Temps de lecture 9 minutesPologne Euro 2016 : Adam Nawalka, ce perfectionniste élégant

Adam Nawalka n’est sans doute pas l’entraîneur polonais le plus connu sur la scène internationale, aucun portrait de lui n’a été écrit dans la presse française ou anglo-saxonne (quelques bribes ici et là peut-être), son livre de référence, la biographie écrite par Lukasz Olkowicz, n’est elle disponible qu’en polonais. Ensemble nous allons tracer le portrait d’un homme atypique, bourreau de travail, perfectionniste et toujours tiré à quatre épingles. Un homme qui mènera peut-être la Pologne haut, très haut durant ce championnat d’Europe.

Pologne

L’enfant de Cracovie

Nawalka, est un enfant de Cracovie. Né le 23 octobre 1957, il baigne rapidement dans le milieu du football grâce à son père, joueur de l’Orleta Rudawa. L’ancienne capitale polonaise dominée par le Wawel est son terrain de jeu, sa maison et bien plus que cela. Le sang rouge de la ville patrimoine mondial de l’UNESCO coule dans ses veines, ses artères. Il habite d’ailleurs toujours dans le village de son enfance, dans la proche banlieue de Cracovie. Rudawa, là où ses parents s’étaient installés, là où il a grandi. Cet esprit de “famille”, le coach Nawalka le gardera dans le futur pour inculquer à ses joueurs la vie en communauté, le dialogue et l’écoute.

Dès l’enfance, son tempérament est déjà fort, lui qui prenait gamin le tramway, seul, pour aller s’entraîner le matin et le soir. Le football est sa raison d’être et il le lui rendra bien. À tout juste 13 ans, il rentre au centre de formation du Wisla Krakow et joue pour la première fois avec l’équipe première à seulement 18 ans sous le maillot d’un géant polonais. Nawalka est précoce, physique et sent extrêmement bien le jeu grâce à sa faculté de compréhension, d’analyse et de prise de décision rapide. Sa ville est Cracovie et son club est le Wisla. 15 ans. 15 ans à porter fièrement l’étoile blanche sur le cœur. Une bonne étoile qui l’envoie, grâce à ses performances, devenir international polonais dès 1977, et ce jusqu’en 1980.

© Zbigniew Matuszewski / PAP / CAF
© Zbigniew Matuszewski / PAP / CAF

Sous ce maillot de la sélection nationale, il put participer à la Coupe du Monde 1978 avec les Bialo-Czerwoni. Cette Coupe du Monde qui devait être, après la surprise et la troisième place de 74, la consécration d’une époque dorée et bénit du football polonais. Mais non. La Pologne de Denya se fait éliminer au deuxième tour de la compétition. Une immense déception.

Malgré tout, Nawalka ne perd pas tout. Dans cette compétition, le jeune prodige du Wisla peut côtoyer le haut, très haut niveau, avec des stars polonaises comme Lato, Boniek (jeune joueur comme lui), Lubanski, Szamarch et Deyna et sous la houlette de son futur mentor Jacek Gmorch. Ce dernier change radicalement la perception du football de Nawalka, lui apportant plus de créativité dans le jeu, ne laissant place à aucun hasard et plaçant la science au cœur de son analyse footballistique. Si Nawalka est l’entraîneur qu’il est devenu, il le doit bien sûr à sa propre vie, son expérience personnelle et ses capacités innées, mais aussi à l’apport de Gmorch. Il finira sa carrière de joueur aux USA, comme un certain Deyna. Pendant trois saisons, le joueur polonais porte pendant trois saisons le maillot des Polish-American Eagles avant de prendre sa retraite sportive à l’âge de 31 ans.

Le coach qui n’aime pas le hasard

Après cette période de joueur riche en expériences, sélections et titres avec le Wisla, Adam Nawalka embrasse une carrière de coach qui lui semble toute tracée. Il passe en 1996 le concours d’entraîneur de la PZPN et obtient son diplôme en étant major de sa promotion. Nawalka est une tête, une tête pensante, une tête chercheuse. C’est un homme de convictions mais qui se veut flexible, sauf sur un point : la discipline, qu’il veut rigoureuse. Son expérience de joueur lui permet d’avoir des discussions aisées avec les joueurs sur sa vision de leur jeu et leurs potentiels d’amélioration.

Il commence sa carrière d’entraîneur en III.Liga (4e division) au Swit Krzeszowice. Pendant deux ans, Nawalka tâtonne. Comme un chimiste dans son laboratoire, il expérimente et utilise cette première expérience de coach comme une page vierge sur laquelle il raye ou surligne les bonnes et mauvaises méthodes, les bonnes et mauvaises approches. En 2000, il retourne chez lui au Wisla occupant des postes de scouts ou coach des équipes juniors, parfaisant encore plus son expérience et sa base de données footballistique. S’ensuit le Zaglebie Lubin, Nowy Sacz, une expérience peu convaincante au Jagiellonia et puis un retour au Wisla Krakow en tant que coach de l’équipe première. Mais c’est avec le GKS Katowice puis le Gornik Zabrze, qu’il fera remonter en Ekstraklasa, que Nawalka va enfin trouver la bonne formule. Sa formule. Celle qu’il appliquera en équipe de Pologne par la suite.

Tout d’abord, Adam Nawalka est un homme droit. Si un problème surgit dans le groupe, il ira directement discuter avec les personnes responsables sans mâcher ses mots. De la même façon, il aime ponctuer ses causeries à l’entrainement ou au bord du terrain par des “Fuck” (prononce avec un fort accent polonais tendance ‘FOK ») lorsque quelque chose lui déplaît. La vie de groupe est sacrée pour lui, les écarts ne seront jamais acceptés et un joueur mécontent pourra obtenir une discussion en tête à tête et jouer carte sur table. Mais si le coach Nawalka décide que le joueur peut nuire au groupe, il n’hésitera pas à l’écarter.

© Alexander Hassenstein/Bongarts/Getty Images
© Alexander Hassenstein/Bongarts/Getty Images

Comme du papier à musique au pays de Chopin, les horaires de dîners, les séances de kiné et les entraînements sont programmés à la minute près, le tout ne laissant que très peu de temps de repos à ses joueurs. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir Nawalka premier lever faire ses longueurs dans la piscine dès 7 heures du matin en attendant les joueurs pour le petit-déjeuner. Outre la rigueur un peu a l’ancienne, pour Nawalka l’entrainement est la clef de voûte pour la mise en place de son système. Les joueurs doivent donner quasiment tout et sortir exténués pour espérer être sur la feuille le lendemain. Son approche est ainsi, plus l’entrainement est physique, technique, contrôlé, moins les joueurs auront de soucis pour répéter ses gestes lors des matchs. Les joueurs s’entraînent donc à répéter les mêmes gestes, les mêmes tactiques, les mêmes exercices pour atteindre la perfection, cette perfection de l’effort voulu par leur coach.

Pour lui le football est une affaire de couple joueurs – entraîneur qu’il explique à travers sa phrase “entraînez-vous et moi je m’occupe du reste”. Le reste est un tout. Nawalka n’est pas un dogmatique, si pour lui le physique et la répétition de l’effort sont des points essentiels que tout joueur doit développer, il couple cette idée à l’analyse quasi scientifique de la tactique. Cette analyse, elle est principalement vidéo. Il peut enchaîner avec son équipe d’analystes des séances de vidéos pouvant durer de longues heures sur les matchs, les entraînements, les prestations d’ensemble ou individuelles jusqu’au petit matin. Il mange de la vidéo comme certains mangent leurs céréales au petit-déjeuner, avec la gourmandise d’un enfant jamais rassasié.

Il travaille sur tout, sur lui, sur les joueurs, avec son staff, avec les kinés ou seul dans sa chambre, Nawalka est un bourreau de travail. Passer 12 heures par jour à travailler est une norme alors que les nuits courtes sont quotidiennes. Nawalka ne dort que 4-5 heures, préférant regarder jusqu’à tard dans la nuit les entraînements de la veille, sa tactique et sa composition pour le lendemain. Toute une approche que l’on pourrait comparer à celle d’un certain Marcelo Bielsa, le jogging et l’espagnol en moins.

Jour après jour, club après club, avec des moyens techniques et financiers croissants, Nawalka est devenu ce coach que la PZPN a nommé à la tête des Bialo-Czerwoni depuis 3 ans maintenant. Comme une récompense à un homme qui ne vit que pour le football.

De l’étoile à l’aigle blanc

Le Graal pour tout coach polonais est d’accéder au poste suprême de sélectionneur national. Adam Nawalka a été désigné le 26 octobre 2013 par un de ses anciens coéquipiers et ami de longue date, un certain Zbigniew Boniek devenu président de la fédération polonaise de foot (PZPN). Si pour certains, passer du Gornik Zabrze au poste de sélectionneur était une marche bien trop haute, force est de constater aujourd’hui le chemin parcouru. Reprenant une sélection à l’état piteux après le passage éclair de Formalik qui n’avait pas réussi à qualifier la Pologne pour la Coupe du Monde au Brésil, et alors que des tensions étaient palpables entre certains joueurs et le coach, l’arrivée d’Adam Nawalka métamorphosa cette sélection polonaise. La Pologne avait besoin de changement et le beau quinquagénaire incarnait parfaitement cette idée aux yeux de Boniek.

© JANEK SKARZYNSKI/AFP/Getty Images
© JANEK SKARZYNSKI/AFP/Getty Images

Nawalka a dû dans un premier temps reconstruire un groupe psychologiquement atteint afin de préparer dans les meilleures conditions les éliminatoires de l’Euro 2016. Pour cela, le nouveau sélectionneur n’hésite pas à faire une grande revue d’effectif, convoquant, re-convoquant, envoyant des SMS et discutant au téléphone avec tous les joueurs susceptibles de faire partie de l’équipe polonaise, comme Ludovic Obraniak, qui nous l’expliquait dans une interview sur nos pages.

« Le coach Nawałka a fait la démarche de venir à Bordeaux, de me parler de son projet, de sa vision du football, et puis j’ai accroché tout de suite avec l’homme. Old school, rigoureux, passionné, il a mis tellement de passion dans son discours qu’il n’a même pas eu besoin de me convaincre, je lui ai dit oui de suite. » – Ludovic Obraniak pour Footballski.fr

Visionnant tous les derniers matchs de la Pologne et créant une équipe de plus de 11 personnes spécialement dédiée à la collecte de données, vidéos, statistiques au sein de la PZPN, Nawalka dépouillera la sélection et la morosité qui y régnait. Avec ce choix moderne, le coach peut ainsi suivre la totalité des joueurs polonais, où qu’ils soient, quoi qu’ils fassent. De même, Nawalka instaura des règles strictes de vie en communauté, privilégiant le vivre ensemble, la récupération à travers une équipe de kiné et des équipements de cryothérapie plutôt que le « temps libre. »  Avec la sélection polonaise, Nawalka a enfin les moyens de ses ambitions et de sa vision du football. Une vision et des ambitions qu’il va révéler très vites lors des qualifications pour l’Euro 2016.

En route vers la France

Pour se rendre en France, Nawalka décide d’utiliser au mieux son groupe. Adepte d’un 4-2-3-1 défensif et d’un 4-4-2 offensif plus ou moins flexible selon l’adversaire. Que ça soit avec deux milieux récupérateurs, stoppeurs, relayeurs, créateurs, le sélectionneur polonais s’ouvre une palette infinie dans la mise en place tactique utilisant pleinement son groupe de joueurs.

Ce groupe de joueurs qui selon Lewandowski est le “meilleur dans lequel il ait pu jouer” est formé d’un noyau d’anciens choisis par Nawalka pour leur expérience, dévouement et adaptabilité. Au programme, du Piszczek, Glik, Peszko, Boruc puis de joueurs “stars” comme Lewandowski, Szczesny, Krychowiak. Pour apporter un peu de sang neuf, Nawalka n’hésite pas à faire la part belle à de jeunes joueurs extrêmement talentueux comme Zielinski, Kaputska, Linetty, Stepinski, Milik. Ces trois différents groupes forment exactement l’équilibre qu’Adam Nawalka veut apporter à la sélection. Tel un chimiste qui ne laisse jamais rien au hasard.

© Adam Nurkiewicz/Getty Images
© Adam Nurkiewicz/Getty Images

Les plus expérimentés seront plus rigoureux et disciplinés alors que les plus jeunes et plus talentueux seront plus créatifs et fougueux, ces deux groupes s’apportant l’un et l’autre un esprit d’émulation et de synergie générale. C’est aussi ça la méthode Nawalka, faire cohabiter tout le monde, voir Lewandowski et Salamon se battre pour la même chose, la conquête d’un titre.

De ce 4-2-3-1/4-4-2, Nawalka tire une colonne vertébrale Szczesny – Glik – Krychowiak – Lewandowski où viendront se greffer par ramifications les autres joueurs sélectionnés par le coach selon l’adversaire. Car c’est là qu’est l’adaptabilité de la tactique d’Adam Nawalka. En utilisant un système semblable, il peut autour de cette colonne choisir plusieurs types de joueurs aux profils et caractéristiques différents selon le type de jeu qu’il veut appliquer. Ce schéma tactique, l’ex-coach du Gornik Zabrze l’a mis au point durant les qualifications pour l’Euro avec des résultats probants.

D’une équipe sans repère il y a un an, la Pologne de Nawalka est devenue celle capable de battre l’Allemagne pour la première fois de son histoire sur des buts de Milik et Mila, le jeune et l’ancien. Comme un symbole. Une victoire historique comme un passage de témoin entre deux générations de joueurs polonais qu’Adam Nawalka a réussi à assembler tel un nouvel alchimiste découvrant du premier coup la pierre philosophale.

© Matthias Hangst/Bongarts/Getty Images
© Matthias Hangst/Bongarts/Getty Images

Nawalka voulait frapper un grand coup. Rendre cette fierté si chère aux Polonais. Il a vécu son match amical contre l’Allemagne (0-0), il avait vu et revu ce match sous tous les angles, disséquant précieusement tous les matchs de la Coupe du Monde 2014 de la Mannschaft. Après des heures et des heures de bandes visionnées, de statistiques sur le milieu de terrain allemand, de dizaines de lignes de rapports lus, Adam Nawalka est arrivé lors d’une réunion de préparation tactique avec ses adjoints, en commençant par « j’ai bien analysé et nous pouvons faire quelque chose … de grand. » Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce match le fut, grand. Géant même.

Et si la fin des éliminatoires fut un peu plus rude. La rage et l’envie sur le but de Lewandowski contre l’Ecosse représentent aussi ce qu’inculque Nawalka à ses joueurs ,ne jamais baisser les bras. Cette Pologne flamboyante, meilleure attaque des éliminatoires, c’est la Pologne de l’élégant Nawalka. Voir la ferveur retrouvée autour de la sélection. Voir des joueurs heureux d’être ensemble sur le terrain. Voir son 4-2-3-1 caméléon donner des résultats positifs. Voir ce coach adepte des costumes cintrés être bien plus qu’un simple entraîneur et que son analyse, son humanisme, sa rigueur et sa passion en feront certainement un digne successeur de Gorski et de Gmorch. De l’étoile à l’aigle blanc.

Mathieu Pecquenard


Image à la une : © Adam Nurkiewicz/Getty Images

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