Si les joueurs actuels sont plutôt insipides, il est plus rare de s’ennuyer en parcourant l’histoire des joueurs yougoslaves. Le libéro Velibor Vasovic était l’un d’eux. Né en 1939 à Pozarevac, durant la Seconde Guerre mondiale, ce dernier n’eut pas une trajectoire rectiligne. De sa carrière de joueur à celle d’entraîneur, Vasovic a toujours su se démarquer par son indépendance. Et ses coups de sang.

La tête brûlée de Belgrade

Comme beaucoup à cette époque, l’histoire ne commence pas par le football, mais par la guerre. Engagé au côté de son frère dans le mouvement de résistance des Partisans, il y survit alors que son père, lui, se trouve être fait prisonnier par les nazis. Après la guerre, Velibor déménage à Belgrade, où il commence à jouer au FK Novi Beograd avant de rejoindre le FK Partizan, à 15 ans seulement. Trois ans plus tard, il gagne sa place dans le groupe senior, et y reste jusqu’à l’été 1963 après un transfert à … Zvezda, le grand rival de la ville.

« Ils m’ont offert un contrat bien meilleur. J’ai eu cinq millions, trois à la signature puis deux par la suite. Avec cet argent, au milieu des années 60, j’ai pu m’acheter deux Mercedes » déclarait-il en 1986 au magazine Duga.

On vous avait prévenu, Velibor Vasovic n’a pas eu l’histoire la plus simple possible. Et sa carrière footballistique non plus. C’est donc avec un transfert chez le grand rival que Vesovic décide de rendre les choses un peu plus compliquées : « Mon contrat et celui de Jusufi expiraient à l’été 1963. En plus d’être des membres clés de l’équipe du Partizan, nous étions tous deux des joueurs de l’équipe nationale. Mon oncle David Lausevic était membre du Partizan, alors les génies du club pensaient: «Il vaudrait mieux mettre tout notre argent sur Jusufi pour l’empêcher de partir alors que Vasovic va rester chez nous parce que son oncle s’en occupera». Bien sûr, quand j’ai appris cela, j’ai immédiatement traversé la ville pour rejoindre le directeur technique de Zvezda, Aca Obradovic, et je lui ai littéralement dit «M. Obradovic, si Zvezda a assez d’argent, je voudrais vous rejoindre ». Ils ont pris de l’argent depuis leur fonds d’urgence et m’ont engagé. Une fois que les membres du Partizan l’ont découvert, ils ont été stupéfaits. Le président du club, le général de la JNA, Ilija Radakovic, a immédiatement approuvé le paiement du double du montant que Zvezda me donnait, mon téléphone n’arrêtait pas de sonner, ils m’envoyaient des lettres, organisaient des manifestations de fans, et j’ai même reçu des menaces de mort. À ce jour, j’ai toujours gardé la lettre dans laquelle un officier de la JNA (l’Armée, NDLR) menace de me tuer pendant un match avec un sniper et il a littéralement signé de son nom complet, son adresse personnelle et son numéro de téléphone.»

Vous l’imaginez, tout ne s’est pas passé comme prévu. Bien qu’il remporte le titre pour une quatrième fois d’affilée, Vesovic ne joue que 13 matchs. Alors, lors de la trêve hivernale, Ilija Radakovic tente de troquer les menaces de mort contre un retour. Une option que ne valide pas Zvezda et qui le laisse ainsi tricard jusqu’à la fin de saison. Un tricard payé à prix d’or, mais un tricard quand même.

Vasovic, légende du Partizan soruce: http://crno-bela-nostalgija.blogspot.fr

La saison suivante, il utilise ses relations pour revenir chez les noir et blanc. Malgré toutes les critiques à son encontre par les fans du Partizan, il s’y relance et gagne un nouveau titre, celui de 1964-1965. La saison suivante est, elle, celle du fameux parcours européen du Partizan qui élime successivement Nantes, le Werder de Brême, le Sparta Prague et Manchester United avant d’arriver en finale face au Real Madrid, à Bruxelles.

« Vaske » redevient alors un joueur populaire. Un statut qu’il n’aurait jamais quitté sans son coup de tête l’ayant poussé dans le feu. Mais Vaske n’aime pas faire dans la demi-mesure et a l’habitude de dire ce qu’il pense. Comme lors de la finale perdue, lors de laquelle le Partizan est fortement soupçonné d’avoir vendu le match, le joueur expliquait alors que « Vladica Kovacevic jouait avec une pneumonie et une température de 38,5. Milan Galic rentrait de l’armée après huit mois sans entrainement. Les deux ont joué sur des ordres de généraux de l’armée. Ils s’imaginaient que Vaske allait couvrir son côté gauche et allait casser deux jambes. » Tout le monde n’aurait pas osé s’attaquer ainsi à des haut placés yougoslaves durant cette époque…

Malgré son comportement orageux durant une période où tout se devait d’être lisse, Vasovic réussit à marquer son temps et, par la même occasion, à se faire aimer. Ce n’est pas pour rien que l’on retrouve des termes élogieux le décrivant comme « l’un des meilleurs joueurs de l’histoire du Partizan » ou encore « l’un des meilleurs joueurs de l’équipe nationale de la Yougoslavie. » Branko Rasovic, son ex-coéquipier au Partizan, déclara également qu’ « il est le meilleur joueur défensif qu’ [il a] vu dans [sa] vie », alors que ce Rasovic eut l’occasion de jouer 15 dans la ligue de l’ex-Yougoslavie et cinq en Allemagne.

De l’Est à l’Ouest

L’Ouest justement. Après le bon parcours du Partizan en coupe d’Europe, Vasovic se fait remarquer et signe à l’Ajax Amsterdam lors de l’été 1966. Grâce à ce transfert, gagnant cette fois, il devient le premier serbe à gagner une coupe d’Europe de football, lors du sacre de 1971 contre le Panathinaikos. Non content d’être titulaire lors de cette finale, c’est lui qui porte le brassard de capitaine alors même qu’il se trouve être le seul étranger de l’équipe néerlandaise. Une ligne de plus au palmarès de celui qui avait déjà gagné eut l’occasion de remporter cinq fois consécutivement le titre de Champion de Yougoslavie. Aux Pays-Bas, il ne fait que gonfler ses chiffres avec cinq autres titres de champion et quatre Coupes. Glorifié comme emblème du football total voulu par Michel et capitaine exemplaire de cette équipe, il est alors temps pour Vasovic de raccrocher les crampons après 13 longues années loin d’être calmes.

© Nationaal Archief, Den Haag, Rijksfotoarchief: Fotocollectie Algemeen Nederlands Fotopersbureau (ANEFO), 1945-1989 - negatiefstroken zwart/wit, nummer toegang 2.24.01.05, bestanddeelnummer 920-6411 — Nationaal Archief Fotocollectie Anefo
© Nationaal Archief, Den Haag, Rijksfotoarchief: Fotocollectie Algemeen Nederlands Fotopersbureau (ANEFO), 1945-1989 – negatiefstroken zwart/wit, nummer toegang 2.24.01.05, bestanddeelnummer 920-6411 — Nationaal Archief Fotocollectie Anefo

À la suite de sa carrière de joueur, il embrasse celle d’entraîneur. Pour se rappeler au bon souvenir de sa précédente carrière, il entraîne le Partizan et … Zvezda, devenant le premier à le faire comme joueur et comme entraîneur. En France, il se fait connaitre pour son passage sur le banc d’Angers en 1975-1976, gagnant alors le titre de seconde division. Une fois le titre en poche, il rejoint le PSG une première fois lors de la saison 1976-1977 puis un an après, en 1978-1979. Une année 1979 lors de laquelle il se fait pousser vers la sortie par le président de l’UNECATEF, un certain Guy Roux, préférant voir un français sur le banc du PSG. Velibor, ne supportant plus les pressions de l’organisation, déclara, « puisque c’est comme ça, et d’ailleurs je n’ai pas le choix, je m’en vais ! » Symbole de cet homme qui ne doutait de rien et suivait son propre chemin.

Si Vasovic ne connait pas vraiment les succès sous sa nouvelle casquette d’entraîneur, ses trophées en première division se résumant à un titre avec Zvezda, Vasovic reste malgré tout dans l’histoire, que ce soit en tant que jouer, mais aussi comme un entraîneur qui plaçait l’intelligence du joueur avant tout. Une sorte de Bielsa ou Guardiola d’antan. Avec, parfois, quelques méthodes étranges, comme lorsqu’il était en poste à Zvezda et qu’il força ses joueurs à apprendre l’anglais. Une décision qui ira jusqu’à provoquer rébellions et poussant « Vaske » au départ.

Toutefois, après coup, en prenant du recul sur cet événement, de nombreux joueurs eurent l’occasion de s’excuser, reconnaissants l’apport de Vasovic à la fois en tant que personne et entraîneur. L’apprentissage de l’anglais leur permettant également de faire carrière à l’étranger, ce qui était non négligeable à l’époque.

© Rob Mieremet / Anefo
© Rob Mieremet / Anefo

Après un passage en tant qu’avocat, le Beckenbauer serbe – comme il était surnommé – ne pouvait rester très longtemps loin du football et des terrains. Avec son franc-parler légendaire, le désormais retraité décide de combler son après-carrière en critiquant du mieux possible la fédération yougoslave et notamment son président Miljan Miljanic, actif de 1993 à 2001.

Des critiques qui s’accentuèrent lorsqu’en 1997 il fonde l’association ‘Udruženje za razvoj i prosperitet jugoslovenskog fudbala’ – ‘Association pour le développement et la prospérité du football yougoslave’ visant quasiment explicitement à critiquer le fonctionnement interne de la fédération. Comme un symbole de cette volonté, cinq jours après la chute du régime de Milosevic, il se rendit au siège de la fédération avec une douzaine de gardes du corps afin d’en prendre le contrôle. Une tentative qui échoua, tandis que Velibor décéda quelque temps plus tard, en 2002, d’une crise cardiaque. Une crise de trop.

Comme quoi, on ne change pas.

Lazar Van Parijs


Image à la une : © yugopapir.com

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