Si cet Euro 2016 ne verra aucune équipe Footballski aller au bout, il va sans dire que le football de l’Est et ses joueurs ont souvent marqué les éditions précédentes de cette grande compétition. De quoi vous proposer notre XI de légende à travers une série de onze portraits. Onze joueurs qui ont su marquer l’histoire de la compétition.
Il aurait pu être l’un des meilleurs latéraux droits de l’histoire, et jouer au Real Madrid. Mais qu’importe. Giorgios « Giourkas » Seitaridis restera comme celui qui, avec 22 potes, a su faire mentir tous les spécialistes du football en allant chercher un Euro avec la Grèce, en finissant dans l’équipe type. Et tant pis s’il n’a jamais vraiment su franchir le palier supérieur, celui réservé aux tous meilleurs. Le monde du football, lui, ne l’oubliera pas.
XI de légende : Défenseur latéral droit – Giourkas Seítaridis
Ioannina, là où tout a commencé
Beaucoup ignorent que la sélection hellène renfermait, en cette année 2004, de nombreux joueurs de qualité dans son effectif, et pas uniquement 11 bourrins uniquement doués pour défendre et faire des fautes. Notamment un, sur son couloir droit de la défense : Giourkas Seítaridis. Un joueur tellement classe, que son prénom « officieux » vient tout droit du grec pontique (son grand-père est même originaire de Sébastopol, en Russie), ce dialecte du grec moderne que certains parlent encore actuellement en Grèce. « Mes parents ont décidé de m’appeler Giourkas, mais il y a eu un problème avec le prêtre lors de mon baptême, qui a dit que ce n’était pas un nom chrétien. Donc, finalement, ils ont pris Giorgios. Sur les papiers, mon nom est Giorgios. Mais tous me connaissent comme Giourkas », raconte-t-il.
Ce solide gaillard d’1,85 m voit le jour au début du mois de juin 1981, dans le fameux port du Pirée, près d’Athènes. Fils et petit fils de footballeurs, le jeune homme décide, logiquement, d’entretenir la légende familiale. Et, alors qu’on aurait pu penser qu’il allait se diriger vers le club du coin, à savoir l’Olympiakos, Seitaridis effectue sa formation dans un club plus modeste du Nord du pays : le PAS Giannina, dans la ville de Ioannina. Un club jadis surnommé « L’Ajax d’Épire », pour son football alléchant et attrayant. La première étape d’un long parcours.
Triomphe au Pana et départ à Porto
Là-bas, le jeune latéral effectue ses débuts professionnels, d’abord en D2 (1998-2000), puis en Alpha Ethiniki, l’ancêtre de la Super League actuelle. Son talent ne passe pas inaperçu malgré son jeune âge, et ses 40 matchs en trois saisons lui offrent un ticket pour l’un des grands du pays : le Panathinaïkos, qui débourse, à l’époque, la somme de 300.000 drachmes. Une autre époque. Celle où Antonis Nikopolidis, le George Clooney grec, n’avait pas encore filé chez le grand ennemi de l’Olympiakos.
Débarqué dans l’effectif du club au trèfle, dans lequel il côtoie les illustres Emmanuel Olisadebe et Goran Vlaovic la première saison, tout comme le Portugais Paulo Sousa, Seitaridis continue de progresser. Il y découvre les joies de l’Europe, en marquant notamment à Old Trafford face à Manchester (en mars 2001, deux mois après son arrivée), comme celles de la sélection, un soir de février 2002 face à la Suède. Le début d’une belle histoire.
Forcément, la Grèce devient vite petite pour son talent, et le latéral droit attire l’oeil des clubs européens. Le FC Porto se montrera le plus convaincant, et attirera le talent grec pour une somme de 3 millions d’euros, juste avant le début de la plus grande réussite de la carrière de Giourkas Seitaridis. Une destination – le Portugal – qu’avait déjà choisi avant lui Panayótis Fyssas, passé du Pana au Benfica, à une époque où les talents grecs savaient un peu mieux s’exporter qu’à l’heure actuelle.
Sacre européen et intérêt du Real Madrid
Arrive donc cet Euro 2004. Expérimenté et talentueux, le groupe de 23 Grecs réussit ce qui est encore considéré à l’heure actuelle comme l’un des plus grands exploits du sport moderne. Deux victoires contre le Portugal, en match d’ouverture et en finale, l’élimination de la France, puis de la redoutable République Tchèque, et voilà les soldats du Bateau Pirate sur le toit du football. Dans son couloir droit, Seitaridis fait bien plus que le job. La tignasse soyeuse, n°2 floqué sur son maillot ample, il obtiendra notamment un penalty lors du match d’ouverture, fauché dans la surface par un certain Cristiano Ronaldo, à qui il fera passer un sale Euro d’ailleurs. Très offensif, il sera l’un des hommes clés, à l’instar de Zagorakis, Dellas ou Karagounis, de l’effectif coaché par Otto Rehhagel, l’un des rares Allemands à pouvoir être considéré comme un Dieu en Grèce.
Du haut de ses 23 ans, il affichera, à l’instar de ses compatriotes, une régularité impressionnante tout au long de la compétition. Son opiniâtreté lui permettra, par exemple, d’obtenir ce fameux corner face au Portugal en finale. Pas si anecdotique, quand on se rappelle de l’issue de l’action et cette tête de Charisteas. Rarement pris à défaut défensivement, le natif du Pirée a non seulement inscrit son nom parmi les vainqueurs de la compétition, mais s’est aussi octroyé le luxe d’entrer un peu plus dans l’histoire du football en étant nommé dans les 23 meilleurs joueurs de la compétition.
On dit souvent que le football se joue à peu de choses. À des détails, des occasions manquées ou saisies. Seitaridis peut en témoigner. Ses matchs impressionnants à l’Euro, notamment face aux Tchèques, attirent l’intérêt d’un club pas comme les autres : le Real Madrid. « Il y avait un avocat qui travaillait pour le compte du Real Madrid, et qui est venu à l’hôtel avec une valise. Il l’a ouverte, et il m’a dit : « Voilà ton contrat, il n’y a plus qu’à le signer. Vous êtes le choix de José Antonio Camacho à droite de la défense ». Presque simultanément, Camacho l’a appelé sur ton téléphone, et il m’a passé l’appareil. J’ai répondu d’une voix tremblante que j’avais déjà signé à Porto », décrit le joueur lors d’une longue interview à Contra.
Un tel intérêt, forcément, ne laisse personne insensible. Mais difficile d’un point de vue légal de changer quoi que ce soit. « Je voulais aller au Real comme un fou, mais je ne pouvais pas ignorer mon contrat avec Porto. J’ai parlé avec le Pana, avec le Réal, avec des avocats. J’aurais pu signer au Real, et, au pire des cas, être suspendu pendant six mois. Mais je ne l’ai pas fait », explique-t-il toujours dans ce même entretien.
Échec à Moscou et expérience mitigée à Madrid
En parallèle de cette période dorée en sélection et de ce transfert avorté au Real, l’ancien joueur du Pana connaît aussi un changement en club. Après une seule saison de plutôt bonne facture à Porto, où il remportera notamment la dernière édition de la Coupe Intercontinentale en 2004, il met le cap sur la Russie et le Dinamo Moscou, contre un chèque sympathique de 10 millions d’euros. La patte Jorge Mendes, qui commençait à devenir l’agent influent qu’il est de nos jours. Un record, à l’époque, pour un footballeur grec. Un départ qui correspond, d’ailleurs, avec celui d’un certain Thiago Silva vers la capitale russe, bien loin du défenseur de classe mondiale que l’on connaît aujourd’hui. « Ce ne fut pas mon premier choix, mais il est arrivé tant de choses en si peu de temps… Il n’a pas été facile de refuser. Le président du Dinamo avait des plans grandioses, puis un énorme budget transferts et la construction d’un nouveau stade. Finalement, les choses ne se sont pas passées comme prévu », détaille Seitaridis.
Le succès, en effet, ne sera pas forcément au rendez-vous de cette escapade russe. Loin de ses repères, Seitaridis ne s’adapte pas. La faute à ce froid auquel il ne se fera pas, lui l’enfant de la Grèce et du soleil. Il ne jouera que huit petits matchs sous la tunique du Dynamo, incapable de retrouver le niveau qui avait fait de lui, quelques mois auparavant, n latéral droit redoutable. En quête d’un point de chute pour mettre fin à cette expérience inconfortable, il trouvera preneur un peu plus au sud de l’Europe, en Espagne. À l’Atletico, pour être précis, qui déboursera 6 millions pour faire venir le deuxième Grec de son histoire après Démis Nikolaidis, la légende de l’AEK et lui aussi champion d’Europe en 2004. Après son presque transfert au Real, voilà donc Seitaridis enfin à Madrid. L’expérience sera mitigée, mais pas ratée.
Retour à la case départ
À l’instar de certains de ses compères du sacre national, Giourkas Seitaridis aura eu du mal à confirmer dans la durée ce niveau qui était le sien à l’apogée du football grec, voire à la fin de son époque au Panathinaïkos. À Madrid, il réalise une première saison de plutôt bonne facture, participant à 31 matchs de championnat. Cette fois, ce n’est pas le froid qui viendra compliquer les choses, mais un corps capricieux. Son tendon d’Achille, par exemple, lui causera quelques soucis, et sera responsable d’une deuxième saison bien moins aboutie.
Barré par une concurrence qui ne cesse de grandir dans un club en plein progrès, Seitaridis est peu à peu poussé vers la sortie. La fin de son passage au club sera même assez difficile. Sanctionné pour ne pas avoir assisté au match contre Gijon en tribunes, alors qu’il n’était pas dans le groupe, il est finalement libéré de son contrat quelques jours plus tard, un an avant la date initiale. Après Porto et Moscou, voici donc son passage à l’Atletico qui prend fin, avec, là aussi, un sentiment mitigé. Une soixantaine de matchs disputés, sans vraiment laisser de trace dans l’histoire des Colchoneros, ni s’imposer réellement.
Seitaridis a peut être touché là sa limite : incapable de réellement s’imposer dans trois clubs européens de gros calibre, ou du moins plus huppés que le Pana, il n’a pas su suivre la carrière qui aurait dû être la sienne. Celle d’un latéral droit destiné à devenir l’un des tout meilleurs du monde, dans un club de très haut niveau, dans la foulée de son sacre. Celle d’un latéral droit qui avait conquis l’Europe du football avec 22 coéquipiers, loin d’être tous des ballons d’or en puissance, mais qui ont su, l’espace d’une compétition, prouver que le collectif prenait parfois le pas sur le talent individuel.
Et, comme beaucoup de footballeurs, Giourkas Seitaridis a fini par revenir là où tout a commencé, ou presque, pour lui. Dans le club qui lui a un jour permis de montrer à l’Europe que la Grèce était un pays de football, un vrai : le Panathinaïkos. Il y signe le 10 septembre 2009, avec la ferme intention de relancer une machine mise à mal par des passages russes et espagnols plus que mitigés.
Une fin de carrière difficile
Mais les belles histoires réservent souvent leur lot de déceptions. Rares sont les footballeurs qui reviennent au bercail et qui réussissent à reconstruire leur légende. Giourkas Seitaridis n’y échappera pas. La faute à un corps qui n’est plus aussi huilé et rôdé qu’à la grande époque. À 28 ans, l’ancien finaliste de la Supercoupe d’Europe 2004 avec Porto semble incapable d’enchaîner les matchs, et n’est jamais à 100% de ses moyens. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 22 matchs toutes compétitions confondues sur ses trois premières saisons, malgré un doublé coupe-championnat en 2009-2010. Loin, bien loin de ce qu’attendait le club d’un tel joueur. Un club qui, d’ailleurs, se retrouve bien embêté avec un si gros contrat, et qui cherche coûte que coûte une porte de sortie à Seitaridis. Il sera même tout près de finir chez les Norvégiens de Vålerenga en mars 2012.
Sa dernière saison de football, en 2012-2013, fut un peu moins terne, avec 33 matchs au compteur. Mais les statistiques sont parfois bien vaines face au destin footballistique d’un joueur. Comment un joueur comme Giourkas Seitaridis a-t-il pu s’arrêter à 33 ans, en Superleague grecque, 8 ans après avoir titillé les sommets ? À la fin de son contrat, quelques clubs viendront quand même prendre des renseignements, comme Naples par exemple, mais cela n’aboutit sur rien de concret. Le joueur, gros fan de voitures de sport italiennes et allemandes, qui s’entretient physiquement avec le club de l’Apollon Smyrnis, se montre souvent trop gourmand. Et son corps abîmé est un frein, aussi. Tant et si bien qu’il ne trouve pas de club, et décide, donc, de mettre un terme à sa carrière, dans un anonymat qui ne correspond pas à son talent ni à ce qu’il a pu effectuer durant ces années.
Depuis, l’ancien Madrilène a délaissé sa tignasse pour une coupe plus moderne, et s’est laissé pousser la barbe. Les crampons ont été remplacés par les altères, et l’ancien latéral, qui rêvait de devenir pilote professionnel étant petit, est devenu le propriétaire et gérant d’un restaurant/café dans le cœur d’Athènes, à Monastiraki. « Maintenant, je peux faire des choses que je ne pouvais pas faire avant », dit-il, sans regret. Les clients, eux, sont bien loin de penser que le patron du lieu où ils s’arrêtent manger une pita ou boire un café glacé sous le soleil athénien fut, un jour, l’un des meilleurs défenseurs de la planète football.
Martial Debeaux
Image à la une : Ⓒ ARIS MESSINIS/AFP/Getty Images
XI de légende : Gardien – Lev Yashin, le grand monsieur du football soviétique