Les gens sont fascinés par les biographies d’hommes et de femmes au parcours exceptionnel. De nos jours, les livres et les films sur des vies atypiques envahissent les librairies et les cinémas alors que beaucoup d’autres n’ont pas encore été abordés. L’une d’elles concerne Nikolaï Starostin. Son histoire m’a totalement fasciné, au point de vouloir écrire moi même sa biographie ! Je n’en ai en effet trouvé aucune à son sujet en français. Le football soviétique et russe ne passionne pas les foules françaises mais pourtant les Français connaissent les légendes que sont Lev Yashin ou Oleg Blokhin. C’est pourquoi, ils devraient connaître celle qui a façonné le football en Union soviétique et plus tard en Russie.

Nikolaï Starostin est considéré par beaucoup comme l’un des premiers managers de l’histoire du football

Outre son apport inestimable dans l’organisation d’une Ligue de Football Professionnelle au lendemain de la chute de l’Union soviétique en 1991 au côté d’Oleg Romantsev, Pavel Sadyrin, Valeri Gazzaev et d’autres, Nikolaï Starostin est considéré par beaucoup comme l’un des premiers managers de l’histoire du football grâce à ses talents d’organisateur. Son influence durant l’histoire footballistique soviétique est incontestable. Mais Nikolaï Starostin, c’est avant tout le Spartak Moscou. Ce club, c’est son bébé, sa passion, toute sa vie ! Plus qu’une passion, ce club est sa propre destinée ! Le Spartak a été pour lui la source des plus grandes joies comme des plus grandes souffrances. Le Spartak l’a amené au sommet de la reconnaissance, de la gloire et l’a en même temps envoyé dans l’univers terrible du goulag. Nikolaï Starostin, c’est une histoire faite d’intrigues au plus haut niveau du pouvoir soviétique et de matchs à caractère politique qui décidaient de l’avenir des joueurs et des dirigeants. Une histoire comme on les aime, bien réelle, et qui est devenue légendaire.

« Starostin signifie footballeur en russe  »

Nikolaï Starostin est né le 13 février 1902 dans le quartier ouest de Moscou, Presnia. Nikolaï est l’ainé d’une fratrie de six frères et sœurs, nés dans une famille de chasseurs : Alexandre, Claudia, Andrei, Piotr et Vera. Quatre frères qui vont marquer l’histoire d’un sport. Pourtant, dans leur enfance, le sport n’était pas encouragé dans la famille. En effet, leur père les punissait sévèrement pour avoir abîmé ou sali leurs chaussures mais aussi  quand ils rentraient à la maison avec un œil au beurre noir suite à une lutte.

Au début du XXe siècle, le sport populaire à Moscou n’était pas le football mais le combat de mêlée. Nikolaï et Alexandre, les ainés, participaient régulièrement à ces luttes traditionnelles en 1916 sur les bords de la Moskova. Nikolaï Starostin déclara à ce sujet :

« Participer à ces luttes donne confiance en soi-même. C’est comme ça que s’est forgé notre caractère. »

Au point que dans les années 1920-21, Nikolaï Starostin décide de pratiquer sérieusement la boxe, gagnant même le championnat de Moscou des poids légers. Mais outre la boxe, les frères Starostin avaient comme première passion le patinage. Nikolaï, Alexandre et Andrei jouèrent de 1929 à 1935 au hockey dans l’équipe de Moscou. Et le football dans tout ça me direz vous ? Nikolaï commence à le pratiquer à l’âge de 16 ans au sein de la Société de Gymnastique Russe en tant que milieu droit. Cependant un événement va le conduire à se consacrer encore plus aux sports : en 1920, le père Starostin meurt du typhus et Nikolaï va devoir s’occuper de toute la famille. Pour cela, il va se mettre à jouer au foot en été et au hockey en hiver.

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© championat.ru

En 1921 Ivan Artemiev crée la Société Sportive de Moscou (plus tard Krasnaya Presnia). Le mouvement sportif à l’époque se construit sur le principe de territorialité. En effet, l’équipe n’est formée que de joueurs vivants dans le district de Krasnaya Presnia ou dans les alentours. Nikolaï Starostin intègre donc cette équipe. Évoluant dans un contexte familial (les femmes et les enfants étaient présents aux entraînements), l’équipe grandit vite en construisant son propre stade, vivant de la vente de billets et de la tenue de matchs en Union soviétique. Nikolaï Starostin intègre également la sélection moscovite et joue quelques matchs internationaux (match contre la Turquie notamment qui se termine sur une victoire 2-0 pour les Moscovites).

De 1926 à 1930, Krasnaya Presnia change de nom et devient « Pisheviki ». L’équipe participe à des championnats régionaux (ou elle remporte un titre de champion) ainsi qu’à des tournées à travers l’Union soviétique. Nikolaï joue à ce moment-là aux côtés des meilleurs joueurs du moment : Piotr Isakov, Piotr Artemiev, Pavel Kanunikov et Valentin Prokofiev notamment. Tous évoluèrent pour l’équipe nationale soviétique. Nikolaï Starostin joua pour sa part six matchs amicaux, marqua un but et fut capitaine de la Sélection. En 1934, il deviendra Maitre des Sports d’URSS (NDLR : grade sportif toujours d’actualisé en Russie, Biélorussie ou en Ukraine. Il correspond au meilleur sportif du pays dans sa discipline. Bien souvent attribué aux champions nationaux dans les sports individuels). Il est donc considéré comme le meilleur ailier droit de l’équipe d’URSS de football et de hockey. Sur le terrain, Nikolaï impressionne par sa vitesse, son charisme et son apport offensif. Michael Yakushin raconte :

« Nikolaï Starostin était un ailier offensif typique, incontrôlable de la tête, avec des  frappes puissantes. Son jeu était simple et l’adversaire, ayant peur de cet intrépide attaquant, s’effaçait tout simplement. »

Ses frères intègreront durant toutes ces années, différents clubs, jouant avec leur frère ainé. Cette situation amènera par la suite de drôles d’anecdotes :

« Le Spartak jouait un match à l’étranger. Le journaliste local demanda la composition d’équipe :– Qui joue à droite de la défense ?
– Starostin
– Milieu de terrain axial ?
– Starostin
– Et à côté de lui ?
– Starostin
– Et l’ailier droit ?
– Starostin
– J’ai compris, répondit le journaliste, Starostin signifie footballeur en russe. »

Un talent d’organisateur au service du football

Hormis être un homme du terrain, Nikolaï Starostin est aussi un organisateur de talent. Durant la réorganisation du football soviétique en 1926, grâce à ses relations, il permit le parrainage du club par l’Union des fabricants de produits alimentaires. Grâce à cela, le club a pu se sécuriser financièrement et évoluer dans un stade de 13 000 places pour ainsi profiter de la vente des billets pour se développer rapidement. Il joua durant ces années un rôle hors du terrain de premier plan, aidé par ses nombreuses expériences passées dans des organisations en tant que comptable.Mais c’est surtout son partenariat et amitié avec Alexandre Kosarev, secrétaire de l’Union de la Jeunesse Communiste (Komsomol), qui va donner une autre dimension au club.

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© peoples.ru

Le Komsomol participait activement à la vie sportive du pays et en tant que capitaine de la sélection nationale, Nikolaï Starostin fit la connaissance d’Alexandre Kosarev. Ce dernier cherchait à accroitre l’influence déjà forte du Komsomol dans le monde du football afin de concurrencer les deux Sociétés Sportives déjà existantes, celle du CSKA soutenue par l’armée et celle du Dinamo soutenue par les services de sécurité (NKVD à l’époque). Kosarev en homme avisé se mit en relation avec Nikolaï Starostin et ses frères pour créer une nouvelle Société Sportive comprenant le club de l’Union des fabricants de produits alimentaires (Promkooperatsia) et l’ensemble des syndicats des travailleurs. Nikolaï Starostin s’attela à la tâche et en 1935 et ainsi la Société Sportive Spartak vit le jour. C’est lui qui la nomma ainsi et qui en dessina le logo. Deux théories sur le nom Spartak sont évoquées. J’ai fait allusion à la plus romantique des théories lors d’un précédent article sur le nom Spartak. La deuxième théorie consisterait du fait que Nikolaï Starostin ait entendu ce nom lors d’un voyage en 1927 en Allemagne avec l’équipe nationale, durant lequel ils sont confrontés à une équipe de travailleurs-athlètes du nom de « Spartak ». Spartak fait référence à Spartacus, esclave puis gladiateur d’origine thrace qui conduisit une révolte d’esclaves en Italie sous l’Empire romain. Selon Nikolaï Starostin, ce nom a été choisi « parce que dans ce mot court se cache une volonté de rébellion, une sensation d’indomptable. »

L’appellation est acceptée non seulement par les dirigeants, mais aussi par les masses populaires.

Le dernier espoir

En 1936, Nikolaï Starostin se voit proposer, le poste de Secrétaire général de la Société Sportive Spartak. Durant cette période, les résultats dépassent l’aspect sportif et être dirigeant est aussi risqué que d’être sur le terrain. Staline dirige l’URSS d’une main de fer et le sport est un moyen redoutable pour afficher l’honneur du pays et sa supériorité sur les autres. Le football russe à partir de 1936 s’organise d’ailleurs autour d’un nouveau format. Finis les championnats des clubs par ville ou les championnats régionaux, l’URSS adopte la Ligue Supérieur et une Coupe nationale. D’un point de vue footballistique cependant, l’Union soviétique n’a pas évolué. L’héritage britannique du 2-3-5, système inefficace, reste largement présent en Union soviétique pour la simple raison que les clubs jouaient rarement face à des formations étrangères.equipebasquesoccercoach.ru

La tournée mondiale des Basques en 1937 va tout changer. Sur fond politique (il s’agissait d’éveiller les consciences à la bataille menée par les Basques lors de la Guerre civile espagnole), la sélection nationale basque (Euskadi) fit un arrêt en Union soviétique. Le football est à ce moment extrêmement populaire en URSS et les fans s’attendent à voir la Sainte Russie tout écraser. Eh bien non. Contre toute attente, la sélection basque bat le Lokomotiv 5-1 puis le Dinamo Moscou 2-1. La surprise est totale côté Soviétique. Par la suite, la sélection de Leningrad arrache le nul 2-2 à Leningrad. Mais de retour à Moscou, les Basques écrasent le Dinamo Council Select XI, considérée comme l’une des meilleures équipes du pays 7-4. On imagine la colère des dirigeants soviétiques ! L’humiliation à domicile était à son comble. Et c’est Spartak Moscou qui s’annonçait comme le prochain adversaire des Basques.

Du haut de son poste de dirigeant des Rouge et Blanc, Nikolaï Starostin comprenait l’enjeu décisif de ce match pour lui et ses joueurs. Nikolaï Starostin avait remarqué une différence de niveau entre les joueurs soviétiques et basques, mais elle ne pouvait expliquer cette totale déconvenue. C’est surtout au niveau tactique qu’il remarqua une différence flagrante. Il ajusta donc son équipe en rajoutant un troisième défenseur axial afin de bloquer l’avant-centre basque Isodro Langara. Le Spartak avait auparavant utilisé ce système en double V lors d’une tournée en Norvège. Nikolaï Starostin raconte :

« C’était le deuxième essai, encore pour un amical mais cette fois, pour une rencontre internationale ultra importante. C’était un risque immense. »

 Affaire d’État oblige, la pression se ressentait chaque jour à Tarasovka, camp d’entrainement du Spartak :

« C’était l’enfer ! Il y avait des lettres, des télégrammes et des appels pour nous conseiller, nous souhaiter bonne chance. J’étais convoqué par différents chefs de tout rang qui m’expliquaient que tout le pays attendait notre victoire. »

La pression était telle que le jour du match, Nikolaï Starostin eut un accident de voiture qui envoya sa femme à l’hôpital. À partir de ce jour, il ne conduisit plus jamais, préférant la présence d’un chauffeur. Quant à l’équipe du Spartak, elle faillit arriver en retard à cause des bouchons causés par l’afflux des supporters au stade. Mais le dernier espoir de toute une Nation a finalement vaincu les Basques 6 à 2. Vladimir Stepanov réalisa un hat-trick et Viktor Shylovski, joueur du Dynamo Kiev recruté par Starostin pour l’occasion, marqua un pénalty controversé. La défaite des Basques face au Spartak n’empêcha pas les Basques de battre par la suite le Dynamo Kiev, le Dinamo Tbilissi, la sélection de Géorgie et la sélection de Minsk. Au final, cette unique victoire amena les Soviétiques à faire un constat clair : leurs meilleures équipes devaient s’améliorer.

Quoi qu’il en soit, Nikolaï Starostin en ressortait grandi. Son équipe avait sauvé l’honneur et le prestige de la Patrie. Il fut décoré la même année de l’Ordre de Lénine, devenant ainsi le premier footballeur a recevoir cet honneur. La popularité du Spartak et de Nikolaï Starostin ne s’arrête pas à cette victoire. Elle est le résultat d’un jeu libéré, tourné vers l’attaque, d’un club indépendant de toute structure en rapport avec le régime politique d’oppression (Dinamo, CSKA). Lié au Komsomol, synonyme de jeunesse, le Spartak incarnait l’idéal communiste. Les défilés de la Société Sportive Spartak lors de la journée du Sport reflétaient bien cette idée d’hommes et de femmes sains, disciplinés dans un seul but, gagner en représentant son pays. Nikolaï Starostin a pu compter sur son réseau d’affaires. Pour lui, le football devait être un spectacle. Sa politique de sponsorat entrainait évidemment des affaires d’argent, chose difficilement acceptable à cette époque et plus particulièrement en Union soviétique. Cette « corruption bourgeoise occidentale » attira les suspicions et fut utilisée plus tard contre lui.

Un intouchable ennemi

Un homme va assombrir profondément la vie de Nikolaï Starostin, de ses frères et de tous ses proches : Lavrenti Beria. Figure-clé du pouvoir soviétique de 1938 à 1953, cet homme, né en Géorgie, reste tristement célèbre pour sa cruauté.

En 1938, Staline le nomme chef du NKVD, la Police secrète de l’Union soviétique. Passionné de football depuis son enfance, il prend en main le Dinamo Moscou et assiste à tous les matchs de son équipe. En face de lui, le Spartak s’avère être sur le terrain l’ennemi le plus dangereux et Nikolaï Starostin a sa tête n’y est pas étranger. Le Dinamo remporte les deux premiers championnats URSS en 1936 et 1937 mais à son arrivée en 1938, Beria voit le Spartak effectuer le doublé Championnat-Coupe. Son aversion pour le Spartak est en lien étroit avec Nikolaï Starostin. Ce dernier raconte :

« C’était il y a 50 ans, mais je me souviens très bien de notre première rencontre. Je suis allé vers lui. Nous ne parlions que de sport. Qui joue, ce qui est nouveau dans l’équipe. Ensuite, il a dit:

– Allez, Nicolas, jouez. Vous avez tout expliqué, nous pouvons regarder sans vous, merci pour l’information.

Et à ce moment-là, il me présenta à sa suite:

– C’est le même Starostin qui un jour s’est échappé devant moi à Tiflis.

Satisfaits de l’effet produit, ni moi ni son entourage n’avons su comment réagir. Beria, comme ayant lu dans mes pensées, en me regardant dans le vide, déclara:

– Voyez, Nikolaï, comme la vie est curieuse. Vous êtes encore en tenue, et je ne suis plus apte pour les exploits sportifs.

Je me sentis mal à l’aise devant ce regard froid… »

Nikolaï Starostin avait donc fait face à Beria sur un terrain de football dans les années 20. Ce match était resté gravé dans la mémoire de Beria sans que Nikolaï Starostin puisse l’expliquer. L’ascension glorieuse des Starostin dans le football avait dû toucher l’orgueil de Beria. Celui-ci ne souhaitait que vengeance et le Dinamo devait en être l’outil.

Malheureusement, le Championnat 1939 se termina comme le précédent, voyant le Dinamo Moscou derrière le Spartak. Il restait la Coupe d’URSS pour éviter de voir le Spartak à nouveau réaliser le doublé. Et l’occasion se présenta. En ½ finale de Coupe URSS, le 9 septembre 1939, le Spartak affrontait le Dinamo Tbilissi. Le Spartak remporta le match sur le score d’1 but à 0 grâce à Protasov. Mais au terme du match, le Dinamo Tbilissi protesta, expliquant que sur le tir de Protasov, le ballon n’avait pas dépassé la ligne de but, le gardien Shavgulidze l’ayant arrêté. Les protestations furent rejetées et le Spartak remporta la Coupe URSS 3-1 contre le Stalinets Leningrad le 12 septembre 1939.

Mais quelques jours après la finale, les autorités invalidèrent le résultat de la demi-finale contre le Dinamo Tbilissi. Malgré l’incompréhension et les protestations de Nikolaï Starostin devant les plus hautes autorités, la demi-finale dut se rejouer le 30 septembre 1939, soit 18 jours après avoir remporté la finale! Les complaintes du Dinamo Tbilissi ont dû faire leur effet au plus haut niveau et le chef tout puissant de la Société Sportive Dynamo ne doit pas y être innocent.

Malgré les blessures et les nombreuses absences, le Spartak remporta cette deuxième ½ finale 3-2. On décréta par la suite qu’il n’était pas nécessaire de rejouer la finale…

Plus qu’un club, une carte de survie

Même sur le terrain, Beria et le Dinamo n’arrivaient pas à leurs fins. La Terreur allait être l’occasion idéale de se débarrasser de tous ceux qui dérangent.

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Le 20 mars 1942, il est arrêté devant sa femme et sa fille puis envoyé à la Loubianka, quartier général des services de renseignements et prison au cœur même de Moscou. Il y restera 2 ans. Le jour même, ses trois frères, des membres de sa famille et des amis proches de la famille Starostin en lien avec le Spartak sont aussi arrêtés. Nikolaï Starostin fut accusé de terrorisme, de détournement de wagons manufacturés puis de propagande anti-soviétique et de promotion du sport bourgeois. Il a même été accusé d’avoir attenté à la vie de dirigeants soviétiques, dont Staline en personne, lors de l’organisation d’un match de football sur la Place Rouge en 1939 sous les ordres d’Alexandre Kosarev (arrêté et exécuté).

Durant ces deux années de geôle à la Loubianka, il subira la torture, l’obligation de rester éveillé de jour comme de nuit, les interrogatoires interminables, la perte de la notion de temps… Pour finir, il est condamné à 10 ans de goulag. Ses frères subiront le même sort.

Le goulag fut pour beaucoup synonyme de mort, de souffrance, de conditions de vie extrêmes. Nikolaï Starostin, lui, va découvrir aussi dans cet enfer l’immense popularité du Spartak à travers tout le pays. « La popularité du Spartak me précédait largement ». Les fans vont tout faire pour le protéger, faire en sorte que l’enfer soit plus supportable, aider celui qui a tant donné au football.

Nikolaï Starostin fut l’objet d’un intérêt particulier pour les chefs de camps souhaitant le voir entrainer leur équipe.

« Je me souviens, par exemple, d’une conversation entre Burdakov et le général Barabanov, le chef du camp Intlag.

– Alors, quand arrives-tu avec ton équipe, à Ukhta,pour que je te batte à plate couture ? — demanda Burdakov.

– Je viens, je viens, répond Barabanov. On verra qui bat l’autre, surtout que j’ai maintenant une équipe entrainée par Starostin!

– Quel Starostin ?

– Alexandre… voilà lequel.

– Ah bon? Peu importe, viens… Mon Starostin, Nikolaï, montrera à ton Starostin où les crabes hibernent.

– Eh bien, nous verrons cela.

Voici comment j’ai appris où Alexandre purgeait sa peine.»

Nikolaï Starostin fut transféré dans l’Est à la demande d’un Général et pendant 2 ans (1945-46) entraîna le Dynamo Komsomolsk sur Amour. Nikolaï Starostin, entraineur du Dynamo !

Le championnat de football des camps du goulag entraînait une concurrence féroce entre les différents généraux amoureux du foot. Au point que ces derniers pouvaient décider du sort d’un prisonnier de guerre ou d’un criminel aux compétences footballistiques intéressantes. L’important c’était de renforcer leur équipe.

Beaucoup de monde souhaitait le voir entraîner. Le fils de Staline lui-même , Vassili, est allé le chercher en 1950 au goulag pour le ramener à Moscou (Nikolaï Starostin était pourtant interdit de séjour dans plusieurs villes russes, dont Moscou) afin d’entrainer le Dinamo. Malgré la protection de Vassily Staline, Nikolaï Starostin dut quitter Moscou et purger sa peine. Déplacé de ville en ville, il finit par atterrir au Kazakhstan, à Alma Ata où il entrainera le Dynamo Alma-Ata (1952-53).

Staline mourut en 1952, Beria en 1953. Nikolaï Starostin put enfin comme bon nombre de personnes entrevoir la fin du cauchemar. Les frères Starostin furent libérés en 1954 et réhabilités quelques années plus tard. Nikolaï Starostin résume ces années ainsi :

« Il est infiniment triste d’avoir perdu dans la fleur de l’âge ces années au goulag. Mais un homme de caractère doit se calmer. Je me suis calmé car ces années n’ont pas été gaspillées en vain. Beaucoup de choses dans la vie m’ont permis d’apprendre, m’ont donné la possibilité de connaître mon propre pays : De Ukhta à Vladivostok, d’Inta à Alma-Ata. Et partout où se trouvait le ballon de football, si cela peut être étrange, s’est avéré être un endroit sans Beria. Un supporter est partout un supporter. »

« Tchapaïev » à jamais

De retour à Moscou, Nikolaï Starostin reprend naturellement ses fonctions de Directeur de la Société Sportive Spartak, poste qu’il gardera jusqu’en 1992. Comment en aurait-il pu être autrement… Il conduisit le Spartak pendant plus de 40 ans tel un leader, un chef de famille. Son autorité naturelle se retrouvait à tous les niveaux du club, chez les joueurs, le staff, l’entraineur. Mais cette autorité n’avait rien de despotique, Nikolaï Starostin a montré qu’il savait faire confiance.

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En 1960, il fit confiance à Nikita Simonyan en lui donnant le poste d’entraineur du Spartak à seulement 33 ans. Résultat : 2 Championnats d’URSS (1962, 1969) et 3 coupes d’URSS (1963, 1965, 1971). En 1977, alors que le Spartak est relégué en division inférieure, Nikolaï Starostin apporta son soutien à Konstantin Beskov, entraineur réputé mais Dynamovets de coeur. Et malgré ce que cela représente pour lui, il savait que Beskov était l’entraineur dont avait besoin le Spartak pour retrouver les sommets. La fin de l’ère Beskov et son éviction du poste d’entraineur du Spartak montrent aussi les limites de cette confiance face à un homme de caractère tel que Konstantin Beskov.

En 1988, le club au losange tourne la page de l’ère Beskov et Nikolaï Starostin apporte son soutien à Oleg Romantsev. Il l’envoie d’abord une année entrainer le Spartak Ordzhonikidze avant de retrouver le Spartak Moscou avec lequel il remporte un Championnat soviétique (1989), une coupe soviétique (1992), 8 championnats russes (1992,93,94,97,98,99,2000,2001) et 3 Coupes de Russie (1994,1998,2003).

Au côté de ses joueurs dans le vestiaire, il apporta la culture de la gagne qui le caractérisa tout au long de sa vie. Leonid Trakhtenberg raconte :

« Un jour avant le match contre le Dinamo Moscou, Gennady Logofet rapporta que Simonyan, en détaillant la stratégie et la tactique de jeu, avait demandé à Nikolaï Starostin par une question rhétorique: « Avez-vous quelque chose à ajouter ? » Il y eut un silence inhabituel. Et tout d’un coup, Nikolaï Starostin roula le journal, sur lequel était écrit le brouillon de son discours, et en criant: « Allez! c’est le Dinamo! » frappa la mouche, qui se trouvait sur la vitre. Les joueurs ont tout de suite compris et ainsi se termina la réunion. »

Nikolaï Starostin a survécu à toutes les tempêtes et le Spartak avec lui. Et lorsque l’Union Soviétique s’effondre en 1991, c’est tout le foot russe qui est dans la tourmente. Et qui d’autre que « Tchapaïev » (Surnom donné à Nikolaï Starostin du nom du commandant de l’Armée rouge Vassily Tchapaïev, héros de la Révolution bolchevique) pour relancer le football russe ?

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Au côté d’Oleg Romantsev, Pavel Sadyrin, Valeri Gazzaev et d’autres, Nikolaï Starostin signe un mémorandum qui stipule le refus de participer au Championnat de football de la CEI supposé remplacer le Championnat d’URSS. Cela entraina une fronde vis-à-vis des instances sportives (Fédération de football de la RSFSR, l’Association Russe de football) et aboutit à la création de l’Union russe de football. En son sein, la Ligue professionnelle de football vit le jour, organisant ainsi un Championnat russe et une Coupe de Russie. À 90 ans, Nikolaï Starostin s’est donc battu jusqu’au bout pour le développement du football en Russie.

Sa mort le 17 février 1996 à l’âge de 94 ans a touché l’ensemble de la sphère footballistique russe, tant pour les amoureux du Spartak que pour ses adversaires. Car Nikolaï Starostin reste à jamais la personnalité marquante du Spartak mais aussi celle du Football russe en général.

Vincent Tanguy


Image à la une : © soccercoach.ru

Pour écrire cet article, je me suis appuyé sur ces trois livres :

Futbol skvoz gody (Le Football à travers les années) de Nikolaï Starostin (ici)

Zvezdy bolshogo futbola (Les stars du grand football) de Nikolaï Starostin (ici)

Bratia Starostiny (les Frères Starostin) de Boris Dukhon et Georgi Morozov