Les chiffres confirment que Zavrč est un phénomène dans le monde du sport. Le club, créé en 1969, représente l’une des plus petites municipalités slovènes ne disposant qu’un peu plus de 80 personnes enregistrées, un centre composé de 20 maisons et une brasserie où la pinte de bière coûte 1€80. « Nous cherchons à nous qualifier pour le Guinness Book Records », ironise le président Miran Vuk, qui cherche en vain un cas similaire dans le monde entier. Depuis son arrivée à la présidence en 2008, le club est passé du sixième échelon (2ème ligue de Ptuj), dans lequel il n’a pas perdu un seul point, à la première division en 2013. Avant cela, le club avait connu deux saisons en seconde division dans les années 2000, plombées par le manque de moyens. C’est alors que l’homme d’affaires Miran Vuk, également maire de la ville à ses heures perdues, a entrepris conjointement avec son frère Roman de financer le club de football. Bien leur en a pris, car depuis quelque temps, les caméras du pays et de l’étranger se braquent sur le paisible hameau pour la première fois depuis 1998 et la découverte par la police croate d’une fourgonnette pour l’espionnage utilisée par un agent slovène, à une période de tensions entre les deux pays dans le domaine des frontières terrestres et maritimes.

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© delo.si

Un petit club aux dents longues

Dans la petite ville qui se trouve le long de la frontière slovèno-croate, le long de laquelle coule la douce Drava, le football est l’attraction numéro un depuis quelques années. Il faut dire que l’équipe de direction, conduite par les frères Vuk, n’a pas peur des défis. Le dernier en date est le recrutement de joueurs ayant un vécu au haut niveau européen. A Zavrč évoluent désormais l’ancien Bordelais et international espagnol Albert Riera, l’ancienne star du football en Bosnie-Herzégovine, Zlatan Muslimović, et un groupe de jeunes joueurs moins connus, venant pour la plupart de villes voisines en Croatie. Pour diriger tout ça, Milko Đurovski, ex-international yougoslave ayant joué dans les deux grands clubs de Belgrade et au Nîmes Olympique. Un projet suffisamment ambitieux pour que le président vise une première qualification européenne : « L’équipe est bonne. Nous avons recruté des joueurs qui nous renforcent véritablement. Je crois que nous pouvons nous battre cette saison pour la deuxième ou troisième place. Notre objectif final est la troisième place. » C’est avec ce projet que le petit club offre de nouveaux plaisirs à son fidèle public qui garnit le stade municipal; fraîchement agrandi et rénové.

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A la grande surprise de tous, le sponsor maillot est RM Vuk Holding ! | © Drago Wernig / Ekip

Mais si le club a fait l’actualité ces dernières semaines, c’est bien pour la valse des entraîneurs. En quatre mois, quatre se sont succédé, avec des bonheurs bien différents. Le Croate Ivica Solomun, après un début moyen, a laissé sa place au Serbe Slavko Matic qui a enchaîné 5 victoires et 2 nuls en 7 matchs avant de partir du côté de Koper, qui lui proposait plus d’argent. Pour le remplacer, Vuk croyait avoir une idée lumineuse en ramenant Peter Pacult, l’ex-international autrichien meilleur buteur de la Ligue des Champions 1990-91 (à égalité avec Jean-Pierre Papin). Mais la barrière linguistique en a décidé autrement après deux matchs. « Cette année, nous n’avons pas de chance avec les entraîneurs. Matic était bon et nous sommes désolés qu’il ait rejoint Koper. Nous voulions le garder. Pacult avait de la qualité, il a voulu instaurer un entraînement à l’allemande, mais les garçons ne comprenaient pas ses exigences.« 

Comme le maire-président a quand même voulu avoir un nom connu sur le banc, mais qui parle la langue, Milko Đurovski a été l’heureux élu. L’ancien grand nom du football yougoslave est connu pour avoir fait parler la poudre lors d’un transfert très audacieux de l’Etoile Rouge au Partizan il y a trois décennies. Sa carrière d’entraîneur plus modeste l’a poussé à quitter le club slovaque de Zlaté Moravce (où jouent trois anciens de Maribor) pour rejoindre les Ours. Les retards ou non versement de salaires en Slovaquie ont convaincu le Macédonien de s’installer à Zavrč. Au moins jusqu’en hiver. « Je suis sûr qu’il restera jusqu’à la trêve hivernale, » assure plein de conviction Miran Vuk.

Les frères Vuk, bienfaiteurs ou escrocs ?

Vous l’aurez compris, les deux frères omniprésents sont les mécènes d’un club dont les ressources sont forcément limitées. Dans un village de 80 habitants, les entreprises ne sont pas légions et les sponsors ne courent pas les rues. Même en ajoutant tous les patelins autour, il n’est pas aisé de trouver des ressources pour pérenniser un club de football. Heureusement, le village compte un habitant figurant dans le top 20 des plus riches du pays. Selon la revue slovène Manager, les actifs de Miran Vuk sont estimés à 29,3 millions d’euros. Une situation pas forcément enviable pour autant puisque Miran et Roman Vuk sont aussi visés par une enquête de la police de Maribor pour évasion fiscale à hauteur de 4,17 millions d’euros, falsification et destruction de documents. Les enquêtes portent sur les entreprises appartenant à la société détenue conjointement par Miran et Roman Vuk engagée dans le secteur de l’énergie, RM Vuk Holding, aussi sponsor du club et qui emploie 600 personnes dans le Monde. Pour ne rien arranger, les constatations de la police font également état d’un retrait de 17 millions d’euros en espèces depuis des comptes de sociétés domiciliées dans l’UE et au-delà. Dans la foulée, Miran Vuk a nié toute action illégale mais s’est déclaré en faillite personnelle et cherche un repreneur pour sa société.

Nous allons organiser des gardes de village, le stade ne sera plus celui des réfugiés !

Cela ne l’empêche pas de continuer à exercer une forte influence dans sa région. C’est ainsi que l’on a pu l’entendre sur le sujet des réfugiés. Il y a un mois, quinze autobus dans lesquels siégeaient un millier de réfugiés passaient la frontière slovène en provenance de la Croatie, non loin du stade de Zavrč. La police slovène a séparé le groupe, emmenant 650 personnes qui ont dormi dans le stade que Vuk venait de rénover et d’agrandir. : « Ce ne sont pas des réfugiés. Les réfugiés étaient ceux qui venaient de Bosnie et qui étaient reconnaissants. Eux sont des hordes sauvages qui s’octroient le droit de tout détruire et salir. Ils laissent leurs merdes derrière eux et ont dégradé le stade. Il faut nettoyer tous les jours leurs ordures, plus personne ne veut le faire ! Nous allons organiser des gardes de village, le stade ne sera plus celui des réfugiés ! » Vuk a par ailleurs décrété l’état d’urgence et demandé la fermeture illico des frontières.

Un projet à long terme

Depuis sa montée dans l’élite, Zavrč mise beaucoup sur les infrastructures. Chose rare en Slovénie, un petit mais fonctionnel centre d’entraînement a été créé avec deux terrains impeccables. Le stade, lui, s’est doté d’une belle tribune de 1100 places, de quatre vestiaires et d’une salle de physiothérapie. Sans compter un nouvel espace pour les journalistes, la buvette ou un nombre conséquent de places de parking. Bref, le grand luxe ! Depuis cette saison, le club peut jouer dans son nouveau joyau et attirer une foule comprise entre 600 et 1000 personnes. Un nombre qui pourrait s’accroître au fur et à mesure de la stabilité du club. Son budget pour la saison, lui, reste inchangé et se situe aux alentours de 500.000€. La stratégie cible donc dans les infrastructures et les investissements à long terme pour assurer la pérennité du club. C’est dans ce sens qu’une académie a été inaugurée en 2013, l’année de la montée en prva liga : « Nous espérons que nos équipes de jeunes arrivent dans les ligues majeures de leurs catégories. Voilà pourquoi nous avons fait venir des jeunes croates qui ont déjà joué à un haut niveau dans leur pays. On espère que d’ici un an ou deux, certains puissent intégrer l’équipe sénior. C’est notre objectif. » assure Miran Vuk. Une chose est sûre :  Zavrc est obligé de piocher à l’extérieur de sa localité. Entre Ptuj et Zavrc, il y a très peu d’établissements scolaires et de jeunes à disposition. Sans surprise, la direction a donc décidé d’étendre sa zone de recherche de Maribor jusqu’en Croatie, à Cakovec et à Varazdin.

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Même Pepe Reina est fan de Zavrc | © Twitter

Première dans l’histoire du club, un directeur sportif est arrivé au club cet été pour permettre une préparation plus approfondie. Celui-ci a quitté le navire en même temps que le coach Matic. Vuk ne compte pas le remplacer, préférant attendre le mercato d’hiver afin de réfléchir à une nouvelle façon d’aller de l’avant. Un départ de plus dans un staff qui connaît un turnover digne du secteur des fast-foods. Pour assurer un contrepoids nécessaire, Milan Emersic, l’adjoint, est resté au club même quand Vuk changeait de coach comme de sous vêtement. Ainsi, les joueurs se tournent vers lui dans les moments d’incertitude, et gardent confiance. L’intermédiaire parfait entre le coach principal et les joueurs, en somme. En huit ans au club, l’homme peut se targuer d’avoir tout connu : « Nous avons vécu de beaux moments dans le stade précédent comme cette victoire 5-0 contre Domzale en coupe. Maintenant il y a un nouveau stade qui est un bijou et c’est l’une des raisons de ma fidélité au club. »

Zavrc, qui passera un hiver de plus à la maison faute de moyens suffisants pour aller s’entraîner en Turquie, a déjà quasiment assuré son maintien. Bien que les choses aillent dans le bon sens, personne ne sait si le club poursuivra ses avancées ou retombera dans l’anonymat. Une chose est sûre: le pari des frères Vuk est gagné. Sans le football, personne n’aurait jamais entendu parler de Zavrc. Enfin, si, peut-être à cause du scandale de la fourgonnette espionne ou des réfugiés…

Damien Goulagovitch


Photo à la une : © Drago Wernig / TAKA

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