Temps de lecture 6 minutesEn route pour la Russie #30 : Ibrahima Baldé, la simplicité de l’être

Notre dispositif Coupe du Monde est bien en place et comme chaque jeudi jusqu’à l’ouverture de la compétition, nous vous proposons un article qui fait le lien entre un pays qualifié pour la compétition et le pays organisateur. Ce jeudi, c’est le Sénégal qui est mis à l’honneur à travers la personne d’Ibrahima Baldé, attaquant sénégalais récent vainqueur du championnat roumain, passé par la Russie et le Kuban Krasnodar après des piges entre Argentine et Espagne. 


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S’il n’a pas laissé une grande trace dans l’Histoire du football français après sa courte pige rémoise, Ibrahima Baldé peut malgré tout se targuer d’une carrière intéressante, l’envoyant un peu partout dans le monde, entre une enfance dans son Sénégal natal, une formation en Argentine, puis une carrière professionnelle le faisant voyager de l’Espagne à la Roumanie en passant par la Russie.

Entre volonté de réussir et premières difficultés

Les Sénégalais dans le monde du football ne sont pas des cas rares. Les Sénégalais réussissant en Russie ne le sont pas non plus. Les Sénégalais s’expatriant en Argentine dès le plus jeune afin d’y être formés, tout de suite, ça attire l’œil. « Tout joueur africain rêve d’aller en Europe ou en Amérique pour devenir joueur professionnel. Un an avant d’aller à l’université, j’ai reçu une proposition d’une équipe d’Argentine. De là, j’ai commencé à jouer pour les U20 d’Argentinos Juniors puis avec l’équipe réserve du Vélez », expliquait-il à nos confrères de RFN. Pourtant, si l’Argentine fait rêver nos esprits par son histoire, ses ambiances et ses liens immuables avec le football, ce passage reste pour le joueur un moment difficile.

Pour cause, si le jeune homme reste un bon espoir du football africain, certains Argentins semblent plus préoccupés par sa couleur de peau que par son talent balle aux pieds. « J’étais en Argentine pour une brève et tumultueuse période » disait-il. Ajoutant que, « quand je suis allé en Argentine, je n’imaginais pas combien de problèmes et d’insultes personnelles j’aurais à vivre à cause de la couleur de ma peau. » Sans traducteur attitré, dans un environnement nouveau pas franchement des plus accueillants, le joueur arrive tout de même passer outre et rencontre sa porte de sortie, à savoir José Sánchez Parra, agent de joueurs espagnol, qui décide de l’envoyer vers l’Atlético de Madrid après trois années en Argentine.

« J’étais dans l’équipe réserve de l’Atlético jusqu’à ce que Quique Sánchez me donna ma chance chez les professionnels, en janvier 2010. L’été suivant, j’ai été prêté à Numancia, en seconde division, puis l’Atlético m’a vendu à Osasuna lors de mon retour. J’ai à peine joué pour l’Atlético, j’étais très jeune et l’équipe avait des attaquants de haut niveau, comme Agüero ou Forlan, et Falcao ou Adrián. » contait-il sur ce passage espagnol. Pourtant, si l’Argentine ne l’a pas adopté, l’Espagne, elle, a fait de lui son second pays. C’est ici que le joueur apprend aux côtés des grands, qu’il comprend une autre façon d’appréhender le football et les matchs et qu’il côtoie l’exigence du très haut niveau.

Après de beaux débuts en Liga sous le maillot des Colchoneros, c’est finalement à Osasuna, durant une saison, où le Sénégalais se met réellement en valeur, pesant sur les défenses espagnoles et apportant ses précieux buts dans une équipe en forme. Mais surtout, c’est dans cette Espagne que le joueur retrouve le plaisir du jeu, et ce qu’importe le club, le stade ou le maillot. « Que je sois à l’Atlético, Osasuna ou Promesas, je fais de mon mieux pour tirer le meilleur de moi-même et être bon avec mes coéquipiers. Je pense que j’ai fait une bonne opération en venant à Osasuna, je suis à l’aise, je joue et les choses vont bien pour moi. Je dois continuer à m’amuser » expliquait-il. Il soulignait également le bon état d’esprit du groupe présent alors au club : « Ce que nous faisons ici ne dépend pas d’Ibra, de Kike, ou de quiconque. Nous dépendons de l’ensemble du groupe, et c’est notre force. Ici, nous n’avons pas de Cristiano ou Messi, nous avons Kike Sola, Xavi Annunziata, Nino, le mythique capitaine Punal, qui nous donne des ordres et nous met les choses sur la table quand nous avons tort. C’est quelque chose qui nous aide, surtout nous, les jeunes, qui sommes ici pour apprendre. C’est ainsi que, par la suite, on entend au Reyno des « Ibra, Ibra » »

Le public dans la poche, le football dans les pieds, et un cœur toujours présent en ces terres espagnoles, et plus particulièrement madrilènes. Car c’est aussi ici, à Madrid, qu’il a laissé une « partie de [son] âme », comme il le confiait au site russe Championnat, ajoutant que « la sélection à l’Atlético était très dure. J’étais seulement le troisième ou quatrième attaquant dans la hiérarchie. Mais je me rappelle avec reconnaissance de l’entraîneur de l’époque, Quique Flores. Je lui suis très reconnaissant de sa relation chaleureuse et de tout ce qu’il m’a donné. En dehors de cela, il y avait en attaque Forlan, Agüero, et Florent Sinama-Pongolle. Je n’ai pas besoin de les présenter aux Russes, n’est-ce pas ? Flores m’a fait comprendre une chose simple : il faut se demander chaque seconde comment faire pour avoir sa place dans le onze titulaire. C’est comme ça que j’ai compris que personne n’allait s’entraîner à ma place ni gagner une place dans ce onze pour moi. Évidemment, avec une telle concurrence, personne ne reste là, à attendre sans fin. Il faut s’accrocher à sa chance de toutes ses forces. Je suis également reconnaissant envers Forlan. Il m’a beaucoup aidé sur et en dehors du terrain alors que j’étais jeune. Forlan m’a aidé à mûrir en tant que professionnel. »

La Russie comme nouvelle maison

Après ce passage formateur en Espagne, c’est finalement la Russie qui s’apparente à devenir la nouvelle terre d’accueil d’Ibrahima Baldé… alors que le destin, lui, semblait pourtant l’envoyer en Angleterre. « En fait, j’allais signer en Angleterre, mais je n’ai pas pu obtenir un permis de travail dans les temps. J’étais heureux à Osasuna, mais à cause des difficultés économiques, le club a dû baisser mon salaire de 10-15%, et je ne l’ai pas accepté. Je n’aurais jamais imagé aller en Russie, mais après les Jeux olympiques de Londres, le Kuban Krasnodar m’a fait une proposition intéressante et je l’ai acceptée. Avant de signer, je ne savais rien de la ville ou du club. » Un environnement nouveau et inconnu qui l’est également pour Moussa Konaté, lui aussi transféré à Krasnodar, dans l’autre club de la ville. « Une anecdote amusante nous est arrivée à Moussa et moi. Avant de connaître notre destination finale, il était convaincu que nous serions de nouveau ensemble à Kuban. Aucun d’entre nous ne savait quoi que ce soit sur la ville ou sur les clubs qui s’y trouvaient, alors Konaté pensait qu’il irait dans le même club que moi. Je ne sais pas si Kuban était réellement intéressé à nous engager tous les deux ou si c’était lui qui ne savait pas très bien qu’il y avait plus d’une équipe à Krasnodar. Malgré le malentendu, nous étions très proches l’un de l’autre et nous nous rencontrions très souvent  » expliquait-il à RFN.

« Quand j’ai reçu une proposition pour rejoindre le Kuban, tout le monde m’a dit que la Russie, c’est la mafia, le racisme dans les stades et dans les rues, la vodka, le froid sévère et les ours  » – Ibrahima Baldé, pour Sport-Express

S’il ne connait les Russie qu’à travers les stéréotypes véhiculés, Ibrahima Baldé prend pourtant le temps de s’intégrer et de se faire une place dans un club montant. Alors que le Kuban n’a jamais marqué l’histoire du football russe, voilà que le club de Krasnodar se structure progressivement et arrive attirer de belles pioches plus ou moins connus du grand public. De ceux-là, nous pouvons penser à Djibril CisséIvelin PopovLorenzo MelgarejoAras Özbiliz ou encore Gigel Bucur. Si tout cela ne fait guère rêver sur le papier, c’est pourtant ce groupe-là qui a su tirer le meilleur de ses qualités, offrant bien souvent un jeu intéressant, le tout porté par des entraîneurs charismatiques, aux idées de jeu développées. De Dan Petrescu à Viktor Goncharenko, le club est porté par ces têtes pensantes qui ont su marquer le joueur. « Victor Goncharenko est vraiment un entraîneur extraordinaire. Il s’intéresse scrupuleusement à chaque match et construit son jeu en fonction des caractéristiques stylistiques de l’adversaire «  disait ainsi Ibrahima Baldé lors d’une interview pour Championnat. 

Pourtant, si l’aventure au Kuban débute sous les meilleurs auspices, avec une volonté de voir le club jouer les places européennes, le tout porté par un Ibrahima Baldé deux fois meilleur buteur du club, le Kuban Krasnodar voit finalement les problèmes financiers le rattraper et doit revoir ses ambitions à la baisse. Jusqu’au point de se déclarer en faillite il y a quelques semaines de cela. Après cinq ans au club, le joueur décide de quitter ce marasme, rejoignant Reims puis la Roumanie et le CFR Cluj, là où il retrouve Dan Petrescu, ancien pensionnaire de ce même Kuban Krasnodar.

Un club avec lequel le joueur sénégalais a su développer une fibre particulière, surtout auprès de ses coéquipiers et de cette bande d’amis qui, pour beaucoup, ont connu les meilleures années de leur carrière du côté des Jaune et Vert. Preuve de cette amitié nouvelle lors de la longue blessure de l’attaquant sénégalais et de ce geste de ses coéquipiers lors d’un match face à Tom Tomsk. « J’étais extrêmement touché au plus profond de moi. Ce n’était pas juste un geste pour le show, je sais qu’ils m’ont dédié le but du fond de leur coeur. Ils se sont souvenus de moi, de mon anniversaire, alors que cela faisait plusieurs jours que j’étais blessé et que je ne leur avais rien dit. Leur action m’a apporté une énorme aide morale, m’a donné des forces. Je suis fier de faire partie de cette équipe, d’être l’un d’eux […] cette relation se sent à tous les niveaux : de la façon dont le management et l’entraîneur discutent avec les joueurs. Eh bien sûr, tu ne peux pas passer outre l’attention de ces personnes qui travaillent pour nous : le personnel médical, les traductions, l’administration. Tous les employés du club. Au Kuban, tout le monde est réuni autour d’un même but. » 

Pierre Vuillemot

 

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