur un échec total.

« A la fin, les dirigeants m’ont présenté un papier. Je n’y comprenais rien, vu que je ne savais pas lire le français. Ils m’ont dit qu’ils ne me laisseraient pas partir si je ne le signais pas, alors je l’ai fait. C’est après qu’on m’a dit que je venais de renoncer aux salaires que le club me devait. » – Wirtualna Polska

Entre temps, le joueur est envoyé par le Legia dans un centre spécialisé dans la lutte contre les addictions. Pendant son bref séjour, les assiettes classiques prennent une forme rectangulaire afin de ne pas lui rappeler la fameuse roulette.« J’y étais enfermé avec des alcooliques et toxicomanes, trente personnes en tout. Il y en a un qui buvait des parfums, l’autre qui sniffait de la colle et moi je parlais de ma dépendance aux jeux d’argent. Chaque journée était planifiée de telle sorte qu’on ne puisse pas réfléchir à nos problèmes, j’y suis resté un mois » – décrira-t-il plus tard. Cet épisode, le joueur le vit comme le plus sombre de sa carrière professionnelle. Grosicki est alors a deux doigts de mettre un terme à celle-ci et rentre à Szczecin où il s’entraine dans les parcs municipaux sous l’œil de son père.

Comme il l’expliquait, toujours dans cette interview, durant ces deux années, Kamil aura tout perdu. Que ça soit l’argent ou la confiance de ses coéquipiers. Lui qui rêvait d’acheter un appartement et une voiture était alors au fond du trou. Malgré tout, et comme on peut le voir aujourd’hui, le joueur se relèvera de cette épreuve en devenant « l’homme normal » qu’il voulait tant être avant cette cure de désintoxication.

© JANEK SKARZYNSKI/AFP/Getty Images
© JANEK SKARZYNSKI/AFP/Getty Images

En tant que joueur du Legia Varsovie, Grosicki connaît tout de même sa première sélection avec les Bialo-Czerwoni. Le sélectionneur Leo Beenhakker découvre le potentiel du bonhomme, mais Grosicki peine à durer en sélection. De la stabilité, le joueur en trouve du côté de Białystok, ville du Nord-Est Polonais et capitale du Disco-Polo. Bien que le joueur a perdu la cote dans son pays natal, le transfert est tout de même un grand coup pour le Jagiellonia. Pour finaliser l’accord, le président Cezary Kulesza décide d’offrir un verre au joueur et à son agent. Grosicki demande alors un vodka-sprite, en toute simplicité.

LA REMONTÉE DES ENFERS

À Białystok le joueur est plus facilement repérable qu’a Varsovie. De ce fait, chacun de ses excès est rapidement relayé au président Kulesza. « Un jour je suis parti acheter des préservatifs. A peine dix minutes plus tard je reçois un coup de fil de mon président, qui me demande qu’est-ce que je faisais » – raconte-t-il dans une de ses interviews. Au Jagiellonia, le joueur de 22 ans connait aussi deux mentors d’exception – l’entraineur Michał Probierz et le capitaine Tomasz Frankowski.

Ces derniers étaient comme des pères pour le joueur, des personnes qui étaient derrière Kamil, qui ne le lâchaient pas et qui voulaient s’assurer de son bien. Quitte à lui rentrer parfois dedans. Ainsi, un jour, quand le joueur rata un entrainement après une bonne cuite durant la nuit, son entraîneur Michał Probierz n’hésitera pas à aller directement chez le joueur. Après avoir bien insisté, la femme du joueur laisse alors rentrer l’entraineur alors que son mari dort encore avec beaucoup trop d’alcool dans le sang. Pour le réveiller, Probierz beuglera un « Grosik! Il y a des mecs d’Aston Villa au stade qui sont venus te voir! » Bien qu’Aston Villa ne soit pas le club le plus vendeur – on ne sait d’ailleurs toujours pas pourquoi Probierz a choisi ce club -, Grosiki ne se réveillera pas. Malgré tout, cette histoire permet de symboliser la situation qu’il pouvait exister dans ce club et le rôle qu’a pu jouer une personne comme Michał  Probierz dans le retour du joueur au premier plan.

De même, Cezary Kulesza, le président du Jagiellonia Białystok, n’avait pas hésité à recadrer son joueur en pleine rue un soir après avoir su que Grosicki était sorti en ville faire la fête. Un homme pour qui Grosicki garde encore un très bon souvenir à Białystok, « ce fut lui qui me voulait, pas l’entraîneur Probierz. Je lui dois beaucoup » racontait le joueur à Polska The Times.

En deux saisons à Bialystok, le joueur marque les esprits, est nommé dans les trophées du meilleur joueur polonais et prend goût pour la musique locale, le disco polo dont LA ville n’est autre que Białystok. Pas forcément du meilleur gout. Le président Kulesza est lui même un ancien baron du disco polo. Fondateur d’une maison de disque appelée GreenStar, qu’il lance en 1994, le président du Jagiellonia n’a alors aucun mal à écouler par millions ses stocks de cassettes… Dans les années 90, ce genre musical dérivé du disco devient un véritable phénomène de société en Pologne et reste toujours populaire dans la région de Białystok. Le disco polo rime avec la fête et ça, Kamil sait très bien l’apprécier. C’est donc sans surprise que le natif de Szczecin fait jouer le groupe culte Boys lors de son mariage avec Dominika en 2011.

https://www.youtube.com/watch?v=J-AvmyjnZeo

Sur les terrains, avec Tomasz Frankowski, l’ancien attaquant du RC Strasbourg et du Wisła Cracovie, Grosicki forme un des meilleurs duos offensifs de l’époque. Le joueur s’inscrit même dans l’histoire du club, en remportant la Coupe et la Supercoupe de Pologne en 2010. Ses bonnes prestations lui permettent de retenter sa chance à l’étranger. Nous sommes en janvier 2011, le joueur signe à Sivasspor pour un million d’euros.

D’UNE JEUNESSE DIFFICILE À UN AVENIR RAYONNANT

La Turquie est un deuxième tournant dans la carrière du joueur, qui s’impose rapidement comme une valeur sûre du championnat. Ses bonnes prestations attirent les recruteurs locaux et Galatasaray lui fait même les yeux doux. Rien n’y fait, Sivasspor refuse de renforcer la concurrence locale. Cette seconde expérience à l’étranger est une réussite, il dispute 84 matchs de championnat et marque 13 buts.

© JEAN-SEBASTIEN EVRARD/AFP/Getty Images
© JEAN-SEBASTIEN EVRARD/AFP/Getty Images

Début 2014, lors du mercato hivernal, le Stade Rennais récupère l’international polonais qui vient alors de se brouiller avec Roberto Carlos, entraîneur en place depuis quelques mois. L’affaire est vite conclue à la grande joie de son agent Mariusz Piekarski, qui trouve enfin le moyen de se défaire des dirigeants de Sivasspor. Le joueur débarque en Bretagne pour 800 000 euros et ses débuts sont vite très encourageants. Grosicki devient le SuperSub de Philippe Montanier et s’installe durablement au sein de la sélection d’Adam Nawałka.

« Je me suis calmé, désormais tout ce qui m’intéresse c’est le football. Je travaille avec un coach mental depuis deux ans. Au début on faisait trois sessions par semaine, maintenant deux par mois suffisent. Je veux qu’on me traite sérieusement, pas comme le Grosik fêtard de l’époque… » – Przegląd Sportowy

C’est alors qu’arrive la saison 2015/16, celle de l’épanouissement. Kamil et sa Pologne décrochent une troisième participation aux championnats d’Europe des Nations. Le Rennais devient même un élément clé au sein de l’équipe nationale avec des joueurs comme Robert Lewandowski, Grzegorz Krychowiak ou Kamil Glik. En club, les bonnes performances s’enchaînent et Rolland Courbis en fait un titulaire indiscutable. Les galères sont désormais bien loin du joueur, qui semble enfin avoir trouvé un équilibre en Bretagne.

Jordan Berndt


Image à la une : © JANEK SKARZYNSKI/AFP/Getty Images

3 Comments

  1. Madboy 7 avril 2016 at 22 h 09 min

    Pour info, c’est Obraniak qui revenant de sélection polonaise à Lille avait dit à Buisine de garder un oeil sur le bonhomme.
    Quand Buisine est arrivé à Rennes, il est venu avec ses notes…

    Reply
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