Quand on parle Slovaquie et football, on pense surtout à sa capitale Bratislava et son club le Slovan ou, si tu es supporter de l’Olympique de Marseille, à Žilina. Pourtant depuis quelques années, un nouvel homme fort pointe le bout de son nez et se nomme Trenčín. Portrait du dernier champion de Slovaquie possédant l’équipe la plus jeune du vieux continent et nouveau bastion du football slovaque.
Les légionnaires à l’attaque du football
Situé à l’ouest du pays, non loin de la frontière avec le frère tchèque, la ville de Trenčín est essentiellement connue pour l’architecture de sa ville. Avec, en point culminant, son château construit durant l’époque romaine quand la ville répondait alors au doux nom de Laugaricio. Un nom qui reste présent dans l’empreinte collective de la ville, le club ayant porté le nom de Laugaricio Trenčín pendant un certain temps, tandis que les ultras du groupe nommés « Légia Laugaricio » remplacent symboliquement les légionnaires romains.
Côté terrain, Trenčín n’a jamais eu une grande histoire avec le football. La fondation de l’AS Trenčín que l’on connait actuellement a officiellement eu lieu en 1992. Cela n’empêche pas la ville d’avoir un passé sportif et footballistique qui appartient à une histoire souvent oubliée des mémoires. Ainsi, on a pu voir les prémices d’une équipe de football durant le début du XXè siècle avec le TTS Trenčín, pour Trencsén Torna Egyesület, faisant office de club omnisports basé sur la tradition gymnastique en Tchécoslovaquie et possédant une section destinée au football présidée par Jusztin Baross. Ce dernier est une personne symbolique de la ville de l’époque appartenant à la famille noble Barossovcov de Bélus, il était alors vice-administrateur du district de la ville et membre du Parlement hongrois.
De cette époque, il ne reste plus vraiment de souvenirs aux habitants de la ville tant le club n’aura que très peu marqué son époque. Pourtant, la première légende de l‘AS Trenčín vient historiquement de ce Trencsén Torna Egyesület en la personne d’Artur Michalec. Gardien de but de formation, Artur resta durant des dizaines d’années au sein du club, portant le maillot du TTS à plus de 400 reprises. Par la suite, il décida de rester au club en devenant secrétaire de la section footballistique, entraîneur et enfin membre du comité du club. Une fidélité rare qui construisit sa légende.
Pour retrouver les premiers succès du club, il faut attendre quelques années et la fin de la Seconde Guerre mondiale afin d’y rencontrer l’un des hommes forts du désormais Jednota Trenčín (nouveau nom donné au TTS après une fusion avec un autre club, le Merino Spartak), l’entraineur Karol Borhy. Né à Budapest, Karol est directement associé au premier succès du club. Passé par la sélection tchécoslovaque, le CH Bratislava (actuellement Inter Bratislava) et le Slovan Bratislava, il prit en charge le Jednota Trenčín durant la saison 1961/1962. Dès la saison suivante, il fit du club le vice-champion de Tchécoslovaquie derrière l’illustre Dukla Praha (Lire aussi: Dukla Praha, l’histoire du club le plus impopulaire du pays).
Une place historique pour le club qui a dû offrir une bonne bouteille de Slivovica au buteur attitré du club, Vojtech Masny. Attaquant intelligent, ce dernier a passé la plupart de sa carrière de footballeur à Trenčín, portant le maillot du club durant 243 matchs, dont 182 matchs consécutifs sans aucune interruption, pour un total de 71 buts. Héros du club, Vojtech était également le représentant de la ville dans une sélection Tchécoslovaque dont il portera le maillot à neuf reprises pour trois buts.
D’année en année, et malgré des apparitions en Coupe Mitropa, le club ne connut plus d’importants succès, se perdant même dans les divisions intérieures à partir des années 80 et ce jusqu’à la création de l’Ozeta Dukla Trenčín en 1992 renommé désormais en AS Trenčín.
La révolution orange
Si aujourd’hui le club de Trenčín connait les joies des compétitions européennes, c’est essentiellement dû à un homme. D’origine chinoise et de nationalité hollandaise, Tschen La Ling n’est pas un inconnu dans le football mondial. Avant d’être le président du club, il était surtout un joueur de football connu et reconnu ayant notamment porté le maillot de l’Ajax Amsterdam, du Panathinaïkos ou encore de l’Olympique de Marseille. Rapide, technique et habile, Tschen La Ling a souvent été décrit comme un génie incompris par ses coéquipiers. Mais aussi comme un joueur provocateur et souvent moqueur.
« L’insulter est aussi improductif que de frapper un âne. Et c’est d’ailleurs souvent contre-productif. » – Hans Kraay, ancien joueur néerlandais.
Fort sur le terrain, Tschen La Ling le sera aussi des années plus tard dans les bureaux avec son projet Trenčín … mais aussi sur un ring de boxe. Car oui, Tschen La Ling est un président à part et n’hésite pas à mouiller le maillot pour montrer qu’il a bel et bien la plus grande gueule des Pays-Bas.
Pourtant, à son arrivée en Slovaquie, l’ambition de Tschen La Ling était bien loin du football puisqu’il voulait acquérir un … hôtel. Devant l’ampleur des travaux de rénovation qu’il y avait à faire dans l’hôtel, le Néerlandais se décida à acheter le club de football afin d’y bâtir ses projets et de renouer avec son premier amour, le football. C’est ainsi qu’en juin 2007, Tschen La Ling rachète officiellement l’AS Trenčín et pose ses bagages en Slovaquie avec la ferme intention de bousculer la hiérarchie du football local.
« L’endroit me plaisait et j’avais l’impression de comprendre l’environnement. Compte tenu de mon passé, je savais que le football était avant tout une histoire d’argent, de joueurs, d’entraîneurs et de problèmes. Il n’y a pas de formule magique pour gagner à tous les coups. » expliquait-il dans une interview en Slovaquie pour le site Aktuality.
Les problèmes, il les rencontrera rapidement. Un an seulement après son rachat, l’AS Trenčín ne fait pas de vieux os en première division. Après une saison galère et une douzième place, le club se retrouve relégué en seconde division. De cette première déconvenue, le néerlandais et son directeur général Robert Rybníček, au club depuis plus de quinze ans, en feront une force, revoyant totalement la mentalité du club. « Je voulais créer quelque chose de nouveau et significatif […] en m’appuyant sur une jeunesse de qualité combinant les caractéristiques générales des footballeurs néerlandais à la force physique et mentale des joueurs slovaques […] tout en créant une dimension sociale cohérente et forte entre les habitants et la région » expliquait Tschen La Ling. Avec ce projet en tête, il entreprit ce qui allait devenir l’une des forces du club : le recrutement. Malgré cette descente, le club dénicha les Argentins David Depetris et Aldo Baez qui deviendront par la suite deux joueurs marquants du championnat slovaque.
Bien qu’il ait fallu trois années à Trenčín pour se dépêtrer de la seconde division slovaque, le projet n’aura à aucun moment pris du plomb dans l’aile. Le club continua de grandir et de dénicher ses futures perles avec un soutien de poids, celui de l’Ajax d’Amsterdam, Tschen La Ling oblige. De cette affiliation, le club slovaque apprend avec ce qui se fait de mieux dans la formation et devient l’un des meilleurs dénicheurs de talents en Europe de l’Est avec des jeunes joueurs slovaques comme Matthew Bero, Stanislav Lobotka, Samuel Stefanik, Filip Lukšík, František Kubík, Filip Hlohovský ou encore Csaba Horváth mais aussi des joueurs étrangers comme Simon Moses, Lester Peltier, Gino Van Kessel, Haris Hajradinovič ou encore l’anglais James Lawrence.
Tant d’étrangers ayant tous en commun d’avoir été dans le viseur de l’Ajax Amsterdam. Ainsi, les deux clubs ne cessent de communiquer, d’apprendre des méthodes de travail l’un de l’autre ou encore de s’échanger des joueurs. Tandis que Stanislav Lobotka était prêté chez le club néerlandais, Gino Van Kessel, lui, faisait le chemin inverse. Même s’il faut bien le reconnaître, les bénéfices sont essentiellement visibles chez le club slovaque. Autre symbole de ce lien très fort entre les deux clubs, Tschen La Ling a été intronisé en juin 2015 membre du conseil consultatif de l’Ajax.
L’autre homme fort de ce projet se nomme Martin Ševela, ancien défenseur central du club lorsqu’il évoluait en seconde division. Martin fut dans un premier temps entraîneur adjoint avant d’être nommé à la tête de l’équipe la saison dernière, à seulement 39 ans. Un coach jeune pour l’équipe la plus jeune d’Europe, Trenčín est définitivement le club le plus précoce du vieux continent. Pourtant ce choix n’a rien d’illogique, Martin Ševela connait parfaitement le moule Trenčín et les ambitions de son président. Ainsi, Tschen et Martin partagent cette même vision pour la formation, la jeunesse et cette mentalité de jeu tournée vers l’offensive, que l’on retrouve dans les séances d’entrainement avec ballon portées sur la manière d’utiliser ce ballon vers l’avant. L’entraîneur slovaque ne cesse d’inciter les joueurs à se projeter vers l’attaque et à prendre des risques.
De ce projet ambitieux, les premiers succès viendront durant cette saison 2014/2015. Après une belle seconde place lors du précédent exercice, les hommes de Martin Ševela auront parfaitement su résister à Žilina afin de s’octroyer un doublé historique coupe-championnat. Notre sino-hollandais préféré, qui ne doit pas regretter son raté sur l’hôtel, peut désormais rêver plus haut. Un rêve qui se conjugue avec la Ligue des Champions afin d’admirer nos légionnaires slovaques atteindre, eux aussi, le panthéon.
Pierre Vuillemot
Pingback: Semaine #43: Matchs du week-end et bons coups - Footballski
Pingback: 2015 - Six mois de football en Slovaquie - Footballski - Le football de l'est
Pingback: L'oeil du recruteur #12 : Matúš Bero - Footballski - Le football de l'est