« Aurică n’aurait pas été un deuxième Hagi, c’est Hagi qui aurait été un deuxième Rădulescu. » Même si son auteur n’est autre que Mircea Sandu, ancien coéquipier devenu l’horrible ex-président de la FRF, le compliment place son homme. Car si son nom est aujourd’hui tombé dans l’oubli, Aurel Rădulescu était, dans les années 70, un des jeunes joueurs roumains les plus prometteurs. Si ce n’est le meilleur d’entre eux. Un talent brut à la carrière trop courte. Quelques trop courtes années durant lesquelles il brille en championnat et côtoie les grands Nicolae Dobrin et Anghel Iordănescu en sélection. Avant un accident aussi stupide que tragique. Retour sur l’étoile filante Rădulescu, fauché en pleine gloire à 25 ans.

Du Farul Constanța…

Né le 13 octobre 1953, Aurel Rădulescu est le petit dernier d’une fratrie de cinq garçons. Dans sa ville natale d’Adamclisi, non loin de la frontière bulgare, Aurică, tel qu’il est surnommé, découvre très tôt le football dans les terrains vagues du quartier Brătianu et dans la cour de son école. C’est précisément là qu’il est repéré par Adam Munteanu, l’entraîneur du Farul Constanța, ville dont Adamclisi n’est distante que d’une soixantaine de kilomètres. Une rencontre qui ne doit rien au hasard. Munteanu fait partie de ces entraîneurs qui arpentent les écoles des villes voisines à la recherche de la perle rare, dans une Roumanie communiste où, faute de moyens, les jeunes joueurs n’ont pas forcément l’occasion de faire leurs preuves au-delà des limites de leur localité.

C’est ainsi que le jeune gaucher porte dès son adolescence les couleurs bleu et blanc du Farul. Une progression qui le mène à l’équipe junior, et très rapidement à l’équipe première. Il n’a ainsi que 18 ans lorsqu’il joue ses premières minutes en Divizia A sur le terrain du Steagul Roșu Brașov. Le Farul est alors une équipe de milieu de tableau. En 1971-72, le club des bords de la Mer Noire termine onzième du championnat. Si Rădulescu ne fait que quatre apparitions lors de cette saison, il devient rapidement un cadre de son équipe, avec 21 matchs de championnat disputés dès la saison suivante. Sur son aile gauche, Aurică marque peu (deux buts) mais distribue sans compter les passes décisives.

A l’été 1973, il est déjà l’heure de quitter la Dobrogée. Tout d’abord pour faire un crochet par l’Italie et le Torneo di Viareggio, une coupe du monde officieuse des équipes juniors de clubs. Avec une petite particularité. Si l’équipe roumaine invitée est le Steaua Bucarest, les dirigeants de la FRF décident d’envoyer pour ce tournoi une sélection nationale. Comme certains de ses coéquipiers, Aurel Rădulescu porte donc en Toscane les couleurs d’un club pour lequel il ne jouera jamais. Eliminés aux tirs au but en demi-finale par Bologne, les Roumains battent Crystal Palace pour terminer en troisième place du tournoi.

…au Sportul Studențesc

© adevarul.ro

De retour au pays, le jeune ailier est accepté à l’Université de Sciences Economiques de Bucarest, Rădulescu fait ainsi le grand saut vers la capitale et signe au Sportul Studențesc, l’équipe des étudiants. Garçon timide et effacé en dehors des terrains, il se fait remarquer par sa technique une fois le ballon aux pieds. La concurrence ne lui permet néanmoins pas de beaucoup jouer. Après une demi-saison à Bucarest, le voilà de retour dans sa région natale, où il remporte le titre en Divizia B avec le Dunărea Galați, où il est prêté.

Pour la saison 1974-75, Rădulescu est de retour à Bucarest avec une toute autre dimension. Avec lui dans ses rangs, le Sportul Studențesc passe soudainement de la lutte pour le maintien à celle pour le titre. Quatrième au terme de la saison, le Sportul devance notamment le Steaua Bucarest, performance qu’il renouvèle la saison suivante. Grâce à deux saisons pleines, Aurel Rădulescu est aux portes de l’équipe nationale. Revenu au pays après avoir tenu les rênes de l’équipe de France, le sélectionneur Ștefan Kovács a un œil sur lui, mais la malchance s’en mêle.

La fin d’année 76 freine en effet considérablement la carrière de l’ailier qui, à 22 ans, a juste le temps de disputer ses trois premiers matchs de Coupe UEFA avant de contracter une hépatite. Une maladie qui l’écarte un moment des terrains, avant que ce ne soit une blessure au pied qui ne prolonge son absence. Privé de son meilleur pourvoyeur de ballons, le Sportul redevient une équipe moyenne et termine à la septième place du championnat. L’équipe nationale devra attendre, elle qui aurait bien eu besoin d’inspiration lors des éliminatoires pour la Coupe du Monde 1978, éliminée après une défaite 4-6 face à la Yougoslavie lors de la dernière journée.

Rétabli, Rădulescu remet son équipe sur les rails du succès dès la saison 1977-78. Une saison où, pour la première fois de son histoire, le Sportul domine une partie du championnat et peut légitimement espérer remporter le titre. Il s’en faut de très peu. Quatrième au final, les Noir et Blanc n’échoue qu’à trois points d’un Steaua de retour sur le devant de la scène nationale. Pour Aurică, l’année 1978 est la bonne. Kovács peut enfin l’appeler en sélection. Six capes, dont une face à la Yougoslavie où, entré à la pause, il fait une prestation remarquable aux côtés de Sameș, Bölöni, Iordănescu, mais surtout de l’idole Nicolae Dobrin, dont tout le monde voit en Rădulescu le successeur idéal.

« Aurică Rădulescu était non seulement un joueur de base, un leader pour le Sportul, il était bien plus que ça, parce qu’il avait une très bonne préparation intellectuelle. C’était un joueur comme on n’en trouve pas deux dans le football roumain. C’était un gaucher pur, de ceux qui attirent l’attention parce qu’ils ont ce quelque chose en plus dans la technique et la délicatesse avec laquelle ils touchent le ballon. Il avait cette ténacité à dribbler vers l’avant, à gagner du terrain, jusqu’à arriver le plus souvent à la ligne de fond, où il levait la tête pour servir. Il avait toujours la passe décisive. C’était un joueur qui faisait la différence, de la trempe des Dobrin, Iordănescu, Hagi. » Mircea Rădulescu, son entraîneur au Sportul Studențesc

Le drame de Hanovre

La saison 1978-79 est la plus belle que le Sportul Studențesc ait connue jusqu’alors. Au zénith de sa carrière et de son talent, Rădulescu mène le club à sa première finale de Coupe de Roumanie. Un exploit après avoir écarté le FC Argeș Pitești, qui sera sacré champion de Roumanie quelques semaines plus tard, et le Dinamo Bucarest en demi-finale. Las, le 1er juillet, le Steaua Bucarest est trop fort pour Rădulescu, Gino Iorgulescu et leurs coéquipiers. Mené par un Marcel Răducanu auteur d’un doublé, le Steaua s’impose 3-0 et brise les rêves d’un premier trophée pour le Sportul.

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Une défaite qui n’est pas considérée comme un affront par les autorités. Les dirigeants du club décident même de récompenser leurs joueurs pour ce parcours en leur offrant la possibilité de passer quelques jours à l’Ouest. Dix jours de tourisme en RFA organisés par une association étudiante allemande en lien avec les organes supérieurs étudiants de Bucarest. Une excursion qui ne ravit pas tout le monde. Informé de la nouvelle, Aurel Rădulescu est le premier dans le bureau de son président pour lui demander de ne pas se joindre au groupe. Sa compagne doit en effet accoucher dans quelques jours. Mais le dirigeant reste inflexible : durant ce voyage, le Sportul est convié disputer un tournoi amical et il souhaite aligner la meilleure équipe possible.

Le départ de l’aéroport de Bucarest se fait dès le 2 juillet, le lendemain de la finale perdue. Arrivé à Francfort, le groupe prend alors le train pour Hanovre, où leurs hôtes ont réservé un wagon-restaurant à leur attention. « Un voyage superbe, se souvient l’entraîneur Mircea Rădulescu (qui n’a aucun lien de parenté avec son joueur), les paysages étaient fascinants. On était bien servi à table, puis on a bu un café, fumé une cigarette. Et à un moment donné,  le président Marc Popescu, qui gérait le groupe, nous a dit de prendre nos bagages parce qu’on arrivait à Hanovre. Nous sommes allés dans nos compartiments, le train s’arrête, nous descendons et je fais le compte. Il en manquait deux, Aurel Rădulescu et Gică Stroe. »

 

L’équipe du Sportul en 1977. L’entraîneur Mircea Rădulescu est en haut à gauche. Stroe est le premier joueur en haut à gauche, Aurel Rădulescu en haut à droite, aux côtés de l’entraîneur adjoint Viorel Kraus. © romaniansoccer.ro

Stroe confirmera un an plus tard que les deux hommes, amis très proches, n’ont pas senti le train s’arrêter, trop occupés qu’ils étaient à contempler la beauté d’une jeune femme blonde. « Nos coéquipiers nous ont crié de descendre, raconte par la suite Gică Stroe, mais nous ne voulions pas. Et puis, Dieu seul sait pourquoi, nous avons changé d’avis quand le train s’est remis en mouvement. » Les deux hommes courent vers la porte, qui vient de se refermer. L’ouvrant de force, ils hésitent, sans se rendre compte qu’il est déjà trop tard. Car les trains allemands sont bien plus rapides que les roumains, à la lenteur séculaire. Autre détail qui leur échappe : contrairement aux trains roumains, celui-ci est équipé d’escaliers amovibles, dont les marches se replient lors de la fermeture des portes.

Rădulescu est le premier à se lancer. « On leur a désespérément crié de ne pas sauter, mais ils ne nous ont pas entendu, » regrette encore Mircea Rădulescu. Ne se rendant pas compte que l’escalier s’est replié, Aurică saute et disparaît entre le train et le quai. Dans l’affolement, Stroe, derrière lui, n’a rien remarqué et saute sur le quai. Mais la vitesse du train est trop importante. Dans sa chute, Stroe heurte de la tête un pilier en béton. Tout se passe en une seconde, devant leurs coéquipiers désarmés.

Sur le quai, le temps s’est comme arrêté. Personne ne bouge. Seul un des joueurs a le courage de s’approcher des rails. En contrebas, Aurel Rădulescu, pris sous les roues du train, gît une main et un pied sectionnés. Les secours mettent moins de deux minutes à arriver sur les lieux. Choqués, en pleurs, les joueurs se rassemblent autour de l’ambulance où il est chargé. « Il est vivant ! » crie l’un d’eux. A travers les vitres, plusieurs assurent l’avoir vu cligner des yeux.

L’ambulance partie, une seconde arrive pour prendre en charge Stroe. Victime d’une fracture du crâne d’une dizaine de centimètres de longueur, celui est inconscient. Il le reste dix jours durant à l’hôpital. Sorti du coma, il est ensuite traité un mois avant de pouvoir rentrer chez lui en Roumanie. Où il ne peut jamais reprendre sa carrière, avant de s’éteindre voilà quelques années, à l’âge de 60 ans.

Le reste de l’équipe reste plusieurs heures en gare de Hanovre. Alors que le train arrivait à midi, le groupe ne rejoint l’hôtel qu’en fin d’après-midi. Mircea Rădulescu est lui autorisé à se rendre à l’hôpital. « Aurică était conscient, confirme l’entraîneur. Il a même parlé au médecin. C’était un garçon extraordinaire. Il a parlé en allemand au médecin pour lui dire de transmettre à ses proches de prendre soin de sa femme et de leur enfant. »

La malédiction du Sportul

L’ordre est immédiatement transmis depuis Bucarest. Apprenant la nouvelle, les dirigeants annulent la tournée sur-le-champ. Seul Mircea Rădulescu reste sur place, aux côtés de ses joueurs. Le mercredi 4 juillet, au petit matin, Aurel Rădulescu s’éteint, victime d’un blocage rénal. Dès la nouvelle parvenue au pays, on s’affaire autour de sa fiancée Emilia, avec qui il devait se marier durant ce mois de juillet. Amenée depuis Constanța à Bucarest pour y être mise sous surveillance stricte, Emilia donne naissance à un petit garçon trois jours plus tard, le 7 juillet. Le lendemain, plusieurs milliers de personnes accompagnent Aurică lors de ses funérailles.

Photos du dernier hommage. © adevarul.ro

« C’était un talent hors du commun, mais qui n’avait pas encore mûri. Il aurait pu devenir un grand footballeur. Pour faire une comparaison, son style ressemblait beaucoup à celui de Messi. » Angelo Niculescu

Le destin tragique d’Aurel Rădulescu n’est cependant pas le premier choc vécu par cette équipe du Sportul Studențesc. Quatre ans plus tôt, au retour d’un match de championnat disputé à Cluj, le bus la transportant avait quitté la route. Aurică Rădulescu, Gică Stroe, Rică Răducanu, Vasile Suciu, Marius Ciugarin, Paul Cazan, Romulus Chihaia, Mircea Sandu et les autres n’avaient alors eu que des blessures. Aucun joueur ne faisait partie des quatre victimes : le vice-président du club, le médecin de l’équipe, le chauffeur du bus et un représentant de l’Union des Associations Étudiantes Communistes de Roumanie.

Aujourd’hui, le fils d’Aurel Rădulescu vit en Allemagne avec sa mère. Lorsque celle-ci a été transférée à Bucarest, aucun médecin n’a osé lui annoncer la triste nouvelle. La vérité est venue de la bouche de ses proches. Resté en lien avec sa famille au pays, le jeune trentenaire a grandi dans l’ombre d’un nom adulé par toute une génération de supporters. Un joueur, son père, qui a fait rêver tout un pays l’espace de quelques courtes années, mais que lui-même n’a jamais vu jouer. « Il a sonné à la porte des anciens coéquipiers de son père pour leur demander une cassette d’un de ses matchs pour le voir jouer, raconte un des frères de la légende. Aucun d’eux n’en avait. »

Pierre-Julien Pera


Image à la Une © romaniansoccer.ro

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