Temps de lecture 9 minutesUkraine Euro 2016 : Roman Zozulya, la tête brulée patriote

Roman Zozulya, c’est d’abord une gueule. Au propre et au figuré.

Au propre car il y a physiquement ce look marqué par une calvitie précoce mal camouflée qui ne l’a pourtant jamais empêché d’utiliser toutes les parties de son crane pour scorer. Konoplyanka disait d’ailleurs de lui en équipes de jeunes nationaux, sur le ton de la rigolade, « qu’il était meilleur de la tête que des pieds. »

C’est aussi une grande gueule au figuré qui l’ouvre souvent. Trop, diront certains. Le premier à plaider la cause ukrainienne, mais aussi malheureusement loin d’être le dernier à aller incendier les arbitres et plus si affinités. Présentation du neuf ukrainien de l’été.

Ukraine

Forte tête sur le terrain

Comment parler du joueur Zozulya sans évoquer sa personnalité ?

Pour un grand nombre de pros, le jeu et l’attitude en dehors du terrain sont deux variantes bien distinctes. Roman, Roma comme il est surnommé affectueusement, lui, joue comme il est : à fond, tout le temps, sans crainte ni retenu. Même après une blessure qui l’a laissé sur le carreau plus de six mois (fin mars à fin octobre 2015) lui  faisant rater la fin de l’incroyable épopée du Dnipro en Europa League l’an dernier.

A son retour, il peine encore à retrouver sa vitesse de croisière. La longue trêve hivernale va lui faire du bien. Lorsque la compétition reprend en mars, il est fin prêt et va être le principal artisan de l’excellente seconde partie de saison de son club. Partout sur le terrain, haranguant continuellement des coéquipiers qui semblaient ne plus trop être concernés (ni payés d’ailleurs), il va relancer la machine qui terminera à une belle troisième place.

© SERGEI SUPINSKY/AFP/Getty Images
© SERGEI SUPINSKY/AFP/Getty Images

Une troisième place inutile puisque le club a été banni de toute compétition européenne pour les cinq prochaines saisons.

Biberonné à l’école Dynamo

S’il est devenu une icône du FC Dnipro, Zozulya n’y a pas été formé. Il a d’abord longtemps cru percer dans son club formateur : le Dynamo Kiev.

Originaire de la capitale ukrainienne, le petit Roman convint à l’âge de six ans sa mère de le désinscrire des cours de danse sportive pour aller taper la balle avec les autres gamins de son âge.
Encouragé dans cette voie par un grand père fan de longue date du Dynamo, il convertit maman à sa cause qui quitte même son boulot pour suivre au mieux son rejeton. Après un premier rejet, il entre dans l’académie du club préféré du « diedouchka » et monte en catégories… jusqu’à arriver entre les mains de Alexandre Alexandrovitch Lisenko.

Formateur hors pair qui a notamment vu arriver un certain Shevchenko à l’académie, le vieil homme garde un souvenir attendri de Zozulya comme il le racontait il y a deux ans au site fcdnipro.com :

Je vais vous raconter une anecdote. Roma et son ami Andryi Fartushniak (ne fera pas carrière à cause de problèmes de santé) étaient assis et j’arrive pour mon premier entraînement avec cette nouvelle génération et leur parle comme un adulte parle à des enfants. Ils étaient en train de se vanter de leurs prouesses à l’entraînement, en match, etc. Je les ai arrêtés et leur ai dit: «  N’allez pas trop vite, jouez d’abord ! J’espère trouver au moins ce qui sera plus ou moins un vrai footballeur dans ce groupe. » Et ils m’ont répondu : « Vous en avez déjà deux ici ! » Je me souviens de ce moment comme si c’était hier. C’est quand même quelque chose qu’un enfant de neuf ans puisse avoir une telle répartie. Je pense être un homme de caractère et j’aime travailler avec des gens de caractère, peu importe leur âge. » – Alexandre Lisenko, son formateur.

Le début d’une relation fructueuse pour un coach qui ne cessera de faire progresser son leader d’attaque. Malgré ces 27 buts inscrits dès sa première saison, il est vite remis en place par Linsenko : « Roma, si tu commençais par cadrer tes frappes, tu dépasserais rapidement les trente buts. »

Petit à petit son jeu évolue, moins buteur, mais vrai attaquant. Il marque moins, mais pèse plus. Sélectionné chez les U17 (35 capes, 9 buts), U19 (23c, 6b) et les U21(23c, 2b), il intègre logiquement l’équipe fanion du Dynamo à ses dix-huit ans (mai 2008). Chez les Bleu et Blanc, il joue peu. Trente-deux matches (presque tous en qualité de remplaçant) en deux saisons et deux petits buts. Même s’il fête entre temps sa première sélection A, il comprend vite qu’il est temps pour lui de partir. On ne lui fait pas confiance dans son club formateur.

© Genya Savilov/EuroFootball/Getty Images
© Genya Savilov/EuroFootball/Getty Images

Direction en 2011 le Dnipro alors entraîné par Juande Ramos. L’espagnol recruté pour construire un projet d’avenir s’intéresse alors beaucoup aux jeunes locaux. Zozulya est désiré par l’ibère mais ne joue pas immédiatement et s’impatiente très vite. Après tout, s’il a quitté le Dynamo c’est pour avoir plus de temps de jeu. Ramos le tempère et lui réitère sa confiance régulièrement. Un travail de longue haleine qui va finir par payer puisqu’à l’orée de la saison 2012/13, Zozulya va devenir le leader d’attaque d’un Dnipro alors encore capable d’aller recruter des stars étrangères (à l’image de Kalinic par exemple) et même bientôt de devancer le grand Dynamo au classement final.

La confirmation du taureau

S’il est en fait scorpion (Raymond si tu nous lis), Roma a le style d’un taureau une fois lancé dans l’arène. Sa combativité en a rapidement fait l’une des idoles de la Dnipro Arena. Oui, Konoplyanka était mille fois plus talentueux, Rotan, plus beau à voir jouer, mais personne ne mouille le maillot comme Zozulya. Pas même Seleznov.

Joueur d’axe à la base, il a souvent dépanné sur les ailes. Sa grosse capacité physique lui permet alors de beaucoup travailler dans le couloir et de multiplier les efforts offensifs et défensifs. Même si, à ce poste sa qualité de centre est rédhibitoire sur le long terme.

Son poste de prédilection c’est l’axe derrière l’attaquant. Au fil des ans, il a su se rendre indispensable à l’équipe grâce à l’allant qu’il offre, mais n’a jamais su se transformer en vrai buteur. Souvent trop loin, car redescendu gratter un ballon au milieu auparavant, trop épuisé après un sprint de 40 mètres pour conclure correctement ou tout simplement trop brouillon devant le but : Roman n’est pas un buteur.

Il est un leader d’effort et c’est déjà beaucoup. Bien sûr il lui arrive très souvent de jouer en tant qu’attaquant central et cette position ne lui pose aucun problème sur le court terme. Après tout, il s’est révélé en dehors de l’Ukraine grâce à deux matches marquants joués dans cette position. Le FC Dnipro/Shakhtar d’août 2013 lors duquel il inscrit un doublé et provoque un penalty et l’Ukraine/France de novembre 2013 avec encore un but et un peno provoqué.

Revoir un résumé du cauchemar bleu à Kiev, c’est faire connaissance avec Zozulya.

Noter comme sur le premier but (à 1 min sur la vidéo) après 60 minutes d’harcèlement et de bagarre physique avec Koscielny et Abidal, Zozulya est à la base de l’action à gauche, embarquant avec lui le coq Kos. Une remise un peu hasardeuse, l’action se déroule, il est trouvé, résiste au retour de Koscielny, envoie Debuchy au tapis et décoche une frappe loin d’être imparable, mais qui semble rentrer par la force de sa volonté.

Le commentateur ne s’y trompe d’ailleurs pas en hurlant : « Zozulya qui marque dans son style caractéristique : s’arrachant sur chaque ballon. »

Ne vous y trompez pas, vous non plus, ces tirs mal maîtrisés ne finissent pas toujours au fond des filets par la force de sa volonté. Si le reste est toujours présent (le combat physique, les courses, les appels), la finition n’est pas toujours au rendez-vous. Après tout, Zozulya ce n’est que 22 buts en 85 matches et 4 pions internationaux en 25 sélections, bien compensés par un impact mental énorme.

Le Militant nationaliste polémique

Roma en bon kiévien d’origine (alors que la majorité de la population de la ville est russophone, elle a toujours politiquement soutenu les mouvements pro-ukrainiens) aime son pays et est donc grandement affecté par la situation désastreuse à l’Est du pays.

La guerre qui ravage ces régions depuis 2014 ne le laisse pas de marbre et plutôt que de rester assis sur son confortable cul de footballeur, il a décidé de se bouger et de créer une fondation sobrement intitulée «Народная армия» comprendre « Armée populaire« . Une fondation crée en partenariat avec les ultras du Dnipro, fournisseur d’un grand nombre de soldats dans le très polémique bataillon Azov mais ça, c’est une autre histoire…

Un appel de don pour les soldats ukrainiens avec Zozulya en tête d'affiche.
Un appel aux dons pour les soldats ukrainiens avec Zozulya en tête d’affiche.

Roman, lui, profite de sa notoriété pour lever des fonds destinés à soutenir l’armée ukrainienne officielle qui manque souvent de tout sur le front.

« Si ce n’est pas nous, alors qui va soutenir nos soldats? » – Roman Zozulya

Une requête entendue par Myron Markevitch, son coach puis bientôt par un grand nombre de footballeurs au pays. En outre, il organise fréquemment des enchères autour de ces possessions personnelles. C’est ainsi qu’en décembre dernier il a vendu sa médaille de finaliste de l’Europa League pour venir en aide à l’Armée ukrainienne.

Sa page Facebook ressemble ainsi à celle de n’importe quel autre jeune patriote : pratiquement entièrement remplie de soutien à la cause ukrainienne. A l’exception près que sa célébrité offre une résonance non négligeable à la cause et a fait de lui une figure très populaire chez les banderivtzi si chers aux séparatistes. Allant même jusqu’à l’absoudre de ses sautes d’humeur sur le terrain ?

 

On vous en parlait déjà dans notre récapitulatif de la saison en Ukraine,  Zozulya (que l’on peut traduire par coucou) a encore pété les plombs sur le terrain le 11 mai dernier. Au terme de la demi finale de Coupe face au Zorya Luhansk qu’il avait passé en tribunes dans le secteur ultra, il est descendu sur la pelouse et s’est mis à incendier violemment l’arbitre pour avoir accordé (un peu généreusement) le coup franc qui s’avérera décisif pour le Zorya dans les dernières minutes.

Pire que ça, il décochera même un coup de pied dans le dos de l’arbitre dans le tunnel. Une action filmée par les caméras TV qui auraient dû lui valoir une sanction exemplaire.

https://www.youtube.com/watch?v=h3TNshilh3g

Si l’on peut comprendre les soupçons de corruption arbitrale et l’énervement qu’elle peut provoquer chez ceux, comme Zozulya, qui l’expérimentent au jour le jour, son attitude reste impardonnable et inexcusable. Un tel comportement aurait sans doute valu une sanction exemplaire à l’Ouest. En Ukraine, Roma écopa de six mois de suspension et de la clémence de la FIFA et de l’UEFA qui n’ont daigné porter les yeux sur ce geste.

Il faut dire que la question de la lourdeur de la sanction contre Zozulya a été l’un des sujets de débat les plus populaires en Ukraine et que des acteurs pour le moins… inattendus se sont joints à la fête. Comme la brigade 25 de la marine nationale exprimant son soutien à travers cette vidéo pleine de bon goût.

Vous comprendrez donc que personne ne s’est ému de la mansuétude de la fédération à son égard…

Lorsque l’on met cet épisode avec l’ensemble de ces péripéties arbitrales, le tout devient presque grotesque. Car le coucou perd souvent les pédales.

« C’est un gars au sang chaud avec de vraies émotions. » – Lisenko, son formateur

Juande Ramos devait souvent le sortir par peur du rouge et malgré l’importance qu’il prenait sur le terrain. Il avait par exemple pour la saison 2012/13, en 23 matches joués (17 en tant que titulaire) récolté neuf jaunes et un rouge. Pas des statistiques alarmantes non plus, mais il faut bien prendre en compte que le joueur poussait chroniquement son entraîneur à le remplacer pour ne pas finir à dix. Une limite dans des saisons à rallonge.

Son histoire en équipe nationale est elle aussi cousue de fil rouge. Le moment fondateur de son histoire avec la Sbirna a lieu le 7 juin 2013. L’Ukraine a pris un départ catastrophique (8 points) dans ces éliminatoires pour la Coupe du Monde et se déplace ce soir-là pour la sixième journée chez un Monténégro leader avec 14 points. Tout autre résultat qu’une victoire éliminerait les jaunes et bleus. Le match est serré en première mi-temps, les coups se multiplient et bien sûr Zozulya est expulsé juste avant la pause. A sa décharge, le rouge est très sévère, le coup de coude sur Bozovic qu’on lui impute est très léger et le monténégrin en rajoute des tonnes.

Peu importe, l’injustice liée à ce carton transfigure la Sbirna qui au retour des vestiaires en claquera quatre à son hôte. Le match fondateur de l’ère Fomenko. Yarmolenko et Konoplyanka endossent leurs habits de patron technique de l’équipe, la défense mord sur chaque ballon et le milieu travaille comme jamais. En fin de match, un autre ukrainien au sang chaud (buteur ce soir là) Denys Garmash rendra hommage à Zozulya: « Nous devons remercier Roman. Son expulsion a créé un électrochoc. Nous nous sommes dit : « Tous les éléments sont contre nous, alors nous allons gagner. » »

Le martyr Zozulya se transforma presque en héros un soir de novembre 2013 à Kiev avant de déchanter une semaine plus tard à Paris. Son retour de blessure s’est quant à lui fait avec le costume d’homme providentiel. La Sbirna était bien dans l’embarras après que son remplaçant (Seleznov) au Dnipro et en équipe nationale ait décidé de se barrer en Russie au mercato hivernal et d’ainsi devenir l’ennemi public no1. Qui allait jouer en pointe ? Kravets ? Un temps de jeu famélique. Budkivskyi ? Pas vraiment au niveau international. Puis… Roma est revenu en forme et a réglé le problème. Son incorporation a même permis ni vu ni connu de réintégrer l’honni Seleznov à la sélection.

Ses « vraies émotions » comme les caractérisent Linsenko ont contribué à construire un groupe au Dnipro et en équipe nationale. Même lorsque le vrai-faux séparatiste Rakitskiy est attaqué par le Pierre Ménès local pour ne pas chanter l’hymne national, Roma monte au créneau pour défendre son partenaire.

Mais son tempérament est également sa faiblesse et peut parfois mettre son équipe en danger. Un coucou toujours prêt à dégoupiller en quelque sorte, mais si important pour la cohésion d’équipe. Une arme à double tranchant qui va tenter de plumer les défenses allemandes, nord-irlandaises et polonaises dans les semaines qui viennent.

Mourad Aerts


Image à la une : © MARCO BERTORELLO/AFP/Getty Images

1 Comment

  1. Pingback: Du paradis à l’enfer, la chute du Dnipro - Footballski - Le football de l'est

Leave A Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.