En tant que marque, Red Bull veut se donner une image dynamique, énergique et offensive. Quoi de mieux que le sport pour promouvoir cela ? L’entreprise autrichienne sponsorise les meilleurs athlètes dans leurs disciplines respectives de sports extrêmes, organise de nombreux événements – à l’image du Red Bull Stratos de Felix Baumgartner, né à… Salzbourg -, et possède deux écuries de Formule 1 avec Red Bull Racing et Toro Rosso, cinq clubs de football à Salzbourg, Liefering, Leipzig, New York et São Paulo ainsi que deux équipes de hockey sur glace à Salzbourg et Munich. Red Bull a aussi lancé le marché de la boisson énergisante, une révolution qui a petit à petit conquis le Monde avec l’objectif de toucher des consommateurs plutôt jeunes. Logiquement, la stratégie sportive colle à celle de sa marque. Partout où le Taureau charge, il cherche l’excellence, à changer les codes et repousser les limites.
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« La jeunesse est une bonne caractéristique pour produire un football attrayant qui gagne, expliquait Ralf Rangnick à SID, l’agence de presse allemande spécialisée dans le sport, en 2014. C’est donc une caractéristique dans l’esprit de la marque Red Bull, qui représente des attributs comme réussir ou être jeune et cool. Nous avons un style de jeu qui correspond à la marque. » Dans le football aussi, Red Bull veut poser sa marque. Pour le ballon rond, RB a vu plus grand et plus vite que les autres. Une véritable multinationale footballistique a été mise en place où les principes restent les mêmes chez tous les clubs, et ce dès le passage au football à 11, autour de 13-14 ans. Des U14 jusqu’aux professionnels, les équipes Red Bull jouent toutes de la même façon. « Ça joue vite au sol et vers l’avant, explique Peter Zeidler. Le ballon n’est jamais arrêté. Le jeu est vertical, il y a toujours une volonté d’être actif quand on a le ballon, mais surtout quand on l’a pas. La récupération collective est vraiment au centre de toute discussion tactique. C’est un pressing énorme, on veut récupérer le ballon à deux, à trois, surtout au moment où on le perd. » Étant donné que les entraînements sont plus intensifs que dans beaucoup d’autres centres de formation, Salzbourg aime quand les joueurs arrivent le plus jeune possible afin d’habituer leur corps à cette charge de travail et diminuer l’acide lactique pendant la puberté.
Cette première demi-finale européenne du club est le fruit de ce travail. Parmi l’effectif actuel, de nombreux joueurs ont été formés ou post-formés au Red Bull Salzbourg (Schlager, Hwang, Haidara, Wolf…) ou sont au club depuis plusieurs années et connaissent désormais ces principes de jeu sur le bout des pieds (Berisha, Ulmer, Lainer…). Une philosophie que l’on retrouve aussi dans le staff actuel. Marco Rose a débuté comme entraîneur des U16 du Red Bull Salzbourg et a progressivement monté les échelons. Lui aussi est un produit de la formation des Taureaux. De toute façon, « tout le monde adhère même si chaque entraîneur apporte sa touche personnelle, analyse Zeidler. On ne peut pas arriver chez Red Bull et commencer quelque chose qui n’a rien à voir avec le fil rouge. »
Ralf Rangnick, le grand manitou
Pourtant, les jeunes et le Red Bull Salzbourg n’ont pas toujours faire la paire. Red Bull, arrivé dans le football en 2005, visait plutôt les trophées dans un laps de temps plutôt court. Dans ses premières années, le RB Salzbourg recrute des joueurs d’expérience comme Vratislav Lokvenc (31 ans), Alexander Zickler (31 ans), Thomas Linke (35 ans), Niko Kovac (34 ans). La première perle achetée par le Red Bull Salzbourg se nomme Johan Vonlanthen, 20 ans du PSV Eindhoven à l’été 2006. Pas une grande réussite. C’est l’arrivée de Ralf Rangnick en 2012, en tant que directeur sportif du club, qui va tout changer. Ancien entraîneur de Hoffenheim et de Schalke 04, surnommé « Le Professeur » pour ses prestations comme consultant tactique à la télévision allemande lors de la Coupe du Monde 1998, Ralf Rangnick est un technicien brillant qui a drastiquement influencé la nouvelle génération d’entraîneur allemand. Lui-même est influencé par Helmut Groß, qui est actuellement son conseiller adjoint au RB Leipzig.
Ralf Rangnick nomme Roger Schmidt entraîneur de l’équipe première et surtout Ernst Tanner comme directeur du centre de formation. Tanner travaillait déjà à Hoffenheim avec Rangnick sur un projet qu’ils n’ont pas pu finir, mais qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à celui de Salzbourg. Un milliardaire, Dietmar Hopp en l’occurrence, à la tête du club, des moyens à la hauteur des ambitions et Rangnick à sa tête. Tout allait bien jusqu’à la vente de Luiz Gustavo au Bayern. Rangnick, alors entraîneur, n’était pas au courant de l’affaire et a démissionné. Depuis, Hoffenheim continue sur ce solide socle de travail mis en place et son travail autour de la formation est l’un des meilleurs en Allemagne, sans parler de son entraîneur, Julian Nagelsmann, influencé par le « Fußball Professor ». Avec Ernst Tanner et Ralf Rangnick, les principes du projet Red Bull se dessinent. « Se concentrer sur les jeunes est lié à la philosophie de notre jeu, explique Rangnick au quotidien suisse Tagesanzeiger. Il faut beaucoup courir, répéter les sprints et les courses à haute intensité, les transitions et les analyses rapides des situations. Cela peut être mis en œuvre beaucoup plus rapidement avec des jeunes joueurs. Ils récupèrent plus vite, apprennent plus vite. Pas seulement dans le football, mais aussi dans la vie de tous les jours. Notre style incarne la jeunesse, le dynamisme et la vivacité. »
Adjoint de Rangnick à Hoffenheim, Peter Zeidler est arrivé quelques semaines après lui à Salzbourg pour prendre en main le FC Liefering, le club de D2 autrichienne de Red Bull : « Comment est-ce qu’on veut jouer ? Quels sont les joueurs que l’on cherche ? Quels sont nos principes ? Les jeunes sont formés dans cet esprit, poursuit Zeidler. Ce ne sont pas seulement des paroles, la preuve est là. Les grands clubs comme Barcelone ont cette identification avec le club. Les joueurs sont fiers de jouer pour Salzbourg parce qu’ils ont appris le football selon cette philosophie. C’est d’abord l’équipe qui compte. C’est le grand avantage du Red Bull. Ça commence avec les jeunes et ça se termine avec les pros. C’est tout ce dont un président rêve. Les grands projets parlent toujours de ça, mais il y en a peu qui se mettent en place. Salzbourg a fait ce qu’ils ont dit. La tactique et l’esprit d’équipe sont les deux piliers et en ce moment, c’est le top. » Rangnick a officiellement quitté Salzbourg en 2016 pour se concentrer sur Leipzig, mais a eu le temps de mettre en place la philosophie que les clubs Red Bull connaissent actuellement.
La Red Bull Akademie, laboratoire à champions
Les premières discussions pour la construction d’une nouvelle académie ultra-moderne remontent à 2007 et font preuve de l’envie de l’entreprise de Dietrich Mateschitz d’investir chez les jeunes, même si cela ne s’est pas tout de suite vu. Pourtant, les premiers travaux n’ont commencé qu’en 2012. Seulement 21 mois plus tard et pour un montant initial de 60 à 70 millions d’euros (Red Bull ne communique que très peu sur l’argent), la Red Bull Akademie sort de terre et est inaugurée en septembre 2014 avec une opération portes ouvertes. 10 000 visiteurs débarquent pour jeter un œil à ce bijou de modernité, idéal pour faire passer la formation du Red Bull Salzbourg dans une autre dimension. La carte d’identité est très impressionnante : environ 100 000 mètres carrés, quatre terrains naturels chauffés et éclairés, deux terrains synthétiques chauffés et éclairés, un terrain couvert, deux patinoires (la RBA accueille les footballeurs et les hockeyeurs), un terrain de beach-volley, 25 vestiaires, 88 chambres doubles dans l’internat, une salle de musculation, 30 machines à laver et plein d’autres salles pour la récupération, la recherche et le développement individuel des jeunes joueurs. Toutes les équipes, des U7 jusqu’au FC Liefering, s’y entraînent. Le Red Bull Salzbourg organise même des visites payantes et chacun peut s’y rendre, à l’image d’un musée.
Chez Red Bull, il n’y a pas de place pour le hasard. Tous les détails importent et c’est sûrement ce qui fait sa force. Plus qu’un centre de formation, la Red Bull Akademie est un centre de performance. Éducateurs, analystes de la performance, nutritionnistes, médecins, tuteurs : tout ce petit monde pense et réfléchit dans un même but commun. « Ils sont toujours à la recherche de développements scientifiques, commente Peter Zeidler. Toutes les séances sont filmées. On a vraiment des chercheurs qui travaillent sur les statistiques. » Red Bull utilise notamment le système LPS (local positioning system). Tous les joueurs ont une puce à l’entraînement qui, couplée aux caméras autour des terrains, capte tous leurs mouvements, leurs déplacements ainsi que les distances qu’ils couvrent. Tout est calculé. « Les statistiques que l’on reçoit aident les entraîneurs et les joueurs, explique Ernst Tanner. Cela permet de calculer les limites d’un joueur, quelle charge de travail il peut contenir. » Mieux, tous les ballons (et palets) utilisés par les joueurs sont également équipés d’une puce. Les données sont rapidement transmises dans les bases de données et sont exploitables dès la fin des entraînements : temps sur le terrain, distance totale parcourue, vitesse, nombre de sprints, courbe de rythme cardiaque, etc. S’il voit une erreur, un entraîneur peut ainsi envoyer les informations par tablette ou ordinateur à son joueur dans l’heure qui suit. L’idée est également de réduire le risque de blessure à moyen terme.
Une salle est également dédiée au développement des fonctions cognitives des jeunes. Fin mars, Ernst Tanner a inauguré le SoccerBot360, une sorte de version plus développée du célèbre Footbonaut. Tanner voyage partout dans le Monde pour trouver les dernières innovations qui pourraient placer la Red Bull Akademie au-dessus de ses adversaires. « Le plus important, ce n’est pas la modernité et la grandeur de ce complexe, mais si les statistiques qui sont utilisées sont vraiment efficaces, affirme Rangnick. Au bout du compte, il n’y a pas que la qualité du joueur qui l’amène au meilleur niveau. » Toutes sortes de machines sont utilisées et font de la Red Bull Akademie un vrai laboratoire de développement, de performance, mais aussi de recherche. « Ils testent vraiment beaucoup, poursuit Zeidler. Notamment dans le domaine médical, au niveau de la fréquence cardiaque, de l’acide lactique. Il y a beaucoup de disciplines dans le grand univers de Red Bull alors ils travaillent ensemble. Ils sont aussi très intéressés par tout ce qui touche à la nutrition. » Tous les matins à 8h, le sang des joueurs est contrôlé pour calculer la récupération et l’entraînement. Le soir, à 22h, le WiFi est désactivé dans les chambres. Les filles sont interdites. Environ 120 jeunes vivent au centre toute l’année pendant que 400 joueurs viennent quotidiennement à l’entraînement. Les parents doivent contribuer jusqu’à 250 euros par mois, selon leurs revenus. En retour, Red Bull estime qu’il investira dix fois plus dans le développement de l’adolescent. La marque explique également qu’elle travaille avec les jeunes à « 49% sur le sport et à 51% sur l’éducation ». Le club ne veut pas développer de robots, mais bien des hommes qui pourront être indépendants avec un diplôme à leur sortie du centre.
L’importance du FC Liefering
Les étages de la fusée Red Bull sont relativement simples à comprendre. Les jeunes joueurs passent à l’Akademie Red Bull, qu’elle soit au Brésil ou à Salzbourg (voire à Leipzig où une tout aussi moderne a été construite) avant de rejoindre le FC Liefering pour plus ou moins de temps selon leurs capacités. Enfin, c’est le monde professionnel avec Salzbourg et, selon toute vraisemblance désormais, Leipzig. Dans cet organigramme, Liefering joue le rôle capital de passerelle entre la formation et la post-formation, entre les jeunes et les professionnels. « Quand je suis arrivé, on était encore en troisième division, éclaire Peter Zeidler, entraîneur de Liefering pendant deux saisons. Le sens que l’on voulait donner à cette équipe n’a pas été tout de suite clair puis on s’est dit ‘on met du très jeune, du 17-19 ans et on joue contre des pros.’ » Officiellement, le FC Liefering n’est pas la réserve du RB Salzbourg. Officiellement, le RB Salzbourg n’a d’ailleurs plus de réserve et paie 7 500 € d’amende par an pour cela. Liefering est un club que Red Bull a racheté, car les réserves des clubs professionnels autrichiens n’ont pas le droit de dépasser la Regionalliga, l’équivalent de la troisième division. Plutôt que de partir de zéro en créant un nouveau club école, Red Bull a racheté l’USK Anif qui était en proie à des difficultés financières en 2012. Dès sa première année, le FC Liefering monte en Sky Go Erste Liga, la deuxième division. À partir de là, les jeunes peuvent jouer face à des adultes professionnels et faire une transition en douceur entre les deux mondes.
Pourtant, s’il est un club relativement indépendant, le FC Liefering ne peut pas participer à la coupe nationale ou bien monter en Bundesliga. Dommage, car le FCL termine régulièrement dans les premières positions en deuxième division et, si le RBS l’avait voulu, Liefering serait probablement déjà en première division. Mais là n’est pas l’objectif du club, car si le club veut faire jouer ses jeunes en Bundesliga, des clubs moins huppés tels que le LASK avec Bergim Berisha et Wolfsberg avec Igor seront toujours intéressés pour se faire prêter ces joueurs talentueux. Plutôt, le Red Bull Salzbourg utilise le FC Liefering, car il permet d’y envoyer le concept très autrichien de « Kooperationsspieler », un joueur de coopération comme on pourrait l’appeler en français. Un joueur de coopération doit être âgé de moins de 22 ans, à savoir être éligible pour jouer avec une éventuelle équipe réserve. Grâce à ce statut qui doit être signé lors des périodes de transfert, le joueur en question peut jouer à la fois avec le club parent, avec l’académie du club parent et le club coopératif.
Cela a permis à certains joueurs de pouvoir jouer avec le FC Liefering, le Red Bull Salzbourg et de gagner la Youth League l’année dernière. L’avantage évidemment est de faire jouer ces jeunes joueurs en question en deuxième division plutôt qu’en troisième avec une réserve. En revanche, les joueurs ne peuvent pas être sur la feuille de match de deux équipes différentes le même week-end. Les autres clubs utilisent ce statut avec parcimonie, beaucoup moins que Salzbourg et ses jeunes. Dayot Upamecano, Bernardo ou Konrad Laimer, tous à Leipzig, sont par exemple passés par là. Actuellement, le RBS en a une dizaine dont Mahamadou Dembélé, arrivé du Paris Saint-Germain l’été dernier, Dominik Szoboszlai, Xaver Schlager ou Romano Schmid. Salzbourg en aurait sûrement plus si le FC Liefering ne devait pas également avoir officiellement 20 joueurs sous contrat pour pouvoir garder sa licence en deuxième division.
Le FC Liefering a été une des raisons de la victoire du Red Bull Salzbourg en Youth League l’année dernière. Le format autrichien n’ayant pas de catégorie U19 comme la Youth League mais une catégorie U18, les joueurs trop vieux pour jouer en U18 mais éligible en Youth League jouaient ensemble au FC Liefering, accompagnés des meilleurs U18 voire U17. Dans la même idée, Liefering affronte régulièrement des réserves d’équipes professionnelles de très haut niveau pour se confronter aux meilleurs. « En 2014, on a fait un match amical contre les jeunes de Chelsea, c’était un niveau de Ligue 2 en France, raconte Peter Zeidler. On avait les meilleurs jeunes du Ghana, du Brésil, du Mali, de l’Autriche contre les jeunes de Chelsea avec des Hollandais, des Belges, des Nigérians. C’était vraiment exceptionnel. Ça s’est fini à 3-3, je n’ai jamais oublié ce match. Et quand on jouait contre la réserve du Bayern, on a toujours gagné. C’était des démonstrations de football. » À partir de la saison prochaine, la fédération autrichienne a annoncé l’agrandissement de la deuxième division autrichienne de 10 à 16 clubs. Les réserves des clubs professionnels pourront désormais monter, mais le Red Bull Salzbourg a annoncé vouloir continuer avec le FC Liefering et ses Kooperationsspieler. « C’est quelque chose d’idéal » conclut Peter Zeidler.
Quentin Guéguen / Tous propos de Peter Zeidler recueillis par Quentin Guéguen pour Footballski.
Image à la une : FV Austria XIII Auhof Center / Facebook