La grande Histoire joue bien souvent avec le destin d’individus. Celui de Vassilis Hatzipanagis en est une parfaite illustration. Ou comment une période politique sombre de la Grèce a privé la sélection hellène de son plus beau joyau.

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La guerre civile et le départ de Grèce

La fin de la seconde guerre mondiale ouvre la page d’une grande guerre civile en Grèce qui dure de 1946 à 1949. Deux camps s’affrontent, l’un loyal au roi et l’autre d’obédience communiste. Le long conflit fait plus de 200 000 morts en Grèce et d’innombrables réfugiés dont les parents de Vassilis, membres de la guérilla communiste. Alors que certains fuyent en Tchécoslovaquie, en Pologne ou en Hongrie, la famille Hatzipanagis débarque à Tashkent en URSS (actuellement en Ouzbékistan). Plus de 50 000 réfugiés grecs peuplent alors la cité ouzbek.

C’est dans cette ville que Vassilis nait en 1954. Sa mère est femme de ménage dans une pharmacie alors son père travaille sur des chantiers. Hatzipanagis grandit dans ce modeste foyer et laisse le ballon devenir sa grande passion. A l’âge de 17 ans, il est remarqué par le club local de Pakhtakor; c’est le début d’une grande carrière.

La jeunesse flamboyante en URSS et un changement politique en Grèce

Au sein du club ouzbek, Vassilis explose malgré son jeune âge et devient très vite un des meilleurs joueurs de deuxième division soviétique. En 1972, à 18 ans, il participe à la promotion du club ouzbek en D1 soviétique avec le grand Berador Abduraimov, une des légendes du football ouzbek. Bien entendu, les bonnes prestations du Grec ne passent pas inaperçues et Hatzipanagis est invité (obligé!) à prendre la citoyenneté soviétique, puisque seuls les citoyens soviétiques sont autorisés à jouer en D1 soviétique. A l’époque, il est tout simplement considéré comme le meilleur jeune ailier gauche du pays derrière un certain Oleg Blokhine.

Vassilis évolue avec le maillot CCCP sur les épaules en sélection U19, U21 et aux qualifications pour les Jeux Olympiques de 1976. Il marque notamment pendant le tournoi pré-olympique contre la Yougoslavie en 1975. Mais un choix de vie, un choix de carrière lui est alors offert par l’Histoire. A l’époque, la « dictature des Colonels » tombe en Grèce et un nouveau régime politique se met en place en 1974. La voie est ouverte pour un retour des anciens bannis dans leur pays. Malgré les mises en garde du sélectionneur soviétique Beskov qui lui dit que son talent va se gâcher dans un pays de seconde zone comme la Grèce, Vassilis décide de faire ses premiers pas au pays de ses ancêtres, après avoir mis 22 buts en 96 matchs pour le club ouzbek.

Convaincre son peuple qui ne l’a jamais vu jouer

Vassilis signe à Thessalonique pour le club d’Iraklis fin 1975 à l’âge de 21 ans. Bien que personne ne l’ait jamais vu jouer en Grèce, sa réputation est telle qu’il parvient à faire remplir le stade d’Iraklis dès son premier match ! Son pays découvre un joueur élégant et très fin techniquement. Superbe dribbleur, à la fois buteur et passeur, Vassilis dénote aussi par son look inimitable avec sa longue chevelure bouclée.

Très tôt, son style aérien et léger lui confère le surnom de « Noureev du football », référence à celui qui était à l’époque un grand danseur étoile ayant fui l’URSS pour s’exiler en France. Dès sa première saison en Grèce, Hatzipanagis gagne la coupe de Grèce, l’unique remportée par Iraklis dans son histoire. Après avoir éliminé le grand Panathinaikos en demi-finale 3-2, Iraklis fait face à l’autre ogre du football grec : l’Olympiakos. Le match est dantesque et se termine sur le score de 4-4 après prolongations. Vassilis fait un festival et met deux pions. Mais si l’histoire se termine bien, Vassilis aurait aussi pu être maudit puisqu’il fut le seul joueur de son équipe à louper son penalty.

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La légende d’Iraklis

Dès lors, Vassilis devient la légende d’Iraklis et son capitaine avec le numéro 10 sur le dos. En 16 ans de carrière à Iraklis, il participe à deux autres finales de coupe de Grèce, connait une rétrogadation administrative puis une remontée directe mais n’a jamais la chance de jouer les premières places en championnat.

Malgré tout, il reste des matchs d’anthologie comme ce 6-0 infligé au Panathinaikos en 1979 (plus grosse défaite encaissée par les Verts sur le sol grec). Un soir où Vassilis était au-dessus tout simplement avec un doublé et un énorme festival technique. Hatzipanagis restera à jamais le symbole de la plus belle période du club d’Iraklis et ses corners directs seront sa signature.

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Bien que quelques grands clubs aient essayé de le transférer (notamment Arsenal ou la Lazio), Hatzipanagis reste en Grèce. L’histoire veut que les propriétaires du club aient toujours été réticents à le vendre, de peur que les supporters d’Iraklis se soulèvent contre eux. Finalement, outre la victoire en Coupe de Grèce, Vassilis mènera les siens vers une victoire en coupe des Balkans en 1985.

Mais son style avait conquis toute la Grèce au-delà des supporters d’Iraklis, comme il l’a raconté à un journal russe en 2012: « Nous avons joué contre Ethnikos à Athènes. Leurs matchs se jouaient dans le même stade que ceux du Panathinaïkos. Le club avait imprimé 10 000 tickets, parce qu’Ethnikos ne recevait à l’époque que 2000  à 3000 spectateurs. Mais ce jour-là, il y avait finalement 35 000 personnes dans le stade ! »

Le rendez-vous manqué avec la sélection grecque

Bien qu’étant de très loin le meilleur joueur grec à l’époque, Vassilis ne connaîtra qu’une sélection en match amical avec l’Ethniki. Contre la Pologne en mai 1976, quelques mois après son retour au pays. Malheureusement, c’est la seule puisque le règlement de la FIFA était strict: un joueur ne peut porter le maillot de deux sélections différentes dans sa carrière et Vassilis avait déjà joué pour l’URSS. Bien que Vassilis ait renié sa citoyenneté soviétique, rien n’y fera et les instances grecques n’iront jamais à l’encontre de cette règle de la FIFA.

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Sous le maillot grec, une image de collection

Malgré ce manque de matchs au niveau international (il ne connaitra qu’une poignée de matchs en coupe d’Europe avec Iraklis), Hatzipanagis est sélectionné pour jouer un match avec une sélection mondiale en 1984 avec des Beckenbauer, Kempes, Keegan et Rocheteau entre autres. Si ce geste l’avait touché, la plus belle reconnaissance viendra de la fédération grecque qui le nommera meilleur joueur des cinquante dernières années lors de l’anniversaire des 50 ans de l’UEFA en 2003. Bien que n’ayant jamais réellement porté le maillot grec, Vassilis aura réussi son pari et aura conquis les cœurs grecs grâce à son retour au pays.

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Constantin, Vassilis et la Grèce

La Grèce n’aura pas réellement offert de consécration internationale sur le terrain à un talent qui l’aurait sans doute mérité mais Vassilis a trouvé en Grèce ses racines et une certaine plénitude. Finalement, le retour de Vassilis Hatzipanagis en Grèce aura fait écho au fameux poème de Constantin Cavafy :

« Ithaque t’a offert le beau voyage.
Sans elle, tu n’aurais pas pris la route.
Elle n’a plus rien à te donner.

Et si tu la trouvais pauvre, Ithaque ne t’a pas trompé.
Sage à présent et plein d’expérience,
tu as certainement compris
ce que pour toi Ithaque signifie. »

Grec de la diaspora comme Cavafy, le Noureev du football restera à l’image du poète l’une des figures marquantes de la Grèce du XXè siècle.

 

Tristan Trasca

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