Ville emblématique du renouveau de la Pologne, Varsovie est surtout célèbre pour sa Place du marché, son Palais de la Culture et de la Science et ses soulèvements brutalement réprimés. Mais connaissez-vous ses quartiers, ses mythes et ses petites histoires se cachant dans la grande ? A travers différents clubs plus ou moins connus de la capitale polonaise, nous allons vous faire découvrir ce Varsovie bien différent des bus à impériale qui, en deux heures, vous promettent de tout voir, de tout savoir, de tout connaître. Aujourd’hui, place au deuxième épisode de notre série, consacré à un monument en péril : le Polonia Warszawa.

#1 A la découverte de Varsovie, Capitale & Football – Hutnik Warszawa

En ce mois de mai 2017, la Varsovie du football a essentiellement vibré grâce au Legia qui, au terme d’une saison au suspense haletant, est parvenu à conserver son titre de champion de Pologne. Encore une fois, la marée des supporters legioniści s’est déversée sur la Place du château, au pied de la statue du roi Sigismond III. Pendant ce temps, loin de l’exaltation provoquée par le gain d’une nouvelle couronne nationale, loin de cet enthousiasme populaire, le club le plus ancien de la capitale, lui, cherche désespérément à se maintenir en II liga (troisième division). Ce club, c’est le Polonia Warszawa.

Né sur un élan patriotique

Pour trouver trace du tout premier club sportif de Varsovie, il faut remonter à l’automne 1911. A cette époque, la Pologne en tant qu’Etat indépendant n’existe plus, et ce depuis 1795. L’ouest de son territoire est occupé par l’empire allemand, le sud par l’empire austro-hongrois et l’est (dont Varsovie) par la Russie tsariste. C’est dans ce contexte particulier que Wacław Denhoff-Czarnocki, un futur activiste de l’Organisation militaire polonaise (POW) pendant la Grande Guerre, réunit deux équipes issues de lycées de la ville pour fonder le Polonia. Ce nom correspond à l’appellation latine de la Pologne, ce qui permet aux étrangers (principalement les Italiens) de s’y identifier et aux Polonais de revendiquer leur attachement à leur pays. Le principal sentiment à l’origine de la création du club est d’ailleurs le patriotisme. Les joueurs arborent un maillot noir afin, selon la légende, de porter le deuil de l’indépendance nationale.

© RetroFutbol.pl

Initialement « clandestin », le Polonia s’enregistre officiellement entre 1915 et 1917. Il s’agit alors de la plus grosse organisation sportive de la ville, qui participe activement à la création du championnat de football polonais en 1927. Les « Czarne Kozsule » (« chemises noires » en VF) jouissent d’une grande popularité auprès des Varsoviens, qui pour l’instant délaissent le Legia, fondé en 1916 et associé au pouvoir militaire. La période de l’entre-deux-guerres est faste pour le Polonia, même s’il ne remporte aucun titre majeur. Les choses se gâtent en revanche dès 1939, au moment de l’invasion conjointe de la Pologne par l’Allemagne et l’URSS. A l’image des habitants de la capitale, le club paie un lourd tribut pendant les sombres années qui suivent. Nombre de ses joueurs meurent soit au combat, soit en déportation ou lors de l’Insurrection, qui débute en août 1944.

1946 : un titre de champion dans une ville en ruine

Le championnat national reprend péniblement ses droits en 1946, dans une Pologne meurtrie. Détruite à plus de 80%, Varsovie entame sa longue et pénible reconstruction. C’est dans cette situation très précaire que le Polonia décroche, un peu par surprise, le premier titre de son histoire. Un succès extrêmement important pour le moral des Varsoviens à en croire Tadeusz Morawski et Zbigniew Krakowiak, auteurs de Pilkarze z Konwiktorskiej :

« Le Polonia était lié à Varsovie et à ses habitants. Le club était sans domicile fixe, comme beaucoup d’entre eux. Après des années de défaites et de tragédies, Varsovie avait besoin de succès. Les joueurs s’y sont identifiés. Leurs victoires furent celles des Varsoviens. C’est pourquoi le Polonia a été si populaire, et qu’il y avait autant de monde en tribunes pendant nos matchs. »

Malheureusement, l’état de grâce ne dure pas. Avec l’arrivée des communistes au pouvoir en Pologne, les principaux clubs sont placés sous la responsabilité directe de ministères ou de groupes publics. Si le Legia est patronné par l’Armée, le Polonia refuse la tutelle de la très impopulaire Milice citoyenne. Le club est finalement pris en charge par la société ferroviaire, toujours connue aujourd’hui sous le nom de PKP et dont les ressources sont alors relativement limitées par rapport à celles d’autres groupes. Ce qui devait arriver arriva : en 1952, après avoir pourtant remporté la coupe de Pologne, les « Czarne Koszule » sont relégués en deuxième division. Malgré le soutien indéfectible de leurs supporters, ils ne parviennent pas à remonter rapidement parmi l’élite. S’ensuivent quatre longues décennies passées à lutter dans les divisions inférieures.

© Zbigniew Luchciński

Quand des soucis financiers gâchent le retour vers les sommets

Le temps passe et le Legia, qui lutte régulièrement pour le titre, s’attire peu à peu les faveurs des Varsoviens. Les supporters des deux clubs principaux de la capitale se détestent au plus haut point. Une haine réciproque qui émerge véritablement en 1993, lorsque le Polonia est enfin de retour parmi l’élite. Gérer la tension et les affrontements entourant chaque derby devient un enjeu de taille pour les forces de l’ordre. Mal géré financièrement, le Polonia Warszawa met quelques saisons à se stabiliser, avant de renouer avec le devant de la scène en 1998 (vice-champion) puis, surtout, en 2000 (champion). Des résultats qui permettent au club formateur de l’illustre Michał Żewłakow (102 sélections avec la Reprezentacja) d’effectuer quelques passages très rapides sur la scène européenne.

Mais les soucis économiques du club ne sont pas réglés, loin s’en faut, et une nouvelle relégation survient à l’issue de la saison 2005-2006. Pris en charge par le président du groupe JW Construction, qui rachète ensuite la licence du Dyskobolia Grodzisk Wielkopolski, le Polonia revient en Ekstraklasa. Sans toutefois parvenir à s’y installer de façon pérenne, malgré le passage d’internationaux tels qu’Euzebiusz Smolarek. Le 17 juin 2013, le club est officiellement déclaré en faillite. Une poignée d’irréductibles supporters décide de prendre les choses en mains et redémarrent en IV liga, autrement dit en cinquième division. En cette fin d’exercice 2016-2017, l’objectif des « Czarne Koszule » est clair : réussir à se maintenir en II liga. Premiers relégables au soir de la dernière journée, ils doivent maintenant espérer qu’un club au bord de la banqueroute prenne leur place dans la charrette pour ne pas encore sombrer, encore une fois …

Le 13 août 2010, le Polonia remporte le derby de la capitale en giflant le Legia (3-0). 

Un stade en plein ghetto

Pour assister à un match du Polonia Warszawa, il vous faut vous rendre au stade Kazimierz-Sosnkowski, antre du club depuis 1928. Cette enceinte fut sérieusement endommagée pendant la Seconde Guerre mondiale et le Legia, conscient des difficultés de son voisin, lui a généreusement ouvert les portes de son stade à l’issue du conflit. Le « stadion Polonii », comme il est de coutume de l’appeler, se trouve dans le paisible quartier de Muranów, à tout juste un kilomètre au nord de la Vieille Ville et non loin de la gare de Gdańsk. Habité par une importante communauté juive durant l’entre-deux-guerres, ce quartier fut l’un de ceux qui furent encerclés par les murs du ghetto de Varsovie. Il fut complètement détruit en 1943 (stade compris), après le soulèvement des derniers survivants de ce ghetto. Le mémorial de l’Umschlagplatz (d’où les juifs étaient contraints d’embarquer dans des trains à destination de Treblinka), le monument aux héros du ghetto ou encore le musée de l’histoire des juifs de Pologne, inauguré à l’automne 2014, sont autant d’éléments qui permettent de ne pas oublier ces tragiques événements.

© Adrian Grycuk

Le stade, lui, ne porte pas les stigmates de ce sombre passé. Le parvis de l’enceinte est assez original, avec sa fontaine devant laquelle il est nécessaire de passer avant de rejoindre la tribune principale, soutenue par des colonnes ioniques. L’ensemble, il faut le reconnaître, donne un charme tout particulier à ce stade, d’une capacité totale de 7 150 places. Un charme dont n’est pas dépourvu le Polonia Warszawa, doyen des clubs varsoviens, créé sur un élan patriotique et qui joue toujours en noir, la couleur du deuil. Celle, autrefois, de l’indépendance nationale. Celle, désormais peut-être, de sa gloire passée.

Raphaël Brosse


Photo en Une : © Zbigniew Luchciński

2 Comments

  1. Nathaniel 6 juin 2017 at 20 h 20 min

    Étant supporter du Polonia, je ne peux que saluer cet article et son auteur.
    A noter que le club a fini relégable de 2a liga cette saison, mais il est possible qu’il se maintienne si le Gryf Wejherowo ne reçoit pas sa licence.
    Attendons et espérons…

    Reply
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