Elle est là : la Coupe du Monde 2018. La vôtre… et la nôtre. Pour fêter cette compétition, chez nous, dans nos contrées russes, la rédaction a décidé de faire les choses comme il faut en vous offrant différentes séries d’articles. Il est temps de passer à l’heure russe !

Né en Colombie, Manuel Arboleda a passé la majeure partie de sa carrière en Pologne, principalement du côté du Lech Poznań. Le rugueux défenseur sud-américain aurait même pu espérer revêtir le maillot frappé de l’aigle blanc. Mais un doigt baladeur a tout gâché…


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C’est un classique du mercato footballistique. Lors de chaque marché des transferts, en été comme en hiver, pléthore de Sud-Américains décident de faire le grand saut vers l’Europe. Jeunes pépites au fort potentiel ou joueurs plus expérimentés tentés par un nouveau challenge, ils quittent ainsi leurs terres natales pour s’en aller goûter aux joutes du Vieux Continent. L’Espagne, le Portugal, la France ou encore l’Italie comptent parmi les destinations privilégiées, mais d’autres choisissent de partir un peu plus vers l’est. En Russie, par exemple. Ou en Pologne, pays qui fut le point de chute de Manuel Arboleda.

A Lubin, deux titres et des accusations de racisme

Manuel Santos Arboleda Sanchez est né le 2 août 1979 en Colombie, à Buenaventura plus précisément, une grande ville côtière davantage connue pour son important taux de criminalité que pour ses clubs de football à l’existence éphémère. Cela n’empêche pas le jeune Manuel de commencer à y toucher la balle. Plutôt doué, il continue sa progression au sein des équipes de jeunes du Millonarios Bogota, avant de signer son premier contrat professionnel à l’Independiente Santa Fe, en 2001. Ce grand défenseur central (1,88m) change régulièrement de club, passant du Tolima Ibagué à l’Atlético Huila Neiva (après un prêt au Centauros Villavicencio), sans pour autant parvenir à s’imposer dans la durée. En 2004, alors joueur du Cienciano de Cuzco, il remporte la Recopa Sudamericana face à Boca Juniors (1-1, 4-2 t.a.b.). Un remarquable coup d’éclat, avant le grand départ.

A l’hiver 2006, Arboleda donne en effet un nouvel élan à sa carrière en s’envolant pour la Pologne. Alors âgé de 26 ans, le Colombien s’engage en faveur du Zagłębie Lubin, qui joue les premiers rôles sur la scène nationale. Il devient rapidement titulaire au sein de la charnière centrale des Miedzowi, sacrés champions devant le GKS Bełchatów et le Legia Varsovie en 2007. Le club de Basse-Silésie s’adjuge la Supercoupe de Pologne dans la foulée, mais cet état de grâce ne dure cependant pas. Arboleda passe la deuxième partie de la saison 2007-2008 avec la réserve, officiellement en guise de sanction pour son retour tardif de vacances, officieusement parce que les négociations concernant une éventuelle prolongation de contrat sont dans l’impasse. Pire : le joueur sud-américain va jusqu’à accuser son président de racisme. Selon ses dires, celui-ci refuserait de le voir porter le brassard de capitaine en raison de sa couleur de peau. L’affaire se poursuit devant les tribunaux, l’ancien Cuzqueño finit par s’excuser et doit verser 65 000 złotys de dommages et intérêts. Condamné pour corruption, le Zagłębie chute en deuxième division. Arboleda, lui, doit trouver un nouveau club.

Smuda, « père polonais » d’Arboleda

Il ne part pas bien loin. Le 18 juin 2008, le défenseur colombien s’engage avec le Lech Poznań. Il y retrouve Franciszek Smuda, sous les ordres duquel il avait déjà évolué à Lubin auparavant. Une relation de confiance s’établit entre les deux hommes. Arboleda est très attaché à Smuda, qu’il considère comme son « père polonais ». « En Pologne, tout le monde sait que j’admire Smuda, a-t-il raconté à Przeglad Sportowy un peu plus tard, en septembre 2013. Je le respecte et je l’aime. C’est une personne directe et sincère, cela lui importe peu que vous soyez un étranger, un Colombien, un Allemand ou un Polonais. Il traite tout le monde de la même manière. (…) Smuda sait que s’il a besoin de moi un jour, je serai capable de lui donner ma vie. » Dans ce contexte, Arboleda s’épanouit complètement et réalise probablement, en 2008-2009, la saison la plus aboutie de sa carrière. Titulaire indiscutable, le natif de Buenaventura dispute l’intégralité des rencontres d’Ekstraklasa et de Coupe de l’UEFA sous le maillot des Kolejorz, avec lesquels il remporte également la Coupe de Pologne. Et, l’année suivante, c’est un nouveau titre de champion national qui vient garnir le palmarès de l’ancien joueur du Zagłębie.

A Poznań, Manuel Arboleda côtoie un jeune attaquant au potentiel très intéressant mais qui doit encore s’endurcir sur le plan athlétique. Cet avant-centre polonais s’appelle Robert Lewandowski. « A l’entraînement, j’envoyais Robert défier notre Colombien Manuel Arboleda en un contre un, a révélé Smuda à Bild en avril 2017. Ce dernier était si fort athlétiquement qu’à chaque duel ‘’Lewy’’ se retrouvait projeté au sol, comme s’il venait de heurter un mur. (…) Robert est devenu de plus en plus costaud, et il a fini par prendre le dessus. »

Un doigt un peu trop intrusif

Clé de voûte du Lech Poznań, Arboleda est apprécié par les supporters et jouit d’une belle réputation en Pologne. Elu « Meilleur joueur étranger d’Ekstraklasa » pour la troisième fois consécutive, il fait part, en 2010, de sa volonté d’obtenir un passeport polonais. Une décision symboliquement forte et qui est tout sauf anodine car, à ce moment-là, le sélectionneur national n’est autre que… Franciszek Smuda. Arrivé sur le banc de la Reprezentacja en 2009 avec l’objectif de bâtir une équipe compétitive dans l’optique de l’Euro 2012, co-organisé par la Pologne et l’Ukraine, l’expérimenté technicien cherche à convaincre certains joueurs étrangers de rejoindre les rangs des Biało-czerwoni. Ayant des origines polonaises, Ludovic Obraniak, Damien Perquis, Eugen Polanski, Adam Matuszczyk et Sebastian Boenisch ont ainsi accepté de porter le maillot frappé de l’aigle blanc. « Il est tout à fait possible que lors de l’Euro 2012, nous puissions nous appuyer sur une charnière centrale formée par le duo Damien Perquis – Manuel Arboleda, affirmait Smuda à l’époque. (…) Je suis sûr que si d’autres avaient agi de la même manière que moi, Podolski aurait marqué des buts pour nous. »

Arboleda (debout, quatrième en partant de la gauche) et ses coéquipiers du Lech Poznań avant un match de Ligue Europa face à Salzbourg, en 2010 – Roger Gorączniak

Cette politique fait grincer des dents au pays, aussi bien dans la presse qu’au sein du vestiaire, où certains cadres déplorent par exemple le fait que Perquis et Obraniak ne parlent pas polonais. L’hostilité est aussi de mise concernant une éventuelle naturalisation de Manuel Arboleda. Le Colombien est pourtant installé en Pologne depuis plusieurs années et ses prestations en club pourraient plaider en sa faveur. Mais un événement vient tout gâcher. En avril 2011, le Lech Poznań rend visite au Polonia Varsovie. Sur le terrain, le duel entre le défenseur des Kolejorz et Euzebiusz Smolarek est des plus âpres. A l’heure de jeu, l’ailier du Polonia assène un coup de poing à son vis-à-vis. Directement expulsé, Smolarek explique ensuite qu’Arboleda aurait cherché à lui introduire un doigt dans l’anus, ce qui ne lui aurait guère plu. Le joueur du Lech tente de dédramatiser, d’expliquer que les provocations étaient réciproques, mais il est trop tard. Le mal est fait. Refroidi par cette polémique, Smuda renonce définitivement à son projet d’appeler son ancien protégé en sélection.

Reconversion fructueuse

La fin de carrière d’Arboleda est ensuite assez pénible. En décembre 2013, la chancellerie de la présidence de la République lui refuse, sans justification apparente, l’accès à la citoyenneté polonaise. Gêné par des pépins physiques, le joueur de 35 ans est de plus en plus souvent cantonné au banc des remplaçants, Mariusz Rumak lui préférant notamment le jeune Jan Bednarek. Non conservé à la fin de son contrat, le joueur sud-américain quitte le Lech Poznań en mai 2014, après y avoir disputé 153 matchs toutes compétitions confondues en six saisons. Un temps désireux de poursuivre sa carrière, le rugueux défenseur ne trouve finalement aucun nouveau challenge à son goût et décide de raccrocher les crampons. Sa reconversion est une totale réussite. De retour en Colombie, il s’associe à une agence immobilière, ouvre l’Acqua Power Center, un rutilant centre commercial situé à Ibagué et participe au financement de la construction d’un hôtel de luxe. En parallèle de ces activités lucratives, l’homme d’affaires garde un œil attentif sur le Tolima Real, un club qu’il a racheté avec Juan Carlos Restrepo, beau-père d’un certain James Rodriguez. Son objectif : superviser les talents locaux et, éventuellement, leur permettre d’aller en Pologne, où il a gardé des contacts. Arboleda a notamment accompagné quatre jeunes à Poznań en 2016, afin qu’ils puissent y passer des tests. Une manière de les aider à faire le grand saut, en quelque sorte.

Raphaël Brosse


Image à la Une : Zbigniew Luchciński / ksppolonia.pl

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