A moins d’un an de la Coupe du Monde, nous avons décidé de nous replonger dans l’histoire du football soviétique des différentes (quatorze, hors Russie) républiques socialistes soviétiques d’Union Soviétique avec quatorze semaines spéciales, toutes reprenant le même format. Voila quelques années, nous vous proposions sur Footballski un premier article dédié à Aivar Pohlak, l’excentrique homme-orchestre du football estonien. Pour cette semaine spéciale sur le football dans l’ex RSS d’Estonie, nous revenons sur l’histoire de cet homme sans lequel le football dans le petit pays balte ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui.

Un homme à la base de tout…

Joueur, entraîneur, arbitre, dirigeant… Aivar Pohlak a tout fait, tout connu dans le football. Aucun rôle ne lui a échappé. « Dire ‘Aivar Pohlak’ signifie sans doute ‘football’ pour tous ceux qui ne suivent pas ce sport ici. » La phrase d’Angelo Palmieri – journaliste spécialiste du foot local et fondateur du club Rumori Calcio Tallinn – résume à merveille le personnage.


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Il faut dire que l’homme est à la base de tout ce qui existe aujourd’hui. Et s’était lancé dans le football avant même l’indépendance de l’Estonie. Alors que le pays n’est encore qu’une république noyée dans une URSS au bord de l’implosion, Pohlak n’a pas encore 30 ans mais travaille déjà pour relancer le football local, avec une forte connotation identitaire estonienne.

Populaire dans le pays avant la Seconde Guerre mondiale, le football est peu à peu tombé en disgrâce en Estonie. Ce sport est en effet vu par la population comme le sport de l’occupant russe, avec lequel les relations sont restées tendues depuis son arrivée dans les années 40. Au point de n’être plus pratiqué que par les Russes dans les années 70. Les Estoniens, eux, se tournent vers le basket ou le ski nordique. C’est donc autant par de folie que de bravoure qu’Aivar Pohlak fonde le 10 mars 1990 le Flora Tallinn, un club de football à l’identité résolument estonienne, en signe de rébellion contre l’occupant. Pour preuve, l’équipe est formée en grande majorité de joueurs venus de feu le Tallinna Lõvid (Lions de Tallinn), club formateur lancé dans les années 80 dédié exclusivement aux joueurs d’ethnie estonienne (dont les célèbres Mart Poom ou Martin Reim).

Fondateur du Flora, Aivar Pohlak est également le premier entraîneur du club. Sans grande réussite, puisque pour sa première année d’existence, le club termine dernier du championnat de la SSR d’Estonie avec une seule victoire en 22 journées et est relégué. Deux ans plus tard, l’Estonie devient indépendante. Et Pohlak en profite pour replacer son club sur la carte. Avec le Trans Narva et le Sillamäe Kalev – deux clubs de l’est du pays, très majoritairement russe – le Flora Tallinn est l’un des trois clubs fondateurs de la Meistriliiga, le championnat du nouveau pays, ainsi que de la toute nouvelle fédération estonienne de football, l’EJL.

© fourfourtwo.com

C’est le début des multiples casquettes d’Aivar Pohlak. A la tête du Flora, l’homme à la veste de mouton devient arbitre et agent de joueurs, avant de faire également partie du conseil d’administration de l’EJL à partir de 1993. Sur le plan sportif, Pohlak quitte son poste d’entraîneur du Flora en 1992, pour intégrer le staff de la toute nouvelle équipe nationale en tant qu’entraîneur adjoint. Le tout en poursuivant sa carrière de joueur. Las, il tient moins d’un an en équipe nationale, quittant son poste après avoir mis en coup de tête au capitaine Urmas Hepner.

En 1997, Pohlak ajoute une nouvelle corde à son arc. Ayant quitté son poste en équipe nationale, il fonde le 14 mars le FC Kuressaare, dans la principale ville de  Saaremaa, la plus grande île du pays. Premier entraîneur de cette équipe, vouée à servir de réserve à son Flora Tallinn, le FC Kuressaare, Pohlak cède ensuite son poste, mais pas le club. Et c’est sous le maillot de ce dernier qu’il joue de nombreux matchs en Esiliiga (la deuxième division) mais surtout une douzaine de matchs en Meistriliiga en 2000, à l’âge de 38 ans.

Sa carrière de joueur et d’entraîneur terminées, Pohlak se lance dans les années 2000 vers la tête du football estonien. Il devient ainsi vice-président de l’EJL en 2003, poste qu’il occupe quatre années, avant d’en être élu président en 2007. Depuis, Aivar Pohlak à la mainmise sur la fédération estonienne. S’il a transmis son poste de président du Flora Tallinn à son fils, Pelle Pohlak, l’omnipotent dirigeant tient toujours sa place à la tête de l’EJL. Dont il a été réélu président en 2017 pour quatre nouvelles années. Sans adversaire, et avec le soutien de tous les clubs de Premium Liiga.

…et de toutes les controverses

La réussite d’Aivar Pohlak est totale. Dans ses projets sportifs comme dans son entreprise d’amélioration de l’image du football en Estonie, et auprès des Estoniens. Lorsque le pays, en plein chaos, obtient son indépendance en août 1991, le football n’est qu’un sport mineur, bien loin du basket-ball, le principal sport collectif. Si la tendance ne s’est pas inversée entre les deux sports, le basket attirant un public toujours plus nombreux que le football, la place de ce dernier s’est nettement améliorée, notamment chez les plus jeunes, où l’on compte une nette augmentation du nombre de licenciés. Sur le plan international, ses nombreux efforts et connexions ont fait de la sélection estonienne la première à avoir joué contre tous les autres pays d’Europe.

Sur le plan interne, sa gestion du Flora Tallinn, et notamment ses choix d’entraîneurs à des périodes charnières, en ont fait le club le plus titré du pays, avec onze couronnes nationales. Et l’Estonie a réussi à remporter l’organisation de l’Euro U19 en 2012. Le président de l’EJL mène également une lutte sans merci contre la corruption dans le football, avec parfois des mesures coup de poing. Comme lorsque la fédération fait ajourner un match de championnat en 2013, quelques minutes seulement avant le coup d’envoi, après une alerte de forts soupçons lancée par l’organisme Betradar, ou lorsqu’elle inflige à huit de ses joueurs une suspension d’un an pour avoir touché de l’argent d’un bookmaker, sanction confirmée et étendue par la FIFA.

Paul Pogba faisait partie de l’équipe de France U19 présente à Tallinn © rumodispo.com

Mais, de par ses réussites et ses multiples casquettes, Aivar Pohlak est au centre de toutes les controverses. En premier lieu, l’ascension du Flora Tallinn a toujours prêté à controverse, Pohlak étant à la fois président du club, membre de l’EJL, mais également agent de joueurs agréé par la FIFA (via son agence Sport&Net Grupp, qui détient la plupart des joueurs du Flora), et membre du corps arbitral. Avec Pohlak, le conflit d’intérêts n’est jamais loin. Comme en 2013, lors d’un match de Coupe d’Estonie, où Aivar Pohlak est juge de touche. En face, l’autre arbitre assistant n’est autre que sa fille Anna, tandis que l’arbitre de champ se nomme Tomi Rahula, futur mari d’Anna. Sur le terrain se trouve également Pelle Pohlak, joueur du FC Kuressaare, qui s’impose 1-0 dans ce match ! Le fils Pohlak devient l’année suivante entraîneur et président du club de Kuressaare, avant de succéder à son père comme président du Flora Tallinn en 2016.

Si cet exemple illustre à merveille l’omnipotence du président de l’EJL, il ne reste qu’anecdotique. Car beaucoup d’autres questions se posent quant à ses agissements à la tête de la fédération. Des questions sans réponse, l’homme n’étant que très peu enclin à rencontrer les journalistes chatouilleux.

La montée en puissance du Flora Tallinn repose ainsi à plusieurs reprises sur des événements troubles. En 1994, le club du président Pohlak termine la saison ex-aequo avec le Norma Tallinn, vainqueur des deux premières éditions de la Meistriliiga. Les deux clubs doivent se rencontrer lors d’une « finale » censée désigner le champion d’Estonie. Mais à la veille de la dernière journée, l’EJL disqualifié le troisième du classement, le Tevalte Tallinn, pour des soupçons de match truqué face au Norma. En représailles, ce dernier envoie son équipe junior disputer le match décisif. Le Flora s’impose 5-2 et remporte son premier titre. Les soupçons contre le Tevalte ne seront jamais prouvés, et l’équipe est réintégrée la saison suivante.

Outre le Flora, c’est surtout les liens d’Aivar Pohlak avec la fédération estonienne qui attisent les controverses. Dans l’optique de l’organisation d’une compétition internationale, l’EJL se dote en 2001 du Lilleküla Staadion, stade de 10 500 places aujourd’hui renommé A. Le Coq Arena. Un stade qui appartient à la fédération, mais qui est décoré aux couleurs du Flora Tallinn, dont l’équipe première se sert pour ses matchs à domicile (sauf au plus fort de l’hiver, où elle joue sur le synthétique du terrain annexe). Un accord entre les deux parties dont les conditions sont encore inconnues.

Pelle Pohlak, président du Flora Tallinn, posant devant le stade de la fédération aux couleurs du FC Flora. © Hendrik Osula/Delfi Sport

Grâce aux efforts incessants d’Aivar Pohlak sur la scène internationale, l’Estonie a obtenu l’organisation de la SuperCoupe d’Europe en 2018. Le 15 août prochain, l’Albert Le Coq Arena, qui retrouvera son nom de Lilleküla Arena faute d’accord de naming avec l’UEFA, accueillera donc ce match, pour lequel sa capacité sera augmentée de quelques milliers de places. Des travaux qui sont en cours, et soulèvent de multiples questions. Le média Äripäev en pose quelques-unes, concernant notamment le rôle du bureau de gestion des travaux de l’EJL. De la même manière, deux entreprises de construction portant le nom de la fédération estonienne sont partie prenante de ces travaux d’extension, alors que l’une d’elles n’appartient cependant plus à l’EJL depuis 2013. Enfin, le média pose la question de l’entreprise chargée de la construction du hall d’entrée du stade, et dont l’identité est restée inconnue. Sur ces points, Pohlak et l’EJL sont restés bien discrets.

La dernière polémique concernant Aivar Pohlak remonte à quelques semaines. Peu après avoir remporté le championnat d’Esiliiga, la deuxième division, le club de Maardu Linnameeskond a officiellement annoncé avoir refusé la montée en Premium Liiga faute de moyens financiers. Pour accompagner son dauphin, le Kalev Tallinn, l’EJL a fait une annonce surprenante. Au lieu de promouvoir le troisième du classement, le Rakvere Tarvas, relégué l’année précédente, la fédération a officialisé la promotion du cinquième du classement (le quatrième étant la réserve du Flora), qui n’est autre que… le FC Kuressaare. « C’est un club qui a joué la moitié des vingt dernières saisons au plus haut niveau de notre football. Ses dirigeants savent bien où ils vont, » justifie Pohlak. Des dirigeants qu’il connaît fort bien, le clan Pohlak contrôlant l’ensemble du football sur l’île de Saaremaa. Pas étonnant quand on sait que près du quart des membres du conseil d’administration de la fédération sont de sa famille. A 55 ans, Aivar Pohlak est loin d’en avoir fini avec le football. Pour preuve, il a ajouté cette année une nouvelle corde à son arc en étant nommé membre représentant de l’UEFA au sein de la Chambre de Jugement de la Commission d’Ethique de la FIFA.

Aivar Pohlak remettant à Arno Pijpers, le 10 décembre dernier, le titre de meilleur entraîneur de l’année en Estonie. © Eesti Jalgpall

Pierre-Julien Pera


Image à la Une © Brit Maria Tael / Soccernet

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