#3 – L’école des gardiens soviétiques : Une marque de fabrique

On connait tous l’histoire du grand Yashin ou encore celle de Rinat Dasaev, deux grands gardiens soviétiques qui ont su marquer l’histoire du football mondial. Mais l’Union soviétique a connu de nombreux gardiens de talent. Ce dossier est l’occasion de porter l’attention sur les autres gardiens qui ont évolué à travers l’histoire de l’URSS. Vous allez faire connaissance avec l’école soviétique des gardiens de but, véritable fabrique à talents. De Nikolaï Sokolov, fondateur de la marque soviétique, à Stanislav Cherchesov, ce dossier s’annonce comme un véritable voyage dans le temps. Sortez les gants, c’est l’heure de sortir une main opposée. Richard. Episode 3.

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Le tigre avant l’araignée noire

La Seconde Guerre mondiale terminée, le football a pu reprendre ses droits. Le Championnat soviétique est réapparu et fut durant un certain temps dominé par le CSKA et le Dinamo Moscou, deux clubs historiques disposant de soutiens de taille (l’armée pour l’un, la police politique pour l’autre) leur permettant ainsi d’avoir la mainmise sur le Championnat soviétique pendant quelques années.

Côté gardien de but, l’après guerre est tout simplement une période où se côtoient les meilleurs gardiens de l’histoire. Son âge d’or correspondra avec la carrière du grand Lev Yashin, c’est à dire de 1953, date à laquelle il devient titulaire au Dinamo jusqu’à 1971 et la fin de sa carrière de joueur. La carrière de Lev Yashin n’est autre qu’un repère temporel et footballistique dans l’histoire de l’école soviétique des gardiens de but. On peut considérer qu’il y a eu un avant et un après Yashin. D’ailleurs, la carrière de nombreux gardiens est à mettre en relation avec la sienne, notamment en sélection nationale soviétique. Beaucoup auraient pu jouer pour l’Union soviétique mais face à l’araignée noire, ils n’avaient aucune chance de lui prendre sa place !

Tout ne fut pas si facile. Lorsque Lev Yashin intègre l’équipe du Dinamo Moscou en 1949, ses performances dans les cages n’incitent pas son entraîneur à le titulariser… Au contraire, suite à un match durant lequel il effectue une grosse boulette, il n’est que troisième gardien derrière Walter Sanaya (2ème) et Alexei Khomich. Ce dernier lui barrera les cages jusqu’en 1953, date à laquelle il quittera le Dinamo Moscou pour celui de Minsk et Walter Sanaya pour celui de Tbilissi.

Attardons nous sur Alexei Khomich, considéré comme le mentor de Yashin et icône de l’école soviétique des gardiens à la fin des années 40. Alexei Petrovich Khomich est né le 14 mars 1920 à Moscou. Il fait ses débuts dans l’équipe des jeunes du Parc Tagansky puis intègre les structures associées au Spartak Moscou, telles que le Pishevik Moscou. Mais en 1944, le Dinamo Moscou le remarque et l’intègre à l’effectif. Sa carrière va faire un bond de géant lors de la fameuse tournée du Dinamo Moscou en 1945 en Grande Bretagne.

© Botashev M. / RIA Novosti / Sputnik via AFP Photos

Les quatre matchs amicaux face à Chelsea (3-3), Arsenal (3-4), Cardiff City (1-10) et les Glasgow Rangers (2-2) vont avoir un impact significatif sur le regard du monde footballistique envers le niveau de jeu des Soviétiques et poussera les dirigeants à faire adhérer l’URSS à la FIFA. Avec un total de 19 buts marqués et seulement 9 buts encaissés, le Dinamo, composé d’un effectif renforcé par quelques joueurs, et non des moindres, tels que Vsevolod Bobrov du TsDKA ou de Boris Oreshkin du Dinamo Leningrad, prouva l’évolution tactique, technique et physique  du football soviétique, et ce malgré une guerre particulièrement meurtrière pour l’URSS.

Et dans cette euphorie, Alexei Khomich fut plus qu’honoré après ses performances de haut vol. Il repartit de Grande Bretagne avec le surnom de « Tigre ». Agile et explosif, il possédait une réaction extraordinaire. Ses capacités à sauter haut venaient de sa pratique du volleyball. Son jeu complet, tant dans ses sorties, ses relances ou sur sa ligne, impressionna les tabloïds anglais, à tel point qu’il aurait pu être le premier « légionnaire » russe à jouer à l’étranger, Chelsea lui proposant de venir.

Alexei Khomich joua pour le Dinamo Moscou jusqu’en 1952, période durant laquelle Lev Yashin tentait de s’imposer chez les blanc et bleus. L’influence du tigre sur le jeu de l’araignée noire fut grande. Dans son livre Mémoires d’un gardien, Lev Yashin n’oublie pas de parler de son mentor :

« La personne la plus proche de moi dans l’équipe était Alexei Khomich. Beaucoup de ses qualités m’ont plu. Durant ses entraînements, il ne comptait pas les heures. L’équipe pouvait toujours compter sur lui. »

Avant de parler du grand Yashin, il est possible d’évoquer trois autres gardiens.

Ivanov, Leontiev, Marakov, trois grands gardiens

Le premier d’entre eux est Leonid Ivanov, né à Petrograd (Saint Pétersbourg), Leonid Ivanov fera l’ensemble de sa carrière au sein du Zenit Leningrad de 1939 à 1956. En 1944, il remporte la Coupe d’URSS à la surprise générale, éliminant le Dinamo Moscou (3-1), celui de Minsk (1-0 ap), le Dinamo Batumi (1-0), le Spartak Moscou (3-2) et le TsDKA en finale (2-1). Tout un symbole pour la ville de Leningrad qui connut durant la guerre le blocus le plus terrible de l’histoire. Leonid Ivanov joua un rôle crucial dans cette épopée. Le Spartak et le VVS lui proposèrent de nombreuses fois une place mais il refusa à chaque fois. Il joua pas moins de 289 matchs avec le Zenit Leningrad et il participa aux Jeux Olympiques d’Helsinki avec la Sélection nationale soviétique. De taille moyenne, il compensait, tout comme Alexei Khomich, avec sa vitesse de réaction et sa grande détente.

Alexei Leontiev est né à Ekaterinoslav (actuellement Dnipopetrovsk), il reste célèbre pour avoir défendu les cages du Spartak Moscou de 1942 à 1949. Il remporta la Coupe 1946 et 1947. Il fit partie à cette époque du top 3 des meilleurs joueurs du Championnat soviétique.

Oleg Marakov est né à Runtsovsk en plein Altaï. Il jouera toute sa vie en Ukraine. Tout d’abord chez les jeunes au Pishevik d’Odessa puis de 1948 à 1963 au Dinamo Kiev jusqu’au terme de sa carrière. Il remporta le championnat soviétique en 1961.

L’héritage de Yashin

Nul besoin de livrer ici une énième version de la vie de Lev Yashin, un article étant déjà disponible sur notre site. Mais il est évident que l’on se doit d’évoquer cet homme dans un tel dossier, tant son importance est considérable. Lev Yashin reste encore à ce jour l’emblème de cette école soviétique des gardiens de but dont on vous parle depuis quelques articles. Ainsi, nous allons surtout, ici, nous intéresser à son style de jeu et de tout ce que ce grand gardien a apporté dans le football. Et il y a de quoi dire.

Yashin est un personnage, un homme impressionnant par la taille, grâce à un beau mètre quatre-vingt-neuf, et une carrure digne d’un bodyguard déstabilisant n’importe quel adversaire. De ce physique découle des capacités hors-normes qu’il développe à travers un style de jeu basé sur une détente formidable lui permettant de réaliser des arrêts exceptionnels, que ce soit en vol ou à terre. Dans un article paru chez So foot à son sujet, Georges Camus, gardien de l’Équipe de France dans les années 60, raconte ainsi que cela « devait être impressionnant pour un attaquant. Quand il se couchait, il traversait le but. À gauche ou à droite, il touchait le poteau. »

Yashin, tel un stratège, ne se contente pas de défendre le but en attendant bien sagement sur sa ligne. Il préfère sécuriser sa zone d’action, à savoir la surface de réparation, et, pour ce faire, rien de tel que de s’imposer dans les sorties aériennes. Pourtant, à l’époque, le leitmotiv est de capter le ballon, que ce soit simple ou compliqué, l’important est d’arrêter la balle. Yashin, de son côté, utilise sa puissance et sa vivacité pour mieux repousser le ballon des poings le plus loin possible.

Boxer le ballon. Si cela semble tellement évident de nos jours, à l’époque, une telle technique est révolutionnaire. Et lorsque la panthère noire parvient à capter le ballon, il se décide une nouvelle fois d’utilise ses mains afin de mieux relancer, le tout grâce à la pratique du bras cassé. Comme l’explique Nikolaï Starostin,« Yashin fut le premier gardien au monde à commencer à organiser une contre-attaque. Il commença à le faire quand bien même aucun défenseur ne put imaginer cela possible, ces derniers estimant que son devoir devait se cantonner à détruire les mauvaises attaques. »

Yashin révolutionne ainsi l’idée que l’on se faisait du rôle du gardien de but. Avec lui, le gardien n’est plus seulement le dernier rempart, ce n’est plus seulement dix joueurs de champ auxquels on ajoute un gardien, mais grâce à Yashin, le gardien devient partie intégrante de la stratégie de jeu.

« Attendre passivement sur cette ligne blanche est facile, réducteur et même parfois ridicule. Pourquoi priver l’équipe d’un joueur de champ supplémentaire quand cela est possible ? Surtout que notre position nous assure une vision privilégiée du match », déclarait avant tout le monde le grand Lev.

La surface de réparation étant sous contrôle, qu’est-ce qui empêche le « Napoléon des gardiens » de jouer le rôle de défenseur en sortant pour mieux annihiler quelques actions ? Rien. C’est ainsi que ce grand gaillard se permet de sortir de sa zone, de courir, de tacler quelques jambes ou encore de couper des passes aériennes en utilisant sa tête. Toutes les stratégies défensives se trouvent alors chamboulées par la vision du football de cet homme avant-gardiste.

© Lindeboom, Henk / Anefo

Et lorsque le danger est loin ? Aucun problème, Yashin se positionne lui aussi loin de ses buts. Comme l’explique si bien Anatoly Akimov dans son livre, en faisant ainsi, Yashin « ne veut pas perdre le contact avec la balle. En allant loin devant, il se rapproche de la zone d’action, surveillant ainsi les moindres mouvements du ballon. Et lorsque Yashin aperçoit que l’attaque adverse peut devenir menaçante, il court vers ses cages. Cela a son utilité : la course, même courte, permet de réchauffer les muscles et prépare le corps à un effort intense immédiat, caractéristique du travail d’un gardien de but. »

Un positionnement qui pourtant déplaît à certains et s’accompagne de critiques à l’encontre du gardien soviétique. Des critiques qui ne purent empêcher l’évolution considérable du poste de gardien. « On peut dire que le style Lev Yashin résume toute une époque dans le développement de l’art  des gardiens de but, » relate ainsi Anatoly Akimov.

Lev Yashin, dans  son livre « Mémoires d’un gardien », s’est pourtant défendu d’être un théoricien du football.« Jamais je ne me suis senti appartenir à la classe des théoriciens, raconte l’araignée noire. J’ai joué comme je voulais jouer, je choisissais la position et le pas qui me semblaient les plus appropriés pour défendre mes cages. Quand je pense à nos réussites et à nos échecs, aux défaites et aux victoires qui ont écrit l’histoire de notre football, je vois en tout cela, non pas les défauts et les avantages des schémas tactiques, mais mes coéquipiers. »

Si Lev Yashin n’est pas tacticien, c’est en tout cas un leader sur le terrain. Dans le livre Lev Yashin dans les mémoires de ses contemporains écrit après la mort du Ballon d’Or, Valentin Ivanov, avant-centre du Torpedo Moscou, remercie grandement le trident composé de Yashin, Simonian et Netto, leaders incontestables de l’équipe soviétique médaillée d’or en 1956 et championne d’Europe en 1960, tant sur le terrain que durant les entraînements.

Pour en arriver là, Lev Yashin a trimé. Ce dernier ne se contente pas de réaliser les entraînements des gardiens, il effectue aussi la totalité de ceux des joueurs de champ. Une véritable machine sur le terrain et dans les entraînements, mais surtout un travail qui passe par la connaissance de ses adversaires. « J’attendais toujours le match, j’analysais les joueurs adverses et les capacités de mes propres partenaires. J’observais toujours le jeu de tous les gardiens ainsi que les particularités de jeu des attaquants », expliquait ainsi le gardien de but.

Mais l’araignée noire n’a pas connu que la gloire durant sa carrière. En effet, après un premier match totalement manqué, ses débuts au Dinamo Moscou sont retardés. Relégué en équipe réserve pour un temps, il ne devient titulaire indiscutable dans les cages qu’après les départs de Khomich au Dinamo Minsk et de Sanaya au Dinamo Tbilissi. Si les débuts sont difficiles, ce n’est rien comparé à ce qui l’attend lors du Mondial 1962, au Chili. Une compétition considérée aujourd’hui comme la pire épreuve de la carrière du grand Lev.

Victime d’une double commotion cérébrale, il tient pourtant sa place dans les cages de la sélection soviétique lors de cette compétition. Malheureusement, ce dernier effectue prestation face à la Colombie où il encaisse pas moins de quatre buts, dont un sur corner direct. Malgré tout, les Soviétiques arrivent se qualifier pour la phase finale. Une phase finale se terminant par une défaite face au pays hôte, le Chili. Favoris de la compétition, les joueurs soviétiques ont du mal à encaisser le coup. De retour au pays, un homme s’en prend alors plein la tête : Lev Yashin. Comme il le raconte dans son livre, « lors du premier match à Moscou, le haut-parleur présentait la composition de l’équipe du Dinamo et à mon nom, les tribunes ont fait monter un sifflement assourdissant. Les sifflets ont persisté lorsque je suis entré sur le terrain. Le méchant ronronnement s’intensifiait dès lors que je touchais le ballon des mains. J’ai entendu des cris comme « Hors du terrain ! », « A la retraite ! » « Yashin, va garder tes petits-enfants ! » »

Grâce à un mental d’acier, Lev passe outre cette déception et, l’année suivante, remporte le Ballon d’Or. A 34 ans, il connaît l’une des plus belles années de sa carrière en remportant le championnat soviétique et encaissant 6 buts en 27 matchs comme titulaire. Une belle réponse à ses détracteurs de l’époque qui prouve une fois la carrure et le mental de l’homme. Un mental de conquérant qu’il adopte aussi lors des penaltys.

« Regardez le visage du gardien et celui du buteur. Le gardien n’a pas peur de regarder directement dans les yeux. Le tireur, lui, essaie de détourner le regard. C’est moralement plus difficile pour lui que pour moi. C’est ça, mon avantage. » – Lev Yashin, Mémoires d’un gardien.

« Pour imiter Yashin, il faut jouer simplement. Travailler, beaucoup. Réfléchir, beaucoup. Rechercher, beaucoup, » dira ainsi Nikolaï Starostin. Imiter Yashin, c’est être complet techniquement et tactiquement. Mais si certains, comme Barthez, l’imitèrent par des références vestimentaires, Lev Yashin restera à jamais unique. Un homme qui changea à lui seul la vision et les caractéristiques d’un poste.

Dans l’ombre de Yashin

Avec Yashin, l’école soviétique trouve sa référence, celui auquel on peut se comparer. Durant 20 ans, le talent de Lev dans les cages du Dinamo et de la sélection nationale empêchent d’autres gardiens au talent tout aussi impressionnant d’éclater sur le devant de la scène internationale. Trois d’entre eux ont toutefois retenu notre attention.

Boris Razinsky, le routard du football

Être à la fois fantastique et dans l’ombre, telle est l’histoire de Boris Razinsky. Pourtant, si ce nom vous est peut-être inconnu, on parle là d’un des meilleurs gardiens des années 50. Né le 12 juillet 1933 à Liubertsy, dans la région de Moscou, Boris Razinsky est trimbalé au gré des affectations de son père, colonel dans l’aviation.

Durant la Seconde Guerre mondiale, la famille Razinsky est évacuée dans la région de Novossibirsk, à Bolotnoïe. C’est ici que le jeune homme commence à jouer au football. La guerre terminée, il porte le maillot de l’équipe de jeunes du « Pishevik » de Tula dans laquelle il y évolue comme attaquant. Puis, après une virée du côté de la région de Tver, Boris Razinsky atterrit finalement à Moscou.

À partir de 1952, le jeune Razinsky intègre le TsDKA en tant que gardien. A cette époque, un certain Boris Arkadiev tient les commandes de l’équipe. 5 fois champion d’URSS depuis qu’il a repris le club de l’Armée en 1944, ce tacticien hors pair n’en finit pas d’empocher les trophées au côté de la fameuse « équipe des lieutenants » composée par Vsevolod Bobrov, Viacheslav Soloviev ou encore Grigory Fedotov.

Durant cette année 1952, l’Union soviétique décide d’envoyer une équipe aux Jeux olympiques d’Helsinki. Le choix de l’entraîneur se porte naturellement sur Boris Arkadiev. Formée en majorité de joueurs du TsDKA, la Sélection soviétique doit s’incliner durant le match de barrage contre la Yougoslavie (5-5, 3-1), ennemi politique du moment. Les conséquences sont radicales pour les joueurs, l’entraîneur -Arkadiev perdant son titre de Maître des Sports, qui lui sera restitué en 1955- et le TsDKA qui est dissous à la suite de cette défaite. Les joueurs, dont Boris Razinsky, sont alors dispatchés dans les clubs voisins. Pour Boris, sa nouvelle maison d’accueil se trouve être le Spartak, en 1953, le temps d’une saison, avant de réintégrer le CSKA, club qu’il ne quittera qu’en 1961. Pour l’anecdote, ce dernier est auteur de deux buts sous les couleurs du CSKA, Razinsky ayant joué quelques rencontres au poste d’attaquant.

En 1956, Boris Razinsky est sélectionné pour participer aux Jeux olympiques de Melbourne. Numéro 2 d’un certain Lev Yashin, le portier du CSKA sait à quoi s’attendre en termes de temps de jeu. Il est tout de même aligné pour un match au cours de la compétition, mais, ne participant pas à la finale victorieuse face à la Yougoslavie 1-0, Boris Razinsky, tout comme Eduard Streltsov, ne reçoit aucune médaille. Médaille qu’il ne recevra finalement que des années plus tard. Champion olympique malgré tout, ce trophée reste le point culminant de sa carrière de footballeur.

Une carrière de footballeur marquée par les qualités du bonhomme. Boris Razinsky a des qualités qui sautent aux yeux. Solide, agile et capable de réaliser quelques acrobaties, il possède aussi la particularité de pouvoir jouer en tant qu’attaquant. Poste qu’il a occupé à plusieurs reprises durant tout le long de sa carrière. Une représentation de la polyvalence des gardiens de l’époque qui pratiquaient différents sports bien souvent à haut niveau.

Après une carrière bien calme, il se décide finalement, en 1961, de quitter le CSKA et de retrouver sa vie de jeune enfant, à sillonner les contrés et villes du pays. Razinsky parcourt alors les rouges de l’Union soviétique, portant le maillot de 11 clubs (Spartak, Dynamo Kiev, Chernomorets, SKA Odessa, Ararat, etc.) en 12 années seulement, jouant à la fois gardien de but, mais aussi attaquant, notamment avec le Chernomorests Odessa ou le Mettalurg Lipetsk. Il mit un terme à sa carrière en 1973 à l’âge de 38 ans.

Vladimir Maslachenko, le gardien dans l’ombre

Contrairement à Boris Razinsky, Vladimir Maslachenko a connu peu de clubs dans sa carrière, mais est considéré comme l’un des meilleurs gardiens de la fin des années 1950, début des années 1960.

Né en 1936 dans la région de Dnipropetrovsk, le jeune Vladimir apprend le football dans la cour de l’école et joue comme gardien ou comme attaquant. Il débute sa carrière professionnelle au Metallurg Dnipropetrovsk, puis intègre le Lokomotiv Moscou en 1956 où il y remporte dès la première année la coupe d’URSS. Il n’est pas étonnant de voir qu’à cette époque, l’entraîneur du Lokomotiv Moscou était … Boris Arkadyev. Ce personnage, fondateur du « football total » développé par la suite par l’Ajax Amsterdam, a entraîné la majorité des gardiens soviétiques de renom à un moment de leur carrière.

Dès sa première année, Vladimir devient la coqueluche de la ville. En 1956, il est présenté comme le successeur de Razinsky au poste de gardien numéro 2 en sélection nationale. D’ailleurs, plus qu’un successeur, il a, comme Boris Razinsky, un style de jeu très acrobatique et dispose de compétences techniques remarquables. Nikolaï Starostin, dans son livre, dit de lui qu’il fut le chef de file d’un nouveau mouvement de l’école soviétique des gardiens de but, un mélange à la fois de jeu spectaculaire et de sobriété.

En 1960, il fait partie de la campagne victorieuse de la sélection soviétique lors du premier Championnat d’Europe en France, mais Lev Yashin ne laisse aucune miette à son collègue obligé de rester su le banc. « Lev Yashin était le symbole du football soviétique à travers le monde » dira plus tard Maslachenko. Difficile donc d’espérer quoi que ce soit en sélection nationale…

Et même quand l’araignée noire n’est pas à son mieux, sa toile semble bien difficile à déloger. La preuve lors de la Coupe du monde 1962 au Chili. Cette année-là, Vladimir Maslachenko est au top de sa forme avec son nouveau club du Spartak Moscou avec lequel il remporte le titre de champion national dès sa première année. À 26 ans et en pleine forme, Maslachenko se voit bien percer en sélection nationale lors de la compétition au Chili, profitant de la mauvaise forme d’un Lev Yashin, dérangé par un ulcère à l’estomac, peinant à tenir sa place, à tel point qu’il laisse les dégagements au pied à Anatoly Maslenkine.

Alors que tout le monde s’attend à voir Vladimir Maslachenko sur le terrain, Kachaline, entraîneur de la sélection soviétique, n’a tout simplement pas le choix et se voit dans l’obligation de garder Yashin. La raison ? Les fédérations se sont mises d’accord pour voir le grand Lev présent sur le terrain. Peu importe que ce dernier ressente de plus en plus de douleurs à l’aine, la présence du symbole de la grandeur du football soviétique sur les terrains devient une affaire d’Etat dépassant les réalités physiques et sportives. Un raisonnement simpliste du Parti communiste pouvant se résumer par un « S’il peut jouer, il joue! » La compétition s’approchant, il est encore plus difficile de faire comprendre aux dirigeants que le grand Lev Yashin n’est pas apte à un jouer au football.

Pourtant, Yashin lui-même sait et est prêt à laisse sa place. Lors de ce voyage pour le Chili, les Soviétiques, de passage au Costa Rice pour y jouer un amical, rentrent aux vestiaires de ce match après une première mi-temps se soldant sur le score d’un but partout. Yashin, titulaire pour ce match, se présente alors devant son remplaçant. « C’est bon Valodia. Tu vas jouer cette Coupe du Monde. Je ne suis pas prêt. » lance alors l’araignée noire à son collègue, une phrase pleine de sens qui pourtant n’a aucune répercussion dans les choix d’équipe de Kachaline. Malgré la méforme apparente du gardien titulaire et les appels d’Igor Netto et de Valentin Ivanov militant la titularisation de Maslachenko, ce dernier ne joue finalement aucun match au Chili. Une compétition qui, comme on a pu le voir, a coûté cher à l’image de Lev Yashin.

Maslachenko n’a finalement plus jamais connu d’appel pour la sélection soviétique et, dès lors, a pu se concentrer entièrement au Spartak. Club avec lequel il eut l’occasion d’accrocher deux Coupes d’URSS à son palmarès, plus de 150 matchs en championnat et sa carte dans le « club Yashin » regroupant les gardiens avec plus de 100 clean sheet en compétition officielle. Au terme de sa carrière professionnelle, il devint l’un des commentateurs sportifs soviétiques les plus populaires du pays et mourut en 2010 à l’âge de 74 ans.

© Nick Parfjonov

Anzor Kavazachvili, l’homme face à l’Etat

Un autre gardien a connu les lois de la concurrence déloyale face à Yashin et ce non pas à cause de l’acteur principal, mais des hautes institutions de l’URSS qui n’avaient que faire des raisons sportives. Cet homme, c’est Anzor Kavazachvili.

Né à Batumi, au sud-ouest de la Géorgie, le 19 juillet 1940, Kavazachvili fait ses débuts au Dinamo Tbilissi où il y fait ses preuves très rapidement au sein de la réserve. Après un passage au Zenit Leningrad (1960) durant lequel il joue une trentaine de matchs, il est appelé par le Torpedo Moscou qui vient tout juste de remporter le championnat.

Il doit cependant attendre avant de devenir titulaire, la faute à un certain Slava Metreveli, lui aussi géorgien et champion d’Europe avec la sélection soviétique. Maintes fois blessé durant sa première saison au club, il doit attendre de long mois avant de pouvoir participer à un match, une finale perdue de Coupe d’URSS, en remplaçant Anatoli Glukhotko, face au Shakhtar Donetsk.

Alors que le club connaît de nombreux départs, notamment vers le CSKA, la place de gardien de but se libère et voit alors Kavazachvili s’y imposer. Un mal pour un bit. Titulaire indiscutable à partir de là, le Torpedo n’est pas loin de devenir pour la deuxième fois champion d’URSS, mais le club s’incline finalement lors d’un match en or face au Dinamo Tbilissi. Ce n’est que partie remise puisque l’année suivante, avec le retour d’Eduard Streltsov au Torpedo après des années d’emprisonnement pour de fausses accusations de viol, le Torpedo remporte son deuxième championnat d’URSS.

Élu meilleur gardien de l’année, Anzor Kavazachvili est sélectionné en sélection nationale avec laquelle il participe à 30 matchs, dont la moitié sans encaisser de buts. Mais Lev Yashin plane sur la sélection nationale et Anzor Kavazachvili doit se contenter d’être doublure de l’araignée noire lors de la Coupe du monde 1966 en Angleterre. Une situation qui affecte grandement l’homme, en atteste cette déclaration en apprenant la titularisation de Yashin lors du match pour la troisième place de ce mondial :

« Suite à la phase de groupe, il était convenu que nous jouerions par alternance avec Lev Ivanovich. Je me préparais donc pour le match de la troisième place lorsqu’à l’annonce de l’équipe, je fus surpris de ne pas entendre mon nom. Plus tard, Nikolaï Morozov (sélectionneur soviétique lors de la Coupe du Monde 1966, NDLR) me déclarera qu’il n’a pas eu le choix et qu’il dût manquer à sa promesse… à cause d’ ordres venus d’en haut. »

En 1970, Anzor Kavazachvili participe en tant que titulaire à la Coupe du monde au Mexique. L’Union soviétique se voit être éliminée par l’Uruguay en quart de finale après prolongation, le dernier match d’Anzor avec la sélection. Après 8 ans et 165 matchs avec le Torpedo, Anzor Kavazachvili signe au Spartak Moscou où il y remporte un deuxième championnat d’URSS (1969) et une Coupe d’URSS (1971). A la fin de cette longue carrière de footballeur, il entame sa reconversion en tant que coach en devant notamment sélectionneur du Ghana et du Tchad.

Ainsi, comme on a pu le voir, le grand Yashin a eu une influence non négligeable sur l’école soviétique des gardiens de but, sur l’évolution du football mondial et sur la carrière internationale de certains gardiens de l’époque. Que cela soit voulu ou non, Yashin restera à jamais comme un gardien d’exception, un personnage hors normes ni plus ni moins.

Vincent Tanguy


Image à la une : © Donskoy Dmitryi / RIA Novosti / Sputnik via AFP Photos

1 Comment

  1. Roland 4 avril 2017 at 12 h 56 min

    Merci pour cette très belle série d’articles sur les gardiens soviétiques. Il est toujours bon de s’arrêter sur le poste de gardien de but, trop souvent oublié (méprisé ?), comme en témoigne le seul Ballon d’Or attribué à un gardien.

    Petite anecdote perso. Lorsque je jouais au football en club, mon premier entraîneur était un inconditionnel de Lev Yashin. Dans notre petit club, il organisait des entraînements spécifiques pour gardiens, le mercredi après-midi, mélangeant les gardiens des catégories U6 à U11. Souvent, il nous parlait de Yashin et un mercredi par mois, il nous prêtait à tour de rôle des cassettes VHS avec des matches de l’URSS ou du Dinamo enregistrés. Il nous donnait pour consigne de regarder ces matches en prévision du mercredi suivant, et de regarder tel aspect dans le jeu de Yashin. On était gamin et on n’avait pas vraiment envie de se crever les yeux sur des mauvaises images, mais on le faisait quand même puisque le coach nous l’avait dit ! Ce monsieur, qui transpirait la passion pour le football et qui adorait transmettre ses connaissances, est décédé en début d’année. Nul doute qu’il aurait apprécié cette série d’articles.

    Petite question : le livre de Yashin dont il est question dans l’article existe-il en français (ou a minima en anglais) ? Merci !

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