Temps de lecture 11 minutesFootballskiTrip #6: On a discuté avec Joachim Adukor, milieu de terrain du FK Sarajevo

Sixième jour de ce FootballskiTrip et nouvelle interview pour nous, à Sarajevo, avec ce que l’on peut appeler un globe-trotter. Six pays à seulement vingt-cinq ans, Joachim Adukor est parti sur un rythme effréné pour battre le challenge Mathias Coureur. Passé par le Ghana, la Suède, le Portugal, la France, la Grèce et désormais la Bosnie, le milieu défensif a déjà vu du pays ! Entretien (sa fille de 3 ans sur les genoux, une première pour nous) avec l’un des meilleurs joueurs du championnat.


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Joachim, tu as commencé ta carrière au Ghana. Te voilà maintenant en Europe, quel est ton ressenti ?

Je me sens tout d’abord chanceux, très chanceux. Les opportunités, quand tu es Africain, de partir jouer en Europe sont faibles, très faibles. Je ne m’y attendais pas du tout à vrai dire. Bien sûr depuis que j’ai commencé le foot j’avais pour ambition de partir en Europe, mais évoluant en D2 ghanéenne je savais que ça allait être compliqué. Un jour, un mec est venu me voir après un match et il m’a dit qu’il voulait m’emmener jouer en Suède. J’ai cru que c’était une blague, que ça ne pouvait pas être réel. Mais au final ça s’est fait, ce que j’espérais depuis toujours se réalisait enfin !

Tu as commencé ta carrière européenne avec les jeunes du Gelfe IF.

Oui, en effet, quand je suis arrivé en Suède au Gefle IF, j’ai joué avec les U21. J’ai joué pendant sept mois avec les jeunes puis les dirigeants m’ont fait signer mon premier contrat professionnel. C’était un contrat de cinq ans, c’était vraiment une récompense pour moi. Il y avait deux Ghanéens avec moi dans cette équipe, ce qui a facilité mon intégration. L’un était international ghanéen, il m’a vraiment aidé. On jouait en première division, c’était un niveau intéressant.

Comment s’est passée l’acclimatation ?

Les débuts en Suède ont été durs, vraiment durs. Un matin je me suis réveillé et j’ai vu un mètre de neige. C’était la première fois que je voyais de la neige, je m’en souviendrai toujours. Mais je me suis dit, si je veux jouer au football je dois m’adapter et c’est ce que j’ai fait. Mes parents étaient un peu inquiets au début de me voir partir loin, mais après plusieurs mois c’était bon, ils étaient fiers de moi. Mon rêve est de les faire venir un jour, pour qu’ils puissent me voir jouer.

Et à cette époque ton agent était Ghanéen ?

Oui quand je suis arrivé en Suède c’était un Ghanéen. Malheureusement je n’ai jamais eu beaucoup de chance avec les agents. J’en ai eu un du Ghana, un Français, un Autrichien, un Portugais … Mais la plupart du temps se sont des mecs qui gèrent énormément de joueurs en même temps. La connexion est pas forcément bonne, ils sont uniquement intéressés par l’argent, ta carrière c’est secondaire. Maintenant c’est mieux, mon agent est un ancien international nigérian qui a joué pour la Lazio, entre autres. Il a déjà eu affaire à ce monde vicieux et sait ce qu’il ne faut pas faire.

Ton expérience suédoise s’est terminée avec un départ vers le Portugal.

Malheureusement, je ne jouais pas beaucoup en équipe première en Suède. Je n’étais pas content de la situation, j’ai donc décidé de rompre mon contrat et de partir au Portugal, à Trofense. Quand je suis arrivé, tout était bien, ça se déroulait parfaitement, je jouais régulièrement … Mais au bout d’un moment, nous n’étions plus payé, la situation financière était vraiment instable. J’ai dû bouger, car rien n’allait dans le club, c’est à ce moment-là que j’ai rejoint la France.

Et là direction Béziers !

Oui j’ai pu découvrir la France. L’équipe évoluait alors en troisième division, je suis parti deux ans avant la montée en Ligue 2. J’ai vraiment été impressionné de voir l’équipe monter. La France est le pays dans lequel j’ai eu le moins de problèmes. Le club évoluait en National, mais était structuré comme un véritable professionnel et m’a énormément fait progresser. Le niveau est vraiment bon, les joueurs veulent se montrer, c’est vraiment physique ! Il y a beaucoup de très bons joueurs qui méritent de jouer à un niveau supérieur. Je jouais quasiment chaque week-end, c’était parfait.

© Joachim Adukor / Collection personnelle

Tu as appris le français à Béziers ?

Oui, un peu. J’ai appris la base, mais je l’ai déjà oublié (rires). C’est vraiment une langue que je voulais parler. Après mon contrat à Béziers, je voulais rester en France, mais c’est là que mes ennuis ont commencé avec les agents … Le mercato estival avançait, mon agent me disait un jour qu’il avait une opportunité, le lendemain qu’il en avait une autre … Bref le temps passait et j’ai failli me retrouver sans club ! Je lui faisais confiance, mais il ne m’apportait rien. Je voulais absolument rester en France, mais je n’ai pas eu le choix. Le mercato était fermé en France, mais était encore ouvert en Grèce. Un agent m’a appelé et m’a proposé l’OFI Crète. J’ai regardé un peu, j’ai cherché des infos sur le club et j’ai finalement pris la décision de partir.

Plutôt sympa comme destination la Crète, non ?

La Crète c’est vraiment magnifique comme île, le temps est splendide. Tu vas à la plage pour te détendre, c’est un bon climat quand tu es un joueur professionnel. Ce n’était pas vraiment top par contre niveau finance … Les trois premiers mois, j’étais payé à l’heure mais après cela on devait attendre trois mois avant d’avoir un mois de salaire. Moi je voulais juste jouer, l’argent n’est pas quelque chose de principal pour moi. Le jeu passe avant tout, une carrière, c’est court ; bien évidemment il te faut de l’argent pour vivre, mais pour moi ce n’est pas la priorité. Le principal problème, de mon côté, c’est de ne pas avoir de passeport européen. Les clubs sont souvent limités avec les quotas, c’est difficile parfois de trouver un club. L’entraîneur ne m’aimait pas vraiment et ne me faisait pas jouer. Un jour, avec les suspensions et les blessés il a dû m’aligner, j’ai fait un super match et les fans me réclamaient dans le onze. À partir de là, il n’a pas eu le choix.

Tu as pu jouer également avec les sélections de jeunes au Ghana.

J’ai disputé deux matchs avec les jeunes et ça reste un souvenir merveilleux pour moi. C’était deux rencontres de qualifications pour les Jeux olympiques, une contre le Congo et une contre l’Égypte. Quand tu entends l’hymne de ton pays avant la rencontre, ça te donne des frissons … Cette opportunité m’a été donnée quand j’étais au Portugal. Maintenant je rêve de la sélection, c’est difficile quand tu vois le réservoir de joueurs qu’on a. Mais dans le football tout est possible …

Et maintenant la Bosnie ?

Sarajevo, c’est très clairement le meilleur club dans lequel j’ai pu jouer. J’avais déjà eu l’opportunité de jouer quelques matchs d’Europa League et le fait d’avoir pu goûter une nouvelle fois au parfum européen, c’est quelque chose de merveilleux. Ici, je sens que je suis un joueur important, que je fais partie de l’équipe et ça, je ne le sentais pas en Suède. Tu as le sentiment que tu joues dans un club important, que tu as du poids dans le pays.

© FK Sarajevo

Tu es d’ailleurs le seul joueur étranger dans ton équipe.

Quand je suis arrivé en Bosnie, j’étais le seul africain dans le championnat. C’était étrange parce que c’est la première fois que ça m’arrivait ! Dans mes expériences précédentes, j’avais l’habitude d’évoluer avec d’autres joueurs africains et là je débarque tout seul. Maintenant, il y a d’autres Africains, ça commence à venir progressivement et ça montre que le football local s’ouvre.

Tu n’as jamais eu de problèmes avec le fait d’être un joueur de couleur ? Ce week-end on a entendu des cris de singe envers Brandao, le joueur brésilien du Velez Mostar.

C’est étrange parce que le seul problème de racisme que j’ai eu en Bosnie c’était lors d’un match amical contre le Velez, à Mostar ! Quand on rentre aux vestiaires à la mi-temps, les supporters locaux me lancent des insultes et des cris de singe. Je les ai regardés, surpris, mais je n’ai rien dit. Je suis plus fort que ça. Bien sûr ça te remue un peu, mais personnellement ça ne me touche pas, ça te donne juste envie d’être meilleur sur le terrain et de les faire taire. Je n’ai jamais eu ce genre de problème en France, Suède, Portugal, Grèce, uniquement ici ! Je pense que ces gens ne sont pas habitués à voir des gens noirs … Maintenant qu’il y a plus de joueurs africains dans le championnat peut-être que c’est différent.

Comment tu trouves le niveau en Bosnie ?

Le niveau est pour moi difficilement comparable à ce que j’ai vécu auparavant. Le niveau ici est particulier, certains clubs de première division ne sont même pas professionnels ! Je ne te parle même pas de certains terrains, il y a clairement un manque d’infrastructure … L’hiver, c’est horrible, les terrains ne sont même pas déneigés ! Franchement je ne peux pas comparer ce championnat aux pays où je suis allé auparavant, il y a une telle différence entre les meilleures équipes et le reste.

Comment expliques-tu ce qui s’est passé contre l’Atalanta Bergame ? (NDLR : 2-2 à Bergame en tour préliminaire d’Europa League avant une déculottée 8-0 à Sarajevo).

Quand on est allé en Italie, on savait que ça allait être dur. C’était sûr qu’on allait perdre contre une équipe de Serie A. On a dit, « OK on y va, on va voir ce qu’on peut faire. » Et là on accroche le nul 2-2 chez eux. Un véritable exploit, les gens étaient impressionnés, même nous on en revenait pas. Le retour fut un désastre. Un désastre. On était comme pétrifié, incapable de faire quoi que ce soit. Je pense que les Italiens ont dû prendre une grosse soufflante. Ils nous ont pris à la légère à l’aller et ils n’ont pas fait deux fois la même erreur. J’ai vu les matchs qu’ils ont faits contre Lyon et Everton la saison prochaine et je me suis dit, « c’est impossible, ça ne peut pas en rester là. » Ils nous ont détruits, on concédait des buts faciles, ils faisaient ce qu’ils voulaient. Et au final on prend 8-0 à la maison, ça a été difficile de s’en remettre. Le public n’a pas oublié et ne va pas oublier tout de suite. Si on avait perdu 2 ou 3-0, ça serait passé, mais pas 8.

Le match à ne pas perdre reste le derby.

J’ai joué quelques gros matchs en Grèce avec des fans complètement déjantés. Mais là, à Sarajevo …  c’est complètement fou ! Quand tu es joueur et qu’il y a une ambiance de feu autour de toi, avec des fumigènes, des gens qui chantent partout, ça te transcende ! C’est si particulier, les supporters viennent aux entraînements pour nous motiver avant le derby, tu sens que ce match c’est quelque chose pour eux. Ils attendent ça toute l’année. La première fois que j’ai joué le derby, les conditions étaient mauvaises, maintenant j’en suis à quatre.

Quelles sont tes relations avec les supporters ?

Je n’ai jamais eu de problèmes avec nos fans. Parfois ils deviennent fous quand les résultats ne sont pas là. Quand tu perds, et plus précisément lors du derby, vaut mieux rester chez soi. Par exemple, un coéquipier se baladait dans la ville quelques jours après une défaite et a reçu une gifle d’un supporter !

Quand on parle de Sarajevo, on pense évidemment aux événements des années 90. Qu’est-ce que ça te fait de jouer dans une ville comme celle-ci ?

Pour être franc, avant d’arriver à Sarajevo, je ne savais pas qu’il y avait eu un siège ici. Puis les gens m’ont parlé de la guerre, des 3 ans à survivre … J’étais assez surpris de voir des choses comme ça. Ici, tout le monde parle encore de ça, tout le monde pense à ça. C’est difficile pour eux de tourner la page. C’est assez étrange de se dire que 25 ans avant, l’endroit où on est actuellement était une zone de guerre.

Comme s’est passée l’adaptation à Sarajevo ?

Mes deux premières semaines ont été très difficiles. Le club m’a trouvé un appartement un peu à l’extérieur de la ville et je n’ai pas réussi à dormir pendant quinze jours. C’est la première fois que j’ai eu quelque chose comme ça. Je ne dormais pas, je ne mangeai pas, c’était dur. Mes amis se moquaient de moi, ils disaient que je voyais des fantômes. Mais j’ai eu beaucoup de mal, j’ai dû changer d’appartement et maintenant ça va mieux. Je suis le genre de mec à rentrer chez moi directement après l’entraînement, je sors peu, je suis casanier. Je pense que le plus dur est la solitude. Je connais l’Ivoirien qui est arrivé quasiment en même temps que moi, au Mladost DK, j’ai poussé pour qu’il fasse un test chez nous, mais ça n’a rien donné, on avait trop de joueurs à son poste. Après j’aime bien découvrir les pays où je vais, je goûte les spécialités, je visite les places historiques. Je vais parfois manger avec quelques étudiants ghanéens qui sont sur Sarajevo.

© FK Sarajevo

Comment se passent les déplacements en Bosnie ? Pour avoir fait quelques déplacements en bus, on se rend compte que ce n’est pas facile …

On a la chance d’avoir un beau bus, spacieux et confortable. Franchement le voyage se passe rapidement, Sarajevo c’est pratique car c’est à peu près au milieu de la Bosnie. Généralement on en a pour quelques heures de bus (NDLR : quatre heures pour aller à Krupa, le plus long déplacement), mais ça passe rapidement, on a le temps de se reposer et d’être prêts pour les matchs. Je me souviens que dans mes anciens clubs c’était les trains ou les avions, ici ce n’est pas pareil. (rires)

Et pour la communication ?

Je parle quelques mots pour me faire comprendre sur le terrain, mais sinon j’ai la chance d’avoir deux coachs qui parlent anglais et qui m’expliquent les tactiques, ce que je dois faire.

Comment vois-tu ton futur ?

Ma dernière saison était bonne, si j’ai une opportunité intéressante, pourquoi pas. Je suis sous contrat jusqu’à l’année prochaine. J’attends de voir, peut-être un nouveau contrat ici ou un autre pays. Mon rêve est de jouer en Angleterre, Arsenal est mon club préféré ! Après je suis réaliste et je sais que ça va être compliqué, mais même la Championship ça serait top ! Avant ça, je veux gagner le championnat cette saison. Si on gagne, ça serait un super achèvement pour ma carrière. On a une bonne équipe et je pense que c’est possible, mais il nous reste beaucoup à faire, la route est longue et nos adversaires ne vont pas nous rendre la tâche facile.

Tu suis le foot local ?

Je regarde des matchs à la télé, surtout ceux de nos adversaires principaux. Grâce à ça je connais les équipes, les joueurs.

Tu es seul en Bosnie ?

Oui. Ma femme est Ghanéenne, mais habite à Londres avec mes enfants. Ils viennent me voir quand c’est les vacances. Ce n’est pas facile pour eux de me suivre partout. Ma fille est d’ailleurs née en France ! Maintenant je veux me stabiliser dans un club. J’ai beaucoup bougé, je veux être plus stable. Je suis en train d’essayer d’obtenir un passeport anglais avec l’aide de ma femme, ça sera vraiment quelque chose qui m’aidera dans ma carrière. Mon petit frère joue lui en Suède, il était d’ailleurs là pour le match contre l’Atalanta.

Et après ta carrière, tu te vois où ?

Je veux être agent par la suite, avec peut-être un projet d’académie au Ghana également. Je veux aider les jeunes à réussir dans le foot. Pourquoi pas en envoyer quelques-uns jouer en Europe ?

Tu es en contact avec votre président ? Il a des liens avec ses différents clubs autour du monde, comme Cardiff, Courtrai ou Los Angeles City ?

Oui quelques-uns. Un joueur est parti à Cardiff, mais je ne sais pas ce que ça a donné. Le président, par contre, on ne le voit jamais. Il est venu une fois en 2015 à Sarajevo, quand l’équipe a gagné le titre. Mais sinon il n’est jamais là !

Comment trouves-tu le stade ?

L’été, c’est génial. Mais bon, c’est un vieux stade, quand il y a du vent, c’est compliqué. Heureusement les fans sont là pour mettre de l’ambiance, réchauffer le climat.

Pour finir, comment développer le football en Bosnie selon toi ?

Des moyens techniques et financiers. Surtout attirer des joueurs étrangers. Quand il y a des étrangers, il y a une ouverture du championnat et ça, ça rend le championnat très stable.

Propos recueillis par Antoine Jarrige et Antoine Gautier pour Footballski.fr


Image de couverture : Mustafa Ozturk / ANADOLU AGENCY via AFP Photos

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