Cet été, pendant une dizaine de jours, nous avons eu le plaisir de nous rendre en Géorgie afin d’y réaliser un nouveau FootballskiTrip. Nous vous proposons aujourd’hui un récit de notre brève rencontre de 10 jours avec la Géorgie, ses habitants, son football, ses paysages, sa culture. En espérant continuer à vous faire partager cette passion commune encore de longues années. Quatrième épisode avec un voyage à Gori, terre natale d’un certain Joseph Staline.


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Les nostalgiques de l’Union soviétique et les amateurs d’histoire du XXe siècle connaissent forcément un personnage ayant vu le jour dans la petite ville de Gori. À 80 kilomètres à l’ouest de Tbilissi naquit en 1878 le dictateur le plus sanguinaire de l’histoire, Joseph Staline. On ne va pas vous faire un dessin, mais ce «bon» vieux Joseph a encore une sacrée cote de popularité dans la ville. À tel point qu’il ne faudrait surtout pas émettre de critique à son sujet devant un habitant de la ville. Le musée Staline, le train Staline, l’avenue Staline, la maison de Staline ou encore le supermarché Staline finissent de nous convaincre de l’aura de l’ancien dictateur dans la ville. Il ne manque plus qu’une gigantesque statue, qui existait encore il y a peu, avant d’être démontée, lorsque les habitants dormaient, en douce. Le ton est donné.

Bienvenue chez Joseph | © Footballski
Bienvenue chez Joseph | © Footballski

Fondée au XIIe siècle par le roi David le Bâtisseur, la ville est située non loin de l’Ossétie du Sud et fut la cible de nombreux bombardements durant le conflit d’août 2008. Avec ses 45000 habitants, la ville se relève aujourd’hui tout doucement de cette période, mais on estime que 56 000 personnes ont fui la ville à cause de la guerre. Les traces commencent à se résorber, les bâtiments bombardés ayant, pour la plupart, été reconstruits, surtout dans le petit centre-ville, très agréables en balade. Néanmoins les églises en parpaings apparents, les maisons abandonnées et les villages de réfugiés que l’on aperçoit de la route arrivant de Tbilissi nous rappellent également que la guerre a beau s’être arrêtée il y a 8 ans, les traces seront présentes pour de longues années encore. Gori a beau n’être que la septième ville du pays, son club local, le Dila, est actuellement l’un des meilleurs clubs du championnat. Fait notable, il a réussi remporté le championnat en 2015, au nez et à la barbe du Dinamo. Une ville avec une histoire peu commune, un club qui travaille bien, il n’en fallait pas plus pour nous convaincre de faire le court déplacement depuis Tbilissi. Et puis, quoi de mieux qu’un alléchant Dila Gori – Zugdidi pour passer son dimanche dans le lieu de naissance de Staline?

C’est encore quelque peu désemparé du dernier Dinamo Tbilissi-Guria (Lire aussi : #1 FootballskiTrip Géorgie: Le Dinamo Tbilissi, à la recherche de son age d’or perdu) que nous nous réveillons en ce matin dominical dans la capitale géorgienne. Pour la première et seule fois de notre séjour, nous nous décidons à prendre le métro pour nous rendre au Marché de Didube, lieu de départ des navettes pour toutes les villes du pays. Comme dans tout métro d’Europe de l’Est, celui-ci est extrêmement profond et peut servir d’abris antiatomiques en cas d’attaques. Quelques dizaines de mètres plus bas, nous nous retrouvons dans un wagon pas si désuet et arpentons l’une des deux lignes du réseau de la capitale. L’arrivée au Didube sera l’occasion de vivre un véritable dépaysement. Loin du centre-ville cosy que nous arpentons tous les jours, un bidonville où règne des dizaines de bus et taxis s’offre à nos yeux. Nos yeux toujours pas prêts à déchiffrer un alphabet géorgien qui donne à l’étranger de grosses difficultés à trouver un véhicule. Nous qui rêvions d’effectuer un trajet dans un bus traditionnel, nous partirons finalement en taxi partagé pour 10 laris l’aller-retour (4 euros) après nous être fait accoster par de nombreux chauffeurs qui nous proposaient le voyage pour 80 laris. À d’autres ; qui ne seront pas encore rompus aux joutes locales du marchandage.

Une heure de trajet plus tard, nous descendons en plein centre-ville juste derrière le musée de la star de la ville. Premier bâtiment repéré? Un supermarché avec une belle photo de Staline sur le mur. Ça commence bien. Les premières personnes que nous apercevons à la sortie du bus sont … les groundhoppers allemands rencontrés la veille au stade du Lokomotiv. Le temps d’échanger quelques cordialités avec eux, nous partons à la découverte de la vieille ville. Celle-ci a un certain charme, à notre surprise. Cependant, étant un véritable labyrinthe, nous la ferons en large et en travers pour trouver l’un des rares restaurants indiqués dans notre guide touristique. Un restaurant typique de l’Europe de l’Est, quinze serveurs pour une dizaine de clients, deux heures d’attente avant la prise de commande, mais à l’arrivée de très bons Khinkalis (raviolis géorgiens) qui nous permettront de tenir l’après-midi. Comme nous avons un peu de temps avant le match, nous en profitons pour découvrir un peu mieux Gori. L’une des attractions étant de tenter de sticker Joseph. Bien gardé, le moustachu est toujours aussi inaccessible. Tant pis, ce sont les statues en contrebas de la forteresse qui vont devenir Footballski. On en profite pour monter en haut de cette forteresse médiévale qui domine la ville afin de profiter du panorama sublime. De là, nous voyons parfaitement le Tengiz Burjanadze Stadium, lieu de notre étape suivante. En route !

Petit retour dans le passé | © Footballski
Petit retour dans le passé | © Footballski

Nous avons affaire à un petit stade champêtre, plutôt mignon. Deux belles tribunes latérales aux sièges blanc et bleu, avec un grand Dila Gori dessiné par l’agencement des sièges. Une vieille piste d’athlétisme a été recouverte par ces tribunes, mais les virages sont encore visibles. Dans un coin, un camion de pompier, probablement deux fois trentenaire, fait la sentinelle derrière les buts, offrant une très belle pièce de musée à la vue de tout le stade. Certes, cela change des deux stades ultras modernes de Tbilissi, ce qui, au fond, n’est pas pour nous déplaire. Espérons également que la ferveur footballistique ne soit pas la même que dans la capitale ! Pleins d’espoir, nous entrons au stade…sans billet, sans fouille ! Nous ne sommes pas une exception, personne n’achète de billet et personne ne contrôle quoi que ce soit.

On se dirige donc machinalement vers le milieu de la tribune, face au rond central, afin de profiter de la meilleure vue du match. Une technique habile que connaissent les policiers municipaux, qui, comme au stade du Dinamo, profitent de leur après-midi pour grignoter consciencieusement leurs graines de tournesol ; Europe de l’Est oblige. À notre gauche, dans un coin de tribune séparée, nous remarquons un groupe de quelques dizaines de supporters bien organisés qui commencent déjà leurs chants et détonnent dans l’ambiance locale. À bien y regarder, avec leurs grands drapeaux blanc et bleu et leurs t-shirts de la même couleur, ce sont des supporters du FC Zugdidi! Fortement intrigués par ce déploiement inhabituel pour la Géorgie nous décidons donc d’aller les voir, histoire de voir si l’on peut discuter un peu. Quelque peu surpris, le capo accepte gentiment dans un très bon anglais. Nous voilà donc installés, debout comme il est de rigueur, au Trengiz Burjanadze Stadion de Gori pour ce match d’Umaglesi Liga opposant le Dila Gori au FC Zugdidi, en compagnie des « Abrags » de Zugdidi, « hooligans » en langage mégrelien. Comme quoi la vie peut parfois nous pousser à faire des choses bizarres.

Le parcage en fusion ©Footballski
Le parcage en fusion | © Footballski

La Mingrélie est une bien jolie région, mais elle est surtout très éloignée de Gori, au moins de 250 km et 4h de route. Une distance que la vingtaine de jeunes supporters présents a faite… en stop. Quant aux 20 autres supporters qui devaient bien avoir la quarantaine avancée lors de l’indépendance de la Géorgie, ils sont venus en marshkrutkas (le bus local). Complètement intrigués par ces supporters peu communs pour des Géorgiens, nous allons suivre tout le match avec eux avec l’envie d’en savoir plus sur leur groupe de supporter et l’engouement dans leur région. Peut-être y a-t-il finalement des régions ferventes pour le football en Géorgie ? Nous avons à peine le temps de comprendre que leur groupe compte 45 personnes pour les matchs à l’extérieur et que leur stade de 3000 places (pour une ville de 90 000 habitants) est rempli toute l’année, que tout le monde se met en place pour l’hymne. Rituel immuable en Géorgie, l’hymne retentit tandis que les deux capitaines font lever dans le ciel la bannière frappée de la croix de Saint George. Il est alors temps de se mettre aux chants locaux, certains faciles à reprendre (Abrags Zugdidi allez allez !!! »), d’autres plus sophistiqués, comme un hymne officieux, d’autres plus facilement traduisibles…(« referee homosexual »). Malheureusement, placés juste devant le but de leur équipe en cette première mi-temps, ils seront aux premières loges pour assister à l’erreur d’alignement qui amène le premier but du Dila Gori, très large favori de ce match, dès la 8e minute. Puis au magnifique enchaînement contrôle-reprise de volée pleine lucarne sur le deuxième et enfin au troisième but, d’une belle tête décroisée. 3-0 à la 30e minute, les chants s’estompent légèrement, mais reprennent de plus belle quand un des supporters juste arrivé, qui a sans doute eu quelques problèmes de stop, décide de se passer du capo et engueule quiconque ne reprend pas les chants avec assez de ferveur. D’autant qu’il ne semble pas forcément apprécier les trois touristes du jour, qui font pourtant le maximum pour pousser avec le FC Zugdidi, dans « sa » tribune.

À la mi-temps, les plus énervés peuvent aller se détendre griller quelques clopes à l’extérieur du stade. Nous en profitons pour poser un maximum de questions. La ferveur tout d’abord. Ils ne nient pas que la Géorgie n’est pas, ou plus, une terre de football, mais eux viennent d’une ville qui s’y adonne plus qu’autre part. Le stade actuel de 3000 places étant trop petit, il est prévu d’en construire un de 9000, au moins une taille mesurée, qui devrait être plein la majeure partie des matchs. D’après eux, toutes générations, femmes, enfants, vieux, viennent au stade. En général c’est en fait toute la partie ouest du pays qui se prête bien plus facilement au jeu, à Samtredia, Batumi (qui construit également un très beau nouveau stade) la culture football est bien plus présente. D’ailleurs ils auraient réussi à attirer un mystérieux sponsor ukrainien, bien disposé à investir dans le club pour le monter en barrage d’Europa League dans 3 ans. Pour l’instant l’objectif principal du club est de se maintenir (nous apprendrons par la suite que cet investisseur est en forte difficulté financière en Ukraine et que personne ne le voit capable d’apporter de l’argent au club à cet instant).

« La Russie galope derrière l’Europe et le corps ensanglanté qu’elle traine par une corde derrière elle est la Géorgie. »

Les symboles ensuite. Le groupe a installé 3 bâches devant son parcage qu’ils se font un plaisir de nous expliquer. La première est assez simple et indique, en géorgien « Jouez pour les abrags ». Une deuxième nous intrigue en revanche un peu plus ou l’on voit une sorte de château et un cavalier masqué qui brandit une écharpe où est écrit une autre inscription en géorgien. Là, il faut ressortir les livres d’histoire pour comprendre ce que cela signifie pour les habitants de Zugdidi.

Le château en fond représente le palais Dadiani, palais des princes de Mingrélie, dont Zugdidi est la capitale et le château son emblème. Château où est exposé d’ailleurs le masque mortuaire de Napoléon Bonaparte ainsi que plusieurs ouvrages de sa bibliothèque personnelle, donnés par la princesse Salomé Dadiani Murat, épouse d’Achille Murat, arrière-petit-neveu de l’empereur. Il se retrouve d’ailleurs dans le blason du club (le château, pas le masque). Le bandit à cheval est une référence forte pour les Géorgiens puisqu’il s’agit de Arsena Odzelashvili, plus connu sous le nom de Arsena de Marabda, le Robin des Bois géorgien, qui au tournant du 17e et du 18e siècle volait les riches pour aider les pauvres. Un personnage très populaire qui a beaucoup inspiré la littérature locale donc. Sous la plume de Mikheil Javakhishvili, Arsena devient alors un héros du peuple géorgien du début du 19e siècle, luttant à la fois pour son indépendance vis-à-vis de la Russie, et pour le progrès social. Une phrase de cette œuvre, publiée en 1933, fait particulièrement sens dans le contexte actuel et a valu à Javakhishvili de sévères persécutions du pouvoir soviétique bien qu’il la fasse sortir de la bouche d’Arsena : « La Russie galope derrière l’Europe et le corps ensanglanté qu’elle traine par une corde derrière elle est la Géorgie ». Une référence forte donc qui plus est quand le personnage tient à bout de bras une écharpe où il est écrit Zugdidi, ville située à 30km seulement de la frontière abkhaze. Troisième bâche, surement la plus chargée en symbole, mais plus facile à lire : le drapeau géorgien où les régions perdues d’Abkhazie et d’Ossétie ressortent en rouge vif tels deux blessures non cicatrisées. En dessous le message « l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud nous appartiennent ». Sur les côtés trois symboles barrés : la faucille et le marteau et le cochon aux couleurs du drapeau russe, facile, mais aussi le nombre 37. Autre référence à l’ère soviétique quand le rouble était en vigueur et la Géorgie, membre du championnat d’URSS, où 37 roubles représentaient le prix d’un ticket pour un match de football. Ces gars ont beau être supporters de Zugdidi et appeler leur groupe « hooligans », ils montrent également qu’ils ont des références historiques assez pointues dans leurs banderoles pour nourrir des revendications politiques.

Du côté du match, les joueurs de Zugdidi poussent encore pour revenir au score, ce qui arrive dès la 48e. Mais à force de se projeter vers l’avant, des brèches s’ouvrent derrière et les joueurs du Dila Gori inscrivent un 4e but. Petit suspens à 10 minutes de la fin quand le tableau d’affichage commence à disjoncter et change aléatoirement le score en 7-1, 8-1 ou encore 9-1. « Nulli, nulli !! » (Zéro, zéro !!) hurlent les Abrags, dépités par le match, qui préfèrent en rire. Enfin, une scène incompréhensible au coup de sifflet final, le capo jette son maillot sur le terrain. À ce signe tous les supporters quittent le stade d’un coup, ne laissant même pas le temps à leurs joueurs de venir. Au bout de quelques minutes, tout ce petit monde revient au bord du terrain. Le capitaine de l’équipe vient alors la tête basse et se voit sommer par ses propres supporters de récupérer le maillot à terre pour le leur redonner tandis qu’ils lui passent un savon mémorable. Démonstration surréaliste de l’ardeur de ces supporters quand il est question de leur équipe, qui vient d’encaisser 4 buts pour son deuxième match de la saison. Tout cela se termine par des encouragements et des serrages de main pour tout le monde. Après avoir vécu l’apathie générale d’un match du Dinamo Tbilissi, ce spectacle d’un capitaine s’inclinant devant ses supporters nous laisse sans voix.

Antoine Jarrige


Image à la une : © Footballski

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