Il est venu, le temps du football. Le temps de la Coupe du Monde. Alors que tous les supporters du monde entier se dirigent en Russie afin de soutenir les siens, voilà que cette aventure revêt d’un goût spécial pour nous. Forcément, en tant que suiveurs du football est-européen, une Coupe du Monde « chez nous » est spéciale. Encore plus quand nous avons la chance de la vivre sur place, dans les stades, rues, bars et trains russes. Toutes ces histoires, nous allons vous les conter ici, dans notre Carnet de Russie. Episode 3.

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Gagner, ce voyage

Éphémère entraîneur du Spartak Moscou en 2012, Unai Emery aime comparer la victoire à un voyage. La mise en place de la ligne à grande vitesse (le fameux Sapsan, évoqué dans un précédent carnet) entre Moscou et Kazan ayant été ajournée, faute de financements, le mien, de voyage, durera 14 heures. Au bout de la nuit, donc, Kazan et la République du Tatarstan, elle-même incluse dans la région économique – la Russie en compte douze – de la Volga. Au bout du périple, surtout, la Kazan Arena, où l’équipe de France effectue son entrée dans le mondial face à l’Australie.

Cap à l’Est

Un peu comme les Russes eux-mêmes, moins froids et surtout beaucoup plus anglophones qu’on voudrait nous le faire croire, les trains de nuit russes sont, en termes de confort, loin des clichés auxquels on se laisserait volontiers aller. Étonnant ? Pas vraiment. Ici, le moyen de transport privilégié, c’est le train, ce qui rend le voyage d’autant plus authentique. Store, clim, porte qui ferme à clé, table, prise, draps, couvertures, oreillers : les voitures dans lesquelles s’entassent aux frais de la FIFA – c’est toujours ça de repris – les supporters patients et sans argent n’ont pas grand-chose de différent des trains-couchettes avec lesquels nous partions en colonie de vacances au ski, gamins. À ceci près que les cabines comptent quatre banquettes plutôt que six, ce qui diminue de moitié, environ, les risques de tomber sur des trolls. Je n’aurai pas cette chance : je partage la mienne avec deux fans chinois venus faire du tourisme footballistique en Russie, tunique des Bleus floquée Griezmann sur les épaules. Loin de me déplaire, leur présence m’intrigue, en fait. « Pourquoi la France ? – Parce que nous aimons Griezmann ! » À question idiote…

© Simon Butel / Footballski

Leur renfort inattendu est plutôt apprécié, ceci dit. Parce que c’est sur leur tablette qu’on mate, quand la 2G le permet, ce Portugal – Espagne de furieux, déjà. Et parce que dans un convoi essentiellement squatté par les Russes, trouver un maillot bleu relève d’une tâche herculéenne. On le savait déjà, mais ça pue le duel déséquilibré en tribunes, demain. Ronaldo a déjà fait ficelle deux fois dans le derby ibérique quand des mots familiers me sortent du partidazo. Deux Français ! Signe du destin : il me reste trois bières, encore à peu près fraîches. On a le sixième sens qu’on peut.

Benjamin et Nicolas, puisque c’est leur prénom, ne sont pas le genre de types à reculer devant un trajet d’une demi-journée et 800 kilomètres : ils viennent d’en enquiller 3000 en bagnole depuis Metz, sticker d’Adrien Rabiot sur le coffre, la seule place qu’il mérite. Dont 20 en Biélorussie, pour un crochet qui leur aura coûté une immobilisation d’environ 4 heures à la frontière. Juste ce qu’il faut de temps pour apprécier la rigueur des douaniers locaux. Respectivement supporters de Nancy et des Grenats, ces deux-là connaissent en tout cas le prix à payer pour voir du beau football.

L’appel du large

Quatorze heures de train, c’est l’occasion pour le duo de se reposer un peu et d’ouvrir, en même temps que leur canette, un livre à souvenirs dont les premières pages se sont noircies lors de l’Euro 2016 à la maison. Avec des étapes à Marseille, à peine sortis de partiels, à Barcelone, pour faire la bringue puisque c’est sur la route, ou à Paris, où l’eau d’une fontaine avait servi à relancer la mécanique de leur 206, usée par les 300 000 bornes qu’elle affichait au compteur. Avoir vécu le Championnat d’Europe donne aux Lorrains une certaine légitimité pour juger de la qualité de l’organisation du mondial russe, où l’on ne badine clairement pas avec la sécurité selon Nicolas, appuyé par son comparse : « À l’Euro, je suis entré dans le stade avec un billet où je m’appelais Brigitte ».

© Simon Butel / Footballski

À court de munitions, un détour par le wagon-bar nous enseigne que du côté des voyageurs russes, on ne transige pas non plus avec l’ambiance. L’entrée dans la voiture s’accompagne d’un souffle et d’une bouffée d’air brûlant, l’espace, bondé, étant également réchauffé par les chants, danses et cris des locaux s’étirant jusqu’à plus soif. Pour le coup, c’est autre chose que le TGV. Nous y faisons rapidement la connaissance, entre le zinc et le frigo, d’Arthur, Bergeracois expatrié aux States dès l’âge de trois ans et qui ne nous sera d’aucune utilité au moment d’entonner – à la demande des locaux, faut il le préciser – la Marseillaise, dans le sillage de Ben, ex-capo à Saint-Symphorien : il ne la connaît pas plus que mes compagnons de cabine. Qu’importe, il ne sera pas de trop lui non plus.

© Simon Butel / Footballski

Retour à Moscou, trois points dans la cartouchière. Laborieux, certes, mais tout le monde ne peut pas en dire autant. C’est notamment le cas de l’Espagne et de l’Argentine, dont deux ressortissants polarisent badauds et journalistes, à quelques pas de la cathédrale Saint-Basile-le-Bienheureux, en bordure de la Place Rouge. Consultants stars aux analyses tactiques à valeur d’évangiles ? Simples – et autrement plus admirables – aventuriers, plutôt, ayant rallié la Russie depuis leur pays natal à bicyclette. Soit une expédition d’environ 6000 bornes aller-retour pour notre voisin ibère, aux allures de rando à côté du tour du monde à vélo improvisé par Matyas depuis 2013, date à laquelle il a quitté sa ville de San Juan, non loin de Mendoza et de la frontière chilienne. Coupe à la Ariel Ortega, barbe abondante et traits tirés, l’Argentin résume ainsi son trip aux allures de coup de tête : « Je suis parti pour la Coupe du Monde au Brésil. J’ai bien aimé, du coup j’ai continué ma route ». Cinq ans, 35 pays supplémentaires et plus de 30 000 kilomètres plus tard, le voilà donc en Russie, à soutenir l’Albilceleste au bar ou chez qui veut bien l’inviter. « On dit que les gens sont froids, ici, glisse-t-il de sa voix douce tout en se prêtant au jeu des selfies. Moi je les trouve particulièrement aimables. » Pas question, donc, de s’arrêter en si bon chemin, ni de lier son parcours à celui des hommes de Jorge Sampaoli dans la compétition. Sage décision.

Simon Butel 

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