Chez Footballski, on aime l’Histoire. On dit souvent que le football n’est qu’un prétexte pour vous conter des récits, une occasion de vous faire découvrir une autre facette de cette partie du monde. C’est ainsi qu’aujourd’hui nous allons évoquer James Riordan, un citoyen de la couronne britannique qui a joué au Spartak Moscou dans les années 1960.

Une jeunesse marquée par la guerre

Né à Portsmouth en 1936, Riordan voit son père partir de la maison alors qu’il n’a que deux ans. Enfant d’une famille ouvrière typique de l’Angleterre, Riordan et sa famille ne croulent pas vraiment sur l’or. Symbole de cette situation, Riordan doit, durant sa jeunesse, partager son lit avec trois de ses tantes. Malgré tout, cette vie ne dure que très peu de temps. L’époque oblige. C’est ainsi que la guerre éclate, les bombes tombent et les populations doivent alors se déplacer dans les abris sous-terrain afin de se protéger du mieux possible des dangers. Malgré tout, l’expérience de la guerre marque profondément le jeune homme qui, à l’âge de neuf, alors dans un abri anti-aérien bombardé, voit plusieurs personnes à proximité de lui se faire tuer sous ses yeux. Un événement qui marque bien évidemment le jeune anglais et qui semble être un prémices de sa future vie.

Malgré tout, la guerre, les bombes et les morts, James Riordan y aura droit durant une bonne partie de sa vie. Engagé dans la Royal Air Force entre 55 et 57 où il y effectue son service militaire, l’homme de Portsmouth y apprend un élément clé de sa vie : la langue russe. De ce fait, Riordan est envoyé à Berlin, en pleine guerre froide, afin d’y espionner l’autre côté du mur, à savoir les Soviétiques et l’URSS. Sa mission ? Écouter, retranscrire et traduire les dires de la radio soviétique.

Loin de son cadre ouvrier natal, James Riordan s’émancipe, est diplômé, en 1960, une fois de retour au pays, en études russes à l’Université de Birmingham. Pour un homme d’origine ouvrière, ce diplôme apparaît comme une réelle nouveauté et lui-même est tiraillé entre ce Nouveau Monde qui s’ouvre à lui, et qui lui est encore inconnu, et le monde ouvrier de sa ville natale, Portsmouth.

Une vie moscovite

C’est en 1961 que la vie moscovite de notre héros du jour débute. Ce dernier se dirige vers la Troisième Rome afin d’y étudier le marxisme à l’École supérieure du Parti aux côtés d’un certain Alexander Dubček. Ce dernier, d’origine slovaque, est devenu le premier secrétaire du Parti communiste tchécoslovaque et fut à l’origine du Printemps de Prague en 1968. Avec d’autres réformateurs, ils souhaitaient faire évoluer le socialisme, en faire un « socialisme à visage humain. » Destitué par les conservateurs, il sera alors nommé ambassadeur pour quelques mois en Turquie avant de travailler 20 ans à l’administration forestière pour enfin devenir président du Parlement fédéral de la République fédérale tchécoslovaque après la Révolution de velours.

riordanAu cours de leur formation, les deux hommes se trouvent être chouchoutés et favorisés par le Parti avec, notamment, des rencontres avec Youri Gagarine ou encore Hô Chi Minh. L’Anglais devient ainsi l’un des premiers, mais également l’un des derniers, britanniques à suivre une telle formation. En effet, plusieurs de ses camarades furent arrêtés en chemin, ne réussissaient pas à s’adapter à la vie moscovite ou, encore, étaient trop critiques vis-à-vis de l’URSS. De son côté, James Riordan s’acclimate vite en vivant notamment avec une communauté comprenant des hommes comme Kim Philby ou Guy Burgess des  « Cinq de Cambridge ».

Terminant sa formation en marxisme-léninisme durant l’année 62, James Riordan devient alors traducteur et rédacteur en chef de la maison d’édition du ministère des Affaires étrangères : Progress publishing. Afin de garder un contact régulier avec la communauté d’étrangers, il joue au football tous les week-ends avec la communauté diplomatique. C’est ainsi que James Riordan est repéré un jour par la légende du Spartak Moscou, Nikita Simonyan. D’origine arménienne, ce dernier a d’abord été joueur au Krylya Sovetov (le club de l’armée de l’air) pendant deux ans puis a été le canonnier du Spartak Moscou pendant dix ans (de 1949 à 1959), marquant près de 133 buts en 233 rencontres. Il a ensuite dirigé « son club » de 1960 à 1965 et de 1967 à 1972 avant d’occuper d’autres fonctions d’entraîneur et de dirigeant.

L’ex-espion qui devint joueur

Sur les conseils de Gennady Logofet, arrière gauche et capitaine du club, l’entraîneur de l’époque du Spartak Moscou décide alors de venir superviser ce grand et costaud défenseur qu’était Riordan. Ce dernier avait eu l’occasion de connaître Logofet lors de ses études quand il dût rédiger un travail et qu’il décida de s’intéresser au sport en URSS, Logofet est alors sa porte d’entrée au Spartak Moscou. Au fil des échanges entre les deux hommes, le Britannique explique alors à son compère russe qu’il avait eu l’occasion de fouler les pelouses sous le maillot de l’armée britannique en Allemagne. Pas forcément de quoi impressionner, mais pourtant, pour le défenseur russe, ce fait d’armes semble être un véritable prestige équivalent à l’équipe de l’armée rouge. C’est ainsi que Riordan se fit initialement remarquer par le plus grand club russe.

Un jour, Simonyan, présent à un match diplomatique, décide d’inviter Riordan à visiter le terrain d’entrainement du Spartak Moscou et à s’entraîner avec le club. Quelque temps après, il reçut un coup de téléphone de Simonyan l’invitant, le jour même, à le rejoindre au stade Lénine. Acceptant l’invitation, Riordan s’en va, dans un premier temps, jouer son match d’expatrié sur les terrains annexes du Luzhniki pour, dans un second temps, aller au stade Lénine s’imaginant qu’il allait recevoir des places pour le match. Que nenni.

En réalité, ce dernier est appelé au pied levé pour remplacer un défenseur du club moscovite un peu trop éméché pour jouer au football. C’est ainsi que notre Britannique joue sous le nom de Yakov Iordanov face au Tashkent Pakhtakor. Si le match se termine sur le score de 2-2 et le solide défenseur aime rappeler que «les buts adverses sont venus des côtés et non du centre», le dédouanant ainsi de toute responsabilité. Quoiqu’il en soit, et qu’importe le nom choisi sur la feuille de match, il devient alors le premier citoyen de la couronne britannique à jouer au football en URSS en pleine guerre froide. Le tout dans un stade de 50 000 personnes.

© goodreads.com

Cette titularisation de Simonyan était pourtant risquée. Et pas seulement sur le terrain. Nous sommes alors quelques années après le décès de Staline, bien que la dé-stalinisation soit en cours, la violente répression du régime reste dans toutes les têtes du pays. Nicolaï Starostin, fondateur du Spartak Moscou, avait eu l’occasion d’en faire les frais et était alors sorti du goulag huit ans auparavant alors que l’une des accusations portées contre lui avait été la propagation d’un sport bourgeois. Ainsi, en russisant son nom, le joueur britannique se fondait dans la masse et comme il l’a souvent expliqué lui-même, son accent laissait alors penser qu’il pouvait tout simplement venir des Pays baltes. Malgré tout, porter ce maillot et apparaître sur un terrain de football soviétique n’en reste pas moins un geste incroyable pour lui, l’homme de Portsmouth.


Lire aussi : Nicolaï Starostin, du Spartak Moscou au goulag


Une semaine après le match contre Pakhtakor, Riordan est appelé une seconde fois pour jouer face au Kairat Almaty. Le match se solde une nouvelle fois sur un score nul, à savoir un but partout. Malgré tout, ce match solde la fin de la courte, mais mémorable, carrière de joueur du Spartak Moscou de Yakov Iordanov. Peu performant, ce dernier n’est alors pas vraiment l’homme de la situation et ne peut assurer le futur d’un club comme le Spartak. Suite à cette période, le désormais ex-joueur décide de retourner dans les éditions et l’écriture.

En 1965, une erreur de traduction de son article « Les douleurs croissantes de la jeunesse soviétique » compris sous le titre « Comment la douleur peut augmenter quand le socialisme se développe » lui force la main et l’oblige à rentrer en Angleterre après qu’on ait considéré ses activités comme bourgeoises et anti-soviétiques. Rentré au pays, l’ancien joueur du Spartak Moscou continue de s’adonner au plaisir footballistique dans les ligues inférieures de son pays natal, tout en étant membre du parti communiste britannique jusqu’à sa dissolution en 1991.

En plus de ses activités politiques et footballistiques, il s’étale également à l’écriture avec comme sujet une dissertation sur «Le sport dans la société soviétique» qu’il avait eu l’occasion de commencer lors de sa vie moscovite. Défendant sa thèse durant l’année 75, cette dernière fut, par la suite, un livre important dans l’histoire et pour la plupart des amoureux de sport. En effet, son travail est considéré comme historique, faisant de ses écrits le premier texte académique à s’intéresser au sport en URSS. L’enfant de la classe ouvrière marque alors le monde intellectuel, tandis que ce dernier enfile par la même occasion un nouveau costume : celui de professeur à l’Université de Bradford, avant de passer à l’Université de Surrey à Guildford où il devient chef du département russe et y reçoit une chaire de recherche. Jamais loin du football et du monde universitaire, la suite de sa vie fut notamment marquée par un rôle d’attaché olympique pour les Britanniques lors des Jeux olympiques de Moscou en 1980 ou, encore, un aidant de choix en Albion pour Alexei Smertin, en 2003, lors de l’arrivée du Russe à Portsmouth. Tout un symbole.

Si vous souhaitez en savoir plus sur James Riordan et son vécu à Moscou dans les années 60 n’hésitez pas à lire autobiographie qui a inspiré cet article : « Comrade Jim : The spy who played for Spartak », sortie en 2009 aux éditions Harper Perennial et disponible uniquement en anglais. Il faut cependant noter que son récit est controversé. Son nom est absent des tablettes du Spartak, et plusieurs de ses anciens coéquipiers n’ont aucun souvenir de lui. Outre le côté lié au football, le livre est intéressant pour ses anecdotes sur la vie à Moscou en pleine guerre froide avec notamment quelques passages sur Burgess et Philby, sur Beria et sa passion du football. On retrouve également un chapitre consacré à Nikolai Starostin. 

Lazar Van Parijs


Image à la une : © The News Portsmouth

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