En route pour la Russie #21 : De Luke à Luka, une idylle russe pour Wilkshire

Notre dispositif Coupe du Monde est bien en place et comme chaque jeudi jusqu’à l’ouverture de la compétition, nous vous proposons un article qui fait le lien entre un pays qualifié pour la compétition et le pays organisateur. Dans l’histoire du football, peu de choses relient l’Australie et la Russie. Éloignés géographiquement, ces deux pays le sont aussi dans leur rapport à un sport qui occupe une place différente dans leurs sociétés respectives. Pourtant, un homme a fait le lien, pendant de nombreuses années, entre sa terre natale et le pays des tsars : Luke Wilkshire, ou Luka Wilkshire, latéral droit de son état.


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« Je n’aurais jamais pensé que la Russie deviendrait une deuxième maison pour moi. » Les sites spécialisés, qui pullulent sur la toile, n’offrent pas (encore) la possibilité de parier sur ce sujet-là, mais il ne serait pas improbable de voir cette épitaphe sur la tombe de Luke Wilkshire. En effet, rien ne prédestinait une telle histoire. Et pour cause : il faut aller jusqu’à Wollogong, dans la Nouvelle-Galles-du-Sud australienne, pour en trouver le point de départ. C’est là, dans cette terre industrielle de la South Coast, que Wilkshire voit le jour au début du mois d’octobre 1981. Jusque-là, rien de bien croustillant en soi, ou presque. À cette époque, la vocation footballistique n’était pas encore monnaie courante dans une nation qui vibre plus pour le cousin du ballon ovale, même si le jeune enfant qu’il est ne cesse de répéter à ses parents qu’il sera, un jour, professionnel en Angleterre. « Quand j’étais petit, je regardais du rugby, parce que mon père était arbitre, avouait Wilkshire à Championat. Je voulais même en faire, mais ma mère m’en a empêché, parce qu’elle trouvait que c’était un sport dangereux. J’avais peur d’être blessé. Donc, j’ai décidé de devenir joueur de foot. » 

Une fois le basculement effectué, le jeune Luke tape dans ses premiers ballons dans les équipes des environs – Albion Park White Eagles et Wollongong Wolves – avant de, déjà, prendre une décision forte : après une pige d’un an à l’Australian Institute of Sport, l’académie sportive d’élite du pays, il met le cap sur l’Angleterre pour rejoindre les équipes de jeunes de Middlesbrough, d’abord à 15 ans, pour plusieurs semaines. Avant d’y revenir pour de bon, dans une famille d’accueil qui le loge avec son compatriote Brad Jones. « L’entraîneur voulait que je reste, mais je ne pouvais pas, à cause de mon âge. Je suis retourné en Australie, et on est resté en contact. Quand j’ai eu 17 ans, je suis retourné là-bas, et ils m’ont proposé un contrat pour jouer avec les jeunes », retrace-t-il. « J’ai eu des opportunités, et je les ai saisies », disait-il d’ailleurs à Goal à propos de son parcours.

© Екатерина Лаут / Wikicommons

Comme un avant-goût, finalement, d’une carrière qui le mènera dans divers endroits du Vieux Continent. Après trois ans avec les pros à Middlesbrough, où démarre avec un salaire de 350£ par semaine, et l’habitude de cirer les pompes, au sens propre, des anciens durant ses jeunes années, il enchaîne avec trois saisons à Bristol City, puis deux autres à Twente, où sa réputation croît de manière exponentielle en même temps qu’il découvre la joie des joutes européennes et qu’il découvre ce poste de latéral qu’il ne quittera plus. Avant de donner un tournant plutôt inattendu à son parcours, le 26 août 2008, en signant en Russie. Au Dinamo Moscou, plus précisément, qui débourse 6 millions d’euros pour attirer l’Aussie dans la capitale russe, malgré des proches plutôt réticents, à la base, à ce choix de carrière. Un Australien dans la Mère Patrie, c’est plutôt inattendu. Et peu commun.

Sortir de son confort en Russie

Surtout qu’aux Pays-Bas, Wilkshire vivait dans un pays quasiment anglophone, puisqu’une grande partie de la population est à l’aise avec la langue de Shakespeare. Un cocon, en sorte. Pas forcément le cas de la Russie, surtout en 2008. « Il est un peu plus parlé maintenant, mais quand j’y suis allé pour la première fois, ce n’était pas très courant », retraçait-il au Daily Telegraph australien en octobre dernier. Parce qu’il est comme ça, le Luke : de ces joueurs qui n’hésitent pas à sortir un peu de la voie classique. Qui vont là où personne ne les attend. « Le football de côté, il s’agit de se challenger dans la vie. Il s’agit d’expérimenter ces endroits qui font la personne que vous êtes, continue-t-il. J’embrasse ces défis : c’est ce que j’ai aimé dans ma carrière jusqu’ici. »

Le challenge en question se révèle assez vite payant. Sur le terrain, dans le couloir droit de sa défense, celui qui compte 80 sélections avec l’Australie enchaîne les prestations solides et les kilomètres avalés. Sa première saison, sur l’année civile 2008, lui permet de prendre ses marques, avec 11 apparitions en championnat et trois en Coupe. Avant de prendre son envol. La deuxième, elle, sera bien plus aboutie, avec 32 matchs toutes compétitions confondues. Qui aboutira, en 2009, à une première prolongation de contrat. Comme un signe que les choses se passent bien, et que l’environnement initialement hostile est devenu familier.

Très vite, il devient la coqueluche des supporters moscovites, qui apprécient sa dévotion sans limites et son abnégation. Et les preuves ne manquent pas. « L’Australie avait joué dans la semaine, donc j’étais revenu à Moscou un jour avant un match de championnat, racontait-il au site de la FIFA juste avant la dernière Coupe des Confédérations. Le coach du Dinamo, Andrey Kobelev, m’a regardé et m’a dit : ‘Tu es complètement jet-lagué, tu seras au repos demain. Mais j’ai toujours su que quand cela comptait, la fatigue ne veut rien dire du tout. J’étais confiant sur le fait que je pouvais jouer, et j’ai dit au coach que j’étais OK et qu’il pouvait me mettre dans la composition. »

Deuxième prolongation et Tchétchénie

L’infatigable latéral droit enchaînera, au total, six saisons avec le Dinamo, totalisant 170 apparitions, et un tatouage hommage sur le bras droit. « Au début, j’ai cru qu’il était marié au Dinamo, et non pas à moi » rigolait Kristina, sa femme, dans une interview à Championat, histoire de situer un peu l’amour du maillot du bonhomme en question. En février 2012, il avait prolongé une dernière fois, devenant alors l’Australien le mieux payé, avec un salaire annuel estimé à 5 millions de dollars par la presse de son pays. « Je suis ici depuis trois ans et demi, c’est un grand club. Je suis vraiment bien installé, on a une bonne équipe, et on est en bonne position en championnat », confiait-il alors. Mais, mis à part une troisième place en 2008, il ne connaîtra jamais le grand frisson de la Ligue des Champions avec son nouveau club de cœur. Le Celtic, en 2009, se charge de briser le rêve russe de coupe aux grandes oreilles, tandis que Stuttgart, en 2012, brise celui de Ligue Europa.

Mais qu’importe, au final. Tout au long de ces années, il contribue à structurer et à faire progresser une formation qui, cruel hasard, connaîtra les joies d’une campagne européenne au moment où il décide de revenir aux Pays-Bas, à Feyenoord. Son deuxième passage en Hollande est mitigé, dans un championnat qui a pris l’habitude de miser sur les jeunes potentiels. « Là-bas, ils peuvent se développer, progresser. En plus, les Néerlandais sont obsédés par les règles : ils disent clairement ce que tu peux faire, et ce qui est interdit », livre-t-il comme explication. Une saison plus tard, le revoilà en Russie, où il sent que son oeuvre est inachevée, et qu’il peut encore offrir de bons services. Mais pas au Dinamo, non. Au Terek, ce club basé à Grozny, capitale de la Tchétchénie, lieu qui a connu des années de guerre et de destruction. Et où il signe une saison, plus une autre en option. « C’est un endroit complètement différent, explique-t-il. Je l’avais déjà expérimenté quand j’étais au Dinamo et qu’on avait voyagé à Grozny pour les jouer. »

Loin de son Moscou familier, il découvre les charmes particuliers de son nouveau terrain de jeu. Notamment cet amour immodéré que porte la population locale aux les armes à feu – y compris au stade – et la présence militaire presque partout, sans parler des hôtels parfois miteux, ou d’une nourriture limite comestible lors des collations d’avant-match. Mention spéciale, aussi, aux Lada, ces voitures russes typiques réputées pour leur absence totale de confort qu’il se fait un plaisir de connaître alors que les températures sont caniculaires. « Mais, depuis, ça a considérablement progressé, et ce n’est plus une mauvaise ville du tout », précisait-il au Daily Telegraph. Sur le pré, l’expérience sera mitigée, même s’il ne retiendra que du positif du club et des nombreuses personnes l’ayant aidé à s’intégrer. Il traverse l’exercice 2015-2016 de manière assez anonyme, avec six petites apparitions à son compteur. Logiquement, il décide de ne pas activer son option, et se retrouve sur le marché. Enfin, pas pour très longtemps.

Retour au Dinamo et conversion à l’orthodoxie

Le 31 août 2016, il revient au Dinamo, avec la ferme ambition de ramener le club, qui a vécu des années délicates après son départ, en première division. « Je suis à la maison », glisse-t-il d’ailleurs au moment de commenter ce retour, sans pouvoir masquer une certaine excitation de retrouver une tunique bleue et blanche qu’il ne connaît que trop bien. « Pour être honnête, je ne voulais pas partir, et je rêvais d’un retour. En 2014, j’étais en fin de contrat. Je parlais avec Guram Ajoyev, le directeur sportif, et il me disait que tout allait bien, qu’il fallait que je continue à me préparer. Donc jusqu’à la fin de la saison, je ne savais pas ce qui allait se passer sur la suivante. Et, je me souviens que j’étais assis dans un restaurant. Je regardais un truc sur internet, et j’ai vu une interview où il se disait que le club ne comptait plus sur moi. Mais personne ne m’avait appelé. Ce fut dur », rembobine-t-il lors d’une interview à Championnat, où il explique, aussi, qu’il a lui-même offert ses services pour que ce come-back soit possible.

© Степиньш Ольга / Wikicommons

La durée du bail, elle, est d’un an, mais l’Australien promet de tout faire sur le terrain pour qu’une prolongation lui soit offerte à la fin. « Quand je suis revenu, j’ai réalisé que le Dinamo était en moi. Dans mon âme, dans mon coeur. J’ai du sang bleu et blanc ! » Mais le rendu, lui, sera décevant : 7 petits matchs toutes compétitions confondues, et une expérience qui, logiquement, ne s’étalera pas une année de plus, à l’image de celle de Grozny. « J’espère que le Dinamo sera mon dernier club. C’est l’endroit où j’aimerais finir », indiquait-il en décembre 2016. Sauf qu’en football, comme le dit le poncif, tout va très vite. Et au mois de juillet suivant, la page russe se tourne, puisque Luke Wilkshire décide de retourner sur sa terre natale en signant à Sydney. La fin d’une belle expérience, serait-on tenté de croire. Sauf qu’entre la Russie et Luke Wilkshire, les liens sont bien plus profonds qu’une simple carrière de footballeur.

Sentimentalement, déjà, l’Australien a trouvé son âme sœur en Russie, en la personne de Kristina, qu’il a rencontrée à Novogorsk, dans la banlieue moscovite. « Nos chemins ne faisaient que se croiser, racontait-il au site de la FIFA. Que ce soit à la station-service, dans des restaurants… Une fois, on a commencé à parler, et depuis, on n’a plus été capable de vivre l’un sans l’autre. » Deux enfants naîtront de cet amour fusionnel, ainsi que de belles anecdotes de famille, comme ce Nouvel An russe passé avec son beau-père, autour d’une bouteille de vodka dans sa maison de l’époque, alors en construction. Ou d’un mariage éclair et presque anonyme à Sydney, sans même prévenir ses proches, sans oublier un amour pour le pain noir et le borsch, qu’il apprécie désormais plus que tout. Rares sont les étrangers à s’être aussi bien intégrés à la vie russe, et encore moins ceux qui confient vouer un amour démesuré aux hivers du pays, qu’il privilégie désormais aux vacances dans des destinations exotiques au soleil.

Mais Wilkshire, lui, est allé encore plus loin. Dans la foulée du baptême de sa fille Mia, il décide de sauter le pas lui aussi : Luke devient Luka, et fait de l’orthodoxie sa religion. « Ce fut une décision qui est venue du coeur, explique-t-il. Ma femme est orthodoxe, ses proches aussi. On vit sous le même toit, et on partage les mêmes vies. Si elle est orthodoxe, cela signifie que je le suis aussi. » Alors, forcément, ce destin presque parfait suscite des vocations. Et le latéral australien, lui, se muerait bien en VRP de luxe. « Le club s’est extrêmement bien occupé de moi, et je pense que quelques joueurs australiens seraient bien de saisir l’opportunité de venir ici si elle leur était offerte. La Premiere League russe offre un style de jeu différent, mais aussi un autre style de vie. Cela ne peut que profiter à un footballeur », juge-t-il.

Un Mondial en Russie… sans lui

Sur le papier, l’histoire était belle. Un Mondial en Russie, pour lequel l’Australie a décroché son ticket. Mais elle était trop belle, sans doute, parce que ce rendez-vous planétaire se fera sans Luke Wilkshire, absent des listes des Socceroos depuis un bout de temps, maintenant. Depuis mai 2014 lors d’un amical face à l’Afrique du Sud, précisément. En octobre 2013, Ange Postecoglou prend les rênes de la sélection, et décide de se passer des services de l’ancien moscovite, qui ne verra pas, par exemple, l’édition brésilienne de 2014. Surtout qu’à son poste, Aziz Behich (27 ans) et James Meredith (30 ans) se sont bien installés, et ne comptent pas lâcher l’affaire.

Mais qu’importe, au final. Du haut de ses 80 sélections, Luka Wilkshire a sans aucun doute gardé une certaine influence auprès de cette sélection australienne. Et avec autant d’années passées en Russie, il connaît mieux que personne le futur terrain de jeu de la Coupe de Monde. L’occasion de glisser quelques conseils bienvenus à ses compatriotes.

Martial Debeaux


Image à la une : Nina Zotina/Sputnik via AFP Photos

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