Il est venu, le temps du football. Le temps de la Coupe du Monde. Alors que tous les supporters du monde entier se dirigent en Russie afin de soutenir les siens, voilà que cette aventure revêt d’un goût spécial pour nous. Forcément, en tant que suiveurs du football est-européen, une Coupe du Monde « chez nous » est spéciale. Encore plus quand nous avons la chance de la vivre sur place, dans les stades, rues, bars et trains russes. Toutes ces histoires, nous allons vous les conter ici, dans notre Carnet de Russie. Episode 4.


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On dit que le nombre de jours à se remettre totalement d’un décalage horaire équivaut environ au nombre d’heures de jetlag. Trois jours pour trois heures, sept jours pour sept heures, et ainsi de suite. Et pour se remettre d’un double trajet en train entre Moscou et Kazan, soit une journée et demie à bord pour dix petites heures de liberté une fois arrivé à destination ? À peu près la durée du voyage : deux bons jours. C’est ce qui confère à cette Coupe du Monde un volet mental que ne comportaient pas, ou beaucoup moins, ses devancières : un match, en Russie, il faut aller le chercher, même quand on en est un simple spectateur. Une réalité éprouvée par trois fois depuis cette sortie inaugurale au Tatarstan, théâtre d’un France-Australie pas franchement à la mesure de notre débauche d’énergie, sorti le résultat. Car on ne le dira jamais assez, mais c’est ainsi, dans le plus grand pays du monde : malgré les distances, les arrêts et son allure, on prend plus facilement le train, moyen de transport ancré dans la culture populaire et avec lequel s’est notamment écrit un mythe, le Transsibérien.

Very long trip 2

S’offrir un mois de Coupe du Monde dans son pays organisateur, c’est aussi adopter la culture de ce dernier, ou s’y plier. Se plier, aussi, à la foutue loi de l’offre et la demande, laquelle impose des tarifs hors de ma portée sur les vols Moscou-villes hôtes les veilles de matchs. Va donc pour le train, pour ce deuxième déplacement à Kazan à titre personnel et pour les Bleus, bons pour se cogner l’Argentine après ce premier tour foiré par l’Albiceleste. Mais point celui de la FIFA, non : le Transsibérien, dans sa version la plus sommaire ou presque, les Free Ride ayant été squattés par les fans adverses, et les premières classes du légendaire train n’étant pas plus dans mes cordes que les avions. Les petits bouts de chandelles font les grands feux d’artifice en boîte de nuit… Avec les errances matinales qu’ils supposent. Ce n’est ainsi que vers 16 heures que nous nous mettons en quête d’un taxi pour la gare Kazanskiy. Pas l’idéal quand ton train démarre à 16h38. Encore moins quand le trafic dense t’impose un trajet de 37 minutes… Ramené à 22, une demi-douzaine d’infractions et au moins le double d’amabilités aidant, par le Fangio qui sévit au volant. C’est déjà l’Argentine. Elle est pourtant encore loin. À douze heures, précisément.

© Simon Butel / Footballski

« Where are you from ? » La voix est grave, presque belliqueuse, et l’abord on ne peut plus russe. Face à sa grande taille, son œil noir et son accroche peu travaillée, on serait d’abord tenté de s’excuser d’exister. Se fier, plutôt, au combo marcel-claquettes : Fedor et son acolyte, Nikita, sont en fait d’assez joyeux voisins de wagon, anglophones qui plus est. De wagon, et non de cabine, puisque la troisième classe n’en est pas dotée : les banquettes de cuir servant de couchettes donnent directement sur l’allée, et puisque celles-ci sont même trop courtes pour accueillir mon malheureux mètre soixante et onze dans son intégralité, se rendre aux toilettes une fois la nuit tombée prend des allures de course de haies. Une chance pour Olivier Giroud que les Bleus aient pris l’avion… Prompts à se marrer dès que passent les flics dans la voiture, à chambrer gentiment une hôtesse complice à chacun de ses passages et à tailler le bout de gras avec nous des heures durant, les comparses, qui mènent de prestigieuses études à Saint-Pétersbourg, le sont aussi à nous payer des mousses, acquises et ouvertes à même le quai lors d’un arrêt prolongé en gare de Vekovka, à un peu moins de 300 kilomètres de Moscou, où il faut traverser les rails pour se ravitailler.

Le règne du néant

De l’autre côté, le seul lieu de passage et de vie de la station, quasi désaffectée et où notre halte constitue l’animation du jour : une échoppe où l’on peut parer à toute urgence en se procurant boissons, snacks, barres chocolatées, décos en porcelaine, horloges ou lustres. Au fond, près des porcelaines et des horloges, autour d’une table haute, quatre types bien rougeauds se tuent tout à tour à essayer d’ouvrir une boîte de thon avec un couteau, dans le style si caractéristique des vidéos de Russes torchés dont regorge YouTube et dont on ne se lassera vraisemblablement jamais. Voici donc l’autre Russie. Celle qu’il n’est donné de voir qu’à ceux qui s’évadent de Moscou à la conquête de l’est, via des voies bordées de forêts de temps en temps interrompues par des datchas ou, le plus souvent, par des baraques de fortune dont on se demande comment elles peuvent résister à la rigueur de l’hiver russe. Une Russie où règne pour bonne partie le néant et où certaines personnes ignorent probablement qu’une Coupe du Monde est en train de se jouer, à quelques dizaines de kilomètres de là. Celle où la débrouille est une nécessité, plus qu’un choix de vie. À notre sortie du train, une vieille dame nous vend ainsi discrètement quelques centaines de grammes de myrtilles cueillies dans les bois situés derrière les voies. Dans quelques secondes, la police tombera sur sa camarade, coupable de vente illégale.

© Simon Butel / Footballski

 

© Simon Butel / Footballski

Retour à bord, pour une reprise des discussions autour de nos pays respectifs que tout ou presque semble opposer, de leur langue à leur peuple en passant par leurs us et leur politique, sans parler bien sûr de leurs équipes de football. Fedor, blogueur dont le compte Insta affiche un million de followers, tout ça pour des photos grotesques de gosses de riches, ne le dira jamais, mais tient – tout bas – un discours de défiance envers Vladimir Poutine, qu’il ne cite jamais, se contentant le plus souvent de cibler « les oligarques ». Pour tuer le temps, j’ouvre de temps à autre un paquet de vignettes Panini, et tombe soudain sur celle à l’effigie de Leo Messi. Encore un double. À sa demande, je la file à Nikita. Ça m’évitera d’avoir à la profaner si ça tournait vinaigre demain. « Ce paysage, si tu prends le Transsibérien de Moscou à Vladivostok, tu peux le voir pendant sept jours », plaisante-t-il devant mon regard perdu à travers la vitre. Ce sera pour une autre fois : dès l’aube, douze heures d’errance dans la brûlante Kazan attendent nos organismes déjà complètement rincés. Le prix à payer pour assister à un match de fêlés, qu’il aura plus que jamais fallu aller chercher. Avant, donc, et pendant. Mais aussi après, d’une certaine façon, le coup de sifflet final marquant le top départ d’un rush tout aussi usant que le match, le trajet de la veille et la semaine arrosée qui les a précédés, pour choper un taxi, notre vol et l’Aeroexpress, cette navette reliant les aéroports moscovites du centre de la capitale. Que l’on voit forcément d’un autre œil après pareille épopée.

© Simon Butel / Footballski

Simon Butel

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