Avant de se livrer à de bouillants derbys face à Újpest, Ferencváros a longtemps été principalement aux prises avec un autre club historique de la capitale, le MTK Budapest (Magyar Testgyakorlók Köre). La rivalité entre les deux équipes a constitué le sommet du football hongrois pendant toute la période précédant la Seconde Guerre mondiale. Depuis, cette opposition est quelque peu tombée en désuétude. Mais elle revient de temps à autre sur le devant de la scène, avec des relents d’antisémitisme.

« Lorsqu’un joueur a déjà un carton jaune, il doit faire plus attention. Sans cette expulsion, nous aurions certainement gagné le match. Nous avons beaucoup de choses à régler, nous allons nous en occuper pendant la trêve. » Thomas Doll, l’entraîneur de Ferencváros, a beau tenter de se montrer optimiste et rassurant, le constat n’en demeure pas moins implacable. Ce 10 décembre 2016, lors de la dernière journée de championnat précédant la longue trêve hivernale, son équipe a encore manqué l’occasion de se rapprocher du trio de tête. Face au MTK Budapest, qui lutte pour son maintien parmi l’élite, les Fradi ont pris la rencontre par le bon bout en ouvrant le score, mais ont été réduits à dix suite à l’expulsion du milieu serbe Vladan Čukić et ont fini par encaisser un but de l’inévitable Sándor Torghelle. Le tout devant seulement 4 700 spectateurs. Une bien maigre assistance pour ce qui reste la plus vieille rivalité du football hongrois.

De 1903 à 1929, un mano a mano en tête du championnat

Car il ne faut pas s’y tromper. Si aujourd’hui, ce sont bien les confrontations entre Újpest et Ferencváros qui représentent les rendez-vous les plus chauds de la saison, le derby de Budapest le plus important au regard du nombre de matchs disputés oppose le FTC au MTK. Les deux équipes se sont en effet affrontées à 211 reprises depuis mars 1903. Au Millenáris Sporttelep, les Aigles verts avaient alors pris le meilleur sur les Bleu et Blanc (3-1) et ainsi lancé les hostilités entre ceux qui étaient, à l’époque, les deux meilleurs clubs du pays. Entre 1903 et 1929, la couronne de champion de Hongrie atterrit tantôt sur la tête de Ferencváros, tantôt sur celle du MTK. Ce dernier détient même toujours le record de sacres consécutifs (dix, de 1916 à 1925). Il faut attendre 1930 et l’émergence d’Újpest au plus haut niveau pour que les cartes soient enfin rebattues plus largement. Malgré tout, c’est bien entre les deux géants budapestois que toute l’attention se cristallise, chaque derby étant assimilé à une finale pour le titre.


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Cette opposition, baptisée « Örökrangadó » à partir de 1931, s’est également construite autour de facteurs sociologiques. D’un côté, le MTK, qui représente la bourgeoisie du centre-ville. De l’autre, Ferencváros, soutenu par la classe moyenne et les ouvriers des zones périphériques. Mais un autre critère est assez rapidement entré en ligne de compte. Fondé en 1888 par des aristocrates, des hommes d’affaires et des commerçants qui pour la plupart étaient juifs, le MTK a attiré la sympathie des communautés sensibles au judaïsme. Basé dans un quartier habité par une importante minorité allemande, le FTC a quant à lui des racines chrétiennes. Ce « clivage » religieux n’a cependant qu’une importance secondaire au début du XXeme siècle. D’ailleurs le MTK compte aussi des chrétiens parmi ses pères fondateurs, et Fradi a dans son effectif un certain nombre de joueurs de confession juive.

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Le MTK victime des lois anti-juives, le FTC soutenu par le régime

La situation se tend à l’aune de la Seconde Guerre mondiale, alors que la propagande nazie fait des émules en Hongrie. Le MTK Budapest, vu par beaucoup comme étant le « club juif » en est l’une des nombreuses victimes. En 1940, en application des lois anti-juives entrées en vigueur sous le régime de l’Amiral Horthy, le club est dissout et disparaît donc de la carte du football magyar. Au contraire de Ferencváros, qui est ouvertement soutenu par le pouvoir en place et par le parti des Croix fléchées, une formation politique se revendiquant du nationalisme et de l’antisémitisme. Le club bleu et blanc renaît enfin de ses cendres en 1945. Sans toutefois parvenir à véritablement concurrencer le FTC, qui désormais livre bataille à Újpest. Les Lilák deviennent ensuite les chouchous du régime communiste, qui considère les Aigles verts comme une menace. Le MTK, lui, doit changer d’identité puisque ses couleurs traditionnelles évoquent d’une manière apparemment explicite le drapeau israélien.

A partir du début des années 1950, les clubs budapestois changent de nom et chacun d’entre eux est nationalisé puis placé sous la responsabilité d’un ministère (l’Armée pour le Honvéd, l’Agriculture pour Ferencváros, le Commerce pour Vasas, l’Intérieur pour Újpest). Les joueurs du MTK, quant à eux, dépendent directement de l’AVH, c’est-à-dire la Police secrète. Cela rend ce club extrêmement impopulaire et alimente l’amalgame selon lequel l’élite juive serait de mèche avec les agents de l’AVH. Durant cette période de forte censure, l’antisémitisme n’a pas vraiment voix au chapitre. Mais les tensions couvent et il devient de plus en plus délicat, pour un supporter du MTK, d’afficher fièrement ses couleurs.

Auschwitz, Hitler et László Csatári

Par la suite, les déplacements des Bleu et Blanc sont régulièrement entachés par des chants et autres banderoles à caractère antisémite, faisant référence aux chambres à gaz, à Auschwitz, à Hitler… Cela a notamment lieu lors des derbys face à Ferencváros, dont une frange des supporters se revendique de l’extrême-droite. En 2013, après un match opposant les deux équipes, les Fradi sont condamnés à verser 2 700 euros d’amende à la Fédération hongrois parce qu’une banderole rendant hommage à László Csatári, responsable de la déportation de 17 500 juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, a été déployée dans les tribunes. Cet événement a fait écho aux incidents antisémites ayant entouré la rencontre Hongrie – Israël disputée en août 2012 dans le cadre des éliminatoires à la Coupe du monde 2014. Le temps passe et certains comportements ne sont toujours pas éradiqués…

Le résumé du dernier affrontement entre les deux équipes, le 10 décembre 2016.

Samedi 6 mai, à 20h30, le 212eme « Örökrangadó » de l’histoire, placé à quatre journées de la fin de la saison, revêtira une fois encore une grande importance pour les deux rivaux budapestois. Dans son stade Nándor Hidegkuti, le MTK devra absolument l’emporter pour prendre ses distances vis-à-vis de la zone de relégation, alors que Ferencváros, qui a sans doute déjà dit adieu au titre de champion de Hongrie, peut encore espérer ravir la troisième place à Vasas. La ferveur d’antan s’est certes estompée, mais les enjeux restent de taille.

 Raphaël Brosse


Image à la une : © ATTILA KISBENEDEK via AFP PHOTOS

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