Elle est là : la Coupe du Monde 2018. La vôtre… et la nôtre. Pour fêter cette compétition, chez nous, dans nos contrées russes, notre rédaction a décidé de faire les choses comme il faut en vous offrant différentes séries d’articles. Il est temps de passer à l’heure russe !
Et aujourd’hui autant vous dire que c’est la fête, puisque deux nations de la zone Footballski s’affrontent pour une place en demi-finale d’une Coupe du Monde organisée en Russie. Deux nations qui ont pour trait commun dans leur histoire contemporaine d’avoir connu une période plus ou moins longue de socialisme et de communisme. Un trait commun qui ne les a pourtant pas empêchés d’entretenir une farouche rivalité sportive.
Prolétaires de tous les pays unissez-vous
Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, l’ URSS et la Yougoslavie apparaissent très rapidement comme alliés. L’URSS de Staline étant le fer-de-lance du communisme mondial depuis 1920, la nouvelle Yougoslavie, étant devenue République fédérative populaire sous la baguette de Tito et de ses partisans, les deux pays souhaitent proposer une société différente du mode de vie capitaliste ancré à l’Ouest. Pour le dire vite la collectivité avant l’individu. Dans cette perspective, le sport offre au moins un double intérêt : intégrer l’individu dans un collectif plus grand que lui mais également offrir un support à la propagande en cas de victoire permettant d’affirmer ensuite que « Si nous avons gagné c’est bien la preuve que notre modèle est meilleur que l’autre. »
L’ alliance entre la Yougoslavie et l’ URSS est telle que les deux pays signent un « Traité d’amitié et de reconnaissance mutuelle » en avril 1945. Deux ans plus tard, Belgrade confirme son statut à part en étant désignée ville hôte du COMINFORM (Bureau d’Information communiste, soit l’organe de coordination des différents partis d’obédience communiste dans le monde). En plaçant le siège de l’organisation en dehors de l’ URSS, Staline renforce l’idée d’indépendance de l’organisation. La bonne entente est également visible dans le milieu du sport. Quelques mois après la fin de la guerre, la Yougoslavie accueille une délégation de culturistes de l’Union soviétique, et dès l’hiver 1945-1946 le CSKA Moscou joue en Yougoslavie à Belgrade, Zagreb et Split une série de matchs amicaux. À l’image de la tournée du Dynamo Moscou quelques mois auparavant au Royaume- Uni. En août 1946, c’était au tour du Partizan Belgrade de se déplacer à Moscou puis à Leningrad et de renvoyer l’ascenseur. D’ailleurs le club du Partizan a lui-même été créé sur le modèle du CSKA, en tant que club de l’armée yougoslave, comme l’a reconnu Svetozar Vukmanovic lors d’une conversation publique avec l’intellectuel Vladimir Dedijer (rôle qui était pourtant au départ prévu pour l’Hajduk Split).
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1952, le schisme consommé
Cependant en 1948, Belgrade refuse de s’aligner sur Moscou et c’est le schisme. Le 28 juin 1948, la Yougoslavie est exclue du COMINFORM. Alors qu’auparavant, les presses des deux pays étaient dithyrambiques, les plumes changent de tons et pour devenir chacune hostile. Cette hostilité atteint peut-être son apogée en 1952 lorsque les Soviétiques participent pour la première fois aux Jeux olympiques d’Helsinki. Les autorités russes ont alors retourné leur veste en acceptant d’y participer, après avoir dénoncé pendant de multiples années le caractère bourgeois des jeux. Afin d’être dans des prédispositions optimales avant ces Jeux, les Soviétiques ont réuni leurs meilleurs joueurs de football dans une seule équipe, cherchant, ce faisant, à développer une complicité sur le terrain. Les différentes représentations nationales des pays-satellites sont même appelées à Moscou afin d’affronter ce « all-star » soviétique. Tout était mis en œuvre pour préparer au mieux ces Jeux olympiques. Il fallait que dans chaque discipline le soviet soit meilleur que le sportif venant d’un pays capitaliste ! L’arrivée de l’ Union soviétique aux Jeux olympiques n’était ainsi pas dénuée de toute arrière-pensée. Auréolés du succès du Dynamo Moscou au Royaume-Uni quelques années auparavant, entourés par le plus grand secret de l’ URSS et confinés au secret, les joueurs soviétiques sont craints. L’Union soviétique fait donc figure de grande favorite de ces Jeux olympiques.
Le hasard des confrontations fait que l’ Union soviétique et la Yougoslavie s’affrontent dès leur premier match dans un contexte politique pesant comme nous l’avons évoqué. La rencontre a lieu le 20 juillet à Tampere dans un stade à moitié construit. Pour souligner l’importance capitale de la rencontre, les Yougoslaves avaient reçu près de 400 télégrammes de différentes organisations yougoslaves afin de les soutenir. D’emblée, la Yougoslavie prend les devants jusqu’à mener 5-1 à 30 minutes du coup de sifflet final. Alors que les Yougoslaves mènent tranquillement au tableau d’affichage et se relâchent, les Soviétiques terminent eux la rencontre sur des bases impressionnantes. Courant plus vite, plus longtemps que leurs adversaires, les Soviétiques opèrent une impressionnante remuntada (une remuntadovski ?) , et les deux équipes terminent ainsi la rencontre sur le score nul de 5 buts à 5. Un correspondant yougoslave, Velickovic, écrivait alors :
Il était devenu évident qu’ils ne s’étaient pas entraînés continuellement dans des camps pendant 12 mois en vain. Ce sont des machines capables de dicter n’importe quel tempo.
Alors que la compétition était à élimination directe, il fallait un vainqueur. Le match était donc rejoué deux jours plus tard et une dizaine de journalistes descendus d’Helsinki à Tempere. La presse yougoslave rapportait ainsi que les supporters locaux avaient choisi de soutenir la Yougoslavie, contre la menaçante URSS voisine, contre qui les Finlandais s’étaient battus pour leur indépendance lors de la Seconde Guerre mondiale quelques années plus tôt. Cependant, il semblerait d’après certains articles du New York Times ou du Daily Telegraph de l’époque que les supporters locaux étaient en nombre plus ou moins égal pour les deux équipes.
Pour le second match, l’ Union soviétique a cependant rameuté toute l’équipe hongroise pour soutenir leurs camarades. Ce match est devenu très célèbre en Yougoslavie. Le journaliste de Sarajevo Dzevad Kajan nota que les autorités locales avaient installé des enceintes à droite et à gauche dans la capitale bosnienne afin de faire vivre l’événement à toute la population. Les habitants de Sarajevo s’étaient ainsi donné rendez-vous au square Bascarsija pour écouter les commentaires des Jeux olympiques d’Helsinki. L’image d’une foule importante se réunissant autour de radios afin d’écouter les commentateurs a été reprise plus tard par Émir Kusturica en 1985 dans son film: « Papa est en voyage d’affaires » qui s’intéresse à la Yougoslavie après justement la rupture entre Staline et Tito.
Le « petit secret » de « l’équipe des lieutenants »
Le match s’est terminé par une victoire 3-1 de la Yougoslavie, éliminant ainsi l’ Union soviétique pourtant favorite. La Yougoslavie accédait au second tour alors que le résultat jugé déshonorant à Moscou n’a pas été rendu public avant le décès de Staline une année plus tard. La presse slovène a Trieste s’en donnait à coeur joie et qualifiait les soviets de « brutaux et arrogants« . L’heure était aux règlements de compte. Cependant il semble que cette qualification ne soit pas éloignée de la réalité. Le New York Times dénonçait lui-même le fond de jeu des soviets comme étant loin de l’esprit de camaraderie de l’Union soviétique. Vukas, un attaquant yougoslave révéla plus tard qu’un défenseur adverse le qualifia de « fasciste« , appellation courante en URSS pour dénoncer la Yougoslavie suite au schisme. En réponse, ce dernier qualifia son agresseur de « capitaliste« , autre insulte courante dans les pays socialistes.
Les représentants de la Yougoslavie de Tito sont vainqueurs. Rajko Mitic, attaquant de l’Étoile rouge de Belgrade et de la Yougoslavie.
Le caractère très politique de la rencontre resta marqué même longtemps après le match. Le fameux attaquant de l’ Étoile rouge de Belgrade, Rajko Mitic, déclara en interview d’après match que « les représentants de la Yougoslavie de Tito étaient vainqueurs« . Si tôt le match terminé, l’équipe envoya un télégramme à Tito afin d’expliquer qu’ils s’étaient battus avec le soutien de la nation tout entière et pour le remercier de son soutien. Cette victoire, c’était mettre fin à l’image triomphante du football soviétique qui existait à l’ Ouest depuis la tournée triomphale en 1945 du Dynamo Moscou (vu quasiment comme une deuxième sélection soviétique) au Royaume-Uni.
https://www.youtube.com/watch?v=8004U8X2V8k
De nombreuses spéculations eurent lieu dans les mois suivant la rencontre pour le devenir des joueurs soviétiques. Le 6 décembre 1952, le quotidien yougoslave Sport évoqua que sept membres de l’équipe soviétique avaient été arrêtés pour sabotage. Il semble qu’au final rien d’aussi extrême ne soit arrivé, seulement un retrait de décorations et une équipe éparpillée. Moins d’attention fut donnée également pour le CSKA Moscou dans la presse locale. Cette défaite était devenue « le secret de l’équipe des lieutenants ». Le Daily Telegraph résumait ainsi la rencontre :
Lorsque le Dynamo Moscou est venu au Royaume- Uni après la guerre, les Soviétiques ont expliqué leur succès grâce à leur idéologie. Si l’idéologie supérieure peut expliquer le triomphe du Dynamo sur l’équipe capitaliste d’Arsenal, comment ce triomphe contemporain de la Yougoslavie sur les Soviétiques peut-il être expliqué ? Cette question doit certainement poser des maux de tête aux auteurs de la propagande de Moscou.
La sélection yougoslave est finalement rentrée à Belgrade auréolée de la médaille d’argent, perdant en finale face à la Hongrie de Puskas. L’équipe a cependant été reçue par Tito lui-même, et les joueurs ont reçu des primes en dollar américain. Kajan expliqua que les joueurs avaient ensuite été favorisés tant sur le plan humain que sportif. Ce match de 1952 reste comme un souvenir de la résistance à l’intérieur du bloc de l’ Est, un exemple pour les pays satellites de l’ URSS, prouvant qu’il était possible de s’opposer à Moscou. C’est ainsi qu’avec la rupture entre Moscou et Belgrade en 1948, le sport, outils d’émulation entre les deux puissances du bloc de l’Est est devenu un vecteur de l’hostilité entre les deux pays. Pour paraphraser Clausewitz, on pourrait ainsi dire que « le football est la continuation de la politique par d’autres moyens. »
Lazar Van Parijs
Photo de couverture : © FIFA.com – Vsevolod Bobrov du CSKA Moscou en action
Encore bravo et merci, jamais pris le temps de vous témoigner de ma reconnaissance et mon admiration pour votre blog. Voilà, c’est fait.
Ma connaissance de l’Est est pauvre, et les Balkans encore plus, mais avec vous et Kadaré, j’ai dorénavant des petites lumières. Mais Kadaré commence à dater, question actualités !
Je ne sais pas, peut être aimait-il le football ? Sans doute pas, il en aurait fait un roman.
Et vous, pas envie d’écrire un livre, avec tout ce matériau et une plume qui a de la tenue ?