Entre résultats insignifiants sur la scène européenne, infrastructures obsolètes et organisation désastreuse, il est peu de dire que l’état du football bosnien laisse à désirer. Malgré ce contexte pesant, un groupe de supporters du NK Čelik Zenica, largement soutenus par les nombreux ultras de « Robijaši 1988 Zenica », a pris l’initiative de vouloir réorganiser entièrement leur club et de le rendre aux supporters. Pour cela, l’organisation nommée « Za Čelik » compte faire adopter le système : un membre, un vote. Afin d’y voir plus clair, un adhérent de Za Čelik, Tarik Ajanović, a très gentiment accepté de nous expliquer les spécificités de ce système qui est peu courant dans les Balkans.

za celik, zenica

Un système de gouvernance désastreux

La grande aventure débute en 1945. Cette même année, les Partisans (mouvement armé de la résistance yougoslave) libéraient la ville de Zenica, en plein cœur de la Bosnie. Il n’y a alors que peu d’activité mais beaucoup de ressources naturelles. Il n’en faudra pas plus pour que la ville se développe et devienne l’un des plus grands producteurs d’acier des Balkans. Le NK Čelik Zenica est l’enfant de la nombreuse classe ouvrière de l’époque. Son nom, Čelik, signifie d’ailleurs acier. La ville accueille également la plus grande prison de la région, d’où le nom des ultras Robijaši, qui signifie les détenus. Le club devient rapidement l’une des équipes les plus populaires du pays. Côté sportif, le bilan est plutôt glorieux avec 17 saisons passées dans la première ligue yougoslave, puis, après l’indépendance, trois titres gagnés de rang de 1994 à 1997 ainsi que deux coupes nationales (1995, 1996). Seulement voilà, depuis la fin des années 1990, l’organisation du club est défaillante et les dettes se font de plus en plus oppressantes.

Pour Tarik, l’origine du problème n’est pas à chercher bien loin : « Notre club a un très mauvais système de gouvernance pratiqué depuis deux décennies. La responsabilité incombe aux nombreuses personnes impliquées, plus ou moins loin, dans les structures de management du club. Aucun d’eux n’a voulu créer une stratégie à long terme pour le bénéfice et le développement du club ». Celui-ci étant déficitaire chaque année jusqu’à atteindre une dette de 5 millions d’euros pour un budget annuel de 600.000 euros en 2014. D’où le questionnement des fans, indignés par le manque total de transparence, sur la destination de l’argent.

En Bosnie-Herzégovine, les clubs n’ont pas le droit d’être privatisés ce qui fait l’affaire des politiciens locaux et riches businessmen. Ces derniers prennent en otage le club, ne devant leur présence qu’à des cercles d’influences plutôt qu’à de réelles compétences. Chacun pense à ses propres intérêts, totalement incompatibles avec ceux du club. Čelik s’est ainsi retrouvé avec un fonctionnement aberrant. Personne n’était autorisé à devenir membre du club, la direction ayant refusé tout d’un coup d’émettre des formulaires d’inscription. Les rapports financiers du club n’étaient pas présentés dans le détail et n’étaient même pas publics alors que les informations vitales étaient systématiquement cachées. Certains postes inhérents à tout club de football étaient laissés vacants, comme celui de directeur sportif.

« Notre club a un très mauvais système de gouvernance pratiqué depuis deux décennies. La responsabilité incombe aux nombreuses personnes impliquées, plus ou moins loin, dans les structures de management du club. Aucun d’eux n’a voulu créer une stratégie à long terme pour le bénéfice et le développement du club »

Les supporters, à qui on a fait passer pendant 20 ans des résultats plus que moyens comme des résultats satisfaisants, ont compris que le gouffre était tout proche : « La situation était très inquiétante et l’avenir du club était remis en cause. C’est la principale raison de notre initiative pour changer le système avec l’adoption de nouveaux statuts au club qui pourra servir de base à la reprise en main et aux succès futurs. C’est pourquoi notre slogan est : Novi sistem – novi statut ! »

Ce nouveau statut, basé sur : un membre, un vote, autorise chaque personne de 18 ans et plus à devenir adhérente à l’Assemblée Générale et à pouvoir voter et à participer aux décisions managériales du Čelik. Le but étant d’instaurer une démocratie, de regagner la confiance des fans et des entreprises locales tout autant que d’instaurer de nouvelles stratégies pour que le club aille de l’avant.

Un boycott nécessaire

Le club avait une des meilleures affluences de la ligue à “Bilino Polje” (stade de 15.000 places, construit en 1972 et rénové en 2012) même durant les périodes où le club luttait contre la relégation. Cependant, la prise de conscience des fans et des sympathisants a provoqué le début du changement. Plus personne ne voulait accepter que des escrocs gouvernent le Čelik après avoir tant subi sportivement. Tarik résume ainsi la situation: « La direction nous promettait une lute pour les premières places et chaque année nos résultants étaient pires. Sur les dernières années, chaque saison, nous avions de moins en moins de spectateurs, bien que les plus loyaux, Robijaši 1988 Zenica, étaient toujours là ». En début de saison, ces derniers ont commencé à émettre des protestations concernant les résultats et le piteux management. Puis ils ont décidé de boycotter les matchs en voyant que rien ne changeait. Dès lors, le groupe « Za Čelik » a été formé avec tous les déçus qui voulaient offrir des solutions. Les fans et sympathisants ont commencé à travailler ensemble pour remédier à la situation et remettre le club sur de bons rails.

za celik 1
Novi sistem – Novi statut !

Dès le début du projet, Robijaši 1988 Zenica a donné son soutien,  via son association Robijaši 1988. Les citoyens ordinaires, eux, voient d’un œil favorable ce programme, bien qu’il y ait toujours des sceptiques qui ne croient pas en la possibilité d’une nouvelle gestion miraculeuse. Tarik remarque tout de même que plus le projet avance, plus les gens commencent à se persuader en un changement positif. La bonne communication a permis à tout le monde de voir les avancées progressives : « En plus de la présentation des statuts et des analyses sur les réseaux sociaux, nous avons fait diverses apparitions dans les médias qui ont atteint des dizaines de milliers d’auditeurs et de téléspectateurs. Nous avons organisé une marche pacifique dans la ville pour sensibiliser la population puis une campagne de communication où des fans ont montré leur soutien en envoyant des photos et vidéos des quatre coins du monde avec le hashtag #ZaČelik. Nous avons aussi organisé des interviews avec des joueurs, coachs et citoyens médiatiques de Bosnie Herzégovine et d’ailleurs qui nous ont aussi donné leur support et leur appui ».

Les solutions

La clé pour le changement est à chercher du côté de l’Assemblée Générale du club. C’est le sommet de la hiérarchie depuis l’enregistrement légal comme association de citoyens de la même façon que tous les clubs bosniens. Dans le cas où le statut change, comme c’est le souhait des membres de Za Čelik, tous les membres de l’Assemblée Générale changent aussi. Après avoir rédigé un nouveau statut et un plan de développement pour la restructuration du club, l’organisation a présenté sa version basée sur le modèle de socios.

Ainsi, le mois dernier, un groupe de travail a été organisé avec 7 membres : un de Za Čelik, un de Robijaši 1988 Zenica et 5 de l’Assemblée Générale. Des suggestions ont été données avec notamment la proposition du nouveau statut. Désormais, il faut attendre l’assemblée générale annuelle du club qui votera (ou pas) le nouveau statut le 8 Juin:

« Les réunions ont jusqu’ici été très constructives avec une bonne coopération donc nous espérons que cela gardera l’élan et que le nouveau statut sera adopté. S’ils n’acceptent pas,  beaucoup de temps sera perdu et cette lutte pour le club pourrait partir dans une direction différente. Nous avons un plan B pour cette situation mais il serait préférable pour tout le monde que cela ne soit pas nécessaire et que le modèle de membres sera acté. Tout comme la coopération avec les autorités qui fournirait la synergie nécessaire pour améliorer tous les aspects du club ».

Si ce nouveau statut est adopté, une nouvelle Assemblée Générale sera créé. Les membres éliront alors le nouveau conseil d’administration et le conseil consultatif. Ensuite le nouveau conseil d’administration (président du club + directeurs des services) élira la nouvelle structure de management  (Directeur Général, Directeur sportif, Directeur des équipes de jeune, secrétariat).

Un des faits les plus importants est également l’accord de coopération passé avec Supporters Direct Europe. L’organisme qui aide à la création ou reprise de clubs par les supporters, comme ce fut le cas avec AFC Wimbledon, FC United Of Manchester ou plus récemment Portsmouth et bien d’autres, a offert aux bosniens leur réseau de contact et d’expérience et sera d’un grand appui si le club obtient un nouveau statut. Quant à la mairie de Zenica, elle est prête à donner son soutien puisque un des membres du Groupe de Travail était un représentant de la ville et a assuré une pleine coopération. Reste à savoir si cette coopération ira dans la direction désirée et si elle produira un résultat positif.

Un nouveau statut pour de nouveaux objectifs

Za Čelik
Za Čelik

Le nouveau statut représentera un système qui permettra une plus grande transparence pour ouvrir de nouvelles portes au club tant du point de vue du sport que du business. Čelik aura des fans plus fervents, ce qui attirera de nouveaux sponsors.  Le nouveau management concentrera son attention sur le développement des activités marketing avec les sponsors et rationalisera l’efficacité du travail au club. L’aide de la ville sera aussi très importante pour les accès aux infrastructures et aux subventions. Tarik compte aussi  « demander des fonds supplémentaires auprès des autorités régionales pour des projets de développement et non plus pour les dépenses courantes comme avant. Malgré cela, nous allons chercher à créer un système qui aura pour but de devenir de plus en plus indépendant en réduisant certains coûts bien trop élevés à l’heure actuelle et an améliorant largement la politique commerciale ». Les fans et l’organisation se sont mis d’accord pour convenir d’une période minimale de stabilisation qui durera cinq ans. Cela servira à générer des revenus plus importants et à travailler comme un club sain. Uniquement après cette période, le club pourra être ambitieux sportivement. En ce qui concerne la dette, le programme promet de résoudre les problèmes au bout de 10 ans par le biais d’une loi récemment adoptée.

Différents projets devront être appliqués pendant la période de stabilisation du club. C’est notamment concentré autour des équipes de jeunes avec la construction d’un camp d’entraînement adaptés à leurs besoins avant de penser, pourquoi pas un jour, à une académie. Posséder ses propres infrastructures d’entraînement pour ne plus être dépendant de la ville est aussi un projet à plus long terme. En attendant, Čelik pourra utiliser les infrastructures de la ville qui sont très bonnes (à l’échelle bosnienne).

Nous laissons Za Čelik conclure à propos de ses rêves : « Nous croyons que nous pouvons nous battre pour un meilleur Čelik ensemble, qui représenterait l’idéal de l’amour de la ville de Zenica. Toutes les grandes choses sont faites par le biais d’âpres combats, et nous sommes prêts à affronter les difficultés pour notre Čelik. Nous sommes fiers de ne pas avoir tourné le dos à notre club dans les moments les plus sombres et nous espérons vraiment que d’autres clubs et ceux qui les aiment trouveront un moyen eux aussi de résoudre leurs problèmes. Nous avons tous l’objectif commun de rendre notre ligue la plus forte et la plus compétitive possible ». La capitale de l’acier redeviendra peut-être bientôt celle du football dans la région. Grâce à l’amour de ses supporters qui ne l’auront jamais laissé tomber.

Hvala Tarik i Za Čelik !

– leur site web

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Damien Goulagovitch

3 Comments

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  3. Corentin Rodriguez 7 juin 2017 at 10 h 28 min

    Super intéressant! Belle leçon de ferveur et de sport business

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