C’est une longue saga qui prend fin ce mardi 18 décembre dans une salle de réunion à la moquette épaisse d’un hôtel cossu sur les bords du lac de Zurich. Un épilogue riche en rebondissements, mystères et surprises. Conclusion d’une longue et pénible série pour les supporters et suiveurs du grand club polonais aux treize titres de champion. Le Wisla Krakow, dans un état financier absolument désastreux, rongé par des années de mauvaise gestion, à enfin trouvé preneur. Un dénouement qui aura pris son temps mais qui était inéluctable tant le club était devenu un poids mort encombrant et un gouffre financier pour un TS Wisla (actuel propriétaire) en manque de liquidités et à la gestion plus qu’incertaine.

Le Wisla Krakow a frôlé la banqueroute et aurait pu rejoindre la funeste liste des Widzew Lodz, Polonia Warszawa, Dyskobolia, LKS Lodz ou autres Polonia Bytom, certains disparus d’autres remontant tant bien que mal la pente raide du football polonais. Un happy-end sur le papier donc mais qu’en est-il vraiment? Comment en est-on arrivé là? Qui a voulu vraiment racheter le Wisla Krakow? Qui sont ces nouveaux et mystérieux repreneurs et que doit-on en attendre? Nous allons tenter de vous expliquer, avec les éléments en notre possession, les tenants et les aboutissants de cette vente rocambolesque.

De sauveur à sauve qui peut par Boguslaw Cupial

En 1997, le Wisla Krakow est proche de la banqueroute (et oui déjà). Le club cherche alors un repreneur pour ne pas disparaître totalement du paysage footballistique polonais, et ne vaut plus qu’une poignée de figue, 3-4 millions de zloty tout au plus. La principale victoire du club, à cette époque, n’est pas de battre un club italien dans un stade vibrant mais bien de pouvoir aligner onze joueur pour deux mi-temps de 45 minutes sur un terrain quelconque en Pologne. Le Wisla est devenu mendiant. Arrive alors en sauveur du peuple de la ville surplombée par le Wawel, l’entreprise polonaise TELE-FONIKA et Boguslaw Cupial.

L’affaire se boucle rapidement et l’homme d’affaire devient président du grand club polonais décharné. Ses ambitions sont stratosphériques, il souhaite en faire le plus grand club polonais de tout les temps. Pour cela, le discret businessman investit instantanément des sommes colossales pour l’époque en Pologne (20M€ sur trois ans), trouver des financement pour la rénovation du stade, partir à la recherche de nouveaux sponsors, etc. Il va transformer en moins de deux ans la belle endormie en princesse éclatante et scintillante à coup de dollars. Voilà comment commence dans la joie et l’allégresse l’aventure moderne du club treize fois champion.

Depuis l’achat par Boguslaw Cupial en 1998, il y a donc près de vingt ans, le club de l’ancienne capitale polonaise à connu des très hauts et des très bas. Sous sa présidence, il a connu une époque dorée couronnée par l’obtention de pas moins de douze titre nationaux, dont huit titres de champion de Pologne. Une réussite sur le plan national et quelques exploits sur la scène européenne font du club la référence du football polonais des années 2000. Une belle époque longue d’une dizaine d’années jusqu’à ce que le CEO de TELE-FONIKA décide petit à petit de se retirer du club ou tout du moins de fermer graduellement le robinet des finances. La Vistule autrefois abondante se tarit au milieu des années 2000 et plus encore après le dernier titre national du club en 2011. Le fleuve long et tranquille devient une rivière mouvementée charriant des eaux boueuses.

©Wojciech Matusik / Polskapresse Gazeta Krakowska 

Si les résultats sportifs de cette période ont de quoi réjouir les supporters et aficionados de l’Etoile Blanche, les résultats financiers inquiètent déjà depuis quelques années. Le club vit dans le luxe mais sous perfusion, sans jamais trouver l’équilibre. Dès 2004, les dettes du club tournent autour des 20M€. Et la situation au fil des années s’améliore pas. La gestion du club a toujours été cahoteuse. Un loyer de stade trop élevé, trop peu de diversités dans les recettes du club, des contrats de sponsoring inférieurs aux attentes financières d’un club de son envergure, des charges trop importantes, une vision court-termiste etc. Le cercle vertueux n’est jamais (re)trouvé et la PZPN ferme les yeux des années durant sur ses comptes en déficit pour tenter de « sauver » l’un de ses grands clubs soutenu par des dizaines de milliers de fans.

Cupial n’a jamais su remonter la pente (et son investissement). En dix ans, à coup de dizaines de millions de zloty, il écope un navire déjà vacillant et injecte encore pas moins 25-30M€ pour combler les trous. Mais déçu de voir son argent filer et incapable d’inverser la tendance malgré de bons résultats sportifs, il décide de mettre, officieusement puis officiellement, le club en vente.

Waldemar Kita, FC Nantes ou Wisla Krakow?

Quelques investisseurs venus de Russie étudient alors le projet de rachat mais rien de concret n’en sort. Puis Waldemar Kita arrive. A la même époque en 2007, l’entrepreneur franco-polonais lorgne aussi sur un autre club, le FC Nantes. Il rencontre Cupial à Krakow et est très intéressé par l’acquisition du Wisla. Mais le prix demandé par TELE-FONIKA et Cupial est bien trop important pour un club à la situation financière si chancelante et qui ne possède aucun foncier. Devant toutes ces difficultés, il va finalement renoncer pour s’offrir quelques semaines plus tard le FC Nantes à un prix inférieur. Premier et dernier rendez-vous manqué et début d’une inimitié profonde entre les deux hommes d’affaire.

Cupial devrait apprendre de moi. Il m’a traité comme un écolier. Plein de supériorité. J’ai été président et propriétaire d’un club sept fois champion de Suisse avec lequel j’ai battu l’Ajax Amsterdam en Coupe de l’UEFA. Aujourd’hui je suis le propriétaire d’un club huit fois champion de France. Et lui? Il a perdu plus de 100 millions de zloty en dix ans – Waldemar Kita dans Przeglad Sportowy en 2007

Après cet épisode, d’autres investisseurs, le plus souvent polonais, défilent dans le bureau du président du Wisla Krakow, sans succès. Wieslaw Wlodarski, Andrzej Kuchar, aucun de ces entrepreneurs polonais ne parviennent à un accord pour le rachat du club malgré leur volonté affichée. Cupial et TELE-FONIKA stoppent alors tout investissement et déclarent qu’il est temps de mettre en place un programme d’austérité pour que le club retrouve de l’attractivité aux yeux de potentiels repreneurs.

Foto: Michał Stawowiak / newspix.pl

Un programme qui finit d’achever les rêves de retour du Phoenix. En coupant à la hache dans des domaines importants du clubs, dont la formation, mais en ne s’attaquant pas aux vrais et graves problèmes de gestion du club, il signe une descente aux enfers encore plus rapide. Nous sommes alors au début des années 2010, le club n’a définitivement plus les moyens de ses ambitions, son président n’a pas su changer de cap, le Wisla est déjà à l’agonie.

Un héritage turbulent et une chute irrémédiable

Finalement en 2016, le 29 juillet, Boguslaw Cupial pense se débarrasser du club en le cédant à Jakub Meresinski et Marek Citko. Fiasco total. Une semaine après le rachat et les déclarations de Meresinski de refaire du Wisla le grand club qu’il fut et son souhait d’investir sur le long terme, de lourdes affaires judiciaires font surface. Le nouveau propriétaire aurait de faux diplômes et serait sous le coup de bien d’autres chef d’accusation lui faisant encourir pas moins de dix ans de prison. Marek Citko se retire alors, dupé par son associé, et Meresinski, malgré ses déclarations, ne peut rester propriétaire du Wisla Krakow. Il le revend alors, moins d’un mois après l’avoir acheté.

Ecarté dans un premier temps par Cupial, le Towarzystwo Sportowe Wisla, société sportive de Krakow encore propriétaire des clubs de gymnastique ou natation de la ville et découlant de la création du club TS Wisla (devenu Wisla Krakow) en 1906, devient propriétaire. Le TS Wisla récupère le bébé amoché sans l’eau du bain. Les comptes sont dans le rouge écarlate et la société ne possède pas les fonds propres nécessaires pour totalement remettre à flot le bateau qui commence gentiment à couler et dont l’image et de plus en plus écornée.

Le Wisla de Cupial a vécu à grands frais et crédits pendant des années et les créanciers arrivent maintenant à la porte des nouveaux propriétaires avec la ferme intention de recouvrer leur argent. La nouvelle présidente, Marzena Sarapata, tente d’aller, elle aussi, chercher de nouveaux financements et de nouveaux sponsors, comme LV Bet, mais les sommes sont dérisoires comparées au trou béant dans les finances du club. Les tribunes se vident, les salaires des joueurs sont payés avec un retard de trois mois (ou seulement à 50%), les créanciers ne sont plus remboursés, le loyer du stade n’est plus payé à la ville, l’équipe réserve est même condamneée à ne pas participer au championnat d’III.Liga en 2017/2018 pour faire des économies.

© Krzysztof Kalinowski / Loverkrakow.pl

Cette phase de transition via le TS Wisla devait permettre au club de se remettre sur ses deux jambes pour séduire de nouveaux investisseurs ou sponsors plein d’envie et de fonds, le tout en réglant les problèmes internes de gestion. Force est de constater que le plan a échoué et que cela s’est même aggravé.

Le club essaie de faire venir des joueurs et coachs étrangers aux salaires importants (qui ne sont parfois pas payés), mais ne sait pas revenir sur le dossier épineux du loyer mirobolant du stade qu’il ne peut plus s’offrir, et doit donc faire appel encore un peu plus à des prêteurs. Des prêteurs et créanciers parfois même connus comme Jakub Blaszczykowski, ancien joueur de l’Etoile Blanche et que l’on dit proche d’un retour. Quoi qu’il en soit, si la situation était déjà très mauvaise lors de sa reprise, le Wisla Krakow continue de s’enfoncer sous la direction du TS Wisla. Une descente jusqu’au point de non retour lorsque les mots « banqueroute » et « cinquième division » sortent des couloirs des locaux de l’ulica Reymonta 22 cet automne.

Négociations secrètes

L’impossibilité de payer ses dettes, ses joueurs et ses employés a rendu la finalité claire aux yeux de tous: pour (sur)survivre le club doit être une nouvelle fois vendu et vite.

Le destin du club a donc une nouvel fois basculé le 18 décembre dernier lorsque les membres du COMEX du TS Wisla se sont envolés pour signer l’acte de vente du club dans un luxurieux hôtel de Zurich. La fin d’une longue pièce de théâtre faite de rebondissements, de personnages inconnus et de décors changeants. Généralement, du côté de Cracovie, le mois de décembre est, dans les gazettes, celui des longs articles sur les festivités de Noël ou les résultats du traditionnel concours de la plus belle crèche. Cette année, il est celui de toutes les spéculations. De mystérieux investisseurs venant des quatre coins de la planète, tels des Rois Mages soumettant audits et offres pour s’accaparer ce qu’il reste du grand club polonais.

Une pièce en plusieurs actes dont la vérité du jour n’est plus celle du lendemain. Vendra, vendra pas, vendra peut-être, vendra plus… et ce en répétition tous les trois jours. Un cirque infernal et terriblement gênant pour quiconque s’intéresse de près ou de loin au Wisla Krakow et au football polonais. Tantôt l’offre d’un groupe d’investisseurs britanniques, le lendemain la puissante société AON réfléchissant à un pseudo-partenariat avec Manchester United, le surlendemain c’est le retour du fantôme de Waldemar Kita autour du Wawel, et finalement on apprend l’hypothétique participation d’un grand groupe suisse d’assurances (Swiss Re.) à la petite sauterie.

Messes basses, secrets, rumeurs et murmures ont accompagné ces dernières semaines pour un résultat qui ressemble à un apothéose du foot-business moderne. Exit les repreneurs du terroir ou ayant pignon sur rue et bienvenue dans le nouveau monde de l’hyper-globalisation dans lequel plus personnes ne sait vraiment qui est qui, qui fait quoi et qui possède quoi. Alors, qui sont vraiment les mystérieux repreneurs ayant remporté la timbale cracovienne?

Par le Luxembourg, la Suède, le Cambodge et l’Angleterre

A la plus grande surprise de tous, deux groupes d’investisseurs étrangers ont finalement été choisis pour la reprise du club.

Le premier, potentiel actionnaire majoritaire à hauteur de 60%, est un fond cambodgien à couverture luxembourgeoise du nom d’Alelega Luxemburg. Une société écran ayant visiblement des actifs dans d’autres clubs de football comme Manchester City, le New York City FC ou le Yokohama FC sous un autre prête-nom. Information qui ne peut être totalement vérifiée tant la constellation de sociétés liées à cette boîte aux lettres dans le Grand Duché reste opaque.

Derrière cette société fantôme se cacherait Ly Vanna, un Franco-cambodgien qui serait au choix : membre de la famille royale, simple connaissance de celle-ci ou tout simplement businessman inconnu au bataillon. Si on en sait peu sur cet homme d’affaires, nous savons tout de même qu’il a tenté cet été de racheter le Genoa et que l’opération n’a pas été validée pour des raisons d’opacité sur la potentielle provenance de ses fonds. Les experts sur le Cambodge et ses milieux financiers s’accordant à dire que toute grosse fortune est souvent liée de près ou de loin à la corruption généralisé dans le pays des Khmers.

© Instagram / adam_b_pietrowski

Mais le plus mystérieux reste encore à venir. Le deuxième groupe, devenant actionnaire minoritaire à hauteur de 40%, est une société britannique aux capitaux suédois dirigée par un dénommé Mats Hartling. La société qu’il représente, Noble Capital Partners, ne possède pas de revenus importants (300K$ de recette en 2017) et – encore plus surprenant – son siège sociale londonien n’est qu’une simple boîte à lettres d’un cigar lounge bar du quartier de Mayfair. Ce Germano-suédois possède aussi un « bureau virtuel » en Pologne avec comme associé un certain Adam Pietrowski, dont nous parlerons un peu plus tard. Son nom ressort ici et là dans l’achat d’un pawnshop en Angleterre et d’acquisition d’actions dans diverses entreprises outre-manche ainsi qu’en Pologne. Un CV encore une fois peu parlant et dont la transparence n’est pas la première vertu.

Adam Pietrowski, porteur de bonne parole ou oiseau de mauvais augure?

Vous vous posez alors certainement la question du pourquoi du comment de ce rachat par un groupe luxembourgo-cambodgien et suedo-britannique. Et vous avez raison. Comment des investisseurs si discrets, venant d’Asie et d’Europe du Nord, ont pu s’intéresser à un club polonais comme le Wisla Krakow? La réponse tient en deux mots : Adam Pietrowski. Il est la pierre angulaire de tout le projet, le porte-parole officiel des nouveaux propriétaires du club et le possible nouveau directeur sportif du club

Pietrowski est un entremetteur. Parfois agent – il est référencé par la FIFA – de joueurs peu renommés à qui il fait miroiter des transferts dans les divisions inférieurs allemandes. Tantôt consultant pour des entreprises étrangères souhaitant s’installer en Pologne. Il pose sur instagram avec Zibi Boniek (président de la fédération polonaise de football) et répond aux interviews avec plaisir. Un homme à l’aise dans le milieu des affaires mais qui reste dans l’ombre pour ses propres affaires. Et c’est dans ces cercles qu’il dit avoir connu ses associés de longue date, MM. Ly Vanna et Mats Hartling, et les avoir convaincu d’investir dans le Wisla.

Pour sa première interview dans la presse polonaise il évoque pêle-mêle un investissement de 130 millions de zloty (30M€) dès la première saison, un possible partenariat avec Manchester City, des recrues dès cet hiver, des investissements conséquents dans l’académie et les équipes de jeune, un futur président polonais très connu et enfin – cerise sur le gâteau – l’objectif de refaire du Wisla Krakow un très grand club polonais jouant la Ligue des Champions. Les même mots, les même phrases qu’un certain Jakub Meresinski deux ans plus tôt.

De quel côté de la Vistule le futur se tournera?

Les cartésiens diront que ce rachat n’est pas très transparent et que les investisseurs, qui ne se sont pas encore exprimés, n’ont rien de bien rassurant. Les rêveurs, eux, verront déjà le Wisla Krakow en haut de l’affiche aidé par des dollars sonnants et trébuchants comme dans les plus belles heures de Cupial. Les fans seront certainement contents de voir leur club éviter la banqueroute et rester en Ekstraklasa mais auront les inquiétudes de tous sur l’arrivée de capitaux étrangers inconnus et sans référence avec le lourd passif de leur club en tête. Pour révéler un peu plus de leur projet, les nouveaux propriétaires devraient d’ailleurs s’exprimer avant ou après le match Wisla Krakow – Lech Poznan. Le grand baptême du feu.

Si les voyants sont à l’orange, ils pourraient vite tourner au rouge ou au vert si les investisseurs règlent (ou non) les premières dettes du club (4M€) comme prévu par le contrat de Zurich avant le 31 décembre. Pour le reste, il faudra encore attendre et avoir foi dans l’avenir. Mais ces vingt dernières années, l’avenir s’est rarement posé du bon côté de la Vistule.

Mathieu Pequenard

Image à la Une © Krzysztof Kalinowski / Loverkrakow.pl

2 Comments

  1. flo 23 décembre 2018 at 23 h 57 min

    Article sympa pour ceux comme moi qui n’ont pas suivi toute l’histoire de rachat/pas rachat de ces dernières années.
    En espérant que les Wisla-Legia retrouvent un peu de saveur et d’enjeu prochainement, si ce Cambodgien n’est pas un escroc et si Mioduski trouve comment on gère un club de football.

    Sinon il me semble que c’est 13 et pas 14 championnats pour le Wisla, les plus titrés restant Ruch et Gornik depuis pas mal de temps.

    Reply
    1. Mathieu 24 décembre 2018 at 15 h 23 min

      Merci.

      Effectivement c’est bien treize et pas quatorze, merci pour la remarque, c’est modifié.

      Mathieu

      Reply

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