Comme le dit l’adage, les cordonniers sont les plus mal chaussés et ceci s’applique particulièrement à la Pologne durant cet Euro Espoirs. Ces mots résonnent encore durement dans la tête de Marcin Dorna comme une chanson d’ABBA après une soirée années 80 en compagnie de gens faisant partie d’un monde qui vous est supérieur. La gueule de bois sévère, le regard dans le vide, la vague impression d’avoir mal vécu une belle soirée dans son appartement et de ne pas en avoir profité après s’être enquillé un Long Island un peu trop chargé à 18h. En effet, la fête du football fut belle en Pologne en ce mois de juin. Belle oui, mais pas pour tout le monde et surtout pas pour l’hôte de la compétition qui s’est royalement vautré. Chronique d’une branlée quasi annoncée.

Un succès populaire et du jeu à merveille

Le 30 juin, l’Euro s’est terminé dans un stade du Cracovia plein comme jamais vu depuis très longtemps (14.500 spectateurs pour un stade d’une capacité de 15.000 places) par le sacre d’une Allemagne collectivement implacable et individuellement efficace face à une Espagne individuellement superbe et collectivement dépassée. Un Euro Espoirs qui a permis à beaucoup de monde de découvrir ou redécouvrir des jeunes joueurs de talent, diamants bruts ou déjà partiellement ciselés. Un Euro Espoirs qui n’a rien eu à envier à son grand frère de l’été 2016. On chuchote même sur les Ryneks à travers la Pologne, dans les rédactions à travers l’Europe, que le niveau de jeu fut excellent, et que les matchs furent bien plus intéressants que ce que l’on avait dû se farcir pendant l’Euro, le grand, en France.

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Malheureusement pour ceux d’entre vous qui profitent des soldes pour obtenir le dernier opus de Football Manager en réduction, sachez que la majorité des joueurs qui ont brillé ne pourront pas venir dans votre petit club de D2 tchèque avec lequel vous souhaitez remporter la Ligue Europa. Les Asensio, Saul Niguez, Bernardeschi, Donnaruma, Skriniar, Renato Sanches, Pickford, Bruma, Kempf etc… sont déjà scrutés ou sous contrat dans les plus grand clubs européens. Peut-être que Lobotka viendra vous rejoindre dans votre équipe virtuelle, mais dépêchez-vous.

Du virtuel au réel, il n’y a parfois qu’une mince frontière. Virtuellement, ce tournoi devait être un succès et il le fut dans la réalité. Sur le terrain mais aussi dans son organisation. Vous avez pu visiter Tychy, Kielce, Krakow, Bydgoszcz, Gdynia ou Lublin, leurs petites rues pavées, leurs places charmantes, leurs maisons colorées. La Pologne de carte postale. Assis en terrasse, un Zywiec à la main (ou pour ceux restés chez eux une Heineken à demi-fraîche sur une table basse bien lové dans votre canapé moelleux), vous avez pu admirer l’ambiance et l’atmosphère sans pareille mesure pour une compétition espoirs.

Bien sûr que les supporters polonais étaient les plus nombreux, les plus bruyants et les plus fervents mais venus de Suède, de Macédoine, de Slovaquie, d’Allemagne ou d’ailleurs, les fans se sont emparés des stades et des villes hôtes avec joie, fête et bonne humeur. Une kermesse de deux semaines s’est baladée a travers les six villes polonaises et ce sans le moindre incident majeur. Bien loin de certaines images désastreuses de l’Euro 2016 en France ou celle de l’Euro 2012. Aussi, les chiffres ne mentent pas : avec une fréquentation de plus de 11.000 spectateurs par match, ce tournoi reste une réussite dans les tribunes et pas seulement lors des matchs de la Pologne. Les demi-finales et la finale ont battu des records d’affluence pour ce type d’événement.

Krach à domicile en vue

Si cet Euro Espoirs représente un succès en dehors du terrain, dans les tribunes ou sur le terrain pour beaucoup de sélections, en revanche la fête a vite tourné au cauchemar pour l’hôte polonais (tiens, un air de déjà-vu avec l’Euro 2012 co-organisé avec l’Ukraine). Les Polonais se sont-ils vu trop grands, trop forts, trop beaux ? Peut-être. Aurait-on pu éviter ce désastre ? Peut-être pas. Éliminé après la phase de groupe avec seulement un petit point, le camouflet est terrible. Certains diront qu’il est facile, après coup, de trouver des boucs émissaires et de les brûler à longueur d’article comme des poupées vaudou conjurant le sort funeste. Mais soyons lucides, si plusieurs éléments expliquent cette contre-performance tournant au fiasco pour les petits bialo-czerwony, un homme est dans le viseur.  Il s’agit de la figure de proue de ce désastre : son sélectionneur, capitaine du Costa Concordia polonais, Marcin Dorna.

Certains commentateurs d’une chaîne de sport française l’affublent du sobriquet tantôt sérieux tantôt ironique de « scientifique ». Marcin Dorna, le sélectionneur polonais, est au cœur d’une tourmente qu’il a lui-même provoquée. Artisan d’une défaite programmée, d’une terrible honte à domicile. Son parcours à travers toutes les sélections de jeunes en faisait quelqu’un d’apprécié à la fédération, malgré des résultats parfois peu convaincants. Mais il a vu grandir ses joueurs, ce qui aux yeux de beaucoup faisait de lui l’homme idéal pour partir en chasse du titre européen avec cette génération. Et puis Marcin Dorna est jeune, rien à voir avec Smuda pensait-on. Nous nous sommes trompés.

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Les signes avant-coureurs n’étaient pas rassurants en début d’année, les Espoirs polonais perdant sèchement contre la République Tchèque et l’Italie sur le score de 2 buts à 1. Outre le résultat, c’est bien la manière qui était en cause, le jeu n’étant pas au rendez-vous, Dorna s’enfonçant dans un 4-2-3-1 sans grand intérêt et surtout non adapté aux joueurs à sa disposition. Mais nous nous disions alors que bon an mal an, entre mars et juin, Dorna avait le temps de travailler et façonner son groupe, de réfléchir et de lui donner une identité de jeu appropriée aux qualités et défauts de ses joueurs.

Il est vrai également que le ‘non‘ apposé par le Napoli pour libérer Arkadiusz Milik et Piotr Zielinski pour le tournoi fut un coup de poignard dans le dos du coach polonais, qui semblait énormément compter sur ces deux joueurs (qui ne jouent plus en Espoirs par ailleurs) pour redonner vie à un groupe moribond au jeu désastreux et aux automatismes inexistants.

Le Marc Levy du football polonais a donc décidé de convoquer son groupe deux semaines avant le début du tournoi pour travailler, pensait-on. Il a jugé par la même occasion qu’il était peu opportun d’organiser des matchs amicaux avant la compétition, décision discutable mais aussi compréhensible dans l’optique de créer une vraie cohésion et un groupe solide et de travailler automatismes, tactique et physique tous ensemble. Rappelons tout de même qu’il avait deux ans pour faire tout cela, mais bon l’espoir nous faisait vivre…

Des bribes salutaires, mais le reste…

La Pologne sans Milik et Zielinski n’avait rien d’un favori mais pouvait se placer en tant que bel outsider à domicile et ainsi atteindre l’objectif des demi-finales. Sur le papier, des Bednarek, Linetty, Kownacki, Dragowski, Stepinski ou Kapustka sont des noms qui résonnent un peu aux amateurs de football, mais dans les faits tout ne fut que déception. Bien sûr, ce groupe manquait d’un arrière gauche de qualité, d’un véritable milieu défensif et d’un poil de technique mais pour le reste, sur le papier toujours, comparé à des équipes comme la Slovaquie, la République Tchèque, la Macédoine, la Suède, le Danemark, les Polonais n’avaient pas à rougir.

Mais dans les faits, ce fut un calvaire. Dawid Kownacki suspendu pour le premier match, Bartosz Kaputska fantôme de sa propre ombre, Mariusz Stepinski complètement à côté de ses crampons et en manque de temps de jeu, Jaroslaw Jach en phase de reprise après une longue blessure, Jakub Wrabel gardien qui évolue en D2 pour une bonne raison, Pawel Dawidowicz ne jouant pas à son poste et dont les pieds sont deux enclumes de plomb, sans parler de Jaroszynski et Moneta.

Le tout aurait tout de même pu produire quelque chose s’apparentant à une équipe si un plan de jeu clair et réfléchi avait été défini. Mais malheureusement, avec pour seule stratégie de balancer le ballon vers les ailes ou loin devant pour s’en débarrasser et laisser ses joueurs offensifs « se démerder avec », on ne créé pas une équipe, Mr. Dorna. Je vous épargne, à vous lecteurs, les combinaisons désastreuses sur coups de pied arrêtés, le pressing trop agressif et la ribambelle de passes dans les pieds de l’adversaire résultant du peu de solutions offertes au porteur du ballon. Les images de ces trois matchs, revues et décortiquées chaque nuit, hantent parfois mes jours d’amateur de football. Comme l’a clamé un influenceur un brin poète:

Car malgré ce gloubi-boulga de football, la Pologne a marqué deux fois dans les premières minutes du match et menée deux fois au score face à la Slovaquie et la Suède avec la suite tragique que l’on connait. Un groupe inégalement prêt et au talent globalement moyen associé aux choix étranges d’un sélectionneur à la dérive et vous vous retrouvez avec un beau fiasco.

Mauvais ingrédients d’un parfum ino-Dorna

Pourquoi Wrabel a-t-il été privilégié, quid de Dragowski ? Pourquoi ce 4-2-3-1 alors qu’il avait tenté avec succès contre l’Allemagne, en novembre dernier, un 3-5-2 bien plus adapté ? Pourquoi poursuivre avec Dawidowicz au milieu de terrain, courant comme un mort vivant sans âme ? Les voies de Marcin Dorna sont impénétrables.

Tout un chacun a pu voir les changements tardifs et poste pour poste du coach alors que la Pologne était menée par la Slovaquie, la Suède ou l’Angleterre. Tout le monde a pu voir que cette équipe n’était pas prête ou tout du moins pas préparée. En parlant de la préparation, un épisode a d’ailleurs blacklisté Krystian Bielik pour le reste de la compétition. Après le résultat décevant face à la Slovaquie, Bielik (milieu défensif d’Arsenal, prêté à Birmingham cette saison) émet alors quelques critiques sur l’intensité et l’utilité de la préparation concoctée par l’alchimiste Dorna. Cette réflexion cinglante après une défaite lui a coûté cher. Non pas sa place car c’est le pauvre Dawidowicz qui joue devant la défense, mais sa fierté et son Euro car il n’est finalement jamais rentré, cantonné au banc, celui des excuses. Bien sûr, le joueur n’aurait pas dû critiquer ouvertement son sélectionneur devant les médias. Mais celui qui est revenu spécialement pour l’Euro, son Euro, doit-il se taire face à l’incompétence de sa hiérarchie, une incompétence menant au désastre ? Celui qui pouvait solidifier le milieu polonais et lui donner un nouvel élan devait-il se taire face à la bêtise ?

Un Domenech du pauvre, un être sans idée, directeur d’une équipe prometteuse devenue équipe de kermesse. Voilà ce qu’est Marcin Dorna. Lui, qui après la défaite contre la Slovaquie et le match nul contre la Suede déclare qu’il est content de ce qu’apporte Dawidowicz dans l’entre-jeu alors que la presse, les observateurs, tous voient que le jeune joueur polonais se noie dans un rôle qui n’est pas le sien. C’est encore plus terrible pour le jeune joueur polonais qui, outre le fait de ne pas jouer à son poste, se fait détruire par toute la Pologne et ce à cause d’un sélectionneur obtus qui lui fait plus de mal que de bien en le titularisant. Un problème au milieu de terrain qui fragilise toute la défense – pourtant composée de Jach et Bednarek, elle a souffert telle une arrière-garde U16 pendant tout le championnat.

© Andrew Surma / NurPhoto via AFP Photos

L’apothéose étant le match face a l’Angleterre où Dorna décide de modifier ses plans en remplaçant enfin Dawidowicz mais pour Murawski et non Bielik puis en changeant Stepinski pour Piatek, répondant ainsi aux critiques de manière ironique, avec l’air supérieur du « Nous allons bien voir si avec un XI que la presse aimerait voir, nous allons gagner » (phrase non dite mais qui se lit à travers ses changements soudains). Comme on pouvait s’en douter, la Pologne perd ce dernier match proposant la pire prestation de toute la sélection espoirs depuis au moins quatre ans. Dorna tient son apothéose et son doigt d’honneur à la presse, et au football en général.

Il n’est pas l’unique responsable de tous les maux de cette Pologne Espoirs. Les joueurs, d’un niveau moyen (voire abyssal) pendant la compétition, ont eux aussi leur part de responsabilité, mais il est certain qu’il est le catalyseur de ce cuisant échec, le capitaine absent d’un navire à la dérive. Après avoir fini dernier du groupe derrière l’Angleterre, la Slovaquie et la Suède, avec un seul petit point, trois buts marqués et sept buts encaissés, dans un tournoi européen à domicile, le sélectionneur polonais aurait peut-être dû, pour la forme, remettre sa démission. Mais que nenni: « Il ne faut pas analyser à chaud. Il faut prendre son temps pour analyser cet échec » dixit l’alchimiste avant de partir en vacances.

A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. – Sénèque, De la providence, III, 4

A ne jamais vaincre, on ne triomphera jamais. – Nessun Dorna, De la définition du non jeu, VI, 9

Mathieu Pecquenard


Image à la une : © Cyfrasport / polsatsport.pl

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