Le 29 avril est une date peu commune dans l’histoire du football roumain. S’il n’est pas aussi célèbre, et célébré, que le 7 mai, date du triomphe européen du Steaua Bucarest, ce jour reste à part : c’est celui lors duquel une équipe de Roumanie a remporté son unique titre international. En battant la Yougoslavie, la Roumanie s’est adjugé, voilà 58 ans jour pour jour, le Championnat d’Europe U19. Une date qui n’est néanmoins pas restée gravée dans les annales pour une raison bien valable.

La fête à la maison

Pendant dix jours, du 20 au 29 avril 1962, la Roumanie organise pour la première fois un championnat d’Europe avec cette compétition réservée aux moins de 18 ans. Dans cinq villes – Bucarest, Ploieşti, Constanţa, Braşov et Cluj –, le tournoi réunit les 20 meilleures sélections nationales. Ou plutôt les 19 meilleures sélections, puisque parmi le Portugal, tenant du titre, son dauphin polonais et les autres se glisse un intrus. Pour la première fois, un club est invité. C’est ainsi que le Brașov XI (renommé pour l’occasion) est la vingtième équipe inscrite, permettant à la compétition de regrouper cinq groupes de quatre.

Dans le groupe A, l’hôte roumain se trouve face à une opposition relevée avec le Portugal, vainqueur un an plus tôt, la Belgique et l’Allemagne de l’Ouest, troisième de la dernière édition. Après deux journées et uniquement des matchs nuls, toutes les équipes sont à égalité au coup d’envoi du troisième et dernier match. Seul le vainqueur du groupe est qualifié pour les demi-finales. Face à la RFA, les Roumains réalisent le match parfait en s’imposant 3-0. Suffisant pour devancer à la différence de but la Belgique, surprenant vainqueur (1-0) du Portugal. De son côté, le Brașov XI s’en sort lui aussi avec les honneurs en terminant deuxième de son groupe sans aucune défaite (nuls face à l’Italie et la Pologne, victoire contre l’Autriche).

En demi-finale, la Roumanie se trouve face à une équipe surprise, la Turquie, qui a réussi à sortir première d’un groupe composé de la France, de l’Espagne (demi-finaliste un an plus tôt) et surtout de la Hongrie, titrée en 1960. Mais le suspense tourne court. Les Roumains s’imposent 4-0 et se qualifient pour la finale, où leur adversaire est la Yougoslavie, qui a elle aussi dominé sa demi-finale face à la Tchécoslovaquie (6-2).

Deux jours plus tard, le 29 avril 1962, 80 000 personnes ont pris place dans le Stade du 23 Août, à Bucarest, pour voir la Roumanie gagner son premier titre international. L’ambiance est néanmoins rapidement refroidie, avec l’ouverture du score yougoslave dès la sixième minute. Une avance de courte durée. Une minute plus tard, les Roumains égalisent par Dimitriu, puis prennent l’avantage dix minutes plus tard par Gergely. Dimitriu marque de nouveau avant la pause, avant que Haidu ne vienne clore la marque en seconde période. En s’imposant 4-1, les jeunes Roumains offrent à leur pays son premier – et unique à ce jour – trophée international. Le triomphe est total dans le stade comble, et la fête se poursuit toute la nuit dans la capitale.

Le trophée, remis par le Dr Karl Zimermann © prosport.ro

Le grand bluff

La supercherie n’est révélée que des décennies plus tard : les joueurs alignés par la Roumanie dépassaient, parfois allègrement, les limites d’âge. Une volonté du pouvoir communiste en place. Depuis 1955, la Roumanie est présente dans tous les championnats d’Europe, alors organisés chaque année, dans cette catégorie d’âge. Toujours placée, mais jamais gagnante. Victorieuse de son groupe en 1955 et 1956, la Roumanie n’a pu jouer le titre, la compétition ne comptant alors aucune phase finale « afin de prévenir tout excès de compétition » et donc aucun vainqueur officiel. Ses meilleures performances sont ainsi une quatrième place en 1958 et la finale perdue en 1960 face au voisin et ennemi hongrois.

En 1962, les dirigeants roumains souhaitent profiter de l’organisation de cette compétition pour asseoir leur pouvoir et leur politique. Ce Championnat d’Europe des moins de 19 ans est ainsi organisé au mois d’avril pour coïncider avec la Grande Assemblée Nationale lors de laquelle doit être décidée, quelques semaines plus tard, la mise en place du processus de confiscation des terrains et de la collectivisation de l’agriculture selon le modèle soviétique. Le jour de la finale, 11 000 paysans sont amenés au Stade du 23 Août. Un nombre inventé par la propagande communiste censé symboliser le nombre de paysans tués lors de la grande Jacquerie de 1907. Tout est mis en place pour que la victoire ait le plus grand retentissement pour le pouvoir.

Hélas pour eux, le football roumain est au fond du trou. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la Roumanie ne compte aucune qualification pour la Coupe du Monde ou le tout nouveau Championnat d’Europe des Nations. Pire, face à ces échecs à répétition, la fédération a récemment démantelé son équipe nationale, qui n’a pas participé aux éliminatoires pour la Coupe du Monde 1962. Si les résultats sont meilleurs chez les jeunes, ils ne garantissent rien. Or, le Parti exige une victoire. Devant l’impératif, l’entraîneur Gheorghe Ola n’a guère le choix.

Des jeunes joueurs de tout le pays sont convoqués par la fédération nationale, et répartis dans plusieurs groupes d’entraînement dispersés sur le territoire. Mais former une équipe dans la lignée de celle finaliste deux ans plus tôt s’avère une tâche ardue. Dans un premier temps, la sélection présente un visage presque correct au regard de la limite d’âge. Mais les résultats ne sont pas concluants. C’est ainsi que de nouveaux ajustements modifient radicalement l’effectif. Alors que la limite imposée par l’UEFA est le 1er septembre 1943, la quasi-totalité des joueurs roumains sont nés avant cette date. Les faux papiers délivrés par le Parti font illusion. Le jour de la finale, la Roumanie aligne une équipe d’une moyenne d’âge supérieure d’un an et sept mois à la limite maximale autorisée. Âgé de 17 ans et deux mois, Constantin Jamaischi est en fait le seul joueur respectant la limite d’âge. Certains de ses coéquipiers ont déjà fêté leurs 20 ans. Le plus âgé, Mircea Răcelescu, en a 22 ! Lorsqu’il lève le trophée de ce Championnat d’Europe des moins de 19 ans, Mircea Petescu, le capitaine roumain, est lui à quelques jours de fêter ses 20 ans.

Mircea Petescu et le trophée © libertatea.ro

Classé sans suite

Avec cette grande victoire, le Parti a réussi son pari. Mais cette victoire en trompe-l’œil n’augure rien de bon pour la suite. Car aucun des joueurs sélectionnés ne parviendra à confirmer par la suite. Et il faudra encore bien des années au football roumain pour redresser la tête. Hormis une participation aux Jeux Olympiques de 1964, avec une équipe radicalement différente de celle alignée lors de cet Euro, il faut attendre 1970 pour voir enfin la Roumanie présente en Coupe du Monde, puis 1984 pour un Euro, avant de retrouver – enfin ! – la Coupe du Monde en 1990 !

La fédération roumaine a pourtant souhaité capitaliser sur cette victoire. Dès l’été suivant ce résultat historique, elle crée le Viitorul Bucarest (Viitorul signifiant L’Avenir), qui rejoint directement la Divizia A. Les 17 joueurs faisant partie de la sélection titrée sont arrachés à leurs clubs respectifs pour rejoindre cette nouvelle entité dans l’espoir de les faire progresser ensemble pour former l’ossature de la future équipe nationale. Las, le projet ne fait pas long feu. Après une bonne première moitié de saison, lors de laquelle le Viitorul Bucarest réussit à battre le Dinamo (1-0), le Rapid sur son terrain (3-1) et à corriger le Steagul Roșu Brașov (7-1), il est décidé de mettre fin à l’expérience et le club disparaît en cours de saison alors qu’il ne pointait qu’à cinq longueurs du leader du classement. Habile manœuvre politicienne qui permet à ses joueurs de garnir les rangs des puissants Steaua et Dinamo voisins.

Aucune manœuvre, fut-elle basse, ne permet à ce groupe de faire une grande carrière, même si certains connaîtront brièvement les honneurs de l’équipe nationale. Alors que le championnat d’Europe de 1962 a permis de faire découvrir les terrains roumains à de futurs illustres joueurs tels que l’Italien Boninsegna ou les Ouest-Allemands Overath et Sepp Maier, aucun joueur roumain ne sort du lot.

Des onze joueurs alignés en finale, un seul jouera par la suite en Coupe du Monde. Buteur lors de la victoire du 29 avril 1962, à l’âge de 20 ans et six mois, Vasile Gergely fait effectivement partie du groupe participant au Mondial mexicain en 1970. Il n’y dispute que les dix dernières minutes du match face à la Tchécoslovaquie. Gergely, un joueur au destin particulier. Après trois titres de champion de Roumanie acquis avec le Dinamo, il profite d’une tournée de son club en RFA pour faire défection, avec son épouse, quelques semaines après son retour du Mexique. Devenu joueur du Hertha Berlin, il est radié à vie du football en 1972 après un scandale de matchs truqués. Avant d’être innocenté un an plus tard. Trop tard pour retrouver les terrains, à 32 ans.

A gauche, Vasile Gergely, sous le maillot du Hertha aux côtés de Zoltan Varga et Jurgen Rumor © BZ Berlin

Au final, le titre de ce Championnat d’Europe des moins de 18 ans est toujours décerné à la Roumanie. Après de longues années, la supercherie est révélée, mais sans amener de sanction. Pour leur défense, les dirigeants de la fédération arguent que cette méthode était monnaie courante à l’époque, surtout au sein des pays est-européens. Peut-être une raison suffisante pour s’éviter toute critique de la part de ses adversaires, notamment la Yougoslavie, battue en finale. Les dirigeants communistes savent faire preuve de discrétion quand un stratagème peut être encore utile.

Pierre-Julien Pera

Image à la Une © prosport.ro

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