Sur l’épopée des Girondins de Bordeaux en coupe de l’UEFA 1996, tout a été écrit ou presque, tous les protagonistes interviewés, encore 22 ans après. Le parcours commencé en juin 1995 par la Coupe Intertoto, le lob de Zidane face au Betis Séville en huitième de finale, l’exploit face au grand Milan et la finale d’anthologie, malheureuse pour les bordelais, mais prétexte à une fête monstre, face au Bayern Munich ont été raconté dans les grandes largeurs. Tout vraiment ? Quand on y regarde un peu mieux c’est bien entendu le quart de finale remporté face au grand Milan AC, grâce à une victoire 3-0 à Lescure qui monopolise les souvenirs. Puis la finale.

Entre les deux seulement quelques lignes sur la demi-finale face au Slavia Prague. Une demi-finale de coupe d’Europe ainsi snobée, reléguée à quelques lignes dans les chroniques de cette coupe de l’UEFA 1996, surtout quand cela concerne une équipe alignant Karel Poborsky et bien sur Vladimir Smicer cela ne pouvait pas rester dans les marges de l’histoire. Des déplacements à l’est, l’Euro 1996 et Vladimir Smicer ; alors que Bordeaux retrouve le Slavia Prague pour une mission qualification désespérée ce soir, on vous raconte enfin en détail le match qui a fait basculer l’épopée des Girondins de grandiose à légendaire et les destins qui s’y sont croisés.

Est-ce que tu viens à Lescure pour les vacances ?

Il faut remonter assez loin cette année 1995-1996 pour retrouver trace du début du parcours des girondins en Europe cette saison. 7ème de la dernière saison du championnat de France les girondins sont qualifiés pour la Coupe Intertoto qui changeait alors de format cette année, permettant aux deux vainqueurs (oui) de cette compétition à 60 équipes de se qualifier pour le second tour qualificatif de la Coupe de l’UEFA. Une compétition se déroulant sur 3 mois, permettant d’organiser une phase de groupe comportant 12 poules de 5 équipes puis des huitièmes, quart et demi-finales sur match aller et retour.

Avant d’être reversé en Coupe de l’UEFA, Bordeaux commence ainsi son parcours face à l’IFK Norköpping le 1er juillet 1995 pour une victoire 6-2 avec un doublé de Zidane. Mais ce n’est pas tout, les Girondins auront fait chauffer leur carte d’abonnement Air France en s’offrant des rencontres face à Odense, le HJK Helsinki, les Bohemians de Dublin, l’Eintracht Francfort, Heerenven et Karlsruhe. Une tournée européenne avant l’heure que les Girondins n’imaginaient pas forcément poursuivre. Didier Tholot le premier, lui qui venait d’enchaîner deux bonnes saisons avec Martigues et découvrait son nouveau club.

Je venais de faire deux bonnes saisons à Martigues et j’avais des offres de clubs bien classés, que des clubs qui allaient jouer la Coupe d’Europe. Finalement j’ai choisi Bordeaux qui était le seul sensé ne pas la jouer, en tout cas ils ne jouaient que l’Intertoto où il fallait passer une dizaine de matchs avant d’arriver en UEFA. Finalement on arrive en finale derrière donc ça m’a plutôt réussi.

La Coupe de l’UEFA à proprement parler commence donc pour les Girondins en septembre 1995, après avoir déjà disputé une dizaine de matchs européens pendant l’été. Et les premiers adversaires des Bordelais sont d’ailleurs à classer dans les équipes « Footballski ». En 32e de finale, il faut tout d’abord se débarrasser du Vardar Skopje (2-0 à Skopje, 1-1 à Bordeaux), grâce notamment à un doublé d’Anthony Bancarel et un pénalty de Lizarazu au retour. Puis se défaire péniblement du Rotor Volgograd grâce à une victoire 2-1 obtenu sur un penalty en fin de match, avant de tenir le résultat et décrocher même une nouvelle victoire en Russie.

Petit à petit, les Girondins tracent donc leur chemin et remontent de l’anonymat de la Coupe Intertoto vers le lustre des grandes soirées européennes. Cela se corse encore face au Betis Séville, mais à Séville une merveille de volée de 40 mètres d’un jeune prodige bordelais, Zinédine Zidane, permet aux Bordelais de rejoindre le club très fermé des quarts de finale.

Deux invités dans le dernier carré

A ce stade de la compétition, Bordeaux s’est donc déjà offert une belle épopée, car l’équipe galère en championnat et s’est même séparé de son entraîneur Slavo Muslin, remplacé par Gernot Rohr. Peu de monde s’imaginaient donc les Girondins pouvoir renverser le grand Milan AC, la meilleure équipe du monde à ce moment là. Un simple coup d’œil sur la feuille de match permet d’en prendre conscience : Desailly, Maldini, Weah, Donadoni, Costacurta, Baggio… tous les postes sont occupés par des légendes. Et pour autant le miracle se fera. Défaits 2-0 à San Siro, les Bordelais invoquent les dieux du football à Lescure et renversent la montagne Milan, trois buts à zéro. Mais cela vous le savez déjà. Tout le monde le sait et doit le savoir.

Archives Claude Petit Sud Ouest

Ce que l’on sait moins c’est que pendant que Bordeaux galérait en championnat et se transcendait en Europe, le Slavia Prague vivait une épopée plus ou moins similaire. Le début des années 1990 est en effet compliqué pour le Slavia, qui par ailleurs n’a plus remporté un seul championnat depuis 1947. Ce n’est pas faute d’essayer mais le Slavia collectionne les places d’honneurs et a du mal à faire plus en Coupe d’Europe. Pourtant cette saison 1995-1996 est la bonne. Bien lancés en championnat les joueurs au maillot « cousu » ont enfin le droit eux aussi à leur épopée européenne. Après avoir éliminé notamment le RC Lens en huitièmes, c’est la Roma qui se profile.

Un poids lourd donc. Que les Tchèques bousculent d’abord au match aller en s’imposant 2-0 à Prague à la surprise générale. Les giallorossi se rebiffent cependant au match retour et débordent la jeune équipe tchèque. 2-0 à la fin du temps réglementaire puis 3-0 au début des prolongations on pense l’avenir des Praguois s’arrêter au stade des quarts de finale. Et pourtant, sur un long dégagement de son gardien, Jiri Vavra s’emmène le ballon et déclenche une frappe croisée à l’entrée de la surface. La Roma est à terre et Prague n’en croit pas ses yeux, le Slavia est en demi-finale de la Coupe d’Europe. Le tirage au sort réservera une nouvelle surprise. Alors que le Bayern Munich de Papin, Kahn, Matthäus et Klinsmann affronte le Barça de Figo, Popescu et Cruyff, Bordeaux et le Slavia Prague s’offrent une demi-finale inédite.

On ne savait pas grand chose de cette équipe mais on les respectait dans le vestiaire. Forcément, quand tu arrives en demi-finale de Coupe de l’UEFA, tu n’es pas n’importe qui. Par contre, c’est vrai que le contexte autour de nous était différent. Par rapport à ce qu’on venait de faire contre Milan, tout le monde nous voyait déjà en finale, tout le monde se disait que c’était fait. Mais il a fallu rester concentré jusqu’au bout, face à une grosse équipe.

Rendez-vous à Manchester

Si au printemps 1996, ce match semble déséquilibré face à l’affiche Bayern-Barça il prendra une autre dimension quelques mois plus tard, à l’occasion de l’Euro 1996. Alors que Zidane, Lizarazu, Dugarry, internationaux depuis peu, crèvent l’écran grâce à cette épopée européenne, côté tchèque on n’est pas en reste. Bejbl, Poborsky, Nemec, Smicer forment la colonne vertébrale d’une équipe tchèque, divorcée il y a deux ans à peine de la Slovaquie, qui atteindra les finales de l’Euro 1996 en écartant la France en demi-finale aux tirs au but.

Mais pour l’heure, il y a surtout une demi-finale de coupe d’Europe à jouer et elle se dispute dans le vétuste stade Evžena Rošického sur la colline de Strahov, proche du monstrueux stade du même nom, le Slavia étant à cette époque en plein déménagement, sans stade fixe. Des problèmes d’infrastructures qui atteignent peu les Girondins à ce moment là. Zidane s’amuse face à Bejbl à gauche de la surface et transmet délicatement à Dugarry qui convertit l’offrande au point de penalty. Dès la 9e minute de jeu, Bordeaux prend un ascendant qu’ils ne lâcheront plus malgré plusieurs occasions franches. Les chances du Slavia se sont bien amincies mais jusque là rien n’est encore joué, d’autant que le scénario de Rome est encore présent dans les esprits.

Le match retour à Lescure ne sera pas du même acabit. Les deux formations sont à 90 minutes d’une finale historique et les Girondins choisissent de mettre la pression sur les Tchèques qui résistent, guettant la faille. Ce sera finalement Bordeaux qui plantera une dernière banderille grâce à une chevauchée en contre de Didier Tholot.

Tout part d’une récupération aux 18 mètres. Je suis lancé au milieu, j’arrive face au gardien, je frappe extérieur pied droit, le gardien la repousse et je conclus pied gauche. En y repensant, c’est vrai que tout le monde me parle du but contre Milan mais celui la je le considère vraiment plus beau. Un but sur une action de 50 mètres en demi-finale de Coupe d’Europe devant son public c’est quand même quelque chose.

Lescure peut une nouvelle fois rugir, la fête aura duré jusqu’au bout bien que quelques semaines plus tard, le Bayern Munich viendra doucher rapidement les espoirs bordelais (défaites 2-0 à Munich puis 3-1 à Bordeaux). De leur côté, les Praguois sortent une nouvelle fois la tête haute de cette confrontation.

Zidane face à Poborsky à l’Euro 1996 – FFF.fr

Près de deux mois plus tard, à Old Trafford, dans le cadre des demi-finales du championnat d’Europe des Nations cette fois-ci, Lizarazu et Zidane (Dugarry blessé en quart de finale doit céder sa place) butent sur une équipe tchèque emmenée par un Karel Pokorsky au faîte de sa gloire, bien épaulé par un jeune milieu de terrain évoluant lui alors au Sparta Prague, un certain Pavel Nedved.

Comme en quart de finale, la France ne parvient pas à forcer la décision au bout des 120 minutes de jeu et cédera aux tirs au but, malgré les tentatives réussies de Zidane pour le premier tir et Lizarazu pour le deuxième. Cette fois-ci, ce sont les Tchèques qui atteignent la finale, perdue encore une fois aux prolongations, toujours face à une équipe allemande et son futur ballon d’or Mathias Sammer.

Ces histoires croisées ne feront que débuter, les joueurs des deux équipes étant appelés par la suite à rejoindre les plus grosses écuries du continent. Zidane à la Juventus, Dugarry au Milan AC, Lizarazu au Bayern après une parenthèse à Bilbao, Poborsky à Manchester United et Bejbl à l’Atletico Madrid se recroiseront bien des fois sur les terrains. Symbole de cette génération dorée Vladimir Smicer choisira lui de rejoindre le RC Lens, que le Slavia venait donc d’éliminer en huitième de finale, avant six ans à Liverpool puis deux belles années à… Bordeaux, remportant une coupe de la Ligue en 2007.

L’histoire a choisi de garder la soirée de Milan dans la légende, pourtant ce match montre bien à quel point il serait dommage de réduire cette épopée à un seul exploit. Peut-on en espérer autant pour le match de ce soir ?

Antoine Gautier


Propos de Didier Tholot recueillis par Antoine Gautier pour Footballski

Image à la une : UEFA.com

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