Temps de lecture 11 minutesCoupe du Monde 2018 – Pologne : Adam Nawalka, pointillisme et quintessence du groupe

Elle est là : la Coupe du Monde 2018. La vôtre… et la nôtre. Pour fêter cette compétition, chez nous, dans nos contrées russes, notre rédaction a décidé de faire les choses comme il faut en vous offrant différentes séries d’articles. Il est temps de passer à l’heure russe ! 

Souvenez-vous, nous avions écrit un article sur Adam Nawałka avant l’Euro 2016. Sélectionneur plutôt méconnu du grand public européen, le Polonais, à la longévité peu commune à la tête de la Reprezentacja, est celui qui, aidé par une génération dorée, a redonné petit à petit ses lettres de noblesse au football polonais. De ce professeur élégant, à la doudoune sous le costume, aux cheveux toujours impeccablement peignés et à la discipline stricte, nous avions dressé un portrait sans fard. De son amitié avec le président de la fédération et ex-joueur Zbigniew Boniek, à ses séances de sport quotidiennes dès six heures du matin, de son pragmatisme quasi flegmatique à ses expériences en clubs plus ou moins fructueuses, de sa passion stakhanoviste pour les séances de vidéos nocturnes aux nouvelles méthodes d’entraînement.

Cet Adam Nawałka était presque devenu prévisible, sans grande imagination et plutôt froid, un réalisme et une philosophie clinique que l’on retrouvait dans le jeu de son équipe, notamment lors de l’Euro. Une Pologne sûre de sa force défensive, mais sans fantaisie, Robert Lewandowski cantonné au rôle du laborieux leader, travailleur acharné pour le collectif. Quelle surprise lorsque finalement, lors des éliminatoires pour la Coupe du Monde, ayant mené avec succès la Pologne en Russie, c’est un tout autre Nawałka que nous avons pu observer. Inquiétant ? Imprévisible ? Fou ? Mais qu’est-il arrivé à ce monsieur propre sur lui toujours, un cahier à spirales sous le bras et aux petites lunettes fines motif écailles de tortue n’hésitant pas à se laisser aller à quelques jurons sur les terrains d’entraînement lorsqu’il troque le costume Vistula pour le survêtement Nike de rigueur ? La réponse est peut-être dans les lignes suivantes, ou même plus certainement entre les lignes suivantes.

L’avènement de Zielinski, pivot du changement tactique

Le changement de système de Nawałka n’a pas été brutal, il a été diffus. De son 4-4-2 basique à double pivot vu lors de l’Euro jusqu’au 3-4-3 entrevu un an et demi plus tard, c’est par petites touches, comme un pointilliste célébrant l’Île de la Jatte qu’Adam Nawałka va offrir aux suiveurs et supporters de la sélection polonaise un revirement tactique plutôt inattendu. Plusieurs faits tangibles vont l’amener progressivement à repenser son approche tactique sans pour autant oublier les bases de son 4-4-2 solide et efficace. Tout d’abord l’abandon progressif du double pivot pour donner enfin les clefs du jeu à un joueur plus technique, en l’occurrence au jeune Piotr Zielinski malgré son Euro raté. Si Nawałka n’a pas vu la prestation du joueur du Napoli pendant la compétition comme l’expression d’une confiance absolue, il sait que son protégé a le talent pour illuminer le jeu polonais.

Mais dans un 4-4-2, c’est alors se priver de Maczynski ou de Krychowiak et donc fragiliser son rideau défensif et laisser l’adversaire plus facilement arriver devant les buts de Szczesny ou de Fabianski. On voit d’ailleurs dans les premiers matchs post-Euro que la Pologne encaisse bien plus de buts qu’auparavant, cinq buts en trois matchs. Il va alors passer par une phase intermédiaire, un 4-1-4-1 qui va faire sensation en Roumanie. Un schéma de passage permettant de densifier son milieu tout en intégrant parfaitement Zielinski. Mais c’est aussi un triste événement survenu à un autre polonais du Napoli qui va forcer Nawałka dans son choix de schéma tactique à un seul attaquant. Lors du match face au Danemark le 8 octobre 2016, Arkadiusz Milik se tord de douleur sur la pelouse en tenant son genou gauche. Ses ligaments viennent de rompre. Alors en pleine bourre avec le club napolitain, sa saison est déjà quasiment terminée.

© Łączy nas piłka / Facebook

La blessure d’Arkadiusz Milik, nouveau changement tactique

Du 4-1-4-1, le coach polonais va alors glisser vers un 4-2-3-1 avec retour du double pivot et la blessure de Milik libère une place offensive, tout en gardant une place défensive, pour Zielinski qui est replacé en meneur de jeu juste derrière l’attaquant. Un triste événement pour Milik, mais un événement qui va aider son jeune compatriote à s’épanouir et prendre ses responsabilités en sélection, un mal pour un bien très Nawałkien. Ce changement offre à la Pologne un jeu beaucoup plus basé sur la possession qu’auparavant. Ce système est utilisé quatre fois en matchs officiels en 2017, quatre matchs qui se solderont par quatre victoires avec un total de quinze buts marqués. Nawałka semble avoir trouvé son nouveau système préférentiel, à la fois plus sur que le 4-1-4-1 et plus spectaculaire et efficace que son 4-4-2 à plat défensif et plus stéréotypé « vitesse et contre-attaque ».

Peut être que si Milik ne s’était pas blessé gravement, Nawałka aurait opté pour 4-4-2 diamant plus offensif. Un schéma qui aurait pu nous proposer une équipe encore plus offensive qu’aujourd’hui, mais on ne réécrit pas l’Histoire. Et Nawałka avait une autre idée derrière la tête. Après des heures de visionnage de vidéos, son constat est sans appel, la faiblesse défensive des latéraux polonais et plus particulièrement sur le côté gauche est préjudiciable. C’est face à l’Uruguay, il y a huit mois, que sortant comme un lapin de son chapeau, le svelte sexagénaire va nous offrir une formation évoquée depuis quelque temps en Pologne : le fameux 3-4-3. Semblant être l’équilibre parfait pour faire jouer les latéraux polonais plus offensifs que défensifs, en Nicolas Flamel moderne le sélectionneur polonais va tâtonner dans ce système plus contemporain, mais beaucoup moins travaillé. Les matchs amicaux de fin 2017 servant de rampe de lancement, mais l’utilisation principalement de joueurs de banc n’aide pas à la lecture des résultats plutôt peu convaincants. Pourtant il relance cette formation pour les matchs amicaux de mars, encore une fois avec plus ou moins de succès. Il est devenu difficile de lire dans Nawałka, dans cet homme dans lequel deux ans auparavant ont pouvait lire comme dans un livre ouvert. Alors 4-2-3-1 ou 3-4-3 ou un système hybride entre les deux ? Difficile même de le savoir à un jour du début de la compétition pour la Pologne.  Celui qui était prévisible est devenu un feinteur, un homme rodé aux conférences de presse, aux mises en place tactiques et aux fausses pistes. Le temps du 4-4-2 et de ces joueurs inamovibles est révolu, Docteur Nawałka et Mister Adam.

DoubleTree Hotel by Hilton Warszawa, Dimanche 9 octobre

Si Adam Nawałka a beaucoup changé tactiquement malgré que le dogme n’ait jamais fait partie de ses attributs premiers, sur un autre point important le sélectionneur polonais va devoir changer, et ce à cause d’un évènement en particulier. Point de non-retour de la fameuse autogestion. Si Adam Nawałka avait l’habitude d’avoir une confiance aveugle en son groupe, après le match face au Danemark en octobre 2016, les évènements vont l’obliger à changer quelque peu son fusil d’épaule. Nous sommes donc le samedi 8 octobre 2016, après une victoire 3-2 face au Danemark et un match émaillé par la terrible blessure d’Arkadiusz Milik, les Polonais rentrent tranquillement en bus vers leurs quartiers varsoviens de l’hôtel DoubleTree Hilton, qui se situe à une vingtaine de minutes du Stadion Narodowy.

Les familles de joueurs sont autorisées par le sélectionneur et le staff à accompagner les joueurs à leur hôtel. Jusque-là, rien de forcément répréhensible. Mais alors que la nuit pose son voile sur la capitale polonaise, l’animation se fait de plus en importante dans les corridors moquettés de l’hôtel de la firme américaine. Profitant d’une réception de mariage au rez-de-chaussée du bâtiment, certains joueurs descendent pour se mêler à la fête. L’hôtel n’étant pas privatisé, quiconque peut venir dormir une nuit ou fêter son mariage même en présence de la sélection nationale. Un petit groupe de joueurs va alors profiter de l’alcool présent à la réception pour trinquer à la victoire et s’enivrer jusqu’à pas d’heure. Un retour aux plus belles heures des sélections polonaises faites de nuits blanches et de liquides translucides. Puis ce petit groupe aviné va remonter dans les étages, bruyants et saouls, ils vont réveiller quelques clients de l’hôtel et certains de leurs coéquipiers. Quelques-uns vont même jusqu’à finir la beuverie dans leur chambre, au point d’en arriver à vomir. Si Nawałka dort à poings fermés, des cadres de l’équipe ont vu cette scène de débauche alcoolisée en plein rassemblement.

© Łączy nas piłka / Facebook

Le lendemain matin, alerté des événements de la veille, le sélectionneur polonais va tenir un petit conseil de discipline avant le décrassage. L’affaire doit être tirée au clair, mais aucune information ne doit sortir dans la presse. Comme dans les plus grandes heures de la Pravda, les journalistes (bien sûr au courant) se taisent et la fédération étouffe l’affaire. Ce n’est pas la première fois que cela se produit, dans une moindre mesure déjà pendant l’Euro à La Baule, un événement similaire, mais moins important avait eu lieu. Les rumeurs enflent, alimentées par des salariés de l’hôtel, mais la fédération cadenasse à double tour. Pour Nawałka, la fête est finie. Bien aidé par son relais Robert Lewandowski, un sermon est lancé, les coupables seront punis. Des noms volent : A.B et L.T, cibles faciles, les autres noms sont tus. Une douzaine de joueurs vont finalement recevoir des amendes allant de 50 000 zlotys à 100 000 zlotys, fonds qui iront à des associations caritatives. L’adjoint de Nawałka, Tomasz Iwan, joue lui aussi son poste de Directeur de l’équipe nationale, mais il est finalement conforté dans sa position, le sélectionneur national ne se sépare pas de ses soldats.

Main de fer dans un gant de velours, Adam Nawałka sait que cet événement n’est pas anodin et que beaucoup de joueurs se sentent pousser des ailes depuis les louanges du dernier Euro. Il va alors serrer la vis (ce qu’il aurait dû faire plus tôt au sein d’une sélection faisant maintenant partie du gratin européen), les visites des familles des joueurs sont encadrées, une partie de l’hôtel est maintenant privatisé pour éviter un quelconque problème, les relations avec les journalistes vont être drastiquement réduites et encadrées par le service de relation presse. Les annonces aux joueurs sont claires, en cas de récidive c’est ni plus ni moins que l’exclusion de la sélection polonaise qui sera en jeu, Zbiniew Boniek acquiesce. Cet épisode montre comment, grisés par leur succès et leurs envies, certains joueurs auraient pu faire dérailler le train polonais en marche, et comment un coach a laissé le laxisme s’installer. Oui, Nawałka a repris la situation en main, mais un peu tard, mais avec l’aide précieuse de la fédération, le pire a été évité. Il y aura un avant et un après 8 octobre 2016. Lui, le permissif, celui qui traite ses joueurs avec la bienveillance d’un père, s’est senti trahi et les rassemblements seront dorénavant des moments strictement encadrés par ses règles. Si la Pologne du foot se professionnalise, les vieilles habitudes ne sont jamais très loin et l’autogestion amis-amis a vécu au sein de la sélection.

Le cas Peszko et sa signification du « groupe »

Le groupe a toujours été l’essence même de la réflexion de Nawałka, au-delà de la tactique. Pour lui, le groupe doit passer au-dessus de toute autre considération, et ce depuis ses débuts d’entraîneur. Même si comme nous l’avons vu sur la tactique, son pragmatisme l’a fait changer de dispositif pour ce qui est de la vie de groupe, rien n’est venu altérer sa vision. Et l’épisode de la beuverie de l’hôtel montre encore lui aussi cette demi-poigne parfois permissive que Nawałka avait jusque-là à ce sujet, laissé vivre pour tenir une cohésion, un esprit de camaraderie. Certains sélectionneurs auraient exclu (même temporairement) certains joueurs, lui a tenu à garder son groupe soudé et uni. Il fait passer l’expérience commune au-dessus de l’erreur sporadique et a demandé à chacun de réfléchir à ses actes et leurs impacts sur la vie du groupe.

Car le natif de Cracovie a toujours pensé que la cohésion était l’une des valeurs essentielles au succès, à raison. Dès ses premiers pas de coach dans les coulisses du Stadion Narodowy, son expérience de joueur l’a beaucoup influencé. Il possède une liste restreinte de joueurs en lesquels il a entièrement confiance et les utilise comme des relais de sa philosophie. Leader sur le terrain, mais aussi en dehors, Robert Lewandowski tient une place particulière dans son dispositif, il n’influence pas directement les sélections de ses coéquipiers, mais son avis précieux est écouté par le coach polonais. Adam Nawałka ne s’embarrasse pas de la critique sur la sélection ou non d’un joueur. Le cas d’un Grzegorz Krychowiak en grande difficulté au PSG puis à WBA a été traité de manière pragmatique pour ne pas nuire au groupe. Même invisible avec le PSG, le joueur, pièce importante dans la vie du groupe a toujours été sélectionné, sauf une fois, comme un avertissement d’un père à son fils. Sa colonne vertébrale sur et en dehors du terrain est connue, de Szczesny en passant par Glik, de Krychowiak en passant par Grosicki, de Lewandowski à Błaszczykowski. Et s’il doit partir à la guerre, il le fera avec des éléments qui se complètent, qui se connaissent et qui peuvent jouer ensemble les yeux fermés, manger ensemble sans jalousie et accepter ses choix parfois frileux.

Il dit superviser une cinquantaine d’éléments, mais un joueur qui ne correspond pas à sa vision du groupe ne sera jamais sélectionné. Par exemple, les performances australiennes d’Adrian Mierzjewski lui ont valu les yeux et les oreilles de la presse polonaise, mais l’élégant sexagénaire arguant qu’Adrian ne faisait pas partie de cette aventure, de ce groupe, a préféré se passer de lui sans remords. Mierzjewski a peut-être du talent, mais pour Nawałka, rappeler un joueur avec autant de sélections comme un nouveau venu n’aurait aucun sens si l’on suit sa réflexion sur le groupe. A contrario, la présence de Slawomir Peszko dans les vingt-trois Polonais a fait débat, mais Nawałka le désigne comme « joueur aux taches spécifiques ». Le milieu du Lechia Gdansk, sortant d’une saison assez négative avec son club, a tout de même été appelé et pour certains a pris la place d’un joueur plus jeune et qualitatif comme Szymanski par exemple. Mais encore une fois, c’est le choix du groupe que fait Nawałka. Peszko est un élément important du vestiaire, proche de Lewandowski, de Błaszczykowski, de Grosicki, etc. Ce que Podolski pouvait être sur la fin de sa carrière internationale avec Joachim Löw, toutes proportions gardées. Peut-on donner finalement tort à un entraîneur qui privilégie l’humain pour un poste de remplaçant qui n’aura quasiment aucune minute de jeu et qui peut apporter sa camaraderie et son expérience dans un groupe vivant en vase clos pendant près d’un mois ?

© Łączy nas piłka / Facebook

Dans une sélection, l’alchimie droit primer sur l’individu. Mais il n’hésite pas à conseiller individuellement ses joueurs sur leurs transferts ou sur un choix de préparateur physique. Un joueur comme Grosicki, excellent en sélection, mais moribond en club, a même reçu la visite du sélectionneur cet hiver. Il lui a envoyé pendant six mois un coach mental et un nutritionniste spécialisé et rien que pour lui. Même chose avec Błaszczykowski, qui s’est vu conseiller par le sélectionneur de revenir en Pologne suivi par un préparateur physique de la sélection pour traiter sa blessure en fin de saison. Nawałka prend soin de « ses anciens » et par petites touches incorpore ses jeunes pousses comme Bednarek, Kurzawa, Kownacki sans pour autant tout changer et renverser la table. C’est une sélection qui se veut être une grande famille tenue par un père attentif, qui attend de chacun de ses enfants qu’il tienne son rôle, de l’aîné au petit dernier.

Et maintenant, que vais-je faire…?

Alors oui, Adam Nawałka a changé, mais la Pologne reste cette équipe peut-être un peu sous-estimée dont certains ne voient ressortir que Lewandowski comme partie non immergée de l’iceberg. Comme vous avez pu le constater, si tous les choix du sélectionneur peuvent être contestés, ils font preuve d’un grand pragmatisme. Si la Pologne va loin dans cette compétition, elle le devra certainement à ce groupe façonné avec patience et minutie, où chaque élément est à sa place exacte comme dans un puzzle à 23 pièces ou le mécanisme d’une montre Philippe Patek. De plus, cette volonté de se dépasser pour le collectif fait de la Pologne une équipe un peu sud-américaine dans son approche des événements où règne une atmosphère que certains trouvent parfois trop lâche, mais qui en fait un groupe soudé et uni (on ne parle d’ailleurs plus des soi-disant mauvaises relations entre Lewandowski et Błaszczykowski). Nawałka a donc déjà réussi son coup, par ses changements tactiques il crée de la surprise et il est devenu quasiment impossible de deviner les compositions trois jours auparavant, comme c’était le cas dans le passé. Avantage tactique donc, avantage psychologique peut-être. Le doute crée-t-il l’incertitude ou la surprise? La plus belle des surprises ne serait-elle pas de voir ce groupe aller loin ensemble pour l’une des dernières compétitions de certains cadres ? Nawałka le sait, c’est le moment ou jamais, car lui aussi est peut-être sur une fin de cycle. Lors des repas de famille du dimanche, le dessert doit être beau et bon pour finir sur la plus belle des notes. La Pologne a mangé son pain noir pendant longtemps, alors espérons que ce dessert soit des plus exquis, avec une petite cerise blanche et rouge à son sommet.

Mathieu Pecquenard

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