Au panthéon du football yougoslave, il y a des noms qui brillent comme Safet Susic, Dragan Stojkovic ou Dragan Dzajic. Le nom de Xhevat Prekazi ne vous dira certainement rien. Pourtant le joueur a réussi à devenir une idole au Partizan Belgrade et à Galatasaray, grâce à un pied gauche fabuleux.

Deux titres de champion avec le Partizan Belgrade

L’histoire de Xhevat Prekazi commence dans la province du Kosovo. Natif de Mitrovica, Prekazi fait ses premières armes dans le grand club de la ville : le FK Trepca. Après quelques apparitions remarquées en équipe des moins de 21 ans de la Yougoslavie, Prekazi est recruté par le Partizan Belgrade en 1975, alors qu’il n’a que 18 ans.

Le jeune Prekazi devra attendre quasiment deux ans pour gagner sa place de titulaire au sein de l’armada noire et blanche. Il faut dire qu’à l’époque, après une dizaine d’années de disette, le Partizan redevient champion en 1975-1976. Prekazi devient très vite le chouchou d’un des grands joueurs de l’époque comme il le raconta à Blic.rs en 2004 : « Pendant un entraînement, Golac me marquait. J’ai bien joué, réussissant à lui mettre un petit pont. Le coup d’après, il m’a fait valser, de manière virile… Je suis tombé par terre. Bora Djordjevic, une légende du Partizan et de l’équipe de Yougoslavie, est venu et m’a relevé. Il m’a dit :  « Gamin, ne t’en fais pas ! Continue à jouer comme ça. » Je me suis toujours souvenu de ces mots et j’ai suivi ce conseil toute ma vie. Même aujourd’hui avec les vétérans ! »

La saison 1977/1978 se déroule comme dans un rêve pour Prekazi et ses coéquipiers. Ils n’étaient pourtant pas favoris : « Notre objectif était de finir dans les quatre premiers. Objectivement, l’Etoile Rouge, le Dinamo Zagreb et l’Hajduk avaient de meilleures équipes. » Cette génération, menée par l’entraîneur Ante Mladinic, ne perd pourtant qu’un match cette saison-là et prend 54 points sur 60 possibles – un record jamais battu dans le championnat de Yougoslavie.

partizan

Cependant, la suite est moins rose. Aleksandar, qui gère le site Crno-Belo nostalgija dédié à l’histoire du Partizan, nous explique : « Il a vécu une des périodes les plus turbulentes du club. Après une excellente saison 77/78 où le Partizan a brillamment remporté le titre, le club est entré dans la plus grande crise de son histoire et a évité de justesse la relégation en 78/79. Puis la situation s’est améliorée graduellement chaque année jusqu’au titre de 82/83. »

Malgré ce deuxième titre, la romance entre Prekazi et le Partizan finit mal. Après cette saison victorieuse, Prekazi est relégué sur le banc avec deux autres coéquipiers, soi-disant « trop fêtards ». A l’hiver 1983, Prekazi demande à être transféré. L’Etoile Rouge tente de chiper la vedette du Partizan mais Prekazi ne veut pas être déloyal. Il signe donc à l’Hajduk Split pour rejoindre l’entraîneur Mladinic, un choix qui fâchera dans les rangs des supporters du Partizan comme l’explique Aleksandar : « Tout le monde était furieux quand il est parti à l’Hajduk Split ! Mais aujourd’hui tout cela est pardonné. Il n’a laissé que des bons souvenirs ; c’était un excellent footballeur, un ailier gauche avec une frappe très puissante et des coups-francs exceptionnels. »

La parenthèse Hajduk Split et soccer américain

Xhevat Prekazi se retrouve donc sur les bords de l’Adriatique à l’hiver 1983. A Split, Prekazi connait un an et demi de football magnifique. Avec les Blaz Sliskovic, Zoran Vulic, Dusan Pesic et autres, il réussit une campagne européenne fantastique au printemps 1984. Après avoir sorti Budapest Honved, Radnicki Nis et Sparta Prague, ce sont les Anglais de Tottenham Hotspur qui arrivent en demi-finale. Les Yougoslaves ne sont éliminés que par la règle du but à l’extérieur, alors qu’ils avaient réussi à renverser la vapeur à Split, gagnant 2-1 alors qu’ils étaient menés. La saison suivante, l’Hajduk finit vice-champion de Yougoslavie à 4 points du FK Sarajevo de Safet Susic.

Après cette saison et demie à l’Hajduk, Prekazi veut aller à l’étranger : « J’ai failli signer à Bordeaux mais cela n’a pas marché au final. Puis Branko Perovanovic m’a invité aux Etats-Unis pour jouer au soccer indoor. Je suis parti à Baltimore où j’ai joué pour les Baltimore Blast pendant 6 mois. Je jouais aussi avec Stamenovic, le meilleur joueur indoor que j’ai jamais vu. Nous avons atteint les finales de play-off cette année-là. J’ai gagné beaucoup d’argent là-bas, bien plus qu’à l’Hajduk. »

La gloire en Turquie

Après cette parenthèse américaine, Prekazi atterrit en Turquie. Il signe dans un Galatasaray affaibli en 1985. @dingosports, supporter de Galatasaray, nous explique le contexte : « Il est arrivé à une période où Galatasaray n’avait plus gagné le titre depuis 14 ans. Il fut indispensable dans la quête de deux titres de champion consécutifs qui ont mis fin à cette période de disette. » En 1987, Galatasaray gagne le championnat avec un seul point d’avance sur le Besiktas avant de remporter le suivant avec douze points d’avance.

@dingosports se rappelle d’un joueur très atypique : « Prekazi avait un style unique avec du gel dans les cheveux, les chaussettes baissées et le maillot en dehors du short donc il est devenu un modèle pour beaucoup de jeunes à l’époque. De plus, il était à Galatasaray à l’époque où chaque équipe ne pouvait comporter que deux étrangers. »

S’il est une légende de Galatasaray, il le doit également à un but qui est resté dans les mémoires à Istanbul. En 1989, Galatasaray joue les quarts de finale de la coupe des clubs champions contre le Monaco d’Arsène Wenger. Les Turcs l’emportent 1-0 sur le Rocher puis Prekazi envoie un coup-franc d’anthologie au match retour pour assurer la qualification de Galatasaray. La route s’arrêtera cependant en demi contre le Steaua de Gheorghe Hagi, future idole des Turcs.

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Prekazi reste toujours un joueur fantasmé des années 1980 : « Pour tous ceux qui ont suivi le football turc dans les années 1980, il était un joueur spécial. Bien entendu, il a depuis été surclassé par Hagi notamment mais Prekazi reste une légende du club. Il est l’étranger qui est resté le plus longtemps à Galatasaray, ce qui reste remarquable compte tenu des règles drastiques de l’époque. Il reste mon joueur préféré toutes époques confondues. »

En 1991, Prekazi quitte Istanbul et signe dans un petit club turc Altay. De retour sur le terrain de Galatasaray avec ses nouvelles couleurs, il est plébiscité par les supporters locaux qui chantent pendant de longues minutes « Nous ne pouvons t’oublier. » L’histoire d’amour entre Prekazi et la Turquie ira au-delà du football comme il l’expliqua à Blic.rs : « En Turquie, j’ai vécu les plus grands honneurs qu’un homme et un footballeur puisse connaître. Je fus reçu par le président de la Turquie Kenan Evren. Il m’a décoré. Le président suivant Turgut Ozal m’a donné un passeport turc. Mais j’ai refusé de changer mon nom. Avoir la citoyenneté turque, d’accord mais j’ai gardé mon nom. Ils ont accepté, bien que tout le monde ait à changer son nom en obtenant la citoyenneté turque. »

Xhevat Prekazi fut Dzevad au Partizan, Jeff aux Etats-Unis, Cevad en Turquie mais il resta toujours intimement lié à la Yougoslavie : « Tout ce qui est arrivé fut et reste encore très douloureux pour moi. Je n’ai jamais eu de problème à Belgrade étant de communauté albanaise. Toute ma famille vivait au Kosovo, la maison dans laquelle je suis né à Mitrovica, fut rasée. Qu’est-il arrivé à ma belle Yougoslavie ? Aujourd’hui, je ne peux pas aller à Split sans passeport et visa, alors que j’y ai joué pendant un an et demi. Où sont mon pays et sa fierté ? » Prekazi fait partie de ces yougonostalgiques mais son premier amour reste le football. Il entraîne aujourd’hui les jeunes de l’OFK Belgrade qui ont bien de la chance d’apprendre avec un homme aux multiples titres, aux deux demis-finales de coupe d’Europe et à l’exceptionnel talent de footballeur.

Tristan Trasca

3 Comments

  1. Filip 5 mars 2015 at 12 h 03 min

    Bon article
    Comme Prekazi beaucoup d’amateur de foot regrette la Yougoslavie qui a tellement donné au sport
    par ailleurs Srboljub Stamenković dont parle Prekazi est mort prématurément à 39 après une chute banale sur la tête dans la rue

    Reply
    1. Tristan Trasca 5 mars 2015 at 12 h 11 min

      Merci, il y aura un autre article sur le foot yougoslave dans les semaines à venir qui devrait te plaire !

      Reply
  2. Marko 6 mars 2015 at 14 h 24 min

    Hvala lepo! Un excellent article comme toujours, Tristan. Je me souviens de ce joueur et de son partenariat avec Tanju Colak. En tant que nostalgique du foot yougoslave des annees 80, j’apprecie beaucoup ce type d’article.

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