Un footballeur à une seule main peut en cacher un autre. Voilà quelques mois, Footballski partait à la rencontre de sa nouvelle coqueluche roumaine : Tudorel Mihailescu, le gardien qui n’avait qu’une seule main. Aujourd’hui, nous vous présentons Cosmin Lambru, jeune joueur du Petrolul Ploiești que l’éminent journaliste roumain Emanuel Roșu est allé rencontrer. Alors que son club domine sa série de Liga 3 à la mi-saison, Cosmin Lambru est la nouvelle sensation du football roumain, étant le tout premier joueur professionnel portant une prothèse au bras. Nous remercions tout particulièrement Emanuel Roșu de nous avoir donné l’autorisation de retranscrire pour Footballski son article paru sur le site du Guardian.

Le Petrolul Ploiești est un club pressé. La victoire 3-1 des Lupeni galbeni (Les Loups jaunes, ndt) face au Liverpool de Bill Shankly en Coupe d’Europe des Clubs Champions 1966 est toujours fêtée comme il se doit, malgré l’élimination, dans la petite ville industrielle sise à 60 km au nord de Bucarest. Aujourd’hui, les temps sont néanmoins plus durs. Après avoir fait faillite et disparu de l’élite il y a deux ans, le Petrolul a été refondé, pour repartir en Liga IV, la quatrième division roumaine. Si le club, l’un des plus importants de la Roumanie, veut remplir son objectif de retrouver la Liga 1 en 2019, il n’a pas de temps à perdre.

Un accident de camion

Avec Cosmin Lambru, son buteur de 19 ans, le Petrolul tient un jeune loup pour mener la meute. Mais l’histoire de Lambru, c’est bien plus que celle d’un joueur aidant un club historique à retrouver son niveau d’antan. Lorsque Lambru est entré en jeu lors de la victoire des siens face au CS Mioveni en Coupe de Roumanie en octobre, son apparition a fait sensation. Un bandage blanc sur son avant-bras gauche cache alors la terrible vérité : une prothèse en plastique à la place de sa main. Résultat d’un accident de camion lorsqu’il n’était encore qu’un enfant.

Cosmin Lambru, au centre, lors de la séance de tirs au but entre le Petrolul Ploiești et le CS Mioveni. © Razvan Pasarica/SPORT PICTURES

« Pas de souci, ça ne me pose aucun problème d’en parler, » raconte Lambru. « Je jouais avec des copains sur le bord de la route, dans mon village. Un gros camion arrivait vers nous. J’ai vu qu’il était trop gros pour une route comme la nôtre, et je me suis retrouvé sous un pot d’échappement. Le chauffeur a perdu le contrôle, le camion est venu dans ma direction et ma main s’est retrouvée coincée entre la cabine et une conduite de gaz de ville. Je ne peux pas décrire la douleur que j’ai ressentie quand le camion a heurté ma main. Quand j’ai regardé, elle était grande ouverte. Ce n’était qu’os, chair et sang. C’est un jour noir, un souvenir funeste pour moi. J’étais le seul blessé dans cet accident. Tout dans mon bras était déchiqueté et broyé. J’étais en état de choc. »

Agé de sept ans, Lambru est immédiatement mené à l’hôpital et opéré. Sa crainte est de perdre son bras et de ne plus pouvoir rejouer au football. « Les médecins de Ploiești ont fait un excellent travail, je leur dois beaucoup, dit-il. Je n’avais pas de poignet gauche, et donc absolument aucune mobilité. Ce qui signifie que chaque contact pouvait provoquer une fracture. Grâce aux docteurs, je pouvais de nouveau rêver d’être sur les terrains à peine deux mois plus tard. »

Les chirurgiens ont extrait de la graisse de son abdomen pour l’implanter dans son bras. Lambru est resté alité sur son lit d’hôpital pendant un mois et demi. « Je devais tenir mon bras contre mon abdomen et rester immobile parce que sinon, la blessure risquait de se rouvrir et de s’infecter. C’était dur, mais faire ce que les médecins demandaient me permettait d’espérer rejouer au football. J’ai suivi tous leurs conseils. Je pensais sans arrêt au football. Quand j’étais à l’hôpital, mon père apportait même une télévision pour que je puisse regarder les matchs. Je me souviens qu’il y avait un derby important pour le championnat et que je voulais désespérément le voir. Mon père a amené des câbles dans ma chambre et a fait de gros efforts pour que je ne le rate pas. »

Tout a changé. J’ai dû me réinventer.

La vie de Lambru est complètement bouleversée par cet accident. Gaucher, ce dernier doit réapprendre à écrire et à manger avec sa main droite. Avec, naturellement, des difficultés. « Je n’avais qu’un bras, je ne pouvais pas faire les mêmes choses qu’avant. Je n’étais qu’un enfant, je n’arrivais pas à comprendre ce qui m’était vraiment arrivé. Et je n’avais jamais pensé aux conséquences. Je prenais les choses comme elles venaient, j’avançais pas à pas. Jamais je n’ai pensé que les choses pouvaient se compliquer. Je le fais aujourd’hui, parce que j’y ai été confronté. Je ne peux, par exemple, pas conduire de voiture normale, il faut que ce soit une automatique. J’ai dû voir toutes sortes de spécialistes et avoir plusieurs autorisations pour obtenir mon permis de conduire. »

Le football a beaucoup aidé Lambru à accepter son sort. « Contre toute attente, j’étais de retour à l’entraînement quelques semaines plus tard. J’étais très heureux d’être de nouveau avec les copains. Je me suis mis à travailler plus dur qu’avant, dix fois plus dur. Et je suis devenu un joueur différent. Ma vitesse, mes mouvements, tout a changé. J’ai dû me réinventer. J’avais un profond désir de montrer de quoi j’étais fait. Pour gagner tous les matchs, toutes les compétitions, tout ce que j’entreprenais. »

Cette nouvelle approche a transformé ce talentueux garçon de sept ans. Cosmin Lambru devient capitaine de toutes les équipes de jeunes du Petrolul avec lesquelles il évolue et marque au moins 50 buts chaque saison. Si son père a joué en deuxième division, le jeune attaquant fonde de plus grandes ambitions. « Je rêve de jouer pour le FC Barcelone, avoue-t-il ainsi. J’adore Messi, j’adore son style, j’adore leur style de jeu. C’est une équipe extraordinaire. » Lambru ne montre aucune inhibition lorsqu’il parle de ses ambitions, assurant qu’il n’aurait pas pu aller aussi loin sans le soutien de sa petite amie Roxana. « Le football est totalement imprévisible. Aujourd’hui, je suis ici, à Ploiești, mais qu’en sera-t-il demain ? Et l’année prochaine ? Je peux tout à fait accomplir de fantastiques progrès et arriver je ne sais où. J’ai déjà marqué sept buts cette saison. »

Alex Zanardi et le retour au football

Après son accident, Lambru a bénéficié d’une prothèse fabriquée en Roumanie. « Elle était de très mauvaise qualité. Il fallait que j’en change tous les deux ou trois mois. Ce n’était pas confortable du tout, » explique-t-il. La solution est venue d’un pilote de Formule 1, Alex Zanardi, et de son centre, basé à Bologne. Zanardi a perdu ses deux jambes lors d’un accident en course, mais est revenu sur les circuits deux ans plus tard.

A Bologne, Lambru a pu se faire fabriquer une prothèse sur mesure. « C’est tellement mieux que tout ce que j’ai pu utiliser avant ! Même si je ne souhaite à personne de porter quelque chose comme ça. Elle pèse presque un kilo. Mais dans un sens, elle fait presque partie de moi. Je la mets quand je me lève, je l’enlève un peu l’après-midi, pour me reposer, et le soir quand je vais me coucher. J’utilise un gel pour la mettre en bonne position, pile sur l’os, et la faire tenir sans aucune douleur. Je me suis habitué à ça. Maintenant, je voudrais en avoir une plus légère, en silicone. Cela m’aiderait énormément. Je pense que la vitesse est une de mes principales qualités sur le terrain, mais imaginez comment je pourrais courir avec un nouveau bras plus léger ! »

© Stefan Constantin / The Guardian

Au Petrolul, Lambru a reçu l’aide de deux anciens du club qu’il a côtoyés dans ses jeunes années : le grand Adrian Mutu et Felipe Teixeira, milieu offensif franco-portugais formé au PSG et aujourd’hui au FCSB. « Je m’entraîne avec l’équipe première depuis mes 16 ans, explique leur jeune ex-coéquipier. Mutu est un mec très sympa, qui aide les gens autour de lui. Il me demandait toujours comment je me sentais. Et Teixeira était fantastique avec moi. Il a été très surpris de voir que je pouvais faire des pompes avec un bras manquant. Il m’encourageait tout le temps et me faisait me sentir important. J’ai toujours trouvé que les joueurs étrangers portaient plus d’attention envers moi, parce qu’ils n’avaient jamais vu un joueur dans ma situation essayer d’être compétitif au haut niveau. »

Lambru n’est pas très grand – il mesure 1,72m – mais ne pense pas que cela soit un désavantage, puisque c’est également la taille de Sergio Agüero, l’un de ses buteurs préférés. « J’adore Messi, mais ma position sur le terrain est différente. J’espère que j’arriverai à ressembler à Agüero un jour. Il n’est pas très grand mais il est très costaud, rapide et efficace devant le but. Mais moi aussi je sais prendre l’espace, me mettre en bonne position et marquer. »

La douleur, je peux vivre avec. Jouer et marquer, c’est bien plus important.

Le Petrolul Ploiești, qui est en tête de son groupe de Liga 3 à la trêve hivernale, ne retrouvera les terrains qu’au mois de mars prochain. Pour Cosmin Lambru, la fin de l’automne et les premières neiges sont le moment le plus difficile à aborder.  « Lorsque la température descend en-dessous de zéro, mon bras gauche me fait mal. Je dois bien le protéger. C’est une partie très sensible, qui devient quasiment gelée. Je fais de mon mieux pour rester chaud. Mais je ne raterai jamais un match à cause de la douleur. Je peux vivre avec. Jouer et marquer, c’est bien plus important. »

Cosmin Lambru a fait ses débuts avec le Petrolul à l’âge de 17 ans, lors de la saison 2015-16. Juste avant que le club ne fasse faillite, et soit sauvé par ses supporters. « La saison dernière, j’ai décidé d’être prêté à un autre club de Liga IV (le CS Blejoi, ndt). J’ai marqué 35 buts (deuxième meilleur buteur de Liga IV Prahova, ndt). Je suis prêt à montrer au Petrolul et à ses merveilleux supporters de quoi je suis fait. 15 000 personnes étaient dans les tribunes pour fêter la montée en troisième division l’été dernier. J’en faisais partie. Et maintenant, j’ai envie d’écrire l’histoire à mon tour.

Pour réaliser son rêve, Cosmin Lambru fait une collecte de fonds pour la réalisation d’une nouvelle prothèse, qui lui faciliterait la vie, sur comme en dehors des terrains. Si vous souhaitez l’aider, vous pouvez contacter Emanuel Roșu, ou utiliser les coordonnées bancaires situées au bas de l’article du Guardian.


Emanuel Roșu – Traduit par Pierre-Julien Pera

Image à la Une © Stefan Constantin / The Guardian

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